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jeudi 18 septembre 2025

En quête de l'Adam historique.




La Genèse est assez évidemment un livre de "mytho-histoire", comme le dit William Lane Craig. Il s'agit de diffuser l'idée que tous les hommes sont de la même famille. Si l'on est croyant, on a le droit de penser que c'est ce que l'Esprit Saint a voulu faire comprendre à l'humanité. Toutefois, Origène explique très tôt qu'il ne s'agit pas seulement d'un événement historique au sens contemporain du terme, mais d'une explication symbolique, d'une allégorie du drame spirituel de l’humanité. Pour lui, les épisodes comme le serpent qui parle ou le jardin d’Éden sont des symboles et des paraboles qui révèlent d'abord des réalités spirituelles. Ainsi Adam n’est pas seulement « le premier homme » mais aussi le prototype de l’humanité. Ève représente l’âme humaine, qui se laisse séduire par les passions. Leur chute exprime la condition universelle de l’homme : chacun « est Adam » en cédant au péché. William Lane Craig s'est quant à lui lancé à la recherche de l'identité de l'Adam historique, désirant cerner qui fut le premier homme de la préhistoire. C'est passionnant.

PEB

Voici une présentation détaillée de ce livre, publié en 2021.

Ce volume est une enquête interdisciplinaire approfondie sur la question de l'Adam historique et Ève, couvrant un large éventail d'études bibliques et scientifiques pertinentes à ce sujet.

L'ouvrage est décrit comme une "quête" intellectuelle, partant des Écritures pour aboutir à un échange significatif avec la science, s'inscrivant dans une conversation ancienne et croissante sur les origines humaines, impliquant des théologiens, des philosophes et des scientifiques. L'érudition, la lecture extensive et le jugement articulé de l'auteur transparaissent dans le livre. S. Joshua Swamidass, professeur de médecine de laboratoire et génomique, souligne que le livre démontre la possibilité d'un dialogue constructif entre la théologie et la science, offrant un compte rendu des origines humaines qui fait de la place à l'évolution sans capituler devant une vision purement scientifique du monde. Michael J. Murray, chercheur en philosophie, le considère comme un livre pour ceux qui recherchent la vérité, montrant que l'image biblique des origines humaines, correctement comprise, peut s'accorder avec les meilleurs résultats de la science, également correctement compris.

La structure du livre est délibérément ordonnée, avec deux parties principales précédées d'introductions et suivies de réflexions finales.

La première partie traite des données bibliques pertinentes aux origines humaines, et la seconde est consacrée aux preuves scientifiques. L'ordre est crucial : en tant que chrétien, l'auteur veut d'abord comprendre ce que la Bible dit des origines humaines indépendamment de la science moderne, afin de déterminer les engagements bibliques concernant l'Adam historique sans que l'approche herméneutique ne soit façonnée par la science moderne. Ce n'est qu'après cette étude des Écritures que Craig examine les données scientifiques pour voir si elles sont compatibles avec l'historicité d'Adam et Ève.

1 : Les données bibliques concernant l'Adam historique

L'ouvrage s'intéresse à ce que le texte canonique enseigne sur l'Adam historique, en adoptant une approche canonique plutôt que de se concentrer sur les analyses source- ou tradition-historiques. L'auteur argumente que l'analyse littéraire devrait déterminer la structure de Genèse 1-11. Ces formules aident à ordonner les récits chronologiquement, agissant comme l'épine dorsale de Genèse 1-11, mais ne dictent pas la structure littéraire. Le livre aborde la nature du mythe et se demande si les récits primordiaux de Genèse 1-11 en sont. Il reconnaît que les mythes ne sont pas nécessairement pris comme littéralement vrais, mais comme exprimant des vérités profondes sous une forme figurative. Richard Averbeck, professeur d'Ancien Testament, est cité pour sa vision que les anciens n'adhéraient pas à une lecture "littéraliste" des textes décrivant des phénomènes naturels. Des exemples comme le mythe sumérien d'Etana montrent que les anciens comprenaient la différence entre l'apparence et la réalité. L'auteur critique l'importation d'un "littéralisme rigide" (wooden literalism) qui est étranger aux textes mésopotamiens par certains exégètes occidentaux modernes.

La discussion sur le genre de Genèse 1-11 est centrale. John Collins, érudit de l'Ancien Testament, qualifie le style de Genèse 1 de "prose exaltée", une prose hautement stylisée frôlant la poésie. La fonction sociale de ces récits est de servir d'"préhistoire" et de "protohistoire" à Israël, pour raconter l'histoire du passé lointain afin de donner à la communauté son identité et ses valeurs distinctives. Craig aborde les hypothèses documentaires (J, E, D, P) derrière le Pentateuque, notant que même si elles sont critiquées et évoluent, l'existence des sources J et P pour Genèse 1-11 reste largement acceptée. Il mentionne que des savants comme Westermann ont souligné l'importance des traditions orales pré-littéraires derrière les récits de la Genèse.

Concernant les parallèles avec les mythes du Proche-Orient Ancien, le livre signale que les récits de la Genèse ne sont généralement pas dérivés des mythes mésopotamiens, à l'exception notable de l'histoire du déluge avec l'Épopée de Gilgamesh. De nouvelles découvertes, comme un texte akkadien d'Ugarit (RS 94.2953), suggèrent la possibilité d'une source commune derrière les traditions du déluge hébraïque et babylonien, remettant en question l'idée d'un emprunt direct.

L'auteur note que l'écrivain de la Genèse semble peu préoccupé par les incohérences narratives apparentes, comme l'ordre de création de l'homme, de la végétation et des animaux entre Genèse 1 et 2, ou l'origine de la femme de Caïn, ou encore les instructions divines contradictoires à Noé concernant le nombre d'animaux à embarquer dans l'arche. Il suggère que cela pourrait indiquer que l'auteur n'était pas troublé par ces "incohérences" ou qu'il fusionnait des traditions orales antérieures.

La question d'un déluge mondial ou local est également examinée. Le texte biblique semble clairement décrire un déluge universel, couvrant toutes les hautes montagnes sous le ciel. Les arguments en faveur d'un déluge local sont jugés insuffisants pour annuler l'usage de quantificateurs universels par l'auteur.

Les généalogies dans Genèse 1-11 sont perçues comme ayant un intérêt historique, contrairement à l'idée qu'elles n'auraient pas de fonction historiographique. Bien qu'elles puissent présenter des "télescopages" (omissions de générations) et une "fluidité" (variations) comme les listes de rois mésopotamiennes, il n'y a aucune preuve que les généalogies anciennes incluaient des individus n'ayant pas existé. Cela suggère que les auteurs de l'Écriture considéraient Adam comme une figure historique. La doctrine de l'image de Dieu (imago Dei) en Genèse 1 est interprétée, notant le consensus parmi les exégètes de l'Ancien Testament en faveur d'une interprétation fonctionnelle (l'homme comme représentant de Dieu sur Terre et ayant un rôle royal). Cependant, Craig rapporte que cette fonction, bien que nécessaire et inséparable, n'est pas la définition de l'image de Dieu, puisque la Genèse elle-même ne la définit pas explicitement.

Le livre se tourne ensuite vers Adam dans le Nouveau Testament. Bien qu'Adam soit rarement mentionné en dehors de Genèse 1-11 dans l'Ancien Testament, il est omniprésent dans la littérature juive extrabiblique et est invariablement considéré comme une personne historique, le premier être humain créé. L'auteur introduit une distinction cruciale entre l'Adam littéraire (le personnage du récit de Genèse 2-3) et l'Adam historique (la personne réelle). Il distingue également l'usage illustratif d'un texte (pour fournir une analogie) de son usage assertorique (pour enseigner une vérité).

Le Nouveau Testament utilise parfois des récits apocryphes ou folkloriques de manière illustrative sans nécessairement affirmer leur historicité (ex: l'histoire de Michel et du corps de Moïse dans Jude, ou Jannes et Jambres s'opposant à Moïse dans 2 Timothée). De même, les déclarations de Jésus sur Adam dans Matthieu 19:4-5 et sur Abel dans Luc 11:50-51 sont considérées comme illustratives d'une exégèse du récit, plutôt que des assertions de son historicité. Cependant, la généalogie de Luc 3, qui remonte à Adam, est considérée comme un usage assertorique du récit, tout comme la déclaration de Paul dans Actes 17:26, qui affirme que Dieu "a fait de l'un toute nation d'hommes". Les passages de Paul dans 1 Corinthiens 15 et Romains 5, qui contrastent Adam et Christ, sont également interprétés comme affirmant un Adam historique, dont les actions ont eu des conséquences réelles sur l'humanité.

2 : L'exploration scientifique

La deuxième partie du livre examine les preuves scientifiques des origines humaines. La discussion débute par le tableau des périodes géologiques, se concentrant sur le Quaternaire (2,5 millions d'années à aujourd'hui), divisé en Pléistocène (2,5 millions d'années à 12 000 ans) et Holocène (12 000 ans à aujourd'hui). L'origine de la race humaine est à rechercher durant le Pléistocène. Les preuves fossiles sont examinées.

Les fossiles de Jebel Irhoud au Maroc, datés de 315 000 ± 34 000 ans, sont les plus anciens Homo sapiens découverts à ce jour, avec une taille de cerveau comparable à l'homme moderne. Leur morphologie faciale est presque indiscernable de celle des humains modernes, ce qui suggère que l'Homo sapiens était déjà répandu à cette époque. L'ouvrage souligne que la diversité des restes d'hominidés autour de 2 millions d'années rend la question des origines humaines complexe, mais une taille cérébrale minimale est une condition nécessaire pour qu'un hominidé soit considéré comme humain. Les espèces comme Homo erectus tardives, Homo heidelbergensis et Homo neanderthalensis avaient des tailles de cerveau suffisantes pour soutenir la personnalité humaine, les Néandertaliens dépassant même l'Homo sapiens en volume cérébral.

En paléoneurologie, une augmentation spectaculaire de la taille du cerveau et du quotient d'encéphalisation, ainsi qu'une réorganisation cérébrale, amènent les cerveaux d'hominidés dans la fourchette moderne vers 500 000 ans avant notre ère avec Homo heidelbergensis. Ces caractéristiques sont corrélées à une capacité cognitive accrue chez l'homme. L'attention est portée sur la forme du cerveau, notamment la "globularisation" périnatale chez les humains modernes qui ne se produisait pas chez les Néandertaliens.

Les preuves archéologiques des capacités cognitives modernes incluent la technologie, l'économie et l'organisation sociale. La fabrication d'outils Oldowan a été maîtrisée par des chimpanzés en captivité, ce qui suggère qu'elle ne témoigne pas d'un comportement humain moderne. Cependant, la construction d'outils composites et l'emmanchement de pointes en pierre sont considérés comme des marques claires de la capacité cognitive humaine, témoignant de la prévoyance et du design. Des traces de cordage en fibres à trois brins, datées de 40 000 à 50 000 ans, ont été découvertes sur un site néandertalien en France, impliquant des concepts mathématiques et une complexité cognitive similaire à celle du langage humain. La chasse au gros gibier, attestée dès 350 000 ans avant notre ère avec Homo heidelbergensis à Schöningen (Allemagne), aurait requis coopération et peut-être même une capacité linguistique. Des structures annulaires découvertes dans la grotte de Bruniquel (France), datées de 176 500 ans, témoignent d'une utilisation structurée de l'espace domestique par les Néandertaliens. Le langage est considéré comme une barrière majeure entre l'homme et l'animal, impliquant le symbolisme et un système de communication extensible.

Bien que les capacités phonétiques des Néandertaliens soient débattues, certains éléments anatomiques (comme le canal hypoglosse) suggèrent une capacité de parole. La présence du variant FOXP2, associé à la parole et au langage, chez les Néandertaliens et les Denisoviens, suggère que cette capacité est partagée avec l'Homo sapiens et pourrait dériver de leur dernier ancêtre commun (Homo heidelbergensis).

Enfin, l'ouvrage aborde la génétique et les tailles de population. Des études de génomique des populations, bien que sujettes à des interprétations diverses, ont été utilisées pour argumenter contre un "goulot d'étranglement" de deux individus dans la lignée humaine au cours des derniers millions d'années. Cependant, Joshua Swamidass, professeur de médecine génomique, explique que l'argument de la variation trans-espèces (qui implique de grandes populations ancestrales) est affaibli par le phénomène de l'évolution convergente, où des allèles similaires évoluent indépendamment. Il note que des gènes comme HLA-DRB1 présentent un "excès massif de carrés", signe d'une évolution convergente omniprésente, remettant en question la force probante de cet argument contre un goulot d'étranglement de deux individus. Un consensus actuel est qu'un goulot d'étranglement de deux individus n'est pas exclu entre 400 000 et 7 millions d'années avant le présent, bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires.

Le livre soutient ainsi que les capacités cognitives modernes, y compris le langage, et les preuves archéologiques de comportements sophistiqués remontent à au moins Homo heidelbergensis, il y a environ 400 000 ans, et que les données génétiques n'excluent pas la possibilité d'une paire ancestrale fondatrice dans cette période.