"Le FN
forme en réalité un système avec les partis qu'on dit à tort
«républicains» alors qu'ils sont de purs simulacres, de simples écuries
présidentielles ayant réussi à vider le débat politique de tout contenu,
en détournant l'attention des Français vers un péril imaginaire, à
chaque fois que de véritables choix politiques étaient nécessaires. Ces
partis sont en réalité des factions, c'est-à-dire non des partis au sens
de la partie au service du tout, poursuivant un véritable projet
politique, mais des partis inféodés à l'ambition d'un homme ou de
quelques-uns. Les divisions qui structurent le système des partis ne
sont plus des divisions politiques, mais des divisions quant à la
possession des places et l'obtention du pouvoir personnel. Le système
des partis est ainsi devenu un système des factions -selon la fameuse
distinction de Burke- incapable d'exprimer une véritable politique, et
ne servant plus que des ambitions personnelles. (...) Pour sortir de
l'impasse dans laquelle nous sommes, il ne suffira donc pas de choisir
entre une voie FN et une voie prétendument républicaine. Cette
alternative là est un leurre. Lorsque Marine Le Pen attaque le système
UMPS, elle oublie qu'elle participe elle-même au dispositif qu'il
faudrait appeler UMPS/FN. C'est l'enfermement des Français dans ce
dispositif qui constitue l'impasse française. (...) L'arrivée au pouvoir
du FN ne changerait ainsi fondamentalement rien à la donne, même si on
peut penser que seule cette accession au pouvoir pourrait révéler aux
Français la gravité de leur situation. En arrivant au pouvoir, le FN
révélerait que l'altérité qu'il incarne est une pure illusion, créée par
le dispositif qu'il alimente depuis l'origine. En réalité, le FN occupe
dans le système des partis ayant détruit la République depuis les
années 70 la même place qu'occupait l'union de la gauche avant 1981, et
il y a fort à parier qu'il provoquerait, parvenu au pouvoir, la même
brutale désillusion que le pouvoir socialiste en son temps.(...) On ne
peut en effet prendre la mesure de l'extraordinaire hallucination
provoquée par le FN dans la vie de ce pays si l'on ne réalise pas
qu'elle est le symptôme d'un désir profond que tout change pour que rien
ne change. Si le FN est effrayant, ce n'est pas par son extrémisme,
mais par la névrose de répétition de la société française dont il est le
symptôme. Il incarne l'aboutissement de la dépolitisation totale de la
France depuis l'après-guerre, par-delà le sursaut gaullien. L'évolution
du FN vers une sorte de socialisme national est, à cet égard, tout à
fait révélatrice. Ce que le FN veut conserver, ce n'est pas la tradition
républicaine redécouverte par De Gaulle, c'est L'État-Providence
réservé au nationaux. L'Immigration et l'Europe, là dedans, ne sont
qu'une variable d'ajustement au système des partis: Mitterrand, c'était
l'État-Providence grâce à l'Immigration et à l'Europe, Marine Le Pen
c'est l'État-Providence grâce à l'absence d'Immigration et d'Europe.
Dans les deux cas, il faut tout changer pour que rien ne change,
c'est-à-dire pour que se poursuive l'illusion d'une réalisation totale
de l'individu à l'ombre d'un État tout puissant. Les Français, là
dedans, continuent à être pris pour des enfants, et non pour un peuple
capable de liberté."