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jeudi 21 août 2025

Jésus dans le Talmud, de Peter Schäfer.




Peter Schäfer (né en 1943 à Mülheim, Allemagne) est un grand spécialiste allemand du judaïsme ancien et du christianisme primitif. Professeur à la Freie Universität de Berlin (1983-2008), puis titulaire de la chaire d’études juives à Princeton (1998-2013), il est reconnu pour ses travaux sur le judaïsme rabbinique, la mystique juive, la magie juive et l’histoire du judaïsme tardif. Auteur prolifique, il a publié de nombreux ouvrages, articles et éditions critiques. Il a dirigé le Musée juif de Berlin de 2014 à 2019, mais a démissionné après des polémiques liées à la position du musée sur le mouvement BDS. Sa démission a suscité un large soutien de la part de directeurs de musées et d’universitaires en études juives. Schäfer est membre de l’American Academy of Arts and Sciences et de l’American Philosophical Society. Il a reçu plusieurs distinctions, dont le Prix Leopold Lucas (2014) et l’ordre Pour le Mérite pour les sciences et les arts (2021). Pour "Jesus in the Talmud", il a bénéficié des relectures et des suggestions de chercheurs notables, tels que Richard Kalmin du Jewish Theological Seminary of America et son mentor, Martin Hengel, pour la rédaction de son manuscrit.


Jesus in the Talmud (2007) explore la représentation de Jésus de Nazareth dans le Talmud, le document fondamental du judaïsme rabbinique de l'Antiquité tardive. L'auteur rejette l'idée que le Talmud est une source historique non fiable pour Jésus, comme l'a suggéré Johann Maier, auteur de livres de référence sur Jésus. Au lieu de cela, le livre postule que les récits rabbiniques sur Jésus sont des contre-récits délibérés et sophistiqués aux histoires de sa vie et de sa mort dans les Évangiles. Ces récits supposent une connaissance détaillée du Nouveau Testament, en particulier de l'Évangile de Jean.

Le livre met en évidence une distinction significative entre les sources palestiniennes et babyloniennes. Les sources palestiniennes sont plus retenues, se concentrant sur les origines de l'Église chrétienne et la menace qu'elle représente pour l'autorité rabbinique. En revanche, le Talmud de Babylone (Bavli) est beaucoup plus direct et audacieux dans son traitement de Jésus, de sa vie et de sa destinée. Cette différence est attribuée aux contextes historiques et politiques distincts : les juifs de Palestine étaient sous la domination romaine et chrétienne croissante, tandis que les juifs de Babylone, dans l'Empire sassanide, vivaient dans un environnement non-chrétien, voire anti-chrétien, leur permettant d'exprimer plus librement leurs sentiments anti-chrétiens.

Le livre organise les récits talmudiques sur Jésus autour de plusieurs motifs principaux :

• La famille de Jésus et la sexualité : Le Talmud babylonien présente Jésus comme un mamzer (BÂTARD), le fils d'une femme adultère nommée Miriam et d'un certain Pandera, supposément un soldat romain. Ce récit est une parodie directe de l'affirmation du Nouveau Testament selon laquelle Jésus est né d'une vierge et est d'origine davidique. L'auteur souligne que le fait d'être un bâtard limitait l'intégration de Jésus dans la communauté juive, l'empêchant de fonder un "nouveauIsraël".

• Jésus comme mauvais disciple : Le Talmud dépeint Jésus comme un fils ou un disciple qui "gâche son plat" (maqdiah tavshilo) en menant une VIE LICENCIEUSE, suggérant une infidélité conjugale, possiblement liée à Marie Madeleine. Une autre histoire le décrit comme un "disciple frivole" de Yehoshua b. Perahya, qui, après un malentendu et l'excommunication, se tourne vers l'idolâtrie et donne naissance à la secte chrétienne.

• La magie de Jésus : Jésus est qualifié de SORCIER ou de magicien, ayant acquis des pouvoirs en Égypte. Les récits incluent des guérisons effectuées "au nom de Jésus fils de Pantera/Pandera" par des hérétiques, ce qui, pour les rabbins, représentait une menace à leur autorité. Le Talmud critique non pas la magie en soi, mais l'autorité concurrente qu'elle implique.

• L'exécution de Jésus (idolâtrie et blasphème) : Le Talmud babylonien décrit l'exécution de Jésus non pas par crucifixion romaine, mais par lapidation suivie de pendaison, conformément à la loi juive. La raison invoquée est qu'il a pratiqué la sorcellerie et a "entraîné et séduit Israël "(vers l'idolâtrie). Le Talmud insiste sur la responsabilité juive, affirmant que Jésus a été LÉGITIMEMENT EXÉCUTÉ comme blasphémateur et idolâtre. La mention d'une annonce publique par un héraut 40 jours avant l'exécution est interprétée comme une moquerie des prophéties de Jésus concernant sa résurrection.

• Les disciples de Jésus : Le Talmud présente cinq disciples de Jésus (Mattai, Naqqai, Netzer, Buni, Todah) et leurs "batailles de versets bibliques" avec les juges. Ces dialogues sont des parodies théologiques des affirmations chrétiennes sur la messianité de Jésus, son innocence, sa Résurrection, sa filiation divine, et son rôle de sacrifice de la nouvelle alliance.

• Le châtiment de Jésus en Enfer : L'un des récits les plus étranges du Talmud babylonien dépeint Jésus subissant un châtiment éternel en ENFER, assis dans des EXCRÉMENTS BOUILLANTS. Cette punition est interprétée comme une parodie malveillante de l'Eucharistie et de la promesse de Jésus que ceux qui mangent sa chair et boivent son sang auront la vie éternelle.

En conclusion, le livre soutient que les textes du Talmud babylonien, malgré leur fragmentation et l'influence de la censure chrétienne visible dans les manuscrits ultérieurs, constituent un contre-Évangile audacieux et puissant. Ils révèlent une communauté juive confiante qui utilise la parodie, l'inversion et la distorsion délibérée pour contester les fondements de la foi chrétienne, en particulier l'Évangile de Jean, connu pour son fort penchant anti-juif.

Méfiez-vous de ceux qui vous disent que Jésus n'apparaît pas dans le Talmud : ce sont des menteurs.

Paul-Éric Blanrue.