La spiritualité orthodoxe est profondément ancrée dans ce que Vladimir Lossky appelait « la théologie mystique de l'Église d'Orient », une théologie qui ne se sépare pas de la doctrine et se caractérise par une aspiration profonde à la transformation et à l'union avec Dieu, un processus appelé divinisation.
Le cœur de cette spiritualité est la doctrine de la divinisation du chrétien, synthétisée par l'adage « Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu ». Saint Athanase, soutenu par Antoine le Grand, a proclamé cette foi authentique définie au concile de Nicée (325), affirmant que le Verbe de Dieu s'est fait homme afin que l'homme soit divinisé, devenant fils de Dieu par adoption et membre de son Corps. Saint Cyrille d'Alexandrie a également défendu cette possibilité de salut et de divinisation, soulignant que la nature humaine devait être pleinement assumée par une personne divine pour être pénétrée par les énergies de la divinité.
Cette divinisation implique une participation réelle à la nature divine par le don du Saint-Esprit. Elle ne concerne pas seulement l'intellect mais l'homme tout entier, corps et âme, appelé à être transfiguré par la divine Lumière. Les Pères cappadociens, notamment Basile de Césarée et Grégoire de Nysse, ont enseigné que l'essence divine est inconnaissable et inaccessible, mais que ses opérations divines ou « énergies » sont éternelles et incréées et peuvent être communiquées à l'homme. Lorsque l'Esprit sanctifie une créature, il ne produit pas un effet créé, mais unit son énergie à celle de la créature, permettant une opération divino-humaine. Cette compénétration du divin et de l'humain est comparable au fer rouge et au feu, le fer étant ignifié.
Le péché des premiers parents a entraîné l'homme dans la mort et la souffrance, le privant de la grâce du Saint-Esprit. Le salut et la divinisation, donc, se réalisent comme une réparation de la chute d'Adam et une union de l'homme au Christ, formant avec lui un seul Corps. La nature humaine a été globalement renouvelée par l'Incarnation du Logos divin.
Cependant, la divinisation est un processus personnel qui s'accomplit par la foi et les sacrements. Le baptême confère la grâce du Saint-Esprit sous forme de germe, qui doit se développer grâce à la coopération de la liberté humaine et à l'effort de l'homme. Sans la grâce initiale, cet effort serait vain, mais sans l'effort, les sacrements ne porteraient pas de fruit. Cette interaction entre la grâce divine et la volonté humaine est appelée synergie.
La voie hésychaste est la doctrine spirituelle qui sous-tend la vie de nombreux moines. L'hésychia, ou « quiétude », se comprend à plusieurs niveaux : solitude et silence matériels, calme intérieur procuré par la népsis (sobriété spirituelle, vigilance à l'égard des mauvaises pensées), et la paix de l'âme rassemblée en elle-même. Elle est la dimension intérieure du christianisme.
Les préalables à la vie hésychaste sont cruciaux :
1. Solitude et silence : ils favorisent le recueillement de l'âme. Cependant, l'hésychia rigoureuse n'est pas accessible à tous ; elle requiert une maturité spirituelle suffisante et un guide. Une pratique intérieure de l'hésychia est possible même en communauté.
2. Père spirituel (starets) : la vie monastique et la voie hésychaste doivent être menées sous la conduite d'un père spirituel expérimenté pour éviter l'illusion spirituelle. L'obéissance au père spirituel est le fondement de tout progrès spirituel.
3. Repentir (componction) : une tristesse profonde et intime de l'âme pour avoir offensé Dieu. Elle est bien différente d'un complexe de culpabilité, menant à l'humilité et à l'espérance. Les larmes qui en jaillissent sont considérées comme un second baptême, purifiant des fautes commises après le premier.
4. Humilité : la seconde disposition fondamentale, le sel de toute œuvre de vie, supprimant la présomption et engendrant l'amour de Dieu.
Les étapes de la voie hésychaste s'appuient sur une psychologie héritée de la philosophie hellénistique et systématisée par Évagre le Pontique. L'âme est composée d'une partie concupiscible, irascible et raisonnable (intellect ou noûs). Les passions ne sont pas mauvaises en soi, mais leur mauvais usage est la source des vices. Pour Macaire d'Égypte et d'autres, le cœur est l'organe du corps considéré comme le siège et l'organe de l'intellect, transfiguré par la grâce divine.
La méthode spirituelle se divise en deux étapes principales :
1. La praktikè (vie active) : vise la purification de l'intellect et la rectification des passions.
◦ Ascèse corporelle : jeûne, veilles, travail manuel. Elle inscrit l'humilité dans le corps, combat les tendances désordonnées de l'epithymia et aide à faire mourir la peccabilité du corps.
◦ Miséricorde et charité envers le prochain : essentielle pour purifier le thymos (partie irascible). L'esprit de miséricorde universelle est la pureté du cœur, selon saint Isaac le Syrien.
◦ Combat invisible (népsis) : la vigilance à l'égard des pensées (logismoi) est fondamentale. Évagre en a dressé une liste classique de huit principales : gourmandise, luxure, amour de l'argent, tristesse, colère, acédie, vaine gloire, orgueil. Le discernement des esprits est vital pour ne pas tomber dans l'illusion. Les pensées mauvaises agissent par attaque, liaison (dialogue avec la pensée), consentement, captivité, et combat. Il faut « briser contre la pierre les enfants de Babylone » tant qu'ils sont petits, c'est-à-dire couper court aux pensées mauvaises dès leur apparition.
◦ La Prière de Jésus : ou « prière monologique », une invocation courte et inlassablement répétée (ex : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! »). Elle brise les pensées par la puissance du Christ invoqué. Diadoque de Photicé en est un des premiers témoins. Elle n'est pas qu'une activité mentale, mais implique le corps par la respiration et le cœur. Cette méthode psycho-physique est un adjuvant et doit être soutenue par la doctrine biblique et chrétienne.
2. La theôria (vie contemplative) : le but de la praktikè est d'atteindre l'apatheia (impassibilité), qui n'est pas une apathie, mais un apprivoisement des passions, les mettant au service de l'amour de Dieu et du prochain. L'intellect purifié accède alors à la vraie connaissance (gnôsis) de Dieu, une expérience intuitive et savoureuse. Cette contemplation se manifeste souvent par la vision de la lumière divine, à laquelle le corps lui-même est associé. Saint Isaac le Syrien la décrit comme une expérience « au-delà de la prière », où l'intellect est submergé par l'Esprit et cesse de prier.
La spiritualité philocalique a connu une vaste influence. La Philocalie grecque, publiée à Venise en 1782, et sa traduction slavonne, le Dobrotoliubie, en 1793, ont joué un rôle capital dans le renouveau spirituel en Grèce, en Roumanie et en Russie :
• En Grèce, ce renouveau fut animé par les Collyvades au XVIIIe siècle, et se prolonge jusqu'à nos jours avec des figures comme saint Nectaire d'Égine ou saint Silouane l'Athonite.
• En Russie, saint Païssy Velitchkovsky (1722-1794) fut un initiateur majeur, diffusant l'hésychasme et les textes des Pères. Le monastère d'Optino, fréquenté par des figures comme Gogol ou Dostoïevski, devint un centre rayonnant de cette spiritualité. Saint Théophane le Reclus (1815-1894) a publié une traduction russe de la Philocalie, l'adaptant pour un public plus large.
• En Roumanie, le renouveau païssien s'est également implanté et a été revivifié au XXe siècle par des figures comme le Père Dumitru Staniloae, qui a entrepris une traduction roumaine de la Philocalie, en mettant l'accent sur Maxime le Confesseur et Grégoire Palamas.
En Occident, la redécouverte de ce patrimoine orthodoxe a marqué le public. Si des convergences existent avec la spiritualité occidentale, notamment avec l'invocation du nom de Jésus chez Bernard de Clairvaux ou l'oraison de quiétude chez François de Sales, des différences notables subsistent. La « nuit obscure » de Jean de la Croix a des parallèles avec la « désolation éducative » des Pères du désert, mais la spiritualité orientale ne considère pas la sécheresse comme une étape nécessaire et normale, et met l'accent sur la joie, plutôt que sur une séparation tragique avec Dieu. L'hésychasme occidentalisé, comme la récitation du Rosaire, a parfois été vu comme une forme de « quiétude populaire ».
L'influence de la Philocalie et de l'hésychasme en Occident s'est intensifiée après les révolutions et l'émigration orthodoxe au XXe siècle, grâce à des théologiens comme Vladimir Lossky et des initiatives comme la collection « Sources chrétiennes ». Ce retour aux sources du christianisme est perçu comme un moyen de favoriser la réunification spirituelle et de répondre à la quête de sens dans un monde sécularisé.