"Les plus gros
scandales ayant éclaboussé Jean-Marie Le Pen, les affaires qui le marquent comme
un galérien et le tiennent à l’écart de la respectabilité républicaine, lui interdisant
de facto toute possibilité d’alliance
avec les autres partis, ne sont pas celles nées de ses plaisanteries acerbes sur les Arabes
ou les Roms, mais celles concernant d’abord et avant tout
ses déclarations plus ou moins bienséantes sur les juifs. De ce côté-là, rien
ne lui est pardonné. Dès qu’il commet un faux pas, on sonne le shofar. Au
moindre esclandre avec la communauté organisée, le malaise devient universel et
les punitions réclamées ne sont pas loin d’être dignes d’un régicide. Dès que
le FN approche des 20% d’intention de vote, une affaire de ce genre est jetée
dans les jambes de Le Pen. Alors on le tance, fustige, condamne avec une
rigueur particulière, l’excluant avec une férocité sans nom, mais au nom, tout
de même, des Six Millions – basse continue jouée par la nouvelle
cléricature composées de tyranneaux inaccessibles à l’objection, en proie à une
compulsion de répétition qui confine à la pulsion de mort.
Comme pour
Dieudonné, le droit au rire a trouvé sa limite d’expression infranchissable. Son
mur du son. Tolérance zéro. Ni oubli ni pardon ; contre leurs
supposées dérives, on largue en représailles un bon paquet de bombes
au phosphore blanc médiatiques ! La guerre sale est menée dans
toute sa quotidienne désinvolture. Dans une vidéo sortie en juillet 2014 et réalisée
par une Franco-israélienne
surnommée Esti, le député replet Meyer Habib (UDI), lui-même
binational, faible penseur mais ancien gros
bras de l’Organisation juive de combat, fait l’apologie des « valeurs de
vengeance qui appartiennent au peuple juif ». Les initiés auront compris.
Le
« détail », Carpentras, « Durafour-crématoire » :
ces tâches indélébiles mettent un terme immédiat à toute discussion portant sur
l’intégration du FN dans la vie politique commune. Inutile d’essayer de
poursuivre la conversation, c’est peine perdue. Les citoyens qui se tiennent
les côtes quand « le Vieux » raconte avoir acquis une maison à la
campagne pour que ses enfants puissent voir « des vaches au lieu de voir des
Arabes », ceux-là qui partagent son avis quand il carillonne que
« 90% des faits divers sont le fait d’immigrés ou de descendants
d’immigrés », sont
alors frappés de stupeur, comme victimes d’une commotion cérébrale ou
d’un rituel vaudou. Pourquoi ? Parce que les dérapages sur les Arabes sont
admis, tandis que ceux sur les juifs sont interdits. Manuel Valls, entre
autres, l’a déclaré sur un ton ne souffrant pas de réplique : « La
Shoah, l'extermination des juifs, le génocide, doivent être sacralisées,
sacrées » ; « Les juifs sont
l’avant-garde de la République ». C’est
ainsi. Quelle autre communauté peut en France se targuer de ce statut hiératique
? Y aurait-il des nobles et des ignobles ? Étudiez l’héliotropisme, cela peut
servir.
Pourtant, si le
FN annonce sur toutes les ondes vouloir renvoyer les immigrés « chez
eux » pendant qu’il réservera l’emploi aux « Français d’abord »,
il n’a oncques fait figurer dans son programme la plus moléculaire discrimination
à l’égard des Français juifs – comme ce fut le cas jadis du statut des
juifs du maréchal Pétain, qui leur interdisait en principe d’exercer dans la
fonction publique, le commerce ou l’industrie. Dans le programme du FN d’hier
et d’aujourd’hui on chercherait en vain une ligne sur ceux qu’on appelait jadis
« les
israélites ».
Pas une fois le Menhir n’a appelé à des actes criminels ou délictueux à leur
encontre, à je ne sais quel autodafé ni à quelque pogrom que ce soit. Il ne lui
est pas arrivé, après boire, de demander à ses compatriotes juifs mécontents de
la politique menée par le Quai d’Orsay d’aller voir ailleurs si l’herbe est
verte et les plaines fertiles, autrement dit d’accomplir leur alyah (« montée ») en Terre
promise. Évidemment, faut-il le préciser, il a moins encore évoqué leur
déportation, pour ne pas parler de leur extermination ! Ce sont les Nord-Africains
et les immigrés délinquants
profitant au petit bonheur de la CAF et des avantages de la CMU qu’il fustige
comme « Français de papier », non pas les sionistes, les marchands de
jeans du Sentier, les fourreurs du faubourg Poissonnière
(désormais remplacés par les Chinois, pour autant que je sache) ou les
chanteurs à pseudonyme ayant tendance à passer par pertes et profits les frappes chirurgicales de l’armée la plus
morale du monde, celle qui envoie des SMS avant de bombarder les écoles. Si
Le Pen s’est écarté de la politique israélienne, qu’il s’est permis de
gourmander, ce n’est pas davantage, sinon moins, que le Nouveau parti
anticapitaliste, Lutte ouvrière, le PCF ou le Front de gauche, qui ne
s’en privent guère
au grand bonheur de ses troupes et supplétifs, « antifas » en tête. Quant à ses tentatives de
rapprochement avec l’État dit hébreu et de réconciliation avec les Français
juifs, elles ont rarement, pour ainsi dire jamais, été relayées par les médias
dominants ni commentées en public, y compris au sein de son propre parti et de
la presse acquise à sa cause.
C’est un fait
solidement établi en revanche que le Trinitain s’est sans cesse – et rudement – confronté aux
organisations supposées représentatives de la communauté juive (qui dans les
faits ne représentent qu’un sixième des Français juifs – voir mon Sarkozy, Israël et les juifs, Oser dire,
2009) et à leurs relais associatifs et médiatiques, toujours prompts à lui
faire payer, au propre et au
figuré, le prix fort de ses écarts de langage. Tête de bois, le Breton Le
Pen n’a pas daigné passer sous leurs fourches caudines, pas plus qu’il ne s’est
résolu à révérer les tabous qu’elles imposent au pays avec un aplomb qu’il
n’est pas le seul à estimer lassant. En conséquence de quoi, elles le traînent
devant les tribunaux à la moindre occasion, au plus modique dérapage, ce sport
médiatique que Le Pen affectionne et désigne crânement comme « du
hors-piste ».
Avec ces
syndicats israéliens autoproclamés gardiens de la Mémoire, c’est la guerre de
tranchée. Les médias en font grand cas, comme si un jeu de mots moqueur valait
un génocide dans la nuit et le brouillard, et ils perpétuent in omnia saecula saeculorum le souvenir des célèbres
« propos nauséabonds », selon l’expression stéréotypée de ces
journalistes incultes qui, pour George Bernard Shaw, sont « incapables de
faire la différence entre un accident de bicyclette et l’effondrement d’une civilisation ».
C’est saisissant
: quand cette nouvelle forme de Terreur morale s’abat comme la masse de
Capitaine Caverne sur le FN, il n’est jamais loin d’une douloureuse crise
interne, avec départs en catastrophe, branle-bas de combat et communiqués
affolés, signe que le blocage des mentalités s’est impatronisé jusqu’au plus profond des
esprits. Depuis longtemps, Marine Le Pen, élue présidente du Front au congrès de
Tours en 2011, tente par tous les moyens de se débarrasser de l’image infamante
d’antisémitisme qui colle à la peau du FN comme le morceau de sparadrap au
capitaine Haddock dans Vol 714 pour
Sidney. L’affaire risible de la fournée,
en juin 2014, lui a donné une énième occasion de prendre ses distances avec un
cliché qui manifeste toutes les apparences d’une névrose de destin. Enclins à
pratiquer la psychanalyse de bistrot quand ils ne désirent pas aller au fond
des événements qu’ils décrivent, les médias ont évoqué un « parricide »,
alors qu’il était surtout question pour Marine de tenter de dédiaboliser son
parti, afin de le rendre acceptable aux yeux du grand nombre en commençant,
noblesse oblige, par les faiseurs d’opinion au premier chef desquels on compte l’« insupportable
police juive de la pensée », selon l’inégalable expression d’Annie Kriegel
(Le Figaro,
3 avril 1990).
Nul Einstein ne
peut établir selon des critères scientifiques si Le Pen nourrit au fond de lui
une répulsion irrépressible pour la communauté juive. Les secrets de l’esprit
sont à triple, quadruple fond. Lui garantit qu’il ne l’est pas. Quand bien même
certains seraient assurés en leur for intérieur de l’antisémitisme de Le Pen
père, encore faudrait-il être capable d’en estimer le degré et de démontrer que
ses remarques provocatrices ne sont pas seulement une réaction d’humeur
intempestive face aux attaques paroxystiques dont il est l’objet de la part du Conseil représentatif des institutions juives de
France (CRIF), de la Ligue internationale contre le racisme et
l'antisémitisme (LICRA) et des autres associations sionistes
faisant régner la loi et l’ordre en France. L’antisémitisme est devenu l’arme
ultime pour mettre hors-jeu un adversaire encombrant. À tous les coups l’on
gagne ; c’est le fer à cheval dans le gant de boxe. L’insulte est utilisée
à tout propos, rendant suspects de mauvaise foi ceux qui s’emparent d’un
qualificatif « trop facile, injuste, pas très intelligent, sournoisement
démagogique en nous faisant passer pour raciste ; et, en fin de compte – et là est le pire – totalitaire, en ce que
cette attitude exclut tout dialogue » (Georges, Haldas, Pâques à
Jérusalem, L’Age
d’Homme, 1995) . Il
s’agira, un jour, de commencer par ne plus jamais en tenir compte."
Paul-Éric Blanrue