L'Homme, l'économie & l'État de Murray Rothbard est un traité économique monumental, publié initialement en 1962, qui se positionne comme une somme des principes économiques fondamentaux. L'œuvre, éditée en cinq tomes pour sa traduction française par les Éditions Charles Coquelin, aborde une vaste gamme de sujets traditionnels de la science économique : le choix, l'échange, la monnaie, la consommation, la production, la distribution, les cycles économiques, l'organisation industrielle et la politique économique. L'objectif principal de Rothbard est de fournir une explication claire, cohérente et systématique des lois économiques, qu'il considère comme des relations invariables de cause à effet dans l'action humaine.
Murray N. Rothbard (1926-1995) est un économiste américain qui, après des études à l'Université Columbia, a trouvé une approche systématique et satisfaisante de l'économie dans l'œuvre de Ludwig von Mises, notamment son traité L'Action humaine. L'Homme, l'économie & l'État est né d'un projet initial visant à vulgariser les idées de Mises, mais il a évolué pour devenir une contribution originale et approfondie à la théorie du marché, allant même au-delà de l'analyse de son mentor sur certains points, notamment concernant la théorie du monopole et le rôle de l'État. Rothbard est un représentant clé du paradigme misésien ou praxéologique au sein de l'École autrichienne d'économie, qui remonte à des figures comme Carl Menger et Eugen von Böhm-Bawerk.
La méthodologie de Rothbard est ancrée dans la praxéologie, la science de l'action humaine. Le livre part d'un axiome fondamental et irréfutable : l'action humaine est un comportement intentionnel orienté vers l'atteinte de fins spécifiques. À partir de cet axiome et de quelques postulats subsidiaires (comme l'existence d'une variété de ressources et le fait que le loisir est un bien de consommation), Rothbard déduit l'ensemble du corpus économique par une logique pas à pas, de cause à effet. Cette approche est radicalement opposée aux méthodes économico-mathématiques dominantes, que Rothbard critique sévèrement. Il affirme que les mathématiques sont inadaptées pour décrire l'action humaine, qui est discontinue et motivée, et non des mouvements physiques dénués de but. Les concepts d'« indifférence » ou de « surplus du consommateur » sont ainsi rejetés comme non pertinents pour l'analyse praxéologique, car l'action révèle toujours une préférence.
Au cœur de l'analyse, Rothbard explique l'émergence de la monnaie comme un moyen d'échange indirect, indispensable pour dépasser les limitations du troc et permettre une économie complexe. Il souligne qu'une augmentation de la masse monétaire n'apporte aucun bénéfice social global, ne faisant que diluer le pouvoir d'achat de chaque unité et redistribuer la richesse. Le pouvoir d'achat de la monnaie est déterminé par l'offre et la demande individuelles. La théorie monétaire, un domaine sur lequel Rothbard a continué de travailler (The Mystery of Banking étant un exemple de cette concentration sur le secteur bancaire et la monnaie, cf. un autre de nos articles), est ici intégralement intégrée à la théorie générale de l'économie, contrairement à la séparation habituelle entre microéconomie et macroéconomie.
La production est décrite selon une structure mengero-hayékienne de stades successifs, où les facteurs originels (travail et ressources naturelles) sont combinés pour aboutir aux biens de consommation. L'accumulation de capital allonge ces processus de production, ce qui est la voie vers une plus grande abondance. Le taux d'intérêt pur est déterminé par la préférence temporelle des individus – leur préférence pour les biens présents par rapport aux biens futurs – et non par le marché des fonds prêtables. L'entrepreneur joue un rôle crucial dans une économie en constante évolution, guidé par les profits et les pertes, qui signalent l'efficacité de l'allocation des ressources face aux désirs des consommateurs.
Concernant le monopole et la concurrence, Rothbard remet en question les concepts néoclassiques de « concurrence pure et parfaite » ou de « prix de monopole » sur un marché libre. Selon lui, la demande est toujours élastique au-dessus du prix qui maximise les revenus du vendeur, rendant impossible de distinguer un « prix de monopole » d'un « prix concurrentiel ». Les brevets sont vus comme des barrières légales à l'entrée. La souveraineté du consommateur est le principe directeur du marché libre, où les acheteurs déterminent en dernière instance ce qui est produit. Rothbard préfère l'expression « souveraineté individuelle » pour inclure les préférences non monétaires des producteurs.
Le chapitre final de l'œuvre est consacré à l'intervention de l'État. Rothbard y développe une critique radicale, affirmant que l'État, fondé sur les « moyens politiques » de la force et de l'appropriation (la taxation étant une forme de vol), perturbe inévitablement l'allocation des ressources et crée des injustices. Le socialisme, défini comme la suppression violente du marché, est voué au chaos économique en raison de l'impossibilité du calcul économique sans un système de prix de marché pour les biens de production, comme l'a démontré Ludwig von Mises.
Rothbard impute également les cycles économiques à l'expansion du crédit par les banques à réserves fractionnaires, souvent encouragée ou permise par l'État et les banques centrales, qui fausse le signal du taux d'intérêt et conduit à des mal-investissements.
Enfin, Rothbard critique l'obsession de la « croissance » comme objectif politique, soutenant que la véritable croissance économique provient des choix volontaires d'épargne et d'investissement des individus sur un marché libre, et non de mesures coercitives.