Emil Cioran (1911-1995), La Tentation d'exister (1956, Idées NRF, Gallimard, 1974), au chapitre "Un peuple de solitaires", p. 69-103 :
"Excessif en tout, émancipé de la tyrannie du paysage, des niaiseries de l'enracinement, sans attachés, acosmique, il est (...) l'étranger en soi et qui ne saurait sans équivoque parler au nom des indigènes" (p. 70-71) ; "Rien de naturel, de végétal en eux, nulle "sève", nulle possibilité de se flétrir. Dans leur pérennité, quelque chose d'abstrait, mais non d'exsangue, un soupçon de démoniaque, donc d'irréel et d'agissant à la fois, un halo inquiétant et comme un nimbe à rebours qui les individualise à jamais (p. 82) ; "Au temps où ils vivaient d'usure, n'approfondissaient-ils pas en secret la Kabbale ? Argent et mystère (...) S'acharner contre eux, les combattre ? Seul l'insensé s'y risque : lui seul ose affronter les armes invisibles dont ils sont munis." (p. 86) ; "Leur ironie sent le fiel rentré ; c'est une aigreur de longue date : envenimée, ses traits tuent. Elle participe, non point du rire qui est détente, mais du ricanement qui est crispation et revanche d'humiliés. Or, reconnaissons-le, les Juifs sont imbattables dans le ricanement." (p. 90)