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Je ne suis pas un perdreau de l’année et connais la chanson. J’ai lu Machiavel, Talleyrand et le cardinal de Retz, et je sais que les frontières sont poreuses entre les compromis et la compromission. Ce que j’ignorais, quand je me suis lancé dans cette enquête, c’est que Jean-Marie Le Pen fût allé aussi loin dans son approche des dirigeants sionistes, dans une tentative de ce qui n’était rien d’autre, il faut le dire apertement, qu’une alliance historique nationale-sioniste. L’idée qui la sous-tendait était au fond assez sommaire, on peut la résumer comme suit :” Laissez-nous nous occuper des immigrés, on vous laissera vous occuper des Palestiniens.” Ce n’est pas parce que la manoeuvre a échoué qu’elle n’a pas existé dans son esprit durant des années et qu’il n’a pas essayé de la proposer à plusieurs reprises aux sionistes qu’il fréquentait. Ce qui m’a réellement étonné, c’est que cette quête éperdue d’alliance avec les milieux juifs n’ait pas été stopée net, de sa part, par les ineptes accusations d’antisémitisme qui ont émaillé sa carrière politique, ni par tous les coups tordus que lui ont fait subir les représentants de la communauté juive. Le Pen a pourtant cherché désespérement ce type de rapprochement jusqu’au milieu des années 2000. Sa “victoire” du 21 avril 2002 est une “victoire juive”, j’en fournis les raisons dans mon livre. Saviez-vous par exemple qu’avant cette présidentielle, il avait fait éditer dans le plus grand secret (même le bureau politique n’était pas au parfum) une luxueuse brochure rappelant sa love story pour Israël et qu’il l’avait envoyée à des personnalités sionistes influentes ? Plus récemment, mon petit doigt me dit que le livre (nul) de Serge Moati, et la vraie-fausse querelle médiatique qui s’en est suivie avec le président d’honneur du FN, n’est que l’avatar de cette longue série d’approches avec la communauté organisée, parfois réussies et souvent ratées...
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Quand le Front national a été porté sur les fonds baptismaux, une partie de ses cadres avaient pour Israël les yeux de Chimène, à commencer par François Brigneau, celui qui a hissé Le Pen sur le pavois - lequel Brigneau, certes, s’est très largement amendé plus tard de ses amitiés particulières pour devenir le pamphlétaire anti-système que l’on sait. Au début des années soixante-dix, c’était ainsi. La guerre des Six Jours avait dopé les nationalistes français. De nombreux sympathisants de la droite radicale étaient hypnotisés par ce pays du Proche-Orient sans frontières mais “où coule le lait et le miel”. Les juifs étaient devenus des soldats. Ils étaient enfin “comme nous”, se disaient les “natios” - ou plutôt comme ceux-ci auraient aimés être : des gagnants. Les Israéliens leur donnaient la leçon. Lucien Rebatet lui-même n’a pas caché sa vénération pour le général Moshé Dayan, à l’instar de Xavier Vallat et de Jean-Louis Tixier-Vignancour, dont Le Pen s’était occupé de la campagne présidentielle en 1965. En ce temps-là, l’armée israélienne semblait venger les Français d’Algérie du sort tragique que le FLN et le général de Gaulle leur avait réservé en 1962. Puis l’État juif faisait partie du “monde libre” en guerre contre l’hydre communiste. Viendra ensuite le temps des “refuzniks”, qui se présenteront comme un nouveau tonic contre l’URSS. Bref, toute la droite nationale ou presque (à l’exception notable de François Duprat, Henry Coston ou Maurice Bardèche) était sioniste. Le Pen, sans être un disciple de Zeev Jabotinsky - le fondateur du Bétar dont Mussolini avait déclaré un jour qu’il était un “fasciste juif” - était de cette tendance-là. Il avait participé à la campagne de Suez, en 1956, avec Tsahal, contre Nasser, le Raïs que le garde des Sceaux François Mitterrand avait présenté comme un nouvel Hitler. Par la suite, les attentats palestiniens en France et dans le monde n’avaient certes pas contribué à le faire évoluer sur ce point. A l’orée des années quatre-vingt, on voit Le Pen dénoncer avec vigueur les attentats antisémites (rue Copernic, etc.) comme autant d’opératons du KGB. Les revendications des Palestiniens, le problème israélien et ses mythes fondateurs, les réseaux sionistes en France : connais pas. Il milite pour que la France réintègre l’OTAN, suite logique de la sympathie naturelle qu’il éprouve pour le sionisme. J’ai retrouvé une interview télévisée dans laquelle il affirme préférer nettement Israël, “pays démocratique”, à la Syrie d’Hafez el-Hassad. Même après l’affaire du “détail”, en 1987, le Menhir persistera à demander la fermeture du bureau de l’OLP à Paris. Comme s’il n’avait pas encore compris à quelles forces de déstabilisation il avait affaire, ni l’emprise qu’elles étaient capables d’avoir sur les destinées de la France et la mentalité des Français. Il va même tenter à ce moment-là de mener une “opération séduction” en faisant créer une association relai du FN, le Comité des Français juifs, par Robert Hemmerdinger, un ancien membre de l’Irgoun, l’organisation terroriste de Menahem Begin. Détail piquant : Hemmerdinger était aussi l’un des premiers pirates de l’air de l’histoire !
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Plusieurs mois avant que ne tombe sur ses larges épaules l’affaire du “détail”, Le Pen s’est rendu au début de 1987 aux États-Unis. Le voyage est financé par l’Église de l’Unification, la contestée secte Moon, émanation de la CIA, qui lui offre sur un plateau une photo en compagnie du président Ronald Reagan, dont il se proclame l’alter ego français. L’autre objet de sa visite chez l’Oncle Sam est la conférence – très discrète – qu’il donne au restaurant The Four Seasons dans le Seagram Building d’Edgar Bronfman, sur la 52e rue de Manhattan. Dois-je vous rappeler qui était Bronfman à cette époque ? L’affairiste canado-américain, multi-milliardaire, héritier du groupe de vins et spiritueux Seagram, était membre de la commission nationale de l’Anti-Defamation League, du B’nai B’rith, du comité exécutif de l’American Jewish Congress, et le président, depuis 1981, du Congrès juif mondial. En ce temps-là, Bronfman mènait campagne pour faire déménager les carmélites qui avaient ouvert un couvent près du camp d’Auschwitz. On comprend fort bien le but de Le Pen auprès d’un tel personnage et de sa camarilla : être adoubé chevalier sioniste par la crème de la crème, et pouvoir faire la nique à Théo Klein et ses compères à son retour. Mais à quel prix ? Celui du reniement de la souveraineté nationale ? De l’indéodation de la France à Israël ? On peut sérieusement se poser la question des conséquences funestes que ce genre de rencontres auraient pu avoir sur le mouvement national si elles avaient abouti comme Le Pen l’envisageait.
Comment ce voyage a-t-il été possible ? Je déroule toute l’histoire dans mon livre, étape par étape. Disons, pour résumer, que les sionistes américains ont le bon goût de ne pas tous être “de gauche”, comme la plupart de leurs homologues français, et ne sont pas davantage fascinés par les interminables crispations franco-françaises, comme celle portant sur l’histoire de Vichy, pour ne citer qu’elle. Le passé OAS de certains membres du FN va faciliter les prises de contact, puisqu’il y eut des liens entre l’OAS et Israël durant les “événements” d’Algérie. L’homme de la situation s’appelle Jacques Torczyner, e’est un diamantaire belgo-américain installé aux États-Unis, ancien président de la Zionist Organization of America. Il est alors membre de l’exécutif de l’Organisation sioniste mondiale en charge des relations extérieures, chef du Likoud en Diaspora et l’un des conseillers du cow-boy de la Maison Blanche. Il rencontre Le Pen à Montretout et lui explique que le voyage que celui-ci envisage de faire en Israël passe obligatoirement par New York. Sur place, tout se passe à merveille, Le Pen se fait applaudir par toute l’assistance qui se lève comme un seul homme après son discours ultra-sioniste. Quand il rentre en France, au début de l’année 1987, le chef du FN se croit le roi du pétrole. Il pense avoir réussi à contourner le lobby sioniste français, mitterrandolâtre, focalisé sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, la remembrance shoatique, toute la lyre. C’est alors que se met en place la chausse-trape du « détail ». Le Pen espérait rencontrer Ariel Sharon. Résultat : les sionistes de son entourage, Olivier d’Ormesson en tête, qui était le président de son comité de soutien à la présidentielle de 1988, prennent le large… C’est la débâcle.
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D’un certain côté, pour Jean-Marie Le Pen, il s’agit toujours et encore de contourner le CRIF et de tenter de nouer une alliance au plan international. Mais, contrairement à sa cadette, dans les années quatre-vingt Jean-Marie Le Pen n’excluait pas de son mouvement les patriotes marginaux ou radicaux, non plus qu’il interdisait les pensées taboues, et il n’hésitait pas, quand il l’estimait bon, à fustiger la “police juive de la pensée”, selon l’expression d’Annie Krigel. Il y a dans le Trinitain de la graine d’insoumis, je n’oublie jamais son psyschisme breton et sa tendresse pour l’anarchisme. Et puis nous vivions aussi dans une autre époque, moins abêtie par le Shoah-bizness, avec un personnel politique encore cultivé et bénéficiant par le fait d’un recul historique plus vaste que nos jours où tout commence en 1933 pour s’arrêter au tribunal de Nuremberg. Tout en considérant le professeur Faurisson comme un “salaud”, Hemmerdinger se disait ainsi prêt à combattre “jusqu’à la mort” pour défendre son droit à l’expression. Mais, pour revenir à nos moutons, sur le fond, il y a une ressemblance entre le père et la fille, c’est certain. Marine n’a pas le même parcours que son père, elle n’a pas vécu la guerre, mais elle partage avec lui de nombreux traits de caractère. C’est le “clone” de Jean-Marie, comme dit sa mère Pierrette. On a parlé à son propos de “stratégie poutinienne” pour accéder au pouvoir. Entendez : elle lâcherait du lest sur les sujets brûlants, sectiles, pour parvenir à nouer des alliances politiques avec les partis traditionnels et complaire aux coryphées qui forgent l’opinion. Mais également si Marine veut à tout prix dédiaboliser le parti, c’est d’abord parce que la ligne light qu’elle a imposée au Front correspond à son mode de vie et sa mentalité, celle d’une fille qui a fréquenté les milieux huppés de la bourgeoisie clodoaldienne, avec tout ce que cette promiscuité comporte : absence de résistance morale au déferlement du prêt-à-penser médiatique, laxité générale, connivence avec les gens à la mode, goût certain pour la facilité au détriment de l’effort sur soi. Quant à l’héroïsme, mieux vaut ne pas aborder la question. Le Front new wave qu’elle a conçu lui va comme un gant. Elle ne joue pas à la politicienne modérée, située à peine plus à droite que Valéry Giscard d’Estaing (qui parlait dès 1991 d’immigration-invasion) : elle l’est. Quand en 2006 Jean-Marie Le Pen condamne chez Michel Field, sur LCI, les propos du président iranien Mahmoud Ahmadinejad sur l’Holocauste, on est libre de le croire sincère ou non (j’ai mon idée), mais quand Marine déclare que les “camps sont le summum de la barbarie” et ajoute qu’elle aurait aimé vivre dans les années quarante pour se battre contre le nazisme (risible envolée digne d’une préciseuse ridicule de Saint-Cloud !), elle livre le fond de sa pensée. Même chose quand elle condamne sans réserve les révisionnistes : elle les déteste de tout son coeur, ce n’est pas un rôle de composition. Mon analyse de sa trajectoire démontre qu’au fond, son désir de collusion avec la droite sioniste lui est coexistant, même si le fait d’être coachée par le président de l’Association France-Israël, Gilles-William Goldnadel, n’est pas pour peu dans la publicité qu’elle a décidé de donner à ses émois judéocentriques. On peut noter que, dès son entrée au bureau politique du FN, l’une de ses premières sorties a été de se rendre à Ground Zéro en compagnie d’un comité de femmes républicaines pour y proclamer que “contrairement à Jacques Chirac elle ne condamne pas les États-Unis sur un plan moral”. Or, condamner l’immoralisme de l’impérialisme américain et sa folie guerrière, c’est très exactement ce que son père s’échinait à faire depuis la première guerre du Golfe, en 1991, avec un remarquable courage ! Dans mon livre, je souligne une à une toutes les compromissions de Marine avec les hiérarques sionistes, depuis sa fuite piteuse lors de la venue de Dieudonné aux BBR en 2006 jusqu’à sa légitimation de la LDJ l’été dernier. Lorsqu’elle ne peut pas agir par elle-même en ce sens, elle délègue. En 2010, une délégation de frontistes, sous la garde de militants de la Ligue de défense juive, participe à la manifestation pour la mémoire d’Ilan Halimi. En 2011, le propre compagnon de Marine, Louis Aliot, vice-président du FN et directeur opérationnel de sa campagne pour la présidentielle 2012, se rend dans deux colonies de Cisjordanie qu’il se croit autoriser à appeler, à l’instar des autorités israéliennes, « la Judée-Samarie ». Sur place, son sherpa est Michel Thooris, candidat FN de la huitième circonscription des Français établis hors de France, couvrant Israël. Thooris est le conseiller à la sécurité de Marine Le Pen pour la présidentielle. Ce policier est un ultra-sioniste ne se cachant pas de soutenir « de manière totalement inconditionnelle Israël ». Il ne dissimule pas être un aficionado la LDJ et clabaude : « Pourquoi la communauté juive n’aurait-elle pas le droit de se défendre La LDJ et Bétar accomplissent une mission de service public en défendant les personnes et les biens ? »
Quelle sera la suite des événements ?
Marine a failli se rendre dans l’État juif en 2006 grâce au Parlement européen où elle était inscrite à la délégation pour les relations avec Israël (elle y figurait avec Patrick Gaubert, président de la LICRA), sauf que l’aventure a capoté à 48 heures du départ. Depuis, elle ronge son frein. Il est probable qu’avant la présidentielle de 2017 (si François Dernier s’accroche jusque là) elle va tenter de s’y faire un petit tour pour témoigner à quel point le FN a changé de visage. Yad Vashem est devenue une étape obligée pour l’accession au trône de France. Aymeric Chauprade fait tout ce qui est en son pouvoir pour lustrer les marches du palais. Goldnadel donnera son petit coup de main habituel. Geert Wilders passera peut-être un coup de fil à ses amis du Mossad. Il n’est pas sûr que le CRIF se laisse faire de bon gré, ni que Jean-Marie ne glisse pas une « quenelle » à sa façon à cette occasion, pour montrer qu’il bande encore. Il y aura des querelles intestines dans les rangs sionistes (rien ne bien grave pour eux, rassurez-vous). Mais il n’existe aucune raison objective pour que Marine se s’engage pas davantage dans le processus qu’elle a enclenché de son propre chef depuis plus de 10 ans. Pour ma part, je ne vois pas ce que la France a à gagner à cet aplatissement du plus grand parti d’opposition, censé résister à l’apocalypse française, si toutefois elle veut rester le « pays des hommes libres », comme on le dit, et non celui des ilotes serviles. Mon siège est fait sur la question « stratégique » qui agite beaucoup sur les réseaux sociaux : si on ne désigne pas l'ennemi quand on est dans l'opposition, on le désignera moins encore le jour où les voix afflueront, et on le taira tout à fait le jour où on aura des responsabilités. Ne pas faire preuve de courage en disant la vérité lorsqu’on le peut, c'est-à-dire quand on n’a pas de clientèle spécifique à satisfaire, revient à annoncer qu'on n’en sera totalement dépourvu une fois qu'on aura gravi les échelons, avec une clientèle à défendre, des alliances à passer et du Gros Argent à faire entrer dans les caisses. À l’image d’Arthur Schopenhauer, je professe qu’un homme politique, comme un écrivain, doit être le “martyr de la cause qu’il défend”.
Paul-Éric Blanrue.