"Veiller sur le trésor des formes sacrées et les préserver dans
l'indifférence ou la haine générale est en soi un honneur suffisant pour
illuminer une vie. Au reste, pour celui qui a une fois compris la
fonction matricielle et le pouvoir structurant des formes spirituelles
et des rites que la tradition nous a livrées et a confiées à notre
générosité, il ne saurait en aller autrement. Il sait bien que ce sont
ces formes qui édifient l'humanité et la sauvent perpétuellement d'un
aplatissement toujours menaçant, en même temps qu'elles offrent au
rayonnement de l'esprit une expression qui ne soit pas trop indigne de
sa gloire. Parce qu'elles sont sacrées, c'est-à-dire séparées, parce
qu'elle rompent délibérément avec les formes profanes de la vie
quotidienne, elles introduisent dans le tissu de l'existence humaine
cette distance salvatrice où seulement peut respirer la liberté de
l'homme et où seulement il trouve à se dépasser. Et c'est alors, dans
cet arrachement et ce vide soudain béant, que l'Esprit peut verser l'eau
vive de sa grâce et répandre le feu de sa lumière. Devant ces vérités
qui s'imposent à son intelligence, l'homme de tradition ne peut faire
autrement que de se mettre à leur service et de s'engager dans une
indéfectible résistance spirituelle" (Jean Borella, Le Sens du
surnaturel, 1996).