Hans-Hermann Hoppe est l'héritier direct de Ludwig von Mises et de Murray Rothbard et représente la branche la plus rigoureuse et intransigeante du libertarianisme.
Lorsque Javier Milei a émergé sur la scène argentine avec son discours anti-étatiste et ses références explicites à Mises, Rothbard et même Hoppe, beaucoup de libertariens ont espéré une révolution.
Mais pour Hoppe cette attente était une illusion dangereuse et une imposture. Dès les premiers mois du mandat de Milei, il a dénoncé une série de contradictions qui délégitiment son prétendu libertarianisme.
⸻
1. La question monétaire : la trahison de la promesse abolitionniste
Hoppe part d’un principe absolu : l’existence d’une banque centrale est un crime moral et économique.
La création monétaire, dit-il, n’est rien d’autre qu’un vol masqué : chaque billet émis détruit une part du pouvoir d’achat de ceux qui possèdent déjà de la monnaie.
Or, Milei avait promis de supprimer la Banque centrale d’Argentine ; il ne l’a pas fait.
Il a conservé la structure institutionnelle, nommé des banquiers issus du même système corrompu et continué d’imprimer, sous d’autres formes, de la monnaie d’État.
Pour Hoppe, c’est une faute capitale : « On ne libère pas un peuple en lui imposant une autre monnaie fiduciaire. »
L’unique solution cohérente serait la liberté monétaire intégrale, avec retour à une monnaie-marchandise (or, argent, ou crypto volontairement choisie), sans monopole légal.
2. L’État minimal est encore un État
Milei se décrit comme « minarchiste » : il reconnaît un État réduit à la police, la justice et l’armée.
Pour Hoppe, cette distinction n’a aucune valeur : « Un État minimal reste un monopole de la violence et de la taxation ; il restera toujours maximal. »
Dans sa logique, l’État ne peut être réformé, seulement aboli : toute autorité centralisée est incompatible avec le principe de propriété privée.
Ainsi, le simple fait que Milei soit président, qu’il promulgue des lois, qu’il impose des impôts ou signe des traités, le place hors du champ libertarien.
Il ne peut être qu’un gestionnaire, pas un libérateur.
3. L’interventionnisme et la question d’Israël
Ici la rupture devient frontale.
Hoppe reproche à Milei son alignement atlantiste et sioniste.
En proclamant son amitié absolue avec Israël et en annonçant son intention de déplacer l’ambassade argentine à Jérusalem, Milei a adopté la logique impériale des États-Unis.
Or le libertarianisme, rappelle Hoppe, est radicalement non-interventionniste : aucun État n’a le droit moral d’utiliser les ressources volées à ses contribuables pour soutenir une autre puissance, encore moins dans un conflit étranger.
Hoppe considère que les alliances militaires, qu’elles concernent l’OTAN, Israël ou tout autre bloc, ne sont qu’une forme d’impérialisme étatique.
Pour lui, « les guerres modernes sont des luttes de brigands pour le butin fiscal ».
Soutenir Israël ou l’OTAN revient à trahir le cœur du principe libertarien : le refus absolu de l’agression.
L’Argentine, dit-il, devrait être neutre, non pas au nom d’un pacifisme naïf, mais d’une stricte cohérence : aucune guerre ne peut être juste si elle est financée par l’impôt.
4. La contradiction entre rhétorique et pratique
Hoppe admet que Milei cite Mises et Rothbard, qu’il brandit La Révolte d’Atlas et qu’il fustige le socialisme.
Mais ce n’est que du théâtre politique.
Il ne suffit pas de parler de liberté, il faut abolir les institutions de la contrainte.
Milei a conservé l’appareil policier, le contrôle des frontières, la réglementation du commerce, et les impôts.
Il a même renforcé certains monopoles.
Hoppe rappelle une phrase de Rothbard : « Le politicien libertarien est une contradiction dans les termes. »
Autrement dit : qui cherche le pouvoir ne peut prétendre défendre la liberté.
5. La morale du pouvoir
Hoppe se méfie de ce qu’il appelle « le libertarianisme émotionnel », qui confond la rhétorique de la liberté avec la réalité du pouvoir.
Milei incarne cette illusion moderne : croire qu’un État bien dirigé pourrait être un État juste.
Pour Hoppe, cette idée est radicalement fausse. Le pouvoir politique est en soi une corruption morale, car il repose sur la coercition et la menace.
C’est pourquoi il rejette tout projet de réforme étatique, aussi libéral soit-il, comme une chimère.
Seul un ordre fondé sur le contrat volontaire, la propriété privée et la décentralisation absolue (ce qu’il appelle « ordre naturel de la liberté ») peut être stable et moral.
6. La logique hoppeienne : cohérence ou imposture
Hoppe raisonne comme un pur et strict logicien.
Un libertarien authentique ne peut accepter ni impôt, ni armée nationale, ni diplomatie coercitive, ni privilège bancaire, ni État protecteur.
Milei a accepté tout cela.
Il a donc trahi le principe de non-agression et la souveraineté individuelle.
Hoppe écrit :
« L’État ne peut pas être sauvé, il ne peut qu’être rejeté. »
« Réformer le vol légal, c’est légitimer le voleur. »
De ce point de vue, Milei n’est pas un libertarien incohérent : il est simplement un libéral classique avec un vernis révolutionnaire, ce que Hoppe considère comme la pire des confusions : celle qui fait passer la cage pour la liberté.
7. L’ombre de Rothbard
Rothbard, déjà, dénonçait les libertariens qui soutenaient Israël ou la guerre froide, les qualifiant de « traîtres à la cause de la paix ».
Hoppe reprend cet héritage sans concession.
Pour lui, la liberté n’est pas un programme politique, mais un ordre moral universel qui exclut par nature toute domination étatique.
8. La conclusion hoppeienne
Hans-Hermann Hoppe ne hait pas Milei ; il le juge tragique.
Un homme révolté contre la décadence étatique, mais qui a choisi la voie du pouvoir pour la combattre, ce qui, selon Hoppe, revient à nourrir le monstre.
L’État ne peut pas se suicider. La liberté ne naît jamais d’une élection, mais d’un retrait, d’une sécession, d’une désobéissance.
Milei, en devenant président, a cessé d’être un homme libre : il est devenu l’administrateur d’un système qu’il prétendait détruire.
Lorsque Hoppe affirme que Milei n’est pas un vrai libertarien, il ne s’agit pas d’une querelle de pureté doctrinale, mais d’un jugement logique et moral : un libertarien qui soutient la guerre, la fiscalité, les banques centrales et les alliances d’État, qu’elles soient américaines ou israéliennes, n’est plus libertarien du tout.