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jeudi 11 septembre 2025

Dix mythes à propos d'Israël.



Le livre d'Ilan Pappe, Ten Myths About Israel, publié par Verso en 2017, conteste dix idées reçues ou « mythes » qui déforment la compréhension du conflit israélo-palestinien et perpétuent l'oppression et la colonisation.
1. La Palestine était une terre vide ?
Ce mythe dépeint la Palestine comme une terre aride, presque désertique, cultivée seulement par les colons sionistes. Pappe réfute cette idée en montrant qu'à la fin du XIXe siècle, avant l'arrivée du sionisme, la Palestine était une société arabe florissante, majoritairement musulmane et rurale, avec des centres urbains dynamiques. Des recensements ottomans de 1878 indiquent une population d'environ 462 465 habitants, dont 87 % de musulmans, 10 % de chrétiens et 3 % de juifs. La Palestine subissait des processus accélérés de modernisation, développant une identité nationale distincte bien avant le mouvement sioniste. Des réformes administratives ottomanes et des mouvements nationalistes locaux (qawmiyya et wataniyya) ont renforcé cette identité, avec des coutumes, un dialecte arabe et une histoire partagée.
2. Les juifs étaient un peuple sans terre ?
Ce mythe, corrélat du précédent, affirme que les juifs étaient les habitants originels de la Palestine, expulsés par les Romains vers 70 de notre ère, et méritaient de « retourner » dans leur « patrie ». Pappe met en cause cette connexion généalogique, citant des travaux comme ceux de Shlomo Sand qui suggèrent que les juifs de Palestine romaine sont restés sur la terre et se sont convertis. Il souligne que l'idée d'un retour des juifs en Palestine en tant que nation était d'abord un projet chrétien de colonisation, particulièrement protestant et lié à des aspirations millénaristes, avant de devenir un projet juif. Des personnalités britanniques comme Lord Shaftesbury et Lord Palmerston, motivées par des raisons religieuses et stratégiques, ont activement soutenu ce « proto-sionisme » pour des intérêts impériaux, y voyant un moyen de consolider la présence britannique et de servir de « contrôle » face aux ambitions régionales. Le consul britannique James Finn a même écrit sur le déplacement potentiel des Palestiniens.
3. Le sionisme est le judaïsme ?
Ce mythe postule une équivalence entre le sionisme et le judaïsme, diabolisant l'anti-sionisme comme de l'antisémitisme. Pappe soutient que le sionisme était initialement une opinion minoritaire au sein des communautés juives, née de la recherche de sécurité et du désir d'imiter d'autres mouvements nationalistes européens. Il a rencontré une forte opposition de la part des juifs réformés, libéraux, socialistes (comme le Bund) et ultra-orthodoxes. Ces groupes craignaient la sécularisation, la remise en question de leur loyauté envers leurs États-nations, ou voyaient le sionisme comme une interférence avec la volonté divine. Le sionisme a fondamentalement transformé l'interprétation de la Bible, la passant d'un texte spirituel à une justification politique et territoriale pour la colonisation de la Palestine, même pour les athées comme Ben-Gourion. Mahatma Gandhi a également rejeté cette logique, affirmant que la Palestine appartenait aux Arabes.
4. Le sionisme n'est pas du colonialisme ?
Contrairement à ce mythe, Pappe présente le sionisme comme un projet de colonialisme de peuplement (settler colonialism), similaire à ceux des Amériques, de l'Afrique du Sud et de l'Australie. Ce type de colonialisme diffère du classique par sa motivation à s'approprier la terre dans un pays étranger et sa dépendance initiale temporaire à une puissance impériale. Il est caractérisé par une « logique d'élimination » des indigènes (génocide, nettoyage ethnique, oppression) et de « déshumanisation ». Au début, les colons sionistes ont été bien reçus par les Palestiniens, mais la résistance a commencé quand il est devenu clair que l'intention était de remplacer la population indigène, non de coexister. Des politiques comme le « Travail hébreu » (avoda aravit) visaient à exclure les Palestiniens du marché du travail. La résistance palestinienne doit être comprise comme un mouvement anticolonialiste légitime.
5. Les Palestiniens ont quitté volontairement leur patrie en 1948 ?
Ce mythe, propagé par la propagande israélienne, prétend que les Palestiniens sont devenus réfugiés parce que leurs dirigeants les ont incités à partir avant l'invasion des armées arabes en 1948. Pappe, s'appuyant sur des travaux comme ceux de Nur Masalha et sur sa propre recherche, affirme que cette idée de « transfert » était centrale dans la pensée sioniste dès les années 1930. David Ben-Gourion, le premier Premier ministre israélien, a explicitement soutenu le transfert forcé des Arabes, considérant cela comme essentiel pour la consolidation nationale. Le Plan Dalet (Plan D), élaboré en mars 1948, détaillait les méthodes d'expulsion massive des Palestiniens, incluant la destruction de villages. La « nouvelle historiographie » a prouvé qu'il n'y a eu aucun appel des dirigeants arabes pour que les Palestiniens partent. Les actions israéliennes de 1948 sont un nettoyage ethnique, un crime contre l'humanité, avec 531 villages détruits et la moitié de la population palestinienne expulsée. Ce crime n'a jamais été admis et a eu des conséquences durables, se poursuivant sous diverses formes après 1948 et 1967.
6. La guerre de juin 1967 était une guerre de « non-choix » ?
Ce mythe soutient qu'Israël a été contraint d'occuper la Cisjordanie et la bande de Gaza en 1967. Pappe réfute cette idée, arguant que la guerre de 1948 était perçue par l'élite israélienne comme une occasion manquée d'occuper toute la Palestine historique. Dès 1948, des sections importantes de l'élite israélienne cherchaient une opportunité pour rectifier cette « erreur historique fatale » et créer un « Grand Israël » incluant la Cisjordanie et la bande de Gaza. Malgré les préoccupations démographiques de Ben-Gourion, un lobby puissant au sein du gouvernement et de l'armée israéliens a planifié cette annexion. La crise de mai-juin 1967, exacerbée par la politique de la corde raide de Nasser et les provocations israéliennes à la frontière syrienne, a fourni l'opportunité recherchée. Les dirigeants israéliens n'avaient aucune intention de laisser le temps aux médiateurs de trouver une solution pacifique. L'occupation a été rapidement suivie par des décisions visant à coloniser les territoires et à dénier la citoyenneté à leurs habitants, les condamnant à une vie sans droits civils ou humains.
7. Israël est la seule démocratie au Moyen-Orient ?
Ce mythe présente Israël comme une démocratie bienveillante garantissant l'égalité à tous ses citoyens. Pappe soutient qu'avant 1967, et encore aujourd'hui, Israël ne peut être décrit comme une démocratie. Il a soumis un cinquième de ses citoyens palestiniens à un régime militaire draconien de 1948 à 1966, les privant de leurs droits fondamentaux. Des massacres comme celui de Kafr Qasim en 1956 ont eu lieu. Les politiques discriminatoires incluent la Loi du retour (citoyenneté automatique pour tout Juif) tout en rejetant le droit au retour des Palestiniens, la discrimination dans l'emploi et le logement (liée au service militaire) et le financement inégal des conseils locaux. Le Fonds National Juif (JNF) possède plus de 90 % des terres, privilégiant les projets juifs. Les Palestiniens sont exclus des colonies juives. Le traitement des Palestiniens sous occupation depuis 1967, privés de droits et sujets à des humiliations quotidiennes, révèle un « régime autoritaire du pire genre ». Des érudits israéliens critiques décrivent Israël comme une ethnocratie ou un État d'apartheid.
8. Les mythologies d'Oslo
Les accords d'Oslo de 1993 sont souvent considérés comme un processus de paix authentique. Pappe affirme qu'ils n'étaient pas un véritable processus de paix, mais une manœuvre israélienne pour approfondir l'occupation et obtenir l'assentiment palestinien. Les termes de l'accord étaient impossibles à respecter, exigeant de l'Autorité palestinienne d'agir comme sous-traitant de sécurité d'Israël et d'accepter l'interprétation israélienne du règlement final. Le processus était fondé sur la partition territoriale et l'exclusion du droit au retour des réfugiés. La proposition de solution à deux États est une idée israélienne, qui a toujours été suivie de violence, et a transformé la Cisjordanie et Gaza en cantons fragmentés, voire en Bantoustans (« fromage suisse »). L'« intransigeance » d'Arafat à Camp David en 2000 est un mythe ; il a refusé d'accepter une solution qui perpétuerait la réalité d'une vie palestinienne dégradée et sans espoir. La Deuxième Intifada (2000) fut une explosion de mécontentement face aux trahisons d'Oslo, aggravée par la provocation d'Ariel Sharon et la volonté de l'armée israélienne de « montrer sa force ».
9. Les mythologies de Gaza
Ce chapitre aborde trois mythes concernant Gaza :
• Le Hamas est une organisation terroriste : pour Pappe, le Hamas, qui a remporté les élections de 2006, est un mouvement de libération légitime et une réponse locale complexe à l'occupation. Le Hamas, issu des Frères musulmans, a bénéficié du soutien israélien dans les années 1980 comme contrepoids au Fatah laïc. Sa popularité a grandi grâce à son rôle dans la Seconde Intifada et à ses services sociaux face à l'échec des mouvements laïcs à soulager les souffrances quotidiennes sous occupation.
• Le désengagement israélien de 2005 était un acte de paix : le retrait unilatéral d'Israël de Gaza n'était pas un geste de paix, mais un déploiement stratégique pour renforcer le contrôle sur la Cisjordanie et transformer Gaza en une méga-prison surveillable de l'extérieur. Sharon a orchestré cette « mascarade » pour des raisons internes (corruption) et pour obtenir le soutien américain à l'annexion de la Cisjordanie.
• La guerre de Gaza est une guerre d'autodéfense ? Les opérations successives (First Rain, Summer Rains, Autumn Clouds, Hot Winter, Cast Lead, Pillar of Defense, Protective Edge) ont montré une escalade constante de la force, des cibles civiles et des victimes, dans le but d'affaiblir le soutien aux combattants du Hamas et de maintenir Gaza « au bord de l'effondrement » par un blocus sévère. L'ONU a même prédit que Gaza pourrait devenir inhabitable d'ici 2020 en raison de la « dé-développement ».
10. La solution à deux États est la seule voie à suivre ?
Ce mythe, constamment remis en avant, est en réalité un « cadavre ». Pappe explique que la colonisation continue de vastes parties de la Cisjordanie par Israël rend la solution à deux États invraisemblable, ne pouvant aboutir qu'à un Bantoustan palestinien sans souveraineté réelle, divisé en cantons isolés et dépendant d'Israël. Cette solution est une invention israélienne visant à maintenir le contrôle sur la Cisjordanie sans intégrer sa population. Pappe dénonce le lien entre cette solution et un nouvel antisémitisme, car elle repose sur l'idée qu'un État juif est la meilleure solution au « problème juif », assimilant Israël au judaïsme et détournant les critiques des actions israéliennes. Il appelle à la fin de cette « mascarade » et à un « nouveau dictionnaire » qui redéfinirait le sionisme comme colonialisme, Israël comme un État d'apartheid et la Nakba comme nettoyage ethnique.
Conclusion
L'État colonial de peuplement d'Israël au XXIe siècle Pappe conclut que l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, qui dure depuis cinquante ans, est mieux comprise comme une colonisation et un colonialisme de peuplement. La logique d'élimination et de déshumanisation est le moteur du conflit non achevé. Ignorer la question des réfugiés palestiniens et les crimes de 1948 sape toute tentative de réconciliation. Une solution juste et durable passe par la reconnaissance de ces faits historiques et l'établissement d'un État démocratique incluant tous ses habitants, où les colons juifs, devenus partie intégrante de la terre, ne sont pas retirés mais participent à un avenir d'égalité, non d'oppression. Cela implique de rejeter les mythes fondateurs d'Israël et de reconsidérer la Palestine comme la terre entre le fleuve et la mer, où la démographie, plutôt que la géographie, doit définir le chemin vers la paix et la justice.