Dans la tradition orthodoxe, l’amour n’est pas une émotion mais une réalité ontologique. Il ne se “ressent” pas, il se vit. Dire que “Dieu est amour” (1 Jn 4,8), ce n’est pas dire qu’Il éprouve de la tendresse : c’est dire qu’Il est relation, don de soi, communion absolue. L’amour n’est pas un élan du cœur, mais une participation à l’être divin. Saint Basile le disait : « Aimer Dieu, ce n’est pas s’émouvoir, mais devenir semblable à Lui. »
Le sentiment, lui, change avec la psychologie. Il s’enfle et s’éteint. L’amour véritable demeure parce qu’il procède de Dieu, non de l’homme. Il n’est pas une chaleur du cœur, mais une volonté transfigurée par la grâce. Le Christ sur la croix n’a pas “ressenti” de la tendresse : Il a aimé jusqu’à se livrer. L’amour, pour les Pères, n’est pas un plaisir mais un crucifiement libre.
Saint Maxime le Confesseur voyait dans l’amour la plus haute énergie divine : aimer, c’est refuser toute séparation. Celui qui aime véritablement ne cherche plus à posséder, mais à donner. Saint Isaac le Syrien allait plus loin : « Un cœur miséricordieux brûle pour toute la création, même pour les démons. » L’amour chrétien n’est pas doux au sens psychologique : il est feu et compassion, douleur et lumière à la fois.
Saint Jean Chrysostome rappelait : « Ne me parle pas d’amour si tu ne nourris pas celui qui a faim. » L’amour, ici, est concret, incarné, liturgique. Il s’exprime dans le service, pas dans le sentiment. Là où le sentiment cherche à être comblé, l’amour cherche à s’accomplir dans le don.
Les mystiques hésychastes parlent d’un amour “ivre sans vin, brûlant sans feu”. Ce n’est pas un tumulte, mais une paix. L’amour purifié n’agite pas le cœur, il l’apaise. C’est un amour devenu prière : non plus émotion, mais présence.
Vladimir Lossky résume : « Dieu n’aime pas parce qu’Il ressent, mais parce qu’Il est. » Paul Evdokimov ajoute : « L’amour chrétien n’a rien de sentimental ; il est un crucifiement joyeux. » Le sentimentalisme moderne se regarde aimer ; l’amour chrétien s’oublie dans la lumière.
L’amour n’est pas une exaltation du moi, mais une sortie de soi vers Dieu et vers autrui. Il n’est pas un frisson, mais une transfiguration. Le Christ n’a pas dit : “Ressentez-vous les uns les autres”, mais : “Aimez-vous.”
Aimer, dans la foi, c’est consentir à mourir à soi pour que l’autre vive. Et c’est pourquoi l’amour véritable ne passe pas — parce qu’il est de l’éternité même de Dieu.
« Aime, et tu deviendras comme Lui, car Il est Amour » ( Saint Isaac le Syrien).