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lundi 1 septembre 2025

État, qu'as-tu fait de notre monnaie ?



Ce livre de Murray Rothbard, complété par un épilogue de Jörg Guido Hülsmann, est une critique fondamentale de l'intervention étatique dans le système monétaire. L'ouvrage cherche à démêler la confusion autour de la monnaie en explorant la possibilité d'un marché monétaire libre et en analysant les conséquences des interventions étatiques.

Rothbard commence par les origines de la monnaie, expliquant que l'échange est le fondement de toute économie développée. Le troc, ou échange direct, est très limité par l'indivisibilité des biens et la non-coïncidence des besoins. Pour surmonter ces obstacles, l'homme a découvert l'échange indirect : on vend son produit contre un bien plus facilement échangeable (un « moyen d’échange ») que l'on revendra ensuite pour obtenir le bien désiré. Ce processus d'essais et d'erreurs a conduit à la sélection naturelle de quelques biens, comme l'or et l'argent, comme moyens d'échange universels, c'est-à-dire comme monnaie.

La monnaie est une marchandise, et non une unité de compte abstraite ou un jeton sans valeur intrinsèque. Son « prix » est son pouvoir d'achat, déterminé par l'offre et la demande, comme pour toute autre marchandise. Les unités monétaires comme le "dollar" ou le "franc" n'étaient à l'origine que des noms pour des unités de poids d'or ou d'argent.

Une augmentation de l'offre de monnaie ne fait que diluer le pouvoir d'achat de chaque unité monétaire, sans apporter de bénéfice social réel. La population ne devient pas plus riche ; seule l'abondance de biens et de services compte. L'extraction d'or n'est pas un gaspillage, car l'or a aussi des usages non monétaires (ornementation, industrie) qui procurent un bénéfice social.

Rothbard affirme que le désir de détenir plus ou moins de monnaie (des « encaisses ») est une réponse rationnelle à l'incertitude et aux anticipations de prix. La monnaie est utile non seulement au moment de l'échange, mais aussi lorsqu'elle est conservée, car elle confère à son possesseur le pouvoir de réaliser un échange à tout moment futur. Une augmentation de la demande de monnaie (thésaurisation) se traduit par une baisse des prix et une augmentation du pouvoir d'achat de chaque unité, satisfaisant ainsi le désir d'encaisses réelles plus importantes sans nuire à la société. L'idée de "stabiliser le niveau des prix" est rejetée, car la flexibilité de la valeur de la monnaie est aussi utile que celle des autres prix sur le marché.

Sur un marché libre, plusieurs monnaies peuvent coexister (par exemple, l'or et l'argent) avec des taux de change flottants, s'adaptant à l'offre et à la demande. Ce système, appelé "standards parallèles", est ordonné et efficace. La frappe de monnaie est une activité commerciale privée légitime, où des émetteurs privés garantissent la qualité de leurs pièces.

Rothbard s'attaque ensuite à la banque à réserves fractionnaires. Il la considère comme frauduleuse. Les banques, en émettant des "pseudo certificats de dépôt" (billets ou comptes courants) pour de l'or qu'elles ne possèdent pas, augmentent artificiellement l'offre de monnaie, ce qui est une forme d'inflation. Contrairement aux prêts normaux, les billets de banque ne sont pas des reconnaissances de dette, mais des certificats de propriété sur des biens existants, ce qui implique une convertibilité immédiate. Dans un marché libre, les "paniques bancaires" sont le mécanisme qui révèle cette fraude.

L'intervention de l'État dans la monnaie est motivée par son désir de financer ses activités sans le consentement direct de la population. L'inflation est un moyen puissant et subtil pour l'État de s'approprier des ressources, agissant comme une "taxe" cachée. Les premiers bénéficiaires de la nouvelle monnaie (l'État et ses alliés) profitent au détriment de ceux qui la reçoivent plus tard (catégories à revenu fixe, épargnants). L'inflation déforme le calcul économique, crée une illusion de prospérité, décourage l'épargne, et conduit à des cycles économiques (boom inflationniste suivi d'une dépression). À terme, elle peut dégénérer en hyperinflation, détruisant le système monétaire et forçant un retour au troc ou à l'utilisation de devises étrangères.

Historiquement, l'État a d'abord établi un monopole légal du monnayage, remplaçant les unités de poids par des noms nationaux (dollar, franc) pour faciliter l'altération de la monnaie (réduction de la teneur en métal précieux). La loi de Gresham ("la mauvaise monnaie chasse la bonne") est une conséquence de l'intervention étatique, qui surévalue artificiellement une monnaie par rapport à une autre, incitant à thésauriser ou exporter la "bonne" monnaie. Le bimétallisme, en fixant des taux de change artificiels entre l'or et l'argent, illustre ce phénomène. Les lois de cours légal obligent l'acceptation de la monnaie émise par l'État, même si elle est dépréciée, pénalisant les créanciers et favorisant les débiteurs.

Avec l'avènement des substituts monétaires, l'État a trouvé un nouveau levier de contrôle : les banques. En accordant aux banques le privilège de suspendre les paiements en espèces, l'État supprime les limites naturelles à l'inflation bancaire, transformant ce qui serait une fraude en une pratique légale.
L'ultime instrument de contrôle est la banque centrale. Elle monopolise l'émission de billets, centralise les réserves d'or et agit comme "prêteur en dernier ressort", stimulant l'inflation du crédit bancaire. La banque centrale garantit l'expansion simultanée de toutes les banques, supprimant la contrainte concurrentielle qui limiterait l'inflation dans un système de "banque libre". Elle pilote l'inflation en contrôlant les réserves des banques (par achat d'actifs ou prêts).

L'étape finale est l'abandon de l'étalon-or, d'abord en restreignant la convertibilité (étalon-or lingot) puis en la supprimant complètement, instaurant ainsi la monnaie à cours forcé. Cette monnaie, détachée de l'or, se déprécie rapidement en raison de l'inflation intrinsèque de l'État. Pour éliminer toute concurrence, les États vont jusqu'à interdire la détention d'or par les citoyens, le nationalisant pour consolider leur pouvoir sur la monnaie.

Dans un monde de monnaies à cours forcé, l'État tente d'abolir les taux de change flottants pour imposer des taux fixes. Cela réactive la loi de Gresham, créant des pénuries de devises et entraînant des contrôles des changes et la socialisation du commerce international. L'objectif ultime des interventionnistes est une monnaie papier mondiale émise par une banque centrale mondiale, qui permettrait une inflation sans précédent à l'échelle planétaire.

Rothbard retrace l'histoire monétaire du XXe siècle comme une succession de crises, où chaque "solution" étatique s'effondre plus rapidement que la précédente :
1. L'étalon-or classique (1815-1914) est décrit comme un "âge d'or" avec une monnaie unique (l'or) limitant l'inflation étatique et stabilisant la balance des paiements.
2. Pendant et après la Première Guerre mondiale, les États ont abandonné l'or pour financer la guerre, entraînant un chaos de taux de change flottants et de dévaluations compétitives.
3. L'étalon de change-or (années 20) a tenté de rétablir une stabilité en liant le dollar à l'or et la livre au dollar, puis les autres monnaies à la livre. Ce système de pyramide a facilité l'inflation et s'est effondré en 1931.
4. Les monnaies à cours forcé flottantes (1931-1945) ont ramené le chaos économique, des guerres monétaires, et ont poussé les États-Unis à interdire la possession d'or. Rothbard critique les propositions de Milton Friedman pour les taux de change flottants comme étant naïves, car elles confèrent un pouvoir absolu à l'État, dont il abusera inévitablement.
5. Bretton Woods (1945-1968) a fait du dollar la seule monnaie clé convertible en or pour les gouvernements étrangers, permettant aux États-Unis d'exporter leur inflation et de voir leurs réserves d'or s'épuiser.
6. Le dénouement de Bretton Woods (1968-1971) a vu la création d'un "marché de l'or à deux vitesses" et la tentative d'introduire les DTS, tandis que la confiance dans le dollar s'effritait et que l'or flambait.
7. La fin de Bretton Woods (août-décembre 1971) a été marquée par l'abandon total de la convertibilité du dollar en or par Nixon, plongeant le monde dans un système de monnaies à cours forcé.
8. Les accords de Washington (décembre 1971-février 1973), tentant de fixer des taux de change sans l'or, se sont rapidement effondrés face à l'inflation continue du dollar.
9. Monnaies à cours forcé flottantes (mars 1973-...) ont conduit à la période d'inflation la plus forte de l'histoire en temps de paix et à une volatilité extrême des taux de change, invalidant le "nirvana friedmanien". Rothbard prédit que la quête d'une monnaie papier mondiale menée par une banque centrale mondiale mènerait à une inflation planétaire sans limites.

En épilogue, Jörg Guido Hülsmann reprend l'analyse de Rothbard pour les années post-1970. Il confirme que les variations de la quantité de monnaie, bien qu'insignifiantes pour la fonction d'échange, sont décisives pour la redistribution des revenus. La monnaie-signe (papier-monnaie) est l'outil principal des États et des groupes privilégiés pour s'enrichir aux dépens des citoyens non organisés, en maintenant en vie des entreprises non rentables et en permettant une croissance illimitée des déficits.

Les institutions monétaires internationales comme le SME, la BCE, ou le FMI sont des créations étatiques qui visent à conférer des privilèges à la caste politique et administrative à l'échelle internationale, dans la quête d'un "Nouvel Ordre Mondial" avec une monnaie et une police mondiales.

La création du Système Monétaire Européen (SME) en 1979 visait à stabiliser les taux de change entre les monnaies papier européennes, tout en préservant la capacité des États à se financer par l'inflation. Hülsmann montre que le SME, loin d'être un système de taux de change fixes stable, a en réalité amplifié les incitations à l'inflation. Chaque banque centrale était tentée d'imprimer le plus de monnaie possible pour enrichir son pays aux dépens des autres, ce qui, si cela avait été une obligation, aurait mené à l'hyperinflation. Sa relative stabilité fut le résultat de l'autolimitation, notamment de la Bundesbank, qui a agi comme un rempart contre l'inflation pour toute l'Europe.

Les crises du SME (nombreux réajustements puis l'élargissement des marges à 15% en 1993, une "astuce" pour masquer l'échec) ont prouvé son instabilité intrinsèque. Le SME a surtout eu une signification politique, habituant les citoyens à l'idée d'une monnaie et d'une politique européenne, préparant ainsi la voie à la Banque Centrale Européenne (BCE) et à l'euro.

La BCE et l'euro ne résolvent pas les problèmes d'endettement et de financement des États, mais les déplacent et les aggravent au niveau européen, conduisant à un endettement sans précédent et à l'inflation. Cela favorise la centralisation politique, rendant les États nationaux dépendants d'un nouvel État central européen. Hülsmann prédit que cette voie mène à un effondrement par hyperinflation ou par inefficacité de cet État central.

Parmi les alternatives à l'euro, Hülsmann mentionne le retour aux taux flottants (mais au détriment de la division internationale du travail), l'introduction d'une monnaie parallèle (difficile pour une monnaie papier nouvelle), ou la plus prometteuse mais politiquement rejetée : la liberté monétaire totale, permettant l'usage des métaux précieux.

Hülsmann souligne également que l'inflation américaine de 1982-2001, orchestrée par la Fed, a conduit à une spéculation boursière déconnectée des réalités économiques et à des crises mondiales. La Fed a imprimé de la monnaie pour soutenir les marchés financiers, contournant les limites de la propriété privée. L'exportation massive de dollars et de marks vers l'étranger (notamment l'Amérique latine et l'Europe de l'Est) a masqué l'inflation domestique en empêchant la hausse des prix à la consommation, mais cette situation est intenable.

L'inéluctabilité d'une crise boursière ou d'une hyperinflation est la conclusion, lorsque la monnaie ne pourra plus être exportée ou que les anticipations inflationnistes s'emballeront. Les crises récentes (Mexique, Asie, Russie) sont des exemples de ces mécanismes, où les aides financières internationales, souvent imposées par les États-Unis via le FMI, perpétuent des régimes corrompus et la dépendance politique, aux dépens des citoyens.

Rothbard et Hülsmann concluent que le chemin actuel mène soit au socialisme étatique totalitaire, soit à l'hyperinflation. Seul un retour à une monnaie-marchandise (l'or) sur un marché libre, avec un retrait complet de l'État du système monétaire, peut offrir une véritable solution.