« Le feu de la colère brûle en nous jour et nuit
et nous fait souffrir – encore plus que la personne
contre qui nous sommes en colère. Quand la
colère est absente, on se sent léger et libre. »
Thich Nhat Hahn, Le Cœur des enseignements
du Bouddha, Paris, 2000.
Un livre tout entier consacré à la démystification d’Alain Soral ? Gratias agamus Domino Deo nostro1
! Quand Salim Laïbi m’a révélé son nouveau projet éditorial, ma
première réaction a été de partir dans un grand éclat de rire qui fit
sursauter les deux Scottish Fold assoupis à mes pieds. Enfin, un auteur
non-conformiste allait oser écrire ce qu’il pense de la reconversion
dans l’anti-système professionnel de la star déchue des plateaux
d’Évelyne Thomas ! On allait s’amuser un peu ; en bon Vénitien je ne
suis pas ennemi du jeu.
Ayant connu Soral avant son entrée fracassante dans le bizness politique
et eu pour amis quelques-uns de ses proches – une bande de joyeux
noceurs l’ayant côtoyé durant les années Palace et au sein du groupe
artistique « En avant comme avant » qu’il avait parasité sous le
pseudonyme d’ABS –, je dois confesser que je suis rarement parvenu à
prendre au sérieux l’autoproclamé « maître du Logos », le Ernst Stavro
Blofeld2 du merveilleux pays mythomaniaque qu’est l’Internet,
l’esbroufeur de première dont la praxis consiste à passer en force en
écrasant ses adversaires sous le poids de l’injure diluvienne et de la
menace physique.
Sachant ce que je sais, je m’attendais avec ce livre à déguster du
caviar Béluga impérial. Par le crâne lustré du docteur Denfer, je n’ai
pas été déçu ! En dernière instance, selon la formule préférée du
signataire de Comprendre l’Empire, reprise d’une lettre fameuse de Friedrich Engels à Joseph Bloch3, Porthos Laïbi remporte ici, haut la main, le duel mental que Rochefort Soral l’a contraint à provoquer.
Salim et moi avons plusieurs points de désaccord, il suffit de consulter
le Net pour s’en convaincre. Je ne suis guère adepte du récentisme
d’Anatoli Fomenko et les géants de l’Atlantide de Laurent Glauzy ne sont
pas de ma famille, ni de près ni de loin. N’importe ; il écrit des
articles informatifs de grande valeur, sa jeune maison d’édition a déjà
publié des livres mémorables4 et il possède des qualités
morales et professionnelles faisant de lui un activiste éminemment
respectable. Il est déterminé, honnête, courageux, patient, travailleur,
humble. Son caractère profond n’apparaît pas dans tout son éclat sous
les traits du personnage virtuel qu’il s’est créé, Le Libre Penseur, dit
LLP. Ah ! Les doubles ! Il faut parfois savoir s’en méfier ! Soral a
cru à la réalité de son alias au point de vouloir effacer pour
l’éternité son patronyme de Bonnet, sa triste famille, son passé délicat
– et voyez où il en est… Il n’en reste pas moins que Salim est plus
subtil, élégant, nuancé, sceptique, cocasse que ne le supposent ses
détracteurs se complaisant dans la veulerie et la bassesse à son égard,
habituellement téléguidés qu’ils sont par Narcisse de Bayonne en ses
nuits d’insomnie.
Dans ce livre, sur un ton n’appartenant qu’à lui, Salim est allé au-delà
des espérances de ceux qui estiment que la rébellion n’est pas
seulement une posture crâneuse, un geste irrévérencieux, un catalogue
d’épithètes outrageantes répétées comme des mantras ou le port d’un
T-shirt avec logo guerrier. S’il donne volontiers dans le style
pamphlétaire avec trompettes, timbales, cuivres et grandes orgues, il a
mené en amont une solide enquête de terrain qui fera date.
Je découvris un curieux personnage dont l’une des premières phrases fut, me dévisageant :
– Tu as un gros nez !
Comment l’arnaque soralienne a-t-elle pu
durer aussi longtemps ? À dire vrai, plus rien ne m’étonne en ce monde
sublunaire. J’ai passé ma vie à apprendre que le pire est toujours
possible sinon certain. Président-fondateur en 1993 du Cercle zététique,
organisme de démystification des imposteurs du paranormal – ensemble
disparate de crétinosaures charlatanesques allant de Paco Rabanne à
Élizabeth Teissier en passant par le soucoupathe Raël –, j’ai croisé
durant mes années de combat contre le surnaturel frelaté un nombre
incalculable de dupes prêtes à donner tête baissée dans des
calembredaines qu’un enfant de sept ans, dans la fraîcheur et
l’innocence de son jeune âge de raison, aurait sans ménagement rangées
dans la catégorie des farces et attrapes. Il faut s’y résoudre : les
gourous à deux sous devenus millionnaires, les bonimenteurs sans
scrupule ayant pignon sur rue et vivant des subsides que leur attribuent
de généreux mécènes ou des disciples endoctrinés sont légion, dans le
monde occulte comme dans la vie publique, politique, culturelle et
économique. Nul n’est besoin d’évoquer la Scientologie, l’escobarderie
se découvre sur l’écran de votre ordinateur dès que vous faites chaque
matin votre revue de presse soi-disant dissidente !
La première fois que j’ai rencontré Soral ce fut à ma demande. C’était
en 2003. J’avais assisté devant mon poste de télévision à un débat
réjouissant qu’il avait mené sur les ondes de LCI contre Gilles-William
Goldnadel, avocat de la Ligue de défense juive et représentant du Likoud
en France. Je le félicitai par e-mail. Rendez-vous fut pris dans un
bistrot situé dans les parages de son appartement du Marais. Je
découvris un curieux personnage dont l’une des premières phrases fut, me
dévisageant :
– Tu as un gros nez !
Quand bien même une telle remarque pouvait-elle posséder quelque fond de
vérité anatomique, je la trouvai relativement stérile. Je me souvenais
que c’était l’une des invectives favorites du béotien Hilarion Lefuneste
à l’endroit de son voisin Achille Talon dans la bande dessinée du
défunt Greg. Disons-le tout net, une telle considération n’était point
au niveau de mes attentes. Je n’ai rien de spécial contre la
provocation, tant s’en faut, mais j’espère en général qu’elle se révèle
fructueuse, notamment lorsqu’elle provient d’une personne se payant le
luxe d’entretenir une prétention intellectuelle d’envergure cosmique.
Dans ce cas précis, j’eus beau me creuser le ciboulot, je ne voyais
guère ce qui, là-dedans, faisait avancer la discussion d’un quart de
poil, fût-il de nez.
Soral ne s’en tint pas à si bon compte et fit le détail de ma tenue
vestimentaire qui n’avait point l’heur de le charmer. Je passai aux
rayons X : nous n’étions pas chez Socrate à Saint-Tropez mais dans Platon chez les nudistes !
De toute évidence, nos niveaux karmiques ne correspondaient pas. Il ne
fallait pas s’appeler Sigmund Freud (qu’il vénérait) pour comprendre que
quelque chose clochait chez ce bonhomme aux yeux étrangement fixes,
obnubilé par son nombril, incapable de soliloquer moins de deux heures,
intolérant à la frustration et à la plus moléculaire critique de ce
qu’il appelait « ses » pensées comme s’il en avait déposé le brevet la
veille au soir.
Pour bien me faire comprendre que l’écrivain sagace dont le discours
m’avait enchanté sur LCI n’existait définitivement pas, il me lâcha : «
De toute façon, Goldnadel et moi, on est copains ! On s’écrit, on
déjeune ensemble. C’est du cinéma ! Comme tout juif fasciste, il
apprécie d’avoir en face de lui un grand blond aux yeux bleus ».
Un ange passa et tressaillit, comme dans les romans de Gérard de Villiers.
Je quittai l’Aryen déplumé sur cette révélation qui n’a pas contribué beaucoup à ce que nos atomes éloignés se raccrochassent.
Plus tard, lorsque nous nous prîmes le bec pour des affaires que je
conterai un jour par le menu, il fit savoir sur Facebook à un admirateur
qui lui demandait quelle espèce de guignol était ce Blanrue qui
refusait mordicus de se plier aux injonctions dignes d’un adjudant de
discipline qu’il proférait ad libitum sur son profil : « C’est
un partouzard et un franc-maçon ! » Me connaissant moi-même assez bien,
j’avais à nouveau trouvé la remarque légère et improductive. De tels
bouteillons sont aujourd’hui devenus l’une de ses spécialités ; ceux qui
ont cessé de lui plaire après avoir fait partie de sa garde rapprochée,
comme Marc George ou Mathias Cardet, ont été taxés d’indics de police
ou d’agents de la DCRI, selon la bonne vieille technique de subversion
fonctionnant à merveille auprès de décérébrés dont l’angoisse ultime
consiste à devoir un jour commencer à penser par eux-mêmes.
Jusqu’où va-t-il descendre ? Telle était la question que je me posais alors.
J’eus une révélation un soir de septembre 2004 quand il me téléphona, affolé, après l’émission Complément d’enquêtes.
Il affirma avoir été piégé par Benoît Duquesne en tenant, en compagnie
de Dieudonné et Olivier Mukuna, des propos peu hospitaliers à l’égard de
la communauté juive. J’avais eu la faiblesse de le trouver culotté ; je
le situais dans la tradition du dreyfusiste Bernard Lazare qui l’avait
précédé dans cette position dans L’Antisémitisme, son histoire et ses causes
(1894) et m’en ouvris à lui en toute franchise. Au bout du fil j’eus
affaire à un vieux gamin terrifié, au bord de la crise de nerf, perdant
tout sens critique, hurlant que sa carrière médiatique était kaputt : il
allait lui falloir fonder fissa une association pour le soutenir et
assurer son standing, autrement dit lui payer son tailleur londonien,
garnir le fonds de roulement de son appartement parisien et contribuer à
ses frais de motocyclette.
Dans les mois suivants, désemparé, angoissé, éperdu, démoralisé, il se
montra plus aimable à mon endroit et me demanda d’une voix qui remontait
dans les aigus, mais pas dans mon estime, de le rejoindre dans sa
nouvelle aventure : « On va faire la révolution ! Nous allons devenir
les nouveaux Robespierre ! », me lança-t-il. « Tu seras le Saint-Just
des années 2000 ! »
Ce fantasme devint sa rengaine. Il faut préciser qu’à cette époque,
Soral ne jurait que par le sanguinaire Incorruptible, Karl Marx, Georg
Lukács, Georges Politzer et le « Petit père des peuples ». Il n’avait
jamais entendu parler de Julius Evola, sur lequel il ose aujourd’hui
donner des conférences comme s’il avait tété La Révolte contre le monde moderne
au biberon alors que le penseur italien ne rimait à l’époque pour lui
qu’avec Formentera, la fameuse île chic des Baléares, située au sud
d’Ibiza, où les parents de sa femme avaient acquis une propriété dans
laquelle il passait ses vacances de guérillero propre sur lui. Pour un
ancien membre comme moi du Secrétariat du duc d’Anjou, aîné des
Capétiens et chef de la maison de Bourbon, la perspective de remettre au
goût du jour la Veuve de sinistre mémoire n’avait rien d’excitant.
J’avais en outre visité la Pologne communiste écrasée sous la botte du
général Jaruzelski et ne conservais pas un impérissable souvenir des
chars barrant les rues de Varsovie ni de la descente surprise de la
police politique dans mon chalet de Zakopane.
Au fil de nos discussions et rencontres, je compris vite qu’il n’y avait
rien à tirer du personnage. Je déclinai quasiment toutes les offres de
collaboration qu’il me fit et l’envoyai faire ses classes au Front
national, sur lequel il louchait. Je montai l’opération avec l’aide d’un
ami appartenant au premier cercle du Menhir. Pour lui donner un coup de
pouce, je lui dénichai en cinq minutes la citation exacte de
l’historien juif Marc Bloch5 que Le Pen inséra dans son « discours de Valmy » de septembre 2006, corédigé par le maître de l’Égo.
L’ambitieux publiciste se persuada qu’il serait désigné tête de liste en
Île-de-France pour les Européennes de 2009. Il ne fit pas long feu dans
le parti à la flamme tricolore. La bayonnaise n’avait pas pris. «
Adieu, ma jolie ! » eût écrit Raymond Chandler. On connaît la suite : il
devint le grand chauve sur un divan rouge, pérorant en roue libre
devant sa caméra, vociférant contre des adversaires créés à loisir,
fabriquant son rôle de dissident excité du Web, prophétisant avec aplomb
« DSK vs. Marine en 2012 » et autres billevesées démenties par l’histoire.
Dans ce livre, Salim Laïbi montre fort bien quel a été son vrai projet
tenu caché : regrouper les mécontents de toutes tendances, de la droite à
la gauche, des chavezistes aux révisionnistes, des catholiques aux
musulmans, et les convaincre coûte que coûte, par moult contorsions et
postillons, de reporter leurs voix sur le FN, l’évolution de ce parti
fût-elle en totale contradiction avec les attentes de ses propres
disciples.
Ce qui est pratique chez Soral c’est qu’à peu près tout y est faux,
comme dirait l’historien Éric Conan lorsqu’il cause d’un autre sujet :
il n’est point de Soral, descendant par l’escalier de service du Solal
de Belle de Seigneur d’Albert Cohen, mais il existe un Bonnet, à la mode
de province ; sociologue de quatrième de couverture, il n’a pas de
diplôme de sociologie suspendu derrière son bureau ; s’il est entré aux
Beaux-Arts, il ne précise oncques dans quel état il en est sorti et
reste d’une étonnante discrétion sur ses œuvres artistiques
personnelles. Piètre philosophe, boxeur dans ses rêves, romancier dénué
de talent de conteur (n’est pas Chuck Palahniuk qui veut !), réalisateur
d’un film ni fait ni à faire et politicien virtuel, Soral a en gros
tout raté mais aura passé sa vie à tenter de faire accroire le contraire
à un public avide de mauvais garçons sachant lire et écrire sans
commettre trop de fautes de syntaxe. Dragueur, il l’est, certes, et
d’une manière compulsive qu’il revendique avec plus d’ardeur que
Casanova et Don Juan réunis, mais sait-on sur cette affaire comme sur
tant d’autres la vérité toute nue ? C’est loin d’être assuré, et Salim
Laïbi nous en apprend de belles dans les pages qui suivent. Sur ce
point, j’ai pour ma part noté que Soral demeure très circonspect
relativement à Laurent G., alias Brutus, qui fut comme lui pigiste dans
la presse féminine et à qui il emprunta la méthode miracle pour lever de
manière expéditive les minettes dans les rues de Paris…
Qu’on ne me fasse pas dire le contraire de ce que je pense. Je ne suis
pas du genre à proclamer que Soral a toujours tort. Pour une bonne
raison : depuis toujours, il affirme de façon péremptoire tout et le
contraire de tout ! À l’instar de l’horloge bloquée, il donne
nécessairement l’heure juste deux fois par jour. À ceci près qu’il n’est
pas bloqué, mais débloque à pleins tubes ; les théories oiseuses
s’échappent de ses circuits neuronaux comme les slogans de marchand de
soupe de la tête de Jacques Séguéla. La chose est bien naturelle car
selon sa conception utilitariste de la vie, les idées ne sont que de
banals outils destinés à promouvoir sa propre personne en toute
circonstance.
Pour lui, le vrai et le faux n’existent pas en soi : champion d’éristique6,
Soral en fournit la définition en fonction de ce qui lui sied au moment
voulu afin de se rallier de nouveaux suffrages et recueillir des vues
supplémentaires sur Youtube et Dailymotion. Règne de la Quantité,
bonjour à toi ! Ses militants, vaillants et dévoués mais manquant
d’expérience, ont beaucoup de peine à suivre la ligne du parti tant elle
est sinueuse, courbe, diagonale et zigzagante au gré des besoins de
l’instant. Mais gare à ceux qui s’en écartent ! Excommunication en vue !
Selon la dialectique marxiste, la morale consiste à œuvrer sans réserve à
l’accession au pouvoir du prolétariat qui ouvrira l’ère du paradis sur
terre : tout est bon, juste, y compris l’infâme et le crime jusqu’à
l’écœurement, pour y parvenir. La dialectique soralienne revient, elle, à
suivre le doigt sur la couture du pantalon les extravagances et
opportunismes du gourou de secours, qui tente tant bien que mal de
sauvegarder sa doctrine élastiquement fantaisiste.
Je suis désolé d’avoir à rappeler ici une évidence que le matraquage
internautique et les jolies affiches de Maria ont du mal à cacher : la
droite des valeurs ne peut en aucun cas s’allier à la gauche du travail
car rien n’est plus éloigné que ces deux visions du monde. Autant
chercher à mélanger l’eau et l’huile. On ne peut nullement accorder
Jean-Jacques Rousseau et René Guénon, concilier Lucien Goldmann et
Ananda Coomaraswamy ; ces cocktails sont imbuvables voire toxiques. Il
peut, entre ces penseurs, y avoir des constats communs mais point de
solides perspectives. Il faut choisir ton camp, camarade ! L’histoire
des deux cents dernières années a amplement démontré que l’espoir d’une
telle collusion est un vœu pieux de machiavels puérils.
« Soral a raison ! » Fort bien, mais à quelle heure ?
De surcroît, il est inutile et nuisible
de faire appel à la gauche du travail dont nous avons soupé et qui n’a
jamais réussi à assurer la prospérité de la nation ni le bonheur de la
classe ouvrière. La droite, je parle de la droite non parlementaire, non
bancaire mais traditionnelle, celle dont les valeurs, précisément, ont
façonné les grandes civilisations du passé, la droite ouverte à la
transcendance, partisane d’un pouvoir émanant d’en-haut et non d’en-bas,
a été la première à se préoccuper du sort des pauvres gens. Au XIXe siècle, l’économiste royaliste Villeneuve-Bargemon, le légitimiste Armand de Melun, n’attendirent pas la publication du Capital
pour agir en faveur de la condition ouvrière et contre l’exploitation
du travail des enfants, au même titre qu’Albert de Mun, François René de
La Tour du Pin ou le comte de Chambord, héritier des rois de France,
dans sa « Lettre sur les ouvriers » (1865). Dans les pays où se
produisit un fulgurant redressement économique au cours de la première
moitié du XXe siècle, c’est l’union des catégories sociales
au sein des métiers qui fut l’instrument privilégié de la restauration
nationale. L’amélioration du sort des démunis ne fut pas effectuée en
mettant en pratique des théories prônant la lutte des classes, promue
moteur de l’histoire (une blague de potaches hégéliens que nul
scientifique n’a jamais pu démontrer), mais en associant ouvriers,
classes moyennes et patrons, en les faisant communier dans un esprit de
solidarité à la recherche du Bien commun afin de vaincre le capitalisme
international et le communisme sans patrie, ces deux idéologies sœurs
niant chacune dans son genre la souveraineté des nations au bonheur des
cosmopolites promoteurs du déracinement.
Un rassemblement social de cette nature, pierre angulaire de toute
reconstruction durable, ne figure pas au programme d’Égalité et
Réconciliation, acquise aux thèses malheureuses du terne
marxo-rousseauiste Michel Clouscard, pompées d’ailleurs sans
l’assentiment du pauvre vieux. On ne trouve pas davantage, dans les
intentions de l’association, l’arrêt immédiat de l’avortement, qui tue
légalement en France plus de 200 000 bébés par an depuis près d’un
demi-siècle, ni la défense et la promotion de la famille, cellule de
base de toute société harmonieuse, comme Charles Maurras n’a cessé de
l’enseigner en bataillant contre les principes républicains qui font
reposer la société sur l’individu atomisé. De toute évidence, si l’on
reprend les catégories évoliennes, Soral préfère de loin, pour des
raisons intimes, la figure de l’Hétaïre à celle de la Mère, ignorée et
balayée de sa Weltanschauung portative ; hélas, il a réussi à
transmettre ses névroses à ses fans.
Sur les forums, son dernier carré de fidèles reprend en chœur la formule
qu’il s’est forgée sur mesure en recopiant celle d’un universitaire
célèbre pour sa prestation au Zénith en décembre 2008 : « Soral a raison
! » Fort bien, mais à quelle heure ? Quand il se fait déclarer P4 pour
échapper à son service militaire comme n’importe quel gauchiste crachant
sur le drapeau ou lorsqu’il déclame en bon patriote son amour de la
Légion ? Quand il professe que Jésus est « un juif en slip sur la croix »
ou qu’il se propulse « chrétien sans reproche » ? Quand il sort un DVD
pour initier ses apôtres à la boxe française ou quand il court se
réfugier dans un Franprix durant une rixe survenue entre ses militants
et les antifas au marché Pyrénées dans le XXe arrondissement
de Paris ? Quand il écrit « Marine m’a tuer » ou quand il appelle à
voter pour « la moins sioniste des candidats » ?
Au-delà de nos désaccords de fond liés à son idéologie sans cohérence et
à sa personnalité patibulaire, le principal reproche que j’adresserai à
Soral est d’avoir fait fructifier une petite entreprise cynique au
détriment de l’objectif annoncé à l’origine : le renversement du
système. Le slogan de Kontre Kulture : « Produits dissidents en tous
genres » en dit long sur la mentalité ayant présidé à sa création. On ne
devient pas Maximilien de Robespierre en vendant des mugs,
Louis-Antoine de Saint-Just en refourgant des bouteilles de pinard
labellisé dissident, Camille Desmoulins en brocantant des lampes
Petromax, Jean-Paul Marat en éditant des livres dont une large part sont
disponibles gratuitement sur le Net. C’est une galéjade. On ne bouscule
pas non plus le pouvoir en promouvant l’insulte ad personam comme outil de propagande systématique.
Nous sommes devenus lourds, solitaires, ennuyeux, désespérés. Ce qui
manque cruellement à notre société fragmentée et désenchantée c’est une
haute spiritualité, des mots, des chants, des poèmes, des prières
contribuant à fortifier les âmes en peine et à réinstaurer le sacré dans
les lieux que la Technique a arraisonnés. Sans doute, notre époque
plongée dans les affres du Kali Yuga, l’Âge sombre, l’Âge de fer, ne
permet-elle pas de ressusciter les grandes heures passées de sainteté et
d’héroïsme. Mais sans retour vers la Tradition, tout projet politique
est destiné à tourner indéfiniment en rond. « Seul un Dieu peut encore
nous sauver » fut l’une des dernières paroles de Martin Heidegger, le
philosophe majeur du XXe siècle. Il s’agirait de prendre
cette sentence au sérieux, mais Soral n’a pas compris le tiers du quart
de ce qu’a enseigné l’auteur d’Être et Temps (1927) qu’il brocarde dans ses bouquins parce que son maître Lukács ne pouvait pas le blairer.
Durant les dix années qu’a duré E&R, l’homme-lige de Philippe
Péninque n’a fait que conduire ses suiveurs dans une impasse. Ce n’est
point le bricolage politique, et encore moins celui faisant la promotion
de la lutte des classes sous le masque du nationalisme, qui nous
sauvera du chaos ; ce sont l’évolution de nos consciences et notre
attitude devant l’Inconditionné qui peuvent contribuer à nous
transformer en passeurs et en éveilleurs, dans une France décrépite
n’ayant plus l’énergie de mener à bien une contre-révolution au sens où
Joseph de Maistre l’entendait, c’est-à-dire non comme une révolution
contraire mais comme le contraire d’une révolution (Considérations sur la France, 1796).
Pour le moment, seules la localité alternative, la micro-société, la
dynamique de réseau, le maillage sont une propédeutique au changement
global. Tout doit commencer par la révolution intérieure, au sein du
royaume qu’est notre esprit ; les idées doivent se propager comme une
onde, de proche en proche, sans publicité mensongère, sans tous ces mots
dépassant la pensée et ces pensées dépassant les capacités de l’époque.
Le royaume intérieur doit s’ancrer dans un principe d’airain : « Sois
ce que tu voudrais voir advenir ».
Show autopromotionnel, le discours soralien n’a servi de rien et surtout
pas à l’avancement d’un esprit salvateur revêtant ce caractère. En
aucun cas, Soral ne nous a montré qu’il était le modèle de l’homme que
nous voulions voir advenir. Il eût fait merveille dans la vente
d’aspirateurs à domicile ou comme aboyeur pour un spectacle de
catcheuses dans de l’huile de vidange, mais comme penseur de l’avenir ?
No way !
Il existe deux catégories d’êtres : il y a ceux, comme Salim Laïbi,
qu’on apprécie davantage lorsqu’on les côtoie jour après jour et puis
les autres, tel Soral, dont la fréquentation suscite un rejet
quasi-immédiat du fait de leur noirceur d’âme. Au fond, l’un de ses
principaux problèmes est d’avoir oublié qu’il ne faisait rien d’autre
que de jouer un rôle de composition, une comédie à laquelle il avait eu
lui-même du mal à croire à ses débuts ; il a dû déployer des efforts
considérables pour se débarrasser de cette pensée paralysante et se
hisser sur le pavois. De là proviennent ses collisions intérieures
difficilement gérables et des crashes désormais connus de tous.
Au lieu de chercher à devenir, sans jamais s’en approcher, la synthèse
de Clausewitz, Lénine, Mussolini et Mohamed Ali, il eût été préférable
que Soral se contentât d’un rôle à sa mesure. S’il est un domaine dans
lequel je ne remets guère en cause ses compétences, c’est indéniablement
celui de la mode masculine. Imbattable sur le pantalon de velours à
bretelles, il est aussi incollable sur la cravate rétro et le nœud
papillon tendance ; je ne lui chercherai pas querelle sur les subtilités
du look new wave. Bien distribué, mieux conseillé, il aurait pu devenir
la Mademoiselle Agnès de la dissidence. Son côté fashionista s’y serait
épanché pour l’agrément de tous. Tant pis ! On constate une nouvelle
fois ce qui arrive quand une vocation est contrariée !
Paul-Éric Blanrue
Paris, 3 août 2015
1- Rendons grâce au Seigneur notre Dieu.
2- Voyez le film On ne vit que deux fois, 1967.
3- « D’après la conception matérialiste
de l’histoire, le facteur déterminant dans l’histoire est, en dernière
instance, la production et la reproduction de la vie réelle » (21-22
septembre 1890).
4- http://editionsfiatlux.com/actu/Dortiguier-contre-Nietzsche-Blanrue/
5- « Qui n’a pas vibré au sacre de Reims et à la fête de la Fédération n’est pas vraiment français ! »
6- L’éristique est l’art d’avoir toujours
raison : dans un ouvrage éponyme, l’immense Arthur Schopenhauer a fait
la recension de ces méthodes de mauvaise foi, pour montrer le
scepticisme qu’il convient d’accorder aux constructions de l’esprit
humain.