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vendredi 12 septembre 2025

Le chrétien comme soldat du Christ.



L'Archevêque Averky (Taushev) (1906–1976) était le quatrième abbé du monastère de la Sainte Trinité à Jordanville, New York. Né en Russie impériale, il a dû quitter le pays après la Révolution russe. Il a vécu en Bulgarie où il est devenu moine et prêtre, puis a enseigné et exercé son ministère en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie et en Allemagne avant d'être affecté au séminaire de la Sainte Trinité en 1951, dont il est devenu le recteur en 1952. Il a été consacré évêque et, après la mort de l'Archevêque Vitaly (Maximenko) en 1960, est devenu abbé du monastère de la Sainte Trinité. Il était un défenseur inébranlable de l'Orthodoxie traditionnelle et est considéré comme l'une des figures marquantes de l'Église orthodoxe russe hors de Russie, ayant écrit de nombreux commentaires scripturaires et d'autres œuvres lues en Russie et dans la diaspora.

Le livre aborde des thèmes fondamentaux de la vie spirituelle chrétienne, tels que l'ascétisme, l'humilité, l'amour évangélique, la conscience, la liberté et la lutte contre les passions.

L'ouvrage commence par démystifier le terme "ascétisme", souvent mal compris dans la société séculière moderne. Pour beaucoup, l'ascétisme est perçu comme quelque chose d'extraordinairement sombre, presque sinistre, une monstruosité fanatique ou une forme d'auto-torture, comme celles pratiquées par les yogis et les fakirs. Une autre conception, bien que plus proche, est jugée superficielle, le réduisant à la seule restriction des besoins naturels sans en comprendre le pourquoi et le dans quel but.

L'Archevêque Averky clarifie que l'ascétisme est indissociable de la vie spirituelle, en étant son instrument principal. Il ne s'agit pas d'une fin en soi, mais d'un moyen absolument nécessaire pour le succès dans la vie spirituelle. L'essence de l'ascétisme réside dans la pratique constante des bonnes œuvres et la suppression des mauvaises habitudes et des aspirations mauvaises enracinées dans l'âme et le corps. Le terme vient du grec askesis, signifiant "exercice", et askitis, signifiant "combattant" ou "lutteur". Ainsi, l'ascétisme est un "entraînement spirituel" ou un "exercice spirituel", comparable à l'entraînement physique. Cette lutte est difficile, accompagnée d'efforts intenses et parfois de souffrances. Le but ultime est d'éradiquer les dispositions mauvaises de l'âme et d'y planter des dispositions bonnes.

Contrairement à la perception commune, l'ascétisme n'est pas réservé aux moines, mais est nécessaire pour tous les chrétiens sans exception. Tous sont appelés à la vie spirituelle et à la communion avec Dieu, et tous ont une nature endommagée par le péché originel. L'ascétisme est une exigence naturelle de l'esprit humain qui aspire à se libérer du pouvoir du mal et à s'élever vers Dieu pour trouver le bonheur, la paix et la joie. C'est le seul chemin véritable vers le bonheur, qui réside dans l'arrangement paisible de l'âme et la paix intérieure obtenue par la victoire sur le mal et l'éradication des mauvaises habitudes.

Le premier chapitre approfondit l'orgueil auto-affirmateur comme cause du péché originel d'Adam et Ève et de la chute de l'homme, les incitant à désobéir à Dieu et à vouloir devenir comme des dieux. Cet esprit d'orgueil a engendré la division, la haine, les guerres (comme le meurtre fratricide de Caïn, la Tour de Babel), le paganisme, et la corruption morale de l'humanité.
Le Christ est venu guérir l'humanité de cette maladie première par l'humilité. Il a enseigné l'humilité non seulement par sa prédication mais aussi par l'exemple de sa vie terrestre, depuis sa naissance dans une grotte pauvre jusqu'à sa mort sur la croix. Le "esprit du Christ" est l'esprit d'humilité, l'antithèse de l'orgueil auto-affirmateur. L'humilité chrétienne n'est pas une faiblesse, mais une force divine en l'homme, car la puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse. L'orgueil, en rejetant la grâce de Dieu, rend l'homme faible.

L'esprit d'orgueil a continué de sévir, provoquant hérésies (arianisme, nestorianisme) et schismes au sein de l'Église (séparation de l'Église romaine, puis Protestantisme). Il a également mené à l'humanisme de la Renaissance, à la sécularisation de la science et de l'art, au culte de la raison, au matérialisme, au socialisme et au communisme, qui déifient l'homme et ses passions. Ces idéologies, en promettant le paradis sur terre, ont conduit l'humanité à une impasse morale désastreuse, à un véritable enfer, et à la menace de destruction. La seule voie de salut est de retourner à l'esprit de douceur et d'humilité du Christ.

Le livre expose la nature tripartite de l'homme : corps, âme et esprit. Le corps et l'âme sont liés à l'existence temporelle, avec l'âme comprenant la pensée, les sentiments et la volonté. Mais l'esprit est un principe supérieur, d'origine divine, qui connaît Dieu, le recherche et ne trouve le repos qu'en Lui. Les manifestations de l'esprit incluent la crainte de Dieu, la conscience et la soif de Dieu.

La société moderne ignore l'esprit, le confondant avec l'âme ou le réduisant à des fonctions cérébrales matérialistes. Elle assimile la "vie spirituelle" à des manifestations émotionnelles ou mondaines (science, art, divertissements). Cette falsification est due à l'esprit dominant de l'orgueil auto-affirmateur, qui rejette la foi en Dieu et la voix de la conscience. Le mode de vie moderne, caractérisé par une agitation nerveuse, la quête incessante de distractions et de plaisirs, paralyse le développement spirituel et endort la conscience, menant à la dépravation morale et à la destruction. Le salut réside dans une vie spirituelle authentique, qui est la recherche de Dieu et l'union avec Sa Sainte Volonté.

L'amour est la seule force créatrice et le fondement de la vie, venant de Dieu Lui-même. Le Christ a apporté le nouveau commandement d'aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même. Cette vraie amour évangélique est impossible sans la foi en la divinité du Christ.

L'esprit moderne a déformé cette notion en la remplaçant par l'"altruisme", la "philanthropie" ou l'éthique situationnelle, une moralité indépendante de la religion. Ces approches affirment qu'on peut être "bon" sans croire en Dieu, considérant la foi comme un élément contraignant pour les primitifs. Le livre critique cette vision, affirmant que la moralité sans Dieu est superficielle, égoïste, motivée par la vanité et instable. L'histoire de la Russie, avec l'effondrement des fondements religieux et moraux, est citée comme preuve que "s'il n'y a pas de Dieu, tout est permis". La vraie motivation chrétienne est l'amour désintéressé pour Dieu, qui se manifeste par l'obéissance à Ses commandements et l'amour pour le prochain.

L'amour évangélique est étranger à notre nature déchue et égoïste. Pour l'acquérir, il faut détruire l'orgueil par l'humilité chrétienne et croire ardemment en Dieu comme Créateur, Bienfaiteur et Sauveur. L'amour véritable pour Dieu doit être purement spirituel, libre de toute émotion charnelle, et se prouve par un effort sincère pour accomplir Ses commandements, lus et étudiés dans l'Évangile. Les obstacles modernes à cette quête sont le rejet de Dieu, l'athéisme et la tentative de discréditer l'Évangile, notamment les miracles, qui sont en réalité des manifestations de lois naturelles inconnues ou de la volonté divine. Sans l'amour évangélique comme fondement, l'humanité court à la ruine catastrophique. L'amour du prochain découle naturellement de l'amour de Dieu et apporte la joie, mais il est étouffé par l'égoïsme.

La conscience est la "voix de Dieu" en l'homme, une étincelle divine qui distingue le bien du mal, agit comme législateur, gardien, juge et exécuteur. L'époque actuelle se caractérise par une absence choquante de conscience dans la vie personnelle, familiale, sociale et politique, et une insensibilité dure face au mal. La conscience est étouffée et engourdie par le péché volontaire et l'orgueil auto-affirmateur qui proclame l'homme comme dieu.

Ignorer la conscience mène à la brutalité et à des tourments infernaux. Le chemin du salut est de "garder sa conscience", c'est-à-dire de veiller attentivement à ne pas la violer, même dans les plus petites choses, et de la réconcilier avec la repentance.

La liberté est le plus haut don de Dieu à l'homme, lui permettant de choisir entre le bien et le mal, et d'aimer Dieu librement. L'homme a abusé de cette liberté par orgueil et est tombé dans l'esclavage du péché et du diable. Le Christ est venu pour restaurer cette liberté originelle, délivrant l'homme de l'esclavage du péché par sa souffrance et sa résurrection, et par la grâce du Saint-Esprit.

La vraie liberté est la liberté du péché, la capacité de vivre selon la volonté de Dieu sans entrave, apportant paix intérieure et joie. La conception moderne de la liberté, au contraire, est le droit de faire tout ce que l'on désire, sans contraintes, une licence pour la dissipation et les instincts animaux. Cette fausse liberté a engendré des conflits, la haine, le meurtre, les guerres, l'esclavage réel au péché, la dissipation morale et l'oppression des faibles par les forts. La promesse de liberté s'est transformée en une agonisante servitude du péché.

L'exhortation clé est "Garde ton attention sur toi-même !". Le cœur est la source des pensées et des actions, et il doit être protégé des impressions externes nuisibles qui le souillent. La pureté de cœur des enfants est le chemin vers la paix, la joie et le bonheur.

Il est essentiel de "fermer les fenêtres de l'âme" – les organes sensoriels – aux impressions nuisibles qui troublent la paix intérieure. La vie distraite, caractéristique de l'homme moderne, est l'ennemi de cette vigilance. Elle est alimentée par l'orgueil, la quête effrénée des plaisirs terrestres et des conforts, transformant l'homme en un engrenage de la culture matérialiste. Les distractions mènent à une compréhension superficielle des choses, à l'inconsistance, au manque d'amour pour le prochain, au désespoir et même au suicide. La lutte contre la distraction implique de rejeter l'oisiveté, les bavardages futiles et la rêverie, et de s'engager dans des activités utiles et sensées avec diligence.

L'auteur critique l'interprétation de Léon Tolstoï de la phrase "ne résistez pas au mal" comme une non-résistance totale, ce qui mènerait à l'anarchie. Pour un chrétien, la lutte contre le mal est une tâche fondamentale, et il ne peut rester indifférent à son triomphe.

La résistance au mal doit être d'abord intérieure, dans sa propre âme, et toujours basée sur des principes, dépourvue de vengeance personnelle. Le pardon des offenses personnelles est la clé pour détruire le mal et établir un royaume de bien et d'amour mutuel. Cependant, toute paix n'est pas agréable à Dieu. Le chrétien ne peut être en paix avec le Satan, les athées, les persécuteurs de la foi ou les criminels. Le Christ lui-même a chassé les vendeurs du Temple, montrant que des mesures décisives sont nécessaires pour supprimer le mal lorsque la persuasion échoue. L'amour chrétien doit, comme l'amour de Dieu, punir et supprimer le mal lorsque celui-ci dépasse la sphère personnelle et nuit à la vérité divine ou aux autres.

Chaque chrétien est un "soldat du Christ" engagé dans une lutte incessante et inconditionnelle contre le mal. Cette bataille doit d'abord se dérouler dans l'âme de l'individu, et non par le jugement et l'attaque des autres, ce qui est une erreur moderne.

Les anciens ascètes ont appelé cette lutte "guerre invisible", un combat intérieur continu pour atteindre la perfection chrétienne, c'est-à-dire la sainteté et la liberté de l'âme du péché. L'essence de cette guerre est la lutte contre l'orgueil auto-affirmateur et toutes ses passions et vices. Pour être victorieux, il faut ne jamais compter sur soi-même, avoir une confiance résolue en Dieu, travailler sans cesse et toujours prier. L'orgueil et la confiance en ses propres forces sont des obstacles majeurs à la grâce divine. La reconnaissance de sa propre faiblesse et insignifiance est essentielle et est souvent enseignée par Dieu à travers les chutes et les épreuves.

La lutte chrétienne, ou ascétisme, est l'effort personnel pour éradiquer le mal et implanter le bien. Dieu aide ceux qui font preuve de sincérité et d'efforts personnels, la grâce étant proportionnelle à l'intensité de la bonne volonté. Contrairement aux doctrines protestantes (salut par la foi seule) et catholiques (mérites par les efforts), l'effort personnel est une preuve de la sincérité de la volonté de vaincre le mal. La maîtrise de soi constante affaiblit les mauvaises habitudes. Le bonheur réside dans la paix de l'âme, fruit de la victoire sur le mal par l'ascétisme.

Les passions sont des dispositions mauvaises du cœur que tout chrétien doit combattre et éradiquer. Après leur éradication, il est impératif de planter les vertus opposées pour éviter un retour plus intense du mal. La racine de toutes les passions est l'égoïsme ou l'amour-propre, d'où découlent les trois passions principales (amour du plaisir, avidité, amour de la gloire) et huit passions principales (gourmandise, fornication, avarice, colère, tristesse, désespoir, vaine gloire, orgueil).

Les Saints Pères ont développé une science de la lutte contre les passions, l'ascétisme, en identifiant cinq étapes du péché : la suggestion (pensée initiale), l'acceptation (engagement avec la pensée), le consentement (acceptation volontaire), la captivité (l'âme est emportée) et la passion (habitude enracinée, seconde nature). Il faut résister aux passions pour les affaiblir et les détrôner, même par la crucifixion de la chair, en s'appuyant sur la grâce du Saint-Esprit. Les vertus opposées aux passions doivent être cultivées. Le but ultime est la perfection, la ressemblance à Dieu, la sainteté, une aspiration infinie pour l'homme.

L'ascétisme pastoral est une branche essentielle de la théologie pastorale, concernant la vie personnelle du prêtre. Il est impératif pour les prêtres, plus encore que pour les laïcs ou les moines, de combattre les passions et de cultiver les vertus en raison de la grandeur de leur vocation et de la nécessité d'être un exemple pour le troupeau. Le prêtre est appelé à être "hors du monde", à une pureté de cœur et une vigilance constante pour se préparer aux Saints Mystères. L'exemple personnel du pasteur est crucial pour le succès de son ministère ; un mauvais exemple peut conduire à la ruine spirituelle de la paroisse. Il est une erreur de croire que seuls les moines ou le clergé monastique doivent pratiquer l'ascétisme ; tout pasteur, marié ou non, doit pratiquer la lutte ascétique. L'ascétisme pastoral consiste à rejeter les choses mondaines et à combattre les passions pour être une "lumière du monde".