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vendredi 5 septembre 2025

L'État ce nuisible, décortiqué par Murray Rothbard.




Cet ouvrage essentiel de Murray Rothbard, publié par le Ludwig von Mises Institute, est une analyse exhaustive de l'impact de l'intervention gouvernementale sur l'économie. Rothbard y développe une critique systématique des justifications de l'État, allant au-delà de ses contemporains libéraux en affirmant qu'aucun bien ou service, y compris la défense et l'application de la loi, ne nécessite l'existence du gouvernement.

La thèse centrale de Rothbard est que l'État n'est pas une entité bienveillante, mais un appareil coercitif, imparfait et intrinsèquement nuisible à la société civile. Il soutient que les véritables solutions aux problèmes sociétaux ne résident pas dans le pouvoir étatique, mais dans le marché libre. Rothbard envisage un système où la défense serait assurée par des organisations privées, opérant dans un marché libre et concurrentiel, sans monopole coercitif ni financement par la taxation. Pour lui, l'idée d'un gouvernement strictement limité est utopique et n'a jamais fonctionné historiquement, car le monopole inhérent de l'État sur l'agression lui permet de briser facilement toute contrainte.

Rothbard classifie l'intervention étatique en trois catégories principales, toutes considérées comme des subdivisions de la relation hégémonique (commandement et obéissance) par opposition à la relation contractuelle (bénéfice mutuel volontaire).

1. L'intervention autistique. C'est lorsque l'État contraint directement un individu concernant sa personne ou sa propriété, sans qu'il y ait d'échange.

2. L'intervention binaire. Cela se produit lorsque l'État force un échange ou un "don" unilatéral entre un individu et lui-même. La taxation est l'exemple le plus courant de cette intervention. Rothbard la considère comme une coercition unilatérale, assimilable au vol. Il identifie deux groupes : les contribuables (ceux qui sont grevés) et les consommateurs d'impôts (ceux qui en bénéficient), principalement les politiciens et la bureaucratie. L'impôt déforme l'allocation des ressources et crée un problème de distribution qui n'existe pas sur le marché libre, où la richesse est acquise par des services volontairement échangés. Le niveau global de taxation est plus important que le type d'impôt. Des taxes comme l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les successions, les impôts sur le capital accumulé, sont toutes des formes d'intervention binaire qui réduisent l'épargne, l'investissement et le niveau de vie général. Les taxes sur les plus-values (capital gains) sont considérées comme un impôt sur le revenu si elles sont corrigées pour l'inflation et prélevées sur les gains accumulés plutôt que réalisés, car elles reflètent les profits entrepreneuriaux. La théorie de l'incidence fiscale, souvent étudiée par les économistes, montre que les taxes ne peuvent pas être "répercutées" sur les consommateurs, mais sont supportées par les facteurs originaux de production, principalement les propriétaires fonciers, et qu'elles déforment les préférences des consommateurs.

3. Les dépenses gouvernementales sont également analysées, divisées en paiements de transfert (subventions pures) et activités consommatrices de ressources. Elles déforment les préférences des consommateurs, pénalisent l'efficacité et créent des conflits d'intérêts. L'inefficacité des entreprises publiques est inhérente, car elles n'ont pas de mécanisme de profits et pertes, et elles obtiennent des fonds par la coercition fiscale plutôt que par le service volontaire aux consommateurs. Rothbard dénonce le mythe de la "propriété publique", arguant que la propriété gouvernementale signifie en réalité que les fonctionnaires contrôlent les ressources, sans que le "public" n'en soit véritablement propriétaire, car les citoyens ne peuvent pas vendre leur "part" de cette propriété. Le fonctionnaire gouvernemental, étant un propriétaire transitoire, a tendance à "traire" la propriété le plus rapidement possible, sans se soucier de sa valeur à long terme.

4. La démocratie elle-même est critiquée comme un système rempli de contradictions internes. Elle ne garantit pas la sagesse des décisions, et son argument de "changement pacifique" est remis en question, car il ignore les inégalités de pouvoir physique et d'intensité d'intérêt parmi les votants. De plus, le concept de "majorité" est géographiquement arbitraire, et la démocratie nationale est auto-contradictoire, poussant logiquement vers un gouvernement mondial ou aucun gouvernement du tout. Le vote est une activité marginale où l'individu a peu d'impact, ce qui explique l'apathie électorale. Rothbard note l'ironie des "progressistes" qui doutent de la capacité des consommateurs à faire des choix intelligents sur le marché, mais louent la sagesse des mêmes personnes lorsqu'elles votent pour des politiciens. Il soutient que le choix de dirigeants politiques est encore moins rationnel que le choix de produits, car les critères de succès sont absents et les compétences requises sont politiques plutôt qu'économiques. Les économistes sont plus utiles pour analyser les conséquences indirectes des actions gouvernementales que pour conseiller les entreprises.

5. L'intervention triangulaire. C'est lorsque l'État contraint ou interdit un échange entre deux autres parties.
◦ Le contrôle des prix, qu'il s'agisse de prix maximum ou minimum, conduit à des pénuries (avec des prix maximum), des excédents non vendus (avec des prix minimum) et l'émergence de marchés noirs. Des exemples historiques incluent le bimétallisme (fixation arbitraire des taux d'échange entre l'or et l'argent), le contrôle des taux de change (conduisant à des "pénuries" de devises), et les lois sur l'usure (créant une pénurie de crédit, particulièrement préjudiciable aux emprunteurs les plus risqués).
◦ Le contrôle des produits et les privilèges monopolistiques : L'État peut interdire la production ou la vente sauf pour certaines entreprises, leur accordant un monopole ou quasi-monopole. Cela inclut les cartels obligatoires (restreignant la production et favorisant les entreprises inefficaces), les licences (qui restreignent l'entrée dans les professions et les entreprises, créant des obstacles pour les petits capitaux), les normes de qualité et de sécurité (qui bloquent l'innovation et la concurrence au détriment des consommateurs, souvent sous prétexte de "protection"), les tarifs douaniers (qui protègent les industries nationales inefficaces en pénalisant les consommateurs et en réduisant la productivité globale), les restrictions à l'immigration (qui créent des monopoles de main-d'œuvre et entravent l'égalisation des salaires à l'échelle mondiale), les lois sur le travail des enfants (qui créent un chômage obligatoire et réduisent le revenu des familles avec enfants), les lois sur le salaire minimum (qui rendent les travailleurs les moins productifs inemployables), la conscription (qui retire de la main-d'œuvre des hommes adultes, augmentant les salaires des autres), les lois antitrust (qui entravent les entreprises efficaces en les soumettant à des règles arbitraires et mal définies, au lieu de réduire les monopoles créés par l'État), les brevets (qui sont des monopoles d'agression contre les découvreurs ultérieurs indépendants et qui déforment la recherche au lieu de la stimuler efficacement), les franchises exclusives (qui confèrent des privilèges monopolistiques pour l'utilisation des biens publics comme les rues), et le droit d'expropriation (qui permet la prise de propriété par la force, sapant le droit à la propriété privée et déformant la production). La corruption des fonctionnaires gouvernementaux est vue comme une forme de licence informelle, agissant soit comme un moyen de contourner l'interdiction (corruption défensive), soit comme l'acquisition d'un privilège monopolistique (corruption invasive).

Rothbard critique également diverses éthiques antimarché :
• Il soutient que l'économie ne présuppose pas une nature humaine angélique, mais que l'existence de l'État offre un canal légitimé pour l'exercice du mal.
• Il déconstruit les arguments en faveur de l'égalité (de revenu ou d'opportunité), les considérant comme logiquement insensés et incompatibles avec la diversité humaine. L'idéal d'égalité, appliqué à la nature humaine diverse, ne peut être atteint qu'en "détruisant la plupart de ce qui est humain". L'idée même d'« égalité de liberté » (le principe d'égale liberté de Spencer) est redondante et peut prêter à confusion, car la liberté absolue implique déjà l'absence d'empiétement.
• Il défend que la sécurité ne peut être fournie de manière absolue par l'État, car celui-ci produit la sécurité pour certains aux dépens d'autres, et que la seule sécurité universelle est la protection contre l'agression, que le marché libre peut fournir par des moyens volontaires comme l'assurance et la charité.
• Il rejette l'idée d'une "société de statut" médiévale "heureuse" comme un mythe, soulignant la pauvreté, la violence et le manque de mobilité de cette époque, où la croissance démographique posait des problèmes insolubles.
• Il critique la "charité" étatique comme étant inefficace, dégradante et encourageant la dépendance, alors que la charité volontaire et l'investissement capitaliste sont les véritables moteurs de la réduction de la pauvreté.
• La charge de "matérialisme égoïste" contre le marché est également réfutée, Rothbard expliquant que l'économie est un moyen au service de toutes les fins (égoïstes ou altruistes) et que l'enrichissement capitaliste permet en fait de mieux satisfaire les désirs humains, y compris non matériels.
• Il distingue clairement le pouvoir sur la nature (productif et bénéfique pour l'humanité) du pouvoir sur l'homme (parasitaire et destructeur), arguant que l'intervention étatique élève ce dernier aux dépens du premier. Il dénonce le sophisme de la "puissance économique" comme une forme de coercition, insistant sur le fait que le "pouvoir" d'un employeur de refuser un emploi n'est pas comparable à la violence physique ; refuser un échange n'est pas une agression.
• Enfin, il affirme que les droits de propriété sont indissolublement liés aux droits de l'homme, car la liberté d'expression ou de réunion, par exemple, ne peut exister sans la propriété des moyens de communication ou des lieux d'assemblée. Les conflits sur l'utilisation des biens (comme les rues) ne peuvent être résolus arbitrairement que si l'État en est propriétaire, contrairement à une société où la propriété est entièrement privée.

Ainsi, Rothbard présente une dichotomie frappante entre le principe du marché et le principe hégémonique. Le marché engendre l'harmonie, la liberté, la prospérité et l'ordre, tandis que l'hégémonie produit le conflit, la coercition, la pauvreté et le chaos. Il observe que l'intervention gouvernementale a une nature cumulative, chaque intervention créant de nouveaux problèmes qui appellent à davantage d'intervention, conduisant à une "disparition" de l'ordre naturel du marché. Le rôle de l'économiste n'est pas d'émettre des jugements éthiques ultimes, mais de critiquer les programmes éthiques inconsistants et d'analyser les conséquences des différents systèmes politiques, montrant comment le marché libre maximise l'utilité sociale.