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mercredi 10 septembre 2025

Correspondances saisissantes entre un fragment des manuscrits de la mer Morte (4Q521) et le Nouveau Testament (Luc et Matthieu).


Parmi les manuscrits de la mer Morte rendus publics dans les années 1990 — après avoir été conservés durant des décennies par le comité officiel — l’un des plus énigmatiques est un fragment désormais désigné par la plupart des chercheurs sous le nom d’« Apocalypse messianique » (4Q521). Ce document, daté de la période préchrétienne (IIᵉ ou Iᵉʳ siècle avant notre ère), offre des éléments particulièrement frappants pour rapprocher les croyances et les espérances messianiques de la supposée communauté de Qumran, révélée en 1947, de celles du christianisme naissant.

Trois traits méritent tout spécialement l’attention :
1. Le texte évoque une figure unique du Messie, investie d’un pouvoir sur le ciel et sur la terre.
2. Il exprime, en des termes explicites, l’attente d’une résurrection des morts au temps de ce Messie.
3. Enfin, et c’est sans doute l’aspect le plus significatif, il recèle une formule identique à celle que l’on retrouve dans les Évangiles de Matthieu et de Luc pour désigner les « signes » messianiques.

Extrait du fragment 4Q521 :

« Les cieux et la terre écouteront leur Messie (…)
Le Seigneur se penchera sur les pieux et appellera les justes par leur nom.
Sur les pauvres, son esprit se répandra, et il fortifiera les fidèles par sa puissance.
Il glorifiera les saints sur le trône du Royaume éternel.
Celui qui délivre les captifs, rend la vue aux aveugles (…)
Le Seigneur accomplira des merveilles inédites (…)
Pour guérir les blessés, ressusciter les morts et annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. »

Cet accent particulier trouve un parallèle direct dans la réponse que Jésus donne aux disciples de Jean-Baptiste :

« Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. »
(Luc 7,22-23 ; Matthieu 11,4-5)

Or, dans toute la Bible hébraïque, aucune figure messianique n’est associée à l’action de ressusciter les morts. L'Ancien Testament n’attribue jamais la résurrection de la fin des temps à un médiateur particulier : elle s’accomplit sans intervention extérieure, qu’elle soit celle de Dieu ou du Messie. Pour la première fois dans la tradition apocalyptique juive, ce fragment confère à un agent précis — en l’occurrence le Messie — le rôle d’opérateur de la résurrection.

Et lorsque l’on se tourne vers Matthieu et Luc, on retrouve deux affirmations liées : « les morts ressuscitent, les pauvres entendent la bonne nouvelle », exactement comme dans le texte de Qumran.

Ainsi, ce manuscrit des grottes de la mer Morte, mis en relation avec les Évangiles, nous ramène à une tradition commune très ancienne du judaïsme palestinien concernant les « signes du Messie ». Il éclaire les attentes partagées par différents courants dissidents ou baptistes, intimement liés les uns aux autres, dont certains — tel Jean le Baptiste — s’étaient retirés au désert pour « préparer la voie du Seigneur » (Isaïe 40,3). Ces groupes semblent avoir eu en partage un ensemble bien défini d’espérances, s’appuyant de manière étonnamment convergente sur un même noyau de textes prophétiques de la Bible hébraïque et de la littérature juive apparentée.