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lundi 1 septembre 2025

La croyance chrétienne justifiée, selon Alvin Plantinga.



Alvin Plantinga est considéré comme l’un des plus grands philosophes chrétiens du XXᵉ siècle. Il a travaillé surtout dans le domaine de la philosophie analytique de la religion. Son apport est central pour renouveler les arguments rationnels en faveur de Dieu. Il ne propose pas une "preuve" au sens mathématique, mais il défend que croire en Dieu peut être rationnel, cohérent et justifié.
Plantinga se situe dans la tradition de la Réformée chrétienne (christian reformed Church), fort marquée par l’héritage de Calvin et Kuyper. Il a toujours assumé sa foi réformée, et une partie de sa philosophie s’inscrit dans la tradition dite de la "philosophie réformée" (reformed epistemology), développée avec Nicholas Wolterstorff et d’autres.

1. La croyance en Dieu est une croyance de base

Plantinga s’inspire de la notion de croyance "basique" en épistémologie. Certaines croyances sont en effet rationnelles sans avoir besoin d’une démonstration. Par exemple : croire que le monde extérieur existe, que les autres ont une conscience, etc. Ces croyances sont spontanées, fondamentales, et pourtant rationnelles.
Alvin Plantinga applique cela à la théologie. De la même manière qu’il est rationnel de croire spontanément à l’existence du monde ou des autres esprits, il est rationnel de croire spontanément en Dieu, sans avoir besoin de preuves philosophiques préalables. La croyance en Dieu peut être une croyance basique. Elle ne requiert pas forcément une preuve philosophique. Elle s’enracine dans l’expérience immédiate de l’homme face au monde, au Bien, au Mal. Ce n’est pas dire qu’il ne peut pas y avoir d’arguments en faveur Dieu, mais que la croyance en Lui peut être aussi fondamentale et naturelle que d’autres croyances basiques de la vie quotidienne.
Ainsi, croire en Dieu n’est pas irrationnel, même sans argument formel. La croyance en Dieu peut être spontanée, naturelle, et fiable.

2. La version "modale" de l’argument ontologique

Plantinga reprend l’argument ontologique de saint Anselme et le reformule avec la logique modale.
Il définit Dieu comme un "être maximalement grand". Un être maximalement grand est omniscient, omnipotent et parfaitement bon. Si un tel être est possible, alors il existe dans au moins un monde possible. Or, s’il existe dans un monde possible, alors il existe dans tous, car la grandeur maximale implique la nécessité.
Donc, si Dieu est possible, il existe nécessairement.
Cet argument est très discuté, mais Plantinga montre qu’il est logiquement valide, même si sa prémisse reste contestée.
Il faut rappeler qu'en philosophie (logique modale), un "monde possible" est une manière d’imaginer comment les choses auraient pu être, une version alternative de la réalité. L'important de respecter est la logique, la cohérence. Donc, si quelque chose est vrai dans tous les mondes possibles, alors c’est nécessaire, comme 2 + 2 = 4. Si quelque chose est vrai dans au moins un monde possible, alors c’est seulement possible. Donc, si Dieu est défini comme un être nécessaire (qui doit exister dans tous les mondes possibles s’il existe dans un seul), alors, s’Il existe dans au moins un seul monde possible, Il existe dans tous — donc aussi dans le nôtre.

3. La critique de l’athéisme naturaliste

Plantinga propose un argument célèbre contre le naturalisme pur. Selon lui, si le naturalisme et l’évolution darwinienne sont vrais, alors nos facultés cognitives visent la survie et non la vérité. Nos croyances sont sélectionnées pour leur utilité biologique, pas pour leur exactitude. Donc, la probabilité que nos croyances soient fiables sous un naturalisme strict est faible.
Si nous ne pouvons pas faire confiance à nos croyances, y compris au naturalisme lui-même, le système s’effondre.
Par contraste, si Dieu existe, il a créé l’homme à son image et lui a donné des facultés cognitives fiables.
Ainsi, croire en Dieu donne une meilleure base à la confiance dans la raison et la science.

4. La défense de la foi face au problème du Mal

Plantinga a aussi beaucoup travaillé sur le problème du Mal.
Il formule une défense du libre arbitre. Selon lui, Dieu peut permettre le Mal parce que la liberté authentique des créatures a une grande valeur. Un monde avec des créatures libres est meilleur qu’un monde sans liberté. Mais la liberté comporte la possibilité de mal agir.
Dieu n’est donc pas responsable du Mal, il permet aux hommes de choisir.
Ainsi, l’existence du Mal n’est pas logiquement incompatible avec l’existence de Dieu.
Cette défense est devenue une référence dans la philosophie analytique.
Beaucoup d’athées reconnaissent qu’elle neutralise l’argument logique du Mal.

5. La rationalité de la foi chrétienne

Au-delà des arguments formels, Plantinga affirme que la foi chrétienne peut être rationnelle. Il a écrit une trilogie majeure intitulée La croyance chrétienne justifiée. Il y défend que la croyance chrétienne est "garantie" (warranted) si elle est formée correctement par nos facultés cognitives dans des conditions normales.
Autrement dit, si Dieu existe, il est naturel que nous soyons disposés à croire en lui. Alvin Plantinga reprend une vieille idée de la théologie réformée, surtout chez Jean Calvin, qui parlait d’un sensus divinitatis (en latin : sens du divin), une faculté naturelle de l’esprit humain qui nous dispose à percevoir ou reconnaître Dieu : comme nos yeux sont faits pour voir la lumière, ou nos oreilles pour entendre les sons, le sensus divinitatis est défini une capacité spirituelle qui oriente spontanément l’homme vers Dieu.
La foi n’est donc pas une absurdité irrationnelle, mais un exercice normal de la raison humaine.


Cet immense théologien est à lire !