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jeudi 23 octobre 2025

Pas de Dieu ? Pas de science !



Ce livre de Michael Hanby propose une thèse radicale et simple : sans Dieu, il n'y a pas de science, et aucun compte rendu scientifique du monde ne peut se justifier en dehors de Dieu, sans qui il n'y a pas de « monde ».

Hanby vise à inverser l'ordre standard de la conversation entre la science et la théologie, qui est souvent dominée par l'hypothèse que l'avènement du darwinisme a prononcé le verdict final sur toute explication métaphysique de la réalité.

L'ouvrage est une œuvre d'une érudition et d'une perspicacité stupéfiantes, offrant une critique dévastatrice du manque de sérieux scientifique et théologique, ainsi qu'un argument constructif pour la vision métaphysique qu'il défend. Il trouve un terrain d'entente plus fructueux pour ces disciplines dans la métaphysique, permettant à la théologie d'aider la science à être une meilleure science.

L'argument philosophique de Hanby est que l'acte de connaissance scientifique commence d'un point plus profond que ce que les philosophies réductionnistes, comme la disjonction cartésienne de la res cogitans et de la res extensa, ne le laisseraient croire. La science, lorsqu'elle prétend à la neutralité, opère déjà à partir d'une métaphysique et d'une théologie implicites.

Il démontre que l'idée même de cosmos est irréductiblement métaphysique et théologique, l'unité de l'univers étant une unité de l'être en tant qu'acte. La pensée grecque, notamment chez Platon (Timée) et Aristote, a développé cette notion de cosmos, bien qu'Aristote n'ait jamais pu concilier le mouvement (kinēsis) et le lieu (topos) avec un univers infini par ses seules ressources. Le Christianisme, avec la doctrine de la création ex nihilo, apporte l'achèvement à cette aspiration cosmologique. L'Incarnation du Christ, en particulier, a mis en lumière l'intimité profonde entre les doctrines de Dieu et de la création, et a rendu possible la distinction réelle (distinctio realis) entre l'être (esse) et l'essence (essentia) dans la créature.

L'auteur analyse la fragmentation de cette réalisation cosmologique. Il considère le début de la science moderne au XVIIe siècle comme une révolution métaphysique et théologique. Ces jugements métaphysiques persistent dans la structure ontologique de la science moderne, notamment via Descartes et Newton. L'un des points fondamentaux de cette révolution, tel que manifesté chez Francis Bacon, fut de redéfinir les « vrais buts de la connaissance » en les alignant sur l'« utilité et les bénéfices de la vie ». Cela a inversé l'ordre traditionnel de la contemplation et de l'action, réduisant la vérité à la fonction.

Cette révolution a impliqué la réduction de l'être de l'acte à la facticité brute (positiva), et la réduction de la nature à l'artifice. Pour Descartes, l'acte de l'origine de la science moderne fut une tentative violente de refuser la vérité du monde, conduisant à une césure infranchissable entre la pensée et le monde, la matière et le sens. Pour Newton, l'essence du corps fut réduite à des « quantités déterminées d'étendue », et la matière fut vidée de toute intelligibilité intrinsèque, existant essentiellement en dehors de la forme. L'idéal mécaniste qui en résulte se caractérise par l'extériorité des parties les unes par rapport aux autres. Cette ontologie externaliste et mécaniste est inadéquate, car elle ne peut rendre compte de la vérité et de l'unité des choses, et elle postule illégitimement une theologia naturalis.

Darwin lui-même est considéré comme un théologien implicite qui a construit sa théorie sur les fondations métaphysiques du XVIIe siècle. Darwin concevait l'organisme comme un artefact, une « somme d'artifices » construits par la sélection naturelle, dont l'unité est extrinsèque, résidant dans l'esprit du fabricant (ou de la sélection). Hanby affirme que le darwinisme, en réduisant la nature à l'artifice et l'être à l'histoire, est contredit par la vie vécue des organismes et la structure même de la cognition. Le darwinisme menace de réduire les organismes à des agrégats (sans unité intrinsèque), et de transformer la notion d'espèce en un nominalisme généalogique.

L'auteur montre comment, dans la biologie évolutionniste, l'organisme a été progressivement évacué en tant que sujet d'étude. L'organisme est réduit à l'interaction coordonnée de ses parties et à la somme des causes historiques. Cette vision découle de la primauté accordée au gène comme unité de sélection et d'information, une approche qui, bien que critiquée par les théories du développement (Developmental Systems Theory), a souvent du mal à s'affranchir complètement de l'ontologie mécaniste. L'organisme est un unum per se dont l'unité ontologique précède son développement, un fait contredit par la réduction de l'être à une séquence de moments divisibles. L'unité de l'organisme est un « multiple intensif » indivisible dans l'espace ou le temps, ce qui est la condition de possibilité pour qu'une histoire intelligible lui soit attribuée.

Hanby propose une reconstruction théologique spéculative de la doctrine de la création ex nihilo. Cette doctrine est présentée non comme une théorie des origines temporelles, mais comme une doctrine des origines ontologiques, décrivant ce qu'est le monde à chaque instant. Il explore la création comme un aspect de la doctrine de Dieu. La nature de Dieu, révélée comme amour trinitaire, réconcilie l'unité et la différence au sein de la divinité. La création est comprise comme un don gratuit. Le fait que Dieu soit ipsum esse subsistens (l'acte d'être subsistant lui-même) et « absolument infini » implique que l'acte de création ne comble aucune lacune en Dieu. La transcendance de Dieu implique qu'il est immédiatement et intérieurement présent à la créature, l'esse étant ce qui est le plus intime à la créature.

Hanby définit la création dans son sens passif comme la structure ontologique du monde. La distinction réelle entre esse et essentia dans les créatures est une image positive de l'identité en Dieu. L'esse commune (l'acte d'être commun) est paradoxalement commun à toutes choses, liant le cosmos dans une seule actualité, tout en étant propre à chaque chose, lui conférant une intériorité incommunicable. C'est ce paradoxe qui garantit l'autonomie et l'intégrité de la créature. L'esse est l'acte qui constitue les êtres en tant que sujets. Hanby insiste sur le fait que l'esse est simplex et completum sed non subsistens (simple et complet mais non subsistant), ce qui fonde l'unité indivisible de l'organisme et sa nature auto-transcendante. La création est le préalable nécessaire à l'évolution, car elle fonde la nouveauté, la différence et l'existence supra-temporelle nécessaires à l'histoire.

Il conclut que la théologie accomplit un service pour les sciences sans lequel elles falsifient leurs objets. La science, en évacuant la profondeur du mystère et l'intériorité de l'être (esse), ne voit que la surface des phénomènes, et fait violence à l'intelligibilité que nous ne pouvons nous empêcher de percevoir en tant qu'êtres humains. La vérité ontologique est coextensive avec le mystère. Hanby affirme la supériorité rationnelle de la doctrine de la création sur le darwinisme (en tant que métaphysique), non parce qu'elles sont des rivales scientifiques, mais parce que la création est plus adéquate à la plénitude de la réalité. La doctrine de la création sauve les « apparences » en réintégrant les sciences dans un ordre de sagesse plus complet, restaurant l'organisme à son statut de sujet d'être irréductible.

Hanby rappelle enfin que le désir de vérité est un ingrédient inaliénable de toute vision. Le darwinisme, dans sa forme réductionniste, fait des êtres humains des « singes nus » ou des « rats particulièrement agressifs ». La doctrine de la création, révélée en Christ, offre une raison d'espérer en restaurant la vérité de l'homme, car « La vérité vous affranchira ». Hanby conclut qu'il s'agit de voir la plus grande part de vérité.