- Pour pouvoir mépriser ceux qui le méritent comme ils le méritent (c'est-à-dire les cinq sixièmes de l'humanité), il faut avant tout qu'on ne les haïsse pas. Il faut donc éviter de laisser monter la haine en soi. Car ce que l'on hait, on ne le méprise pas totalement. Ou, pour prendre les choses par l'autre bout : le moyen le plus sûr d'éviter de haïr les hommes est de les mépriser.
- Parce que le respect diminue à mesure que l'intimité grandit, étant donné que les tempéraments communs ont pour habitude de traiter sans considération tout ce dont on ne leur rend pas l'accès difficile, on est obligé d'aller contre son penchant naturel pour la convivialité, et de s'astreindre à faire de celle-ci l'usage le plus modéré possible.
- Mieux vaut ne pas parler du tout que d'entretenir la maigre et poussive conversation qu'offrent habituellement les bipèdes et où, pour des convenances aussi stupides que nécessaires, il n'est pas permis de dire les trois quarts de ce qui vous vient à l'esprit, où l'entretien n'est en réalité rien d'autre qu'un pénible exercice de corde radie sur le fil étroit de ce qu'il est consenti de dire sans danger.
- Les hommes sont ce qu'ils ont l'air d'être.
- À ceux qui voudraient l'abolir il faut répondre : "Commencez par extirper le meurtre du monde : et la peine de mort suivra".
- De même que les couches de la terre conservent en rangées les créatures vivantes d'époques passées, de même les étagères des bibliothèques gardent bien ordonnées les erreurs passées et leurs descriptions qui, tout comme les premières, avaient été très vivantes et bruyantes en leur temps, mais qui, désormais rigides et pétrifiées, n'intéressent plus que le paléontologue de la littérature.
- Ce serait bien d'acheter des livres si l'on pouvait acheter aussi le temps de les lire, mais on confond le plus souvent l'achat des livres avec l'appropriation de leur contenu.
- À ces messieurs du creuset et de la cornue, il faut faire comprendre que la chimie à elle seule rend apte à être pharmacien, mais non pas philosophe.
- Abondamment bouffer, boire, se multiplier et crever : voilà la paraphrase de leur "fin en soi" et le but du "progrès sans fin de l'humanité", qu'ils proclament inlassablement dans une pompeuse phraséologie.
- Si on pouvait castrer tous les fripons et fourrer dans un couvent toutes les bécasses, donner aux personnes de noble caractère tout un harem et procurer à toutes les jeunes filles d'esprit et de raison des hommes, des hommes complets, on obtiendrait bientôt une génération qui irait au-delà de l'ère de Périclès.
- Seules les pensées que l'on a soi-même sont vraies et vivantes ; car ce sont les seules qu'on comprend. Les pensées étrangères, lues, sont des chiures de merde.
- Du point de vue de notre lecture, l'art de ne pas lire est très important. cela consiste à laisser de côté justement ce qui, à tout moment, intéresse le grand public.
- Les amis se disent sincères ; les ennemis le sont.
- La prétendue absence de droits des animaux, l'illusion selon laquelle nos actes à leur égard n'ont aucune signification morale ou, comme le dit le langage de cette morale, qu'il n'y a pas de devoir envers les animaux, cette idée est vraiment une brutalité scandaleuse et une barbarie propre à l'Occident, dont la source réside dans le judaïsme.
- Dans la nature, il n'existe qu'une créature qui ment : c'est l'homme. Toutes les autres sont franches et authentiques, elles se donnent ouvertement pour ce qu'elles sont et s'expriment comme elles se sentent.
- Dans tous les pays, le jeu de cartes est devenu l'occupation principale de toute la société : il est la mesure de la valeur de celle-ci et la faillite déclarée de toutes les idées. Parce qu'ils n'ont pas d'idées à échanger, ils échangent des cartes et chacun tente de gagner des florins aux dépens des autres.
- Clio, la muse de l'Histoire, est complètement infectée par le mensonge, comme l'est par la syphilis une putain.
- Le bruit est le plus impertinent des dérangements, car il dérange même nos pensées, pour ne pas dire qu'il les met en pièces. Mais lorsqu'il n'y a rien à déranger, il ne sera, bien entendu, pas particulièrement perçu.
- La première règle du bon style - presque suffisante à elle seule - est que l'on doit avoir quelque chose à dire : oh, cela peut mener loin !
- Quant à la polygamie, il n'y a pas lieu d'en débattre, car il faut la prendre comme un fait universellement répandu, dont seule la régulation est un devoir. Où donc existe-t-il de véritable monogames ? Nous tous vivons, du moins un certain temps, mais le plus souvent toujours, dans la polygamie. Comme chaque homme a besoin de beaucoup de femmes, c'est justice qu'il soit libre, voire que son devoir soit de prendre en charge beaucoup de femmes. Voilà qui ramènera aussi la femme à son statut juste et naturel, en tant que créature subordonnée, et la Dame, ce monstre de la civilisation européenne et de la bêtise germano-chrétienne, avec ses prétentions ridicules au respect et à la vénération, sera expulsée de ce monde et il n'y aura plus que des bonnes femmes, mais non plus des bonnes femmes malheureuses, dont l'Europe est remplie actuellement.
- En dépit de la prospérité des États-Unis, nous y trouvons comme mentalité dominante le vulgaire utilitarisme, avec son inévitable accessoire, l'ignorance, qui a ouvert la voie à la bigoterie anglicane, la sotte suffisance, la brutale rusticité associée à la niaise vénération pour la femme. Et des choses pires sont à l'ordre du jour là-bas : notamment un esclavage des nègres qui crie vers le ciel en même temps qu'une extrême cruauté envers les esclaves, une répression des plus injustes envers les Noirs libres, le lynch-law.
Extraits de L'Art de l'insulte (Points essais, 2004) et L'Art de se connaître soi-même (Rivages poche, 2015).