« Le feu de la colère brûle en nous jour et nuit
et nous fait souffrir – encore plus que la personne
contre qui nous sommes en colère. Quand la
colère est absente, on se sent léger et libre. »
Thich Nhat Hahn, Le Cœur des enseignements
du Bouddha, Paris, 2000.
Un livre tout entier consacré à la démystification d’Alain Soral ? Gratias agamus Domino Deo nostro1
! Quand Salim Laïbi m’a révélé son nouveau projet éditorial, ma
première réaction a été de partir dans un grand éclat de rire qui fit
sursauter les deux Scottish Fold assoupis à mes pieds. Enfin, un auteur
non-conformiste allait oser écrire ce qu’il pense de la reconversion
dans l’anti-système professionnel de la star déchue des plateaux
d’Évelyne Thomas ! On allait s’amuser un peu ; en bon Vénitien je ne
suis pas ennemi du jeu.
Ayant connu Soral avant son entrée fracassante dans le bizness politique et eu pour amis quelques-uns de ses proches – une bande de joyeux noceurs l’ayant côtoyé durant les années Palace et au sein du groupe artistique « En avant comme avant » qu’il avait parasité sous le pseudonyme d’ABS –, je dois confesser que je suis rarement parvenu à prendre au sérieux l’autoproclamé « maître du Logos », le Ernst Stavro Blofeld2 du merveilleux pays mythomaniaque qu’est l’Internet, l’esbroufeur de première dont la praxis consiste à passer en force en écrasant ses adversaires sous le poids de l’injure diluvienne et de la menace physique.
Sachant ce que je sais, je m’attendais avec ce livre à déguster du caviar Béluga impérial. Par le crâne lustré du docteur Denfer, je n’ai pas été déçu ! En dernière instance, selon la formule préférée du signataire de Comprendre l’Empire, reprise d’une lettre fameuse de Friedrich Engels à Joseph Bloch3, Porthos Laïbi remporte ici, haut la main, le duel mental que Rochefort Soral l’a contraint à provoquer.
Salim et moi avons plusieurs points de désaccord, il suffit de consulter le Net pour s’en convaincre. Je ne suis guère adepte du récentisme d’Anatoli Fomenko et les géants de l’Atlantide de Laurent Glauzy ne sont pas de ma famille, ni de près ni de loin. N’importe ; il écrit des articles informatifs de grande valeur, sa jeune maison d’édition a déjà publié des livres mémorables4 et il possède des qualités morales et professionnelles faisant de lui un activiste éminemment respectable. Il est déterminé, honnête, courageux, patient, travailleur, humble. Son caractère profond n’apparaît pas dans tout son éclat sous les traits du personnage virtuel qu’il s’est créé, Le Libre Penseur, dit LLP. Ah ! Les doubles ! Il faut parfois savoir s’en méfier ! Soral a cru à la réalité de son alias au point de vouloir effacer pour l’éternité son patronyme de Bonnet, sa triste famille, son passé délicat – et voyez où il en est… Il n’en reste pas moins que Salim est plus subtil, élégant, nuancé, sceptique, cocasse que ne le supposent ses détracteurs se complaisant dans la veulerie et la bassesse à son égard, habituellement téléguidés qu’ils sont par Narcisse de Bayonne en ses nuits d’insomnie.
Dans ce livre, sur un ton n’appartenant qu’à lui, Salim est allé au-delà des espérances de ceux qui estiment que la rébellion n’est pas seulement une posture crâneuse, un geste irrévérencieux, un catalogue d’épithètes outrageantes répétées comme des mantras ou le port d’un T-shirt avec logo guerrier. S’il donne volontiers dans le style pamphlétaire avec trompettes, timbales, cuivres et grandes orgues, il a mené en amont une solide enquête de terrain qui fera date.
Ayant connu Soral avant son entrée fracassante dans le bizness politique et eu pour amis quelques-uns de ses proches – une bande de joyeux noceurs l’ayant côtoyé durant les années Palace et au sein du groupe artistique « En avant comme avant » qu’il avait parasité sous le pseudonyme d’ABS –, je dois confesser que je suis rarement parvenu à prendre au sérieux l’autoproclamé « maître du Logos », le Ernst Stavro Blofeld2 du merveilleux pays mythomaniaque qu’est l’Internet, l’esbroufeur de première dont la praxis consiste à passer en force en écrasant ses adversaires sous le poids de l’injure diluvienne et de la menace physique.
Sachant ce que je sais, je m’attendais avec ce livre à déguster du caviar Béluga impérial. Par le crâne lustré du docteur Denfer, je n’ai pas été déçu ! En dernière instance, selon la formule préférée du signataire de Comprendre l’Empire, reprise d’une lettre fameuse de Friedrich Engels à Joseph Bloch3, Porthos Laïbi remporte ici, haut la main, le duel mental que Rochefort Soral l’a contraint à provoquer.
Salim et moi avons plusieurs points de désaccord, il suffit de consulter le Net pour s’en convaincre. Je ne suis guère adepte du récentisme d’Anatoli Fomenko et les géants de l’Atlantide de Laurent Glauzy ne sont pas de ma famille, ni de près ni de loin. N’importe ; il écrit des articles informatifs de grande valeur, sa jeune maison d’édition a déjà publié des livres mémorables4 et il possède des qualités morales et professionnelles faisant de lui un activiste éminemment respectable. Il est déterminé, honnête, courageux, patient, travailleur, humble. Son caractère profond n’apparaît pas dans tout son éclat sous les traits du personnage virtuel qu’il s’est créé, Le Libre Penseur, dit LLP. Ah ! Les doubles ! Il faut parfois savoir s’en méfier ! Soral a cru à la réalité de son alias au point de vouloir effacer pour l’éternité son patronyme de Bonnet, sa triste famille, son passé délicat – et voyez où il en est… Il n’en reste pas moins que Salim est plus subtil, élégant, nuancé, sceptique, cocasse que ne le supposent ses détracteurs se complaisant dans la veulerie et la bassesse à son égard, habituellement téléguidés qu’ils sont par Narcisse de Bayonne en ses nuits d’insomnie.
Dans ce livre, sur un ton n’appartenant qu’à lui, Salim est allé au-delà des espérances de ceux qui estiment que la rébellion n’est pas seulement une posture crâneuse, un geste irrévérencieux, un catalogue d’épithètes outrageantes répétées comme des mantras ou le port d’un T-shirt avec logo guerrier. S’il donne volontiers dans le style pamphlétaire avec trompettes, timbales, cuivres et grandes orgues, il a mené en amont une solide enquête de terrain qui fera date.
Je découvris un curieux personnage dont l’une des premières phrases fut, me dévisageant :
– Tu as un gros nez !
Comment l’arnaque soralienne a-t-elle pu
durer aussi longtemps ? À dire vrai, plus rien ne m’étonne en ce monde
sublunaire. J’ai passé ma vie à apprendre que le pire est toujours
possible sinon certain. Président-fondateur en 1993 du Cercle zététique,
organisme de démystification des imposteurs du paranormal – ensemble
disparate de crétinosaures charlatanesques allant de Paco Rabanne à
Élizabeth Teissier en passant par le soucoupathe Raël –, j’ai croisé
durant mes années de combat contre le surnaturel frelaté un nombre
incalculable de dupes prêtes à donner tête baissée dans des
calembredaines qu’un enfant de sept ans, dans la fraîcheur et
l’innocence de son jeune âge de raison, aurait sans ménagement rangées
dans la catégorie des farces et attrapes. Il faut s’y résoudre : les
gourous à deux sous devenus millionnaires, les bonimenteurs sans
scrupule ayant pignon sur rue et vivant des subsides que leur attribuent
de généreux mécènes ou des disciples endoctrinés sont légion, dans le
monde occulte comme dans la vie publique, politique, culturelle et
économique. Nul n’est besoin d’évoquer la Scientologie, l’escobarderie
se découvre sur l’écran de votre ordinateur dès que vous faites chaque
matin votre revue de presse soi-disant dissidente !
La première fois que j’ai rencontré Soral ce fut à ma demande. C’était en 2003. J’avais assisté devant mon poste de télévision à un débat réjouissant qu’il avait mené sur les ondes de LCI contre Gilles-William Goldnadel, avocat de la Ligue de défense juive et représentant du Likoud en France. Je le félicitai par e-mail. Rendez-vous fut pris dans un bistrot situé dans les parages de son appartement du Marais. Je découvris un curieux personnage dont l’une des premières phrases fut, me dévisageant :
– Tu as un gros nez !
Quand bien même une telle remarque pouvait-elle posséder quelque fond de vérité anatomique, je la trouvai relativement stérile. Je me souvenais que c’était l’une des invectives favorites du béotien Hilarion Lefuneste à l’endroit de son voisin Achille Talon dans la bande dessinée du défunt Greg. Disons-le tout net, une telle considération n’était point au niveau de mes attentes. Je n’ai rien de spécial contre la provocation, tant s’en faut, mais j’espère en général qu’elle se révèle fructueuse, notamment lorsqu’elle provient d’une personne se payant le luxe d’entretenir une prétention intellectuelle d’envergure cosmique. Dans ce cas précis, j’eus beau me creuser le ciboulot, je ne voyais guère ce qui, là-dedans, faisait avancer la discussion d’un quart de poil, fût-il de nez.
Soral ne s’en tint pas à si bon compte et fit le détail de ma tenue vestimentaire qui n’avait point l’heur de le charmer. Je passai aux rayons X : nous n’étions pas chez Socrate à Saint-Tropez mais dans Platon chez les nudistes !
De toute évidence, nos niveaux karmiques ne correspondaient pas. Il ne fallait pas s’appeler Sigmund Freud (qu’il vénérait) pour comprendre que quelque chose clochait chez ce bonhomme aux yeux étrangement fixes, obnubilé par son nombril, incapable de soliloquer moins de deux heures, intolérant à la frustration et à la plus moléculaire critique de ce qu’il appelait « ses » pensées comme s’il en avait déposé le brevet la veille au soir.
Pour bien me faire comprendre que l’écrivain sagace dont le discours m’avait enchanté sur LCI n’existait définitivement pas, il me lâcha : « De toute façon, Goldnadel et moi, on est copains ! On s’écrit, on déjeune ensemble. C’est du cinéma ! Comme tout juif fasciste, il apprécie d’avoir en face de lui un grand blond aux yeux bleus ».
Un ange passa et tressaillit, comme dans les romans de Gérard de Villiers.
Je quittai l’Aryen déplumé sur cette révélation qui n’a pas contribué beaucoup à ce que nos atomes éloignés se raccrochassent.
Plus tard, lorsque nous nous prîmes le bec pour des affaires que je conterai un jour par le menu, il fit savoir sur Facebook à un admirateur qui lui demandait quelle espèce de guignol était ce Blanrue qui refusait mordicus de se plier aux injonctions dignes d’un adjudant de discipline qu’il proférait ad libitum sur son profil : « C’est un partouzard et un franc-maçon ! » Me connaissant moi-même assez bien, j’avais à nouveau trouvé la remarque légère et improductive. De tels bouteillons sont aujourd’hui devenus l’une de ses spécialités ; ceux qui ont cessé de lui plaire après avoir fait partie de sa garde rapprochée, comme Marc George ou Mathias Cardet, ont été taxés d’indics de police ou d’agents de la DCRI, selon la bonne vieille technique de subversion fonctionnant à merveille auprès de décérébrés dont l’angoisse ultime consiste à devoir un jour commencer à penser par eux-mêmes.
Jusqu’où va-t-il descendre ? Telle était la question que je me posais alors.
J’eus une révélation un soir de septembre 2004 quand il me téléphona, affolé, après l’émission Complément d’enquêtes. Il affirma avoir été piégé par Benoît Duquesne en tenant, en compagnie de Dieudonné et Olivier Mukuna, des propos peu hospitaliers à l’égard de la communauté juive. J’avais eu la faiblesse de le trouver culotté ; je le situais dans la tradition du dreyfusiste Bernard Lazare qui l’avait précédé dans cette position dans L’Antisémitisme, son histoire et ses causes (1894) et m’en ouvris à lui en toute franchise. Au bout du fil j’eus affaire à un vieux gamin terrifié, au bord de la crise de nerf, perdant tout sens critique, hurlant que sa carrière médiatique était kaputt : il allait lui falloir fonder fissa une association pour le soutenir et assurer son standing, autrement dit lui payer son tailleur londonien, garnir le fonds de roulement de son appartement parisien et contribuer à ses frais de motocyclette.
Dans les mois suivants, désemparé, angoissé, éperdu, démoralisé, il se montra plus aimable à mon endroit et me demanda d’une voix qui remontait dans les aigus, mais pas dans mon estime, de le rejoindre dans sa nouvelle aventure : « On va faire la révolution ! Nous allons devenir les nouveaux Robespierre ! », me lança-t-il. « Tu seras le Saint-Just des années 2000 ! »
Ce fantasme devint sa rengaine. Il faut préciser qu’à cette époque, Soral ne jurait que par le sanguinaire Incorruptible, Karl Marx, Georg Lukács, Georges Politzer et le « Petit père des peuples ». Il n’avait jamais entendu parler de Julius Evola, sur lequel il ose aujourd’hui donner des conférences comme s’il avait tété La Révolte contre le monde moderne au biberon alors que le penseur italien ne rimait à l’époque pour lui qu’avec Formentera, la fameuse île chic des Baléares, située au sud d’Ibiza, où les parents de sa femme avaient acquis une propriété dans laquelle il passait ses vacances de guérillero propre sur lui. Pour un ancien membre comme moi du Secrétariat du duc d’Anjou, aîné des Capétiens et chef de la maison de Bourbon, la perspective de remettre au goût du jour la Veuve de sinistre mémoire n’avait rien d’excitant. J’avais en outre visité la Pologne communiste écrasée sous la botte du général Jaruzelski et ne conservais pas un impérissable souvenir des chars barrant les rues de Varsovie ni de la descente surprise de la police politique dans mon chalet de Zakopane.
Au fil de nos discussions et rencontres, je compris vite qu’il n’y avait rien à tirer du personnage. Je déclinai quasiment toutes les offres de collaboration qu’il me fit et l’envoyai faire ses classes au Front national, sur lequel il louchait. Je montai l’opération avec l’aide d’un ami appartenant au premier cercle du Menhir. Pour lui donner un coup de pouce, je lui dénichai en cinq minutes la citation exacte de l’historien juif Marc Bloch5 que Le Pen inséra dans son « discours de Valmy » de septembre 2006, corédigé par le maître de l’Égo.
L’ambitieux publiciste se persuada qu’il serait désigné tête de liste en Île-de-France pour les Européennes de 2009. Il ne fit pas long feu dans le parti à la flamme tricolore. La bayonnaise n’avait pas pris. « Adieu, ma jolie ! » eût écrit Raymond Chandler. On connaît la suite : il devint le grand chauve sur un divan rouge, pérorant en roue libre devant sa caméra, vociférant contre des adversaires créés à loisir, fabriquant son rôle de dissident excité du Web, prophétisant avec aplomb « DSK vs. Marine en 2012 » et autres billevesées démenties par l’histoire.
Dans ce livre, Salim Laïbi montre fort bien quel a été son vrai projet tenu caché : regrouper les mécontents de toutes tendances, de la droite à la gauche, des chavezistes aux révisionnistes, des catholiques aux musulmans, et les convaincre coûte que coûte, par moult contorsions et postillons, de reporter leurs voix sur le FN, l’évolution de ce parti fût-elle en totale contradiction avec les attentes de ses propres disciples.
Ce qui est pratique chez Soral c’est qu’à peu près tout y est faux, comme dirait l’historien Éric Conan lorsqu’il cause d’un autre sujet : il n’est point de Soral, descendant par l’escalier de service du Solal de Belle de Seigneur d’Albert Cohen, mais il existe un Bonnet, à la mode de province ; sociologue de quatrième de couverture, il n’a pas de diplôme de sociologie suspendu derrière son bureau ; s’il est entré aux Beaux-Arts, il ne précise oncques dans quel état il en est sorti et reste d’une étonnante discrétion sur ses œuvres artistiques personnelles. Piètre philosophe, boxeur dans ses rêves, romancier dénué de talent de conteur (n’est pas Chuck Palahniuk qui veut !), réalisateur d’un film ni fait ni à faire et politicien virtuel, Soral a en gros tout raté mais aura passé sa vie à tenter de faire accroire le contraire à un public avide de mauvais garçons sachant lire et écrire sans commettre trop de fautes de syntaxe. Dragueur, il l’est, certes, et d’une manière compulsive qu’il revendique avec plus d’ardeur que Casanova et Don Juan réunis, mais sait-on sur cette affaire comme sur tant d’autres la vérité toute nue ? C’est loin d’être assuré, et Salim Laïbi nous en apprend de belles dans les pages qui suivent. Sur ce point, j’ai pour ma part noté que Soral demeure très circonspect relativement à Laurent G., alias Brutus, qui fut comme lui pigiste dans la presse féminine et à qui il emprunta la méthode miracle pour lever de manière expéditive les minettes dans les rues de Paris…
Qu’on ne me fasse pas dire le contraire de ce que je pense. Je ne suis pas du genre à proclamer que Soral a toujours tort. Pour une bonne raison : depuis toujours, il affirme de façon péremptoire tout et le contraire de tout ! À l’instar de l’horloge bloquée, il donne nécessairement l’heure juste deux fois par jour. À ceci près qu’il n’est pas bloqué, mais débloque à pleins tubes ; les théories oiseuses s’échappent de ses circuits neuronaux comme les slogans de marchand de soupe de la tête de Jacques Séguéla. La chose est bien naturelle car selon sa conception utilitariste de la vie, les idées ne sont que de banals outils destinés à promouvoir sa propre personne en toute circonstance.
Pour lui, le vrai et le faux n’existent pas en soi : champion d’éristique6, Soral en fournit la définition en fonction de ce qui lui sied au moment voulu afin de se rallier de nouveaux suffrages et recueillir des vues supplémentaires sur Youtube et Dailymotion. Règne de la Quantité, bonjour à toi ! Ses militants, vaillants et dévoués mais manquant d’expérience, ont beaucoup de peine à suivre la ligne du parti tant elle est sinueuse, courbe, diagonale et zigzagante au gré des besoins de l’instant. Mais gare à ceux qui s’en écartent ! Excommunication en vue !
Selon la dialectique marxiste, la morale consiste à œuvrer sans réserve à l’accession au pouvoir du prolétariat qui ouvrira l’ère du paradis sur terre : tout est bon, juste, y compris l’infâme et le crime jusqu’à l’écœurement, pour y parvenir. La dialectique soralienne revient, elle, à suivre le doigt sur la couture du pantalon les extravagances et opportunismes du gourou de secours, qui tente tant bien que mal de sauvegarder sa doctrine élastiquement fantaisiste.
Je suis désolé d’avoir à rappeler ici une évidence que le matraquage internautique et les jolies affiches de Maria ont du mal à cacher : la droite des valeurs ne peut en aucun cas s’allier à la gauche du travail car rien n’est plus éloigné que ces deux visions du monde. Autant chercher à mélanger l’eau et l’huile. On ne peut nullement accorder Jean-Jacques Rousseau et René Guénon, concilier Lucien Goldmann et Ananda Coomaraswamy ; ces cocktails sont imbuvables voire toxiques. Il peut, entre ces penseurs, y avoir des constats communs mais point de solides perspectives. Il faut choisir ton camp, camarade ! L’histoire des deux cents dernières années a amplement démontré que l’espoir d’une telle collusion est un vœu pieux de machiavels puérils.
La première fois que j’ai rencontré Soral ce fut à ma demande. C’était en 2003. J’avais assisté devant mon poste de télévision à un débat réjouissant qu’il avait mené sur les ondes de LCI contre Gilles-William Goldnadel, avocat de la Ligue de défense juive et représentant du Likoud en France. Je le félicitai par e-mail. Rendez-vous fut pris dans un bistrot situé dans les parages de son appartement du Marais. Je découvris un curieux personnage dont l’une des premières phrases fut, me dévisageant :
– Tu as un gros nez !
Quand bien même une telle remarque pouvait-elle posséder quelque fond de vérité anatomique, je la trouvai relativement stérile. Je me souvenais que c’était l’une des invectives favorites du béotien Hilarion Lefuneste à l’endroit de son voisin Achille Talon dans la bande dessinée du défunt Greg. Disons-le tout net, une telle considération n’était point au niveau de mes attentes. Je n’ai rien de spécial contre la provocation, tant s’en faut, mais j’espère en général qu’elle se révèle fructueuse, notamment lorsqu’elle provient d’une personne se payant le luxe d’entretenir une prétention intellectuelle d’envergure cosmique. Dans ce cas précis, j’eus beau me creuser le ciboulot, je ne voyais guère ce qui, là-dedans, faisait avancer la discussion d’un quart de poil, fût-il de nez.
Soral ne s’en tint pas à si bon compte et fit le détail de ma tenue vestimentaire qui n’avait point l’heur de le charmer. Je passai aux rayons X : nous n’étions pas chez Socrate à Saint-Tropez mais dans Platon chez les nudistes !
De toute évidence, nos niveaux karmiques ne correspondaient pas. Il ne fallait pas s’appeler Sigmund Freud (qu’il vénérait) pour comprendre que quelque chose clochait chez ce bonhomme aux yeux étrangement fixes, obnubilé par son nombril, incapable de soliloquer moins de deux heures, intolérant à la frustration et à la plus moléculaire critique de ce qu’il appelait « ses » pensées comme s’il en avait déposé le brevet la veille au soir.
Pour bien me faire comprendre que l’écrivain sagace dont le discours m’avait enchanté sur LCI n’existait définitivement pas, il me lâcha : « De toute façon, Goldnadel et moi, on est copains ! On s’écrit, on déjeune ensemble. C’est du cinéma ! Comme tout juif fasciste, il apprécie d’avoir en face de lui un grand blond aux yeux bleus ».
Un ange passa et tressaillit, comme dans les romans de Gérard de Villiers.
Je quittai l’Aryen déplumé sur cette révélation qui n’a pas contribué beaucoup à ce que nos atomes éloignés se raccrochassent.
Plus tard, lorsque nous nous prîmes le bec pour des affaires que je conterai un jour par le menu, il fit savoir sur Facebook à un admirateur qui lui demandait quelle espèce de guignol était ce Blanrue qui refusait mordicus de se plier aux injonctions dignes d’un adjudant de discipline qu’il proférait ad libitum sur son profil : « C’est un partouzard et un franc-maçon ! » Me connaissant moi-même assez bien, j’avais à nouveau trouvé la remarque légère et improductive. De tels bouteillons sont aujourd’hui devenus l’une de ses spécialités ; ceux qui ont cessé de lui plaire après avoir fait partie de sa garde rapprochée, comme Marc George ou Mathias Cardet, ont été taxés d’indics de police ou d’agents de la DCRI, selon la bonne vieille technique de subversion fonctionnant à merveille auprès de décérébrés dont l’angoisse ultime consiste à devoir un jour commencer à penser par eux-mêmes.
Jusqu’où va-t-il descendre ? Telle était la question que je me posais alors.
J’eus une révélation un soir de septembre 2004 quand il me téléphona, affolé, après l’émission Complément d’enquêtes. Il affirma avoir été piégé par Benoît Duquesne en tenant, en compagnie de Dieudonné et Olivier Mukuna, des propos peu hospitaliers à l’égard de la communauté juive. J’avais eu la faiblesse de le trouver culotté ; je le situais dans la tradition du dreyfusiste Bernard Lazare qui l’avait précédé dans cette position dans L’Antisémitisme, son histoire et ses causes (1894) et m’en ouvris à lui en toute franchise. Au bout du fil j’eus affaire à un vieux gamin terrifié, au bord de la crise de nerf, perdant tout sens critique, hurlant que sa carrière médiatique était kaputt : il allait lui falloir fonder fissa une association pour le soutenir et assurer son standing, autrement dit lui payer son tailleur londonien, garnir le fonds de roulement de son appartement parisien et contribuer à ses frais de motocyclette.
Dans les mois suivants, désemparé, angoissé, éperdu, démoralisé, il se montra plus aimable à mon endroit et me demanda d’une voix qui remontait dans les aigus, mais pas dans mon estime, de le rejoindre dans sa nouvelle aventure : « On va faire la révolution ! Nous allons devenir les nouveaux Robespierre ! », me lança-t-il. « Tu seras le Saint-Just des années 2000 ! »
Ce fantasme devint sa rengaine. Il faut préciser qu’à cette époque, Soral ne jurait que par le sanguinaire Incorruptible, Karl Marx, Georg Lukács, Georges Politzer et le « Petit père des peuples ». Il n’avait jamais entendu parler de Julius Evola, sur lequel il ose aujourd’hui donner des conférences comme s’il avait tété La Révolte contre le monde moderne au biberon alors que le penseur italien ne rimait à l’époque pour lui qu’avec Formentera, la fameuse île chic des Baléares, située au sud d’Ibiza, où les parents de sa femme avaient acquis une propriété dans laquelle il passait ses vacances de guérillero propre sur lui. Pour un ancien membre comme moi du Secrétariat du duc d’Anjou, aîné des Capétiens et chef de la maison de Bourbon, la perspective de remettre au goût du jour la Veuve de sinistre mémoire n’avait rien d’excitant. J’avais en outre visité la Pologne communiste écrasée sous la botte du général Jaruzelski et ne conservais pas un impérissable souvenir des chars barrant les rues de Varsovie ni de la descente surprise de la police politique dans mon chalet de Zakopane.
Au fil de nos discussions et rencontres, je compris vite qu’il n’y avait rien à tirer du personnage. Je déclinai quasiment toutes les offres de collaboration qu’il me fit et l’envoyai faire ses classes au Front national, sur lequel il louchait. Je montai l’opération avec l’aide d’un ami appartenant au premier cercle du Menhir. Pour lui donner un coup de pouce, je lui dénichai en cinq minutes la citation exacte de l’historien juif Marc Bloch5 que Le Pen inséra dans son « discours de Valmy » de septembre 2006, corédigé par le maître de l’Égo.
L’ambitieux publiciste se persuada qu’il serait désigné tête de liste en Île-de-France pour les Européennes de 2009. Il ne fit pas long feu dans le parti à la flamme tricolore. La bayonnaise n’avait pas pris. « Adieu, ma jolie ! » eût écrit Raymond Chandler. On connaît la suite : il devint le grand chauve sur un divan rouge, pérorant en roue libre devant sa caméra, vociférant contre des adversaires créés à loisir, fabriquant son rôle de dissident excité du Web, prophétisant avec aplomb « DSK vs. Marine en 2012 » et autres billevesées démenties par l’histoire.
Dans ce livre, Salim Laïbi montre fort bien quel a été son vrai projet tenu caché : regrouper les mécontents de toutes tendances, de la droite à la gauche, des chavezistes aux révisionnistes, des catholiques aux musulmans, et les convaincre coûte que coûte, par moult contorsions et postillons, de reporter leurs voix sur le FN, l’évolution de ce parti fût-elle en totale contradiction avec les attentes de ses propres disciples.
Ce qui est pratique chez Soral c’est qu’à peu près tout y est faux, comme dirait l’historien Éric Conan lorsqu’il cause d’un autre sujet : il n’est point de Soral, descendant par l’escalier de service du Solal de Belle de Seigneur d’Albert Cohen, mais il existe un Bonnet, à la mode de province ; sociologue de quatrième de couverture, il n’a pas de diplôme de sociologie suspendu derrière son bureau ; s’il est entré aux Beaux-Arts, il ne précise oncques dans quel état il en est sorti et reste d’une étonnante discrétion sur ses œuvres artistiques personnelles. Piètre philosophe, boxeur dans ses rêves, romancier dénué de talent de conteur (n’est pas Chuck Palahniuk qui veut !), réalisateur d’un film ni fait ni à faire et politicien virtuel, Soral a en gros tout raté mais aura passé sa vie à tenter de faire accroire le contraire à un public avide de mauvais garçons sachant lire et écrire sans commettre trop de fautes de syntaxe. Dragueur, il l’est, certes, et d’une manière compulsive qu’il revendique avec plus d’ardeur que Casanova et Don Juan réunis, mais sait-on sur cette affaire comme sur tant d’autres la vérité toute nue ? C’est loin d’être assuré, et Salim Laïbi nous en apprend de belles dans les pages qui suivent. Sur ce point, j’ai pour ma part noté que Soral demeure très circonspect relativement à Laurent G., alias Brutus, qui fut comme lui pigiste dans la presse féminine et à qui il emprunta la méthode miracle pour lever de manière expéditive les minettes dans les rues de Paris…
Qu’on ne me fasse pas dire le contraire de ce que je pense. Je ne suis pas du genre à proclamer que Soral a toujours tort. Pour une bonne raison : depuis toujours, il affirme de façon péremptoire tout et le contraire de tout ! À l’instar de l’horloge bloquée, il donne nécessairement l’heure juste deux fois par jour. À ceci près qu’il n’est pas bloqué, mais débloque à pleins tubes ; les théories oiseuses s’échappent de ses circuits neuronaux comme les slogans de marchand de soupe de la tête de Jacques Séguéla. La chose est bien naturelle car selon sa conception utilitariste de la vie, les idées ne sont que de banals outils destinés à promouvoir sa propre personne en toute circonstance.
Pour lui, le vrai et le faux n’existent pas en soi : champion d’éristique6, Soral en fournit la définition en fonction de ce qui lui sied au moment voulu afin de se rallier de nouveaux suffrages et recueillir des vues supplémentaires sur Youtube et Dailymotion. Règne de la Quantité, bonjour à toi ! Ses militants, vaillants et dévoués mais manquant d’expérience, ont beaucoup de peine à suivre la ligne du parti tant elle est sinueuse, courbe, diagonale et zigzagante au gré des besoins de l’instant. Mais gare à ceux qui s’en écartent ! Excommunication en vue !
Selon la dialectique marxiste, la morale consiste à œuvrer sans réserve à l’accession au pouvoir du prolétariat qui ouvrira l’ère du paradis sur terre : tout est bon, juste, y compris l’infâme et le crime jusqu’à l’écœurement, pour y parvenir. La dialectique soralienne revient, elle, à suivre le doigt sur la couture du pantalon les extravagances et opportunismes du gourou de secours, qui tente tant bien que mal de sauvegarder sa doctrine élastiquement fantaisiste.
Je suis désolé d’avoir à rappeler ici une évidence que le matraquage internautique et les jolies affiches de Maria ont du mal à cacher : la droite des valeurs ne peut en aucun cas s’allier à la gauche du travail car rien n’est plus éloigné que ces deux visions du monde. Autant chercher à mélanger l’eau et l’huile. On ne peut nullement accorder Jean-Jacques Rousseau et René Guénon, concilier Lucien Goldmann et Ananda Coomaraswamy ; ces cocktails sont imbuvables voire toxiques. Il peut, entre ces penseurs, y avoir des constats communs mais point de solides perspectives. Il faut choisir ton camp, camarade ! L’histoire des deux cents dernières années a amplement démontré que l’espoir d’une telle collusion est un vœu pieux de machiavels puérils.
« Soral a raison ! » Fort bien, mais à quelle heure ?
De surcroît, il est inutile et nuisible
de faire appel à la gauche du travail dont nous avons soupé et qui n’a
jamais réussi à assurer la prospérité de la nation ni le bonheur de la
classe ouvrière. La droite, je parle de la droite non parlementaire, non
bancaire mais traditionnelle, celle dont les valeurs, précisément, ont
façonné les grandes civilisations du passé, la droite ouverte à la
transcendance, partisane d’un pouvoir émanant d’en-haut et non d’en-bas,
a été la première à se préoccuper du sort des pauvres gens. Au XIXe siècle, l’économiste royaliste Villeneuve-Bargemon, le légitimiste Armand de Melun, n’attendirent pas la publication du Capital
pour agir en faveur de la condition ouvrière et contre l’exploitation
du travail des enfants, au même titre qu’Albert de Mun, François René de
La Tour du Pin ou le comte de Chambord, héritier des rois de France,
dans sa « Lettre sur les ouvriers » (1865). Dans les pays où se
produisit un fulgurant redressement économique au cours de la première
moitié du XXe siècle, c’est l’union des catégories sociales
au sein des métiers qui fut l’instrument privilégié de la restauration
nationale. L’amélioration du sort des démunis ne fut pas effectuée en
mettant en pratique des théories prônant la lutte des classes, promue
moteur de l’histoire (une blague de potaches hégéliens que nul
scientifique n’a jamais pu démontrer), mais en associant ouvriers,
classes moyennes et patrons, en les faisant communier dans un esprit de
solidarité à la recherche du Bien commun afin de vaincre le capitalisme
international et le communisme sans patrie, ces deux idéologies sœurs
niant chacune dans son genre la souveraineté des nations au bonheur des
cosmopolites promoteurs du déracinement.
Un rassemblement social de cette nature, pierre angulaire de toute reconstruction durable, ne figure pas au programme d’Égalité et Réconciliation, acquise aux thèses malheureuses du terne marxo-rousseauiste Michel Clouscard, pompées d’ailleurs sans l’assentiment du pauvre vieux. On ne trouve pas davantage, dans les intentions de l’association, l’arrêt immédiat de l’avortement, qui tue légalement en France plus de 200 000 bébés par an depuis près d’un demi-siècle, ni la défense et la promotion de la famille, cellule de base de toute société harmonieuse, comme Charles Maurras n’a cessé de l’enseigner en bataillant contre les principes républicains qui font reposer la société sur l’individu atomisé. De toute évidence, si l’on reprend les catégories évoliennes, Soral préfère de loin, pour des raisons intimes, la figure de l’Hétaïre à celle de la Mère, ignorée et balayée de sa Weltanschauung portative ; hélas, il a réussi à transmettre ses névroses à ses fans.
Sur les forums, son dernier carré de fidèles reprend en chœur la formule qu’il s’est forgée sur mesure en recopiant celle d’un universitaire célèbre pour sa prestation au Zénith en décembre 2008 : « Soral a raison ! » Fort bien, mais à quelle heure ? Quand il se fait déclarer P4 pour échapper à son service militaire comme n’importe quel gauchiste crachant sur le drapeau ou lorsqu’il déclame en bon patriote son amour de la Légion ? Quand il professe que Jésus est « un juif en slip sur la croix » ou qu’il se propulse « chrétien sans reproche » ? Quand il sort un DVD pour initier ses apôtres à la boxe française ou quand il court se réfugier dans un Franprix durant une rixe survenue entre ses militants et les antifas au marché Pyrénées dans le XXe arrondissement de Paris ? Quand il écrit « Marine m’a tuer » ou quand il appelle à voter pour « la moins sioniste des candidats » ?
Au-delà de nos désaccords de fond liés à son idéologie sans cohérence et à sa personnalité patibulaire, le principal reproche que j’adresserai à Soral est d’avoir fait fructifier une petite entreprise cynique au détriment de l’objectif annoncé à l’origine : le renversement du système. Le slogan de Kontre Kulture : « Produits dissidents en tous genres » en dit long sur la mentalité ayant présidé à sa création. On ne devient pas Maximilien de Robespierre en vendant des mugs, Louis-Antoine de Saint-Just en refourgant des bouteilles de pinard labellisé dissident, Camille Desmoulins en brocantant des lampes Petromax, Jean-Paul Marat en éditant des livres dont une large part sont disponibles gratuitement sur le Net. C’est une galéjade. On ne bouscule pas non plus le pouvoir en promouvant l’insulte ad personam comme outil de propagande systématique.
Nous sommes devenus lourds, solitaires, ennuyeux, désespérés. Ce qui manque cruellement à notre société fragmentée et désenchantée c’est une haute spiritualité, des mots, des chants, des poèmes, des prières contribuant à fortifier les âmes en peine et à réinstaurer le sacré dans les lieux que la Technique a arraisonnés. Sans doute, notre époque plongée dans les affres du Kali Yuga, l’Âge sombre, l’Âge de fer, ne permet-elle pas de ressusciter les grandes heures passées de sainteté et d’héroïsme. Mais sans retour vers la Tradition, tout projet politique est destiné à tourner indéfiniment en rond. « Seul un Dieu peut encore nous sauver » fut l’une des dernières paroles de Martin Heidegger, le philosophe majeur du XXe siècle. Il s’agirait de prendre cette sentence au sérieux, mais Soral n’a pas compris le tiers du quart de ce qu’a enseigné l’auteur d’Être et Temps (1927) qu’il brocarde dans ses bouquins parce que son maître Lukács ne pouvait pas le blairer.
Durant les dix années qu’a duré E&R, l’homme-lige de Philippe Péninque n’a fait que conduire ses suiveurs dans une impasse. Ce n’est point le bricolage politique, et encore moins celui faisant la promotion de la lutte des classes sous le masque du nationalisme, qui nous sauvera du chaos ; ce sont l’évolution de nos consciences et notre attitude devant l’Inconditionné qui peuvent contribuer à nous transformer en passeurs et en éveilleurs, dans une France décrépite n’ayant plus l’énergie de mener à bien une contre-révolution au sens où Joseph de Maistre l’entendait, c’est-à-dire non comme une révolution contraire mais comme le contraire d’une révolution (Considérations sur la France, 1796).
Pour le moment, seules la localité alternative, la micro-société, la dynamique de réseau, le maillage sont une propédeutique au changement global. Tout doit commencer par la révolution intérieure, au sein du royaume qu’est notre esprit ; les idées doivent se propager comme une onde, de proche en proche, sans publicité mensongère, sans tous ces mots dépassant la pensée et ces pensées dépassant les capacités de l’époque. Le royaume intérieur doit s’ancrer dans un principe d’airain : « Sois ce que tu voudrais voir advenir ».
Show autopromotionnel, le discours soralien n’a servi de rien et surtout pas à l’avancement d’un esprit salvateur revêtant ce caractère. En aucun cas, Soral ne nous a montré qu’il était le modèle de l’homme que nous voulions voir advenir. Il eût fait merveille dans la vente d’aspirateurs à domicile ou comme aboyeur pour un spectacle de catcheuses dans de l’huile de vidange, mais comme penseur de l’avenir ? No way !
Il existe deux catégories d’êtres : il y a ceux, comme Salim Laïbi, qu’on apprécie davantage lorsqu’on les côtoie jour après jour et puis les autres, tel Soral, dont la fréquentation suscite un rejet quasi-immédiat du fait de leur noirceur d’âme. Au fond, l’un de ses principaux problèmes est d’avoir oublié qu’il ne faisait rien d’autre que de jouer un rôle de composition, une comédie à laquelle il avait eu lui-même du mal à croire à ses débuts ; il a dû déployer des efforts considérables pour se débarrasser de cette pensée paralysante et se hisser sur le pavois. De là proviennent ses collisions intérieures difficilement gérables et des crashes désormais connus de tous.
Au lieu de chercher à devenir, sans jamais s’en approcher, la synthèse de Clausewitz, Lénine, Mussolini et Mohamed Ali, il eût été préférable que Soral se contentât d’un rôle à sa mesure. S’il est un domaine dans lequel je ne remets guère en cause ses compétences, c’est indéniablement celui de la mode masculine. Imbattable sur le pantalon de velours à bretelles, il est aussi incollable sur la cravate rétro et le nœud papillon tendance ; je ne lui chercherai pas querelle sur les subtilités du look new wave. Bien distribué, mieux conseillé, il aurait pu devenir la Mademoiselle Agnès de la dissidence. Son côté fashionista s’y serait épanché pour l’agrément de tous. Tant pis ! On constate une nouvelle fois ce qui arrive quand une vocation est contrariée !
Un rassemblement social de cette nature, pierre angulaire de toute reconstruction durable, ne figure pas au programme d’Égalité et Réconciliation, acquise aux thèses malheureuses du terne marxo-rousseauiste Michel Clouscard, pompées d’ailleurs sans l’assentiment du pauvre vieux. On ne trouve pas davantage, dans les intentions de l’association, l’arrêt immédiat de l’avortement, qui tue légalement en France plus de 200 000 bébés par an depuis près d’un demi-siècle, ni la défense et la promotion de la famille, cellule de base de toute société harmonieuse, comme Charles Maurras n’a cessé de l’enseigner en bataillant contre les principes républicains qui font reposer la société sur l’individu atomisé. De toute évidence, si l’on reprend les catégories évoliennes, Soral préfère de loin, pour des raisons intimes, la figure de l’Hétaïre à celle de la Mère, ignorée et balayée de sa Weltanschauung portative ; hélas, il a réussi à transmettre ses névroses à ses fans.
Sur les forums, son dernier carré de fidèles reprend en chœur la formule qu’il s’est forgée sur mesure en recopiant celle d’un universitaire célèbre pour sa prestation au Zénith en décembre 2008 : « Soral a raison ! » Fort bien, mais à quelle heure ? Quand il se fait déclarer P4 pour échapper à son service militaire comme n’importe quel gauchiste crachant sur le drapeau ou lorsqu’il déclame en bon patriote son amour de la Légion ? Quand il professe que Jésus est « un juif en slip sur la croix » ou qu’il se propulse « chrétien sans reproche » ? Quand il sort un DVD pour initier ses apôtres à la boxe française ou quand il court se réfugier dans un Franprix durant une rixe survenue entre ses militants et les antifas au marché Pyrénées dans le XXe arrondissement de Paris ? Quand il écrit « Marine m’a tuer » ou quand il appelle à voter pour « la moins sioniste des candidats » ?
Au-delà de nos désaccords de fond liés à son idéologie sans cohérence et à sa personnalité patibulaire, le principal reproche que j’adresserai à Soral est d’avoir fait fructifier une petite entreprise cynique au détriment de l’objectif annoncé à l’origine : le renversement du système. Le slogan de Kontre Kulture : « Produits dissidents en tous genres » en dit long sur la mentalité ayant présidé à sa création. On ne devient pas Maximilien de Robespierre en vendant des mugs, Louis-Antoine de Saint-Just en refourgant des bouteilles de pinard labellisé dissident, Camille Desmoulins en brocantant des lampes Petromax, Jean-Paul Marat en éditant des livres dont une large part sont disponibles gratuitement sur le Net. C’est une galéjade. On ne bouscule pas non plus le pouvoir en promouvant l’insulte ad personam comme outil de propagande systématique.
Nous sommes devenus lourds, solitaires, ennuyeux, désespérés. Ce qui manque cruellement à notre société fragmentée et désenchantée c’est une haute spiritualité, des mots, des chants, des poèmes, des prières contribuant à fortifier les âmes en peine et à réinstaurer le sacré dans les lieux que la Technique a arraisonnés. Sans doute, notre époque plongée dans les affres du Kali Yuga, l’Âge sombre, l’Âge de fer, ne permet-elle pas de ressusciter les grandes heures passées de sainteté et d’héroïsme. Mais sans retour vers la Tradition, tout projet politique est destiné à tourner indéfiniment en rond. « Seul un Dieu peut encore nous sauver » fut l’une des dernières paroles de Martin Heidegger, le philosophe majeur du XXe siècle. Il s’agirait de prendre cette sentence au sérieux, mais Soral n’a pas compris le tiers du quart de ce qu’a enseigné l’auteur d’Être et Temps (1927) qu’il brocarde dans ses bouquins parce que son maître Lukács ne pouvait pas le blairer.
Durant les dix années qu’a duré E&R, l’homme-lige de Philippe Péninque n’a fait que conduire ses suiveurs dans une impasse. Ce n’est point le bricolage politique, et encore moins celui faisant la promotion de la lutte des classes sous le masque du nationalisme, qui nous sauvera du chaos ; ce sont l’évolution de nos consciences et notre attitude devant l’Inconditionné qui peuvent contribuer à nous transformer en passeurs et en éveilleurs, dans une France décrépite n’ayant plus l’énergie de mener à bien une contre-révolution au sens où Joseph de Maistre l’entendait, c’est-à-dire non comme une révolution contraire mais comme le contraire d’une révolution (Considérations sur la France, 1796).
Pour le moment, seules la localité alternative, la micro-société, la dynamique de réseau, le maillage sont une propédeutique au changement global. Tout doit commencer par la révolution intérieure, au sein du royaume qu’est notre esprit ; les idées doivent se propager comme une onde, de proche en proche, sans publicité mensongère, sans tous ces mots dépassant la pensée et ces pensées dépassant les capacités de l’époque. Le royaume intérieur doit s’ancrer dans un principe d’airain : « Sois ce que tu voudrais voir advenir ».
Show autopromotionnel, le discours soralien n’a servi de rien et surtout pas à l’avancement d’un esprit salvateur revêtant ce caractère. En aucun cas, Soral ne nous a montré qu’il était le modèle de l’homme que nous voulions voir advenir. Il eût fait merveille dans la vente d’aspirateurs à domicile ou comme aboyeur pour un spectacle de catcheuses dans de l’huile de vidange, mais comme penseur de l’avenir ? No way !
Il existe deux catégories d’êtres : il y a ceux, comme Salim Laïbi, qu’on apprécie davantage lorsqu’on les côtoie jour après jour et puis les autres, tel Soral, dont la fréquentation suscite un rejet quasi-immédiat du fait de leur noirceur d’âme. Au fond, l’un de ses principaux problèmes est d’avoir oublié qu’il ne faisait rien d’autre que de jouer un rôle de composition, une comédie à laquelle il avait eu lui-même du mal à croire à ses débuts ; il a dû déployer des efforts considérables pour se débarrasser de cette pensée paralysante et se hisser sur le pavois. De là proviennent ses collisions intérieures difficilement gérables et des crashes désormais connus de tous.
Au lieu de chercher à devenir, sans jamais s’en approcher, la synthèse de Clausewitz, Lénine, Mussolini et Mohamed Ali, il eût été préférable que Soral se contentât d’un rôle à sa mesure. S’il est un domaine dans lequel je ne remets guère en cause ses compétences, c’est indéniablement celui de la mode masculine. Imbattable sur le pantalon de velours à bretelles, il est aussi incollable sur la cravate rétro et le nœud papillon tendance ; je ne lui chercherai pas querelle sur les subtilités du look new wave. Bien distribué, mieux conseillé, il aurait pu devenir la Mademoiselle Agnès de la dissidence. Son côté fashionista s’y serait épanché pour l’agrément de tous. Tant pis ! On constate une nouvelle fois ce qui arrive quand une vocation est contrariée !
Paul-Éric Blanrue
Paris, 3 août 2015
1- Rendons grâce au Seigneur notre Dieu.
2- Voyez le film On ne vit que deux fois, 1967.
3- « D’après la conception matérialiste
de l’histoire, le facteur déterminant dans l’histoire est, en dernière
instance, la production et la reproduction de la vie réelle » (21-22
septembre 1890).
4- http://editionsfiatlux.com/actu/Dortiguier-contre-Nietzsche-Blanrue/
5- « Qui n’a pas vibré au sacre de Reims et à la fête de la Fédération n’est pas vraiment français ! »
6- L’éristique est l’art d’avoir toujours
raison : dans un ouvrage éponyme, l’immense Arthur Schopenhauer a fait
la recension de ces méthodes de mauvaise foi, pour montrer le
scepticisme qu’il convient d’accorder aux constructions de l’esprit
humain.