Deux livres importants parus récemment affirment de façon péremptoire l’authenticité du Suaire de Turin : il s’agit du livre de Jean-Christian Petitfils, Le Saint Suaire de Turin. Témoin de la Passion de Jésus-Christ, Tallandier, 2022, et celui de Frédéric Guillaud, Catholix reloaded, Essai sur la vérité du christianisme, Les éditions du Cerf, 2015. Défendant tous deux une position catholique conservatrice, ce qui n’a rien de mal en soi, ils ont également ceci en commun d’être plutôt désagréables avec moi relativement à la question du Suaire.
La note injuste de Guillaud à mon endroit évoque ainsi ma prétendue passion « pour la négation des faits historiques » (diable !) et ma légendaire « fumisterie voltairienne » (trop aimable) et m’a contraint à lui écrire pour rétablir les faits. Je pense l’avoir en partie convaincu de ma bonne foi puisqu’il m’a répondu courtoisement que si son livre connaissait une nouvelle édition, il retirerait cette note de bas de page « un peu vacharde ». Il s'est dit également prêt à changer d’avis sur la question du Suaire « face à une argumentation implacable » et reconnaît que « pour l’aspect général, le linceul fabriqué en cinq minutes par les zététiciens est tout à fait ressemblant » (je ne le lui fais pas dire). De fait, dans son livre suivant, Et si c'était vrai ? La foi chrétienne à la loupe, éditions Marie de Nazareth, 2023, il récidive sur le Suaire, sans toutefois me mettre en cause (mais sans répondre non plus à mes arguments, nobody’s perfect).
Vrai-Faux Suaire réalisé par Blanrue en 2005 |
Concernant Petitfils, je serai moins magnanime. L’historien médiatique, bien connu pour ses livres sur le Masque de fer et Louis XIV (je l’ai aussi fréquenté jadis sur les plateaux du regretté Paul Wermus), multiplie à propos du Suaire les erreurs et les arguments spécieux, avec une absence d’esprit critique qui ne le grandit pas. Pour commencer, il prétend qu’en 2005, lorsque j’ai fait la démonstration publique au Muséum d’Histoire naturelle de Paris, sous l’égide de la revue Science&Vie, que le Suaire pouvait être aisément reproduit grâce à des techniques strictement médiévales, j’étais le « nouveau président du cercle zététique ». Nouveau ? La vérité c’est que je ne faisais plus partie depuis deux ans de cette association que j’avais fondée dix ans plus tôt ! (Tout ceci se trouve facilement sur le Net). Voulant jouer au plus fin, notre historien se prend ainsi les pieds dans les dates : dommage, les dates c’est son métier. Les faits lui posent également problème. Pour vilipender le défunt Dr Walter McCrone, le célèbre chimiste de Chicago qui a découvert des particules d’oxyde de fer et de vermillon sur les surfaces imagées du Suaire, il en est réduit, pour assurer aux belles âmes qui le lisent, qu’il s’agit là d’un expert à la rigueur douteuse, à affirmer abruptement que la carte de Vinland que celui-ci a analysée et dont il a contesté l'authenticité est en réalité authentique. Patatras : il est amplement démontré par de nombreuses analyses (et encore récemment https://fr.wikipedia.org/wiki/Carte_du_Vinland) qu’il s’agit d’un faux moderne (qui ne présage en rien de l'histoire des Vikings au Vinland, puisque cet exploit est parfaitement véritable, vérifiable et vérifié, ainsi que je l’ai moi-même rapporté il y a longtemps http://www.zetetique.ldh.org/vickings.html).
Quant au brave chanoine Ulysse Chevalier, l’un des historiens médiévistes les plus réputés du début du XXe siècle, le premier catholique à avoir refait l’histoire critique du Suaire depuis le XIVe siècle sans parti pris religieux, le voilà qualifié « d'historien hypercritique », chose à la fois absurde, erronée et non démontrée par l’auteur de la diatribe. Lorsqu’un adjectif dépréciatif, lancé à la cantonade, livré sans la moindre explication, suffit à démonétiser une vie entière de labeur et des trésors de livres, il faut se méfier, ami lecteur (ce n’est pas sérieux, Jean-Christian, ce ne sont pas des manières de faire à la hauteur de vos prétentions intellectuelles.)
À bien la lire, la thèse de Petitfils est imbibée d’à peu près tout ce que l'on trouve sur le sujet du côté des sindonologues : le Codex Pray (dont j’ai démontré dans un chapitre entier d’un livre qu’il n’a rien à voir avec le Suaire pour d’évidentes raisons iconographiques), la thèse du Dr Barbet sur les poignets dans lesquels les clous de la Passion auraient été fichés (thèse populaire mais imaginaire), les trop fameux pollens de Max Frei (un détective amateur si crédible qu’il plaidait pour l’authenticité du Journal intime d’Hitler qui s’est révélé être une grossière supercherie), il se gargarise des « travaux » de Bourcier de Carbon, du Père Rinaudo, d’André Marion, de ce vieux farceur de Gérard Lucotte (qui clame avoir découvert des morpions du Christ sur un linceul qu’il n’a par ailleurs jamais analysé !), de Ray Rogers (Petitfils cite à ce propos le physicien Patrick Berger qui conteste l’article de Rogers avec de solides arguments, à commencer par le fait que celui-ci commet des erreurs mathématiques de première année – ce qui autorise notre historien à qualifier Berger « d'outrancier », sans donner le lien de son article... Le voici, pour ceux qui veulent vérifier sa pertinence http://www.zetetique.ldh.org/suaire_rogers.html).
Nous pourrions continuer longtemps sur notre lancée. Selon Petitfils, par exemple, c'est le roi Philippe VI de Valois qui aurait offert en 1347 le Suaire au chevalier Geoffroy de Charny pour le récompenser de faits de guerre. Voilà donc pourquoi la relique apparaît comme une fleur en plein XIVe siècle. Toutefois réfléchissons une seconde : comment ? Céder à un seigneur local le Suaire du Christ ? Bigre ! Oui, mais attention, poursuit Petitfils, le roi n'avait pas ouvert le reliquaire pour s'apercevoir ce que son contenu rendait une fois déployé, à savoir l’insigne copie du corps de Jésus ressuscité (fâcheux oubli, quelle tête en l’air, ce Philippe VI !). Une preuve de cette reconstitution historique svp ? Que nenni, elle sort tout droit de la fertile imagination de Petitfils (qui n’est certes pas « hypercritique », lui, puisqu’il gobe tout, y compris les thèses qu’il invente ad hoc ou reprend chez tel chercheur qui les sort lui-même de son chapeau). Notre historien n’a pas cru bon de se demander pourquoi, lors de la querelle des ostensions à Lirey, nul chanoine n’a jamais songé à rappeler à l'évêque et au pape qui les accusaient de produire une fausse relique que le roi avait été avant eux le propriétaire de la mirifique pièce de lin (encore un oubli, mais c’est sur de tels silences que d’aucuns bâtissent l’Histoire).
Petitfils prétend encore qu'un nommé Giulio Fanti, professeur de mesures mécanique et thermique à l'université de Padoue, a mis au point une nouvelle méthode de datation portant sur la dégradation de la cellulose, qui donnerait comme dates au Suaire de -300 à +400. Sauf qu'apparemment personne ne peut dire avec certitude d'où proviennent ses échantillons. C'est gênant (mais pas pour Petitfils, qui choisi de croire tout ce qui l’arrange).
En réalité, il n'existe à proprement parler aucune nouvelle découverte portant sur le Suaire, puisque le Vatican n'a pas autorisé de nouveaux prélèvements. Les « nouvelles analyses », toutes plus fantastiques les unes que les autres, dont parle Petitfils, ne reposent (toutes) que sur des fils ou du sang dont on ignore l'exacte provenance, ou sur les trop fameux échantillons de Max Frei, qui avait diffusé, pour preuve qu’il avait trouvé des pollens du Proche-Orient sur le Suaire, des pollens de référence (autrement dit : des photos qu’il avait intégralement repompées sur des catalogues, sans la moindre gêne !). Bref, il faut le redire et bien insister là-dessus, aucune nouvelle recherche n'a officiellement été réalisée et on reste dans la conjecture à propos... d'éventuelles hypothèses. C’est peu. Trop peu. La trouvaille de Petitfils est d'exposer toutes ces recherches free lance comme si elles étaient d'authentiques recherches plus ou moins chapeautées par qui de droit (le Vatican). C’est inexact. Le plus fort c'est qu'après des pages et des pages pour illustrer des théories farfelues, il ose parfois saupoudrer son texte de minuscules notes reléguées en fin d'ouvrage, où il explique benoîtement au lecteur aventureux que telle découverte de tel chercheur (par exemple Lucotte ou Fanti) n'est finalement pas reconnue par ses pairs ! C’est gonflé. Mais apparemment, auprès d’un certain public, ça passe.
Ce serait risquer le péril dont nous met en garde la célèbre « loi de Brandolini » que de passer en revue tout le reste de son argumentation. Je renvoie les lecteurs intéressés par le Suaire mais n’ayant pas lu les deux volumes que j’ai consacrés à ce sujet (Miracle ou imposture ? L’Histoire interdite du Suaire de Turin, EPO/Golias, 1999, et Le Secret du Suaire. Autopsie d’une escroquerie, 2006, Pygmalion), vers la synthèse que j’en ai brossée sur le Net : on y trouve l’essentiel des arguments plaidant pour un ouvrage réalisé de main d’homme au XIVe siècle (http://www.zetetique.org/suaire.html). Si les sindonologues n’y croient pas, ils peuvent toujours demander au Vatican de refaire les analyses radiocarbones, ils auront tout mon soutien (d’autant plus que j’ai révélé dans Miracle ou imposture que l’Église avait déjà procédé secrètement, par le passé, à une expertise C14 de la réserve récupérée en douce lors du prélèvement officiel, dans les années quatre-vingt… avec un résultat identique).
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Concernant l’existence de Jésus Christ maintenant, il y a certaines choses à dire qui risquent de surprendre ceux qui ne me suivent pas régulièrement (les vilains). J’ai commis, à la fin des années quatre-vingt-dix, de petits textes dans lequel j’ai fait part de mes doutes à ce sujet (notamment celui-ci http://www.zetetique.ldh.org/jesus.html). Je me fondais alors sur les travaux de Rudolf Bultmann et de son « école des formes », qui a marqué la recherche biblique universitaire mondiale tout au long du XXe siècle, ainsi que sur les travaux, plus critiques encore, de l’école dite rationaliste (Bruno Bauer, Paul-Louis Couchoud, Guy Fau, Prosper Alfaric, Georges Albert Wells, et bien d’autres). Or les doutes que j’avais soulevés n’ont plus lieu d’être. Il faut aujourd’hui reconnaître que la plupart de ces travaux de « débunkage » se sont effondrés face aux avancées d’une science plus rigoureuse qu’auparavant. Depuis une trentaine d’années, les érudits ont réévalué la qualité historique de textes naguère sous-estimés. On peut citer à ce propos des universitaires prestigieux tels que Richard Bauckham, N.T. Wright, Michael R. Licona, ou encore Peter Williams.
C’est en suivant les (vraies) nouvelles découvertes de ces chercheurs que j’ai rectifié le tir et écrit, lors de la reparution de l’un de mes textes sur Jésus dans Le Livre noir des manipulations historiques (Fiat Lux, 2017) : "Alors quoi ? Jésus n'aurait pas existé ? Certains le prétendent, comme Couchoud, Fau, Doherty aujourd'hui sur le Net. Ce n'est pas ce qui est dit dans ce chapitre. Un chercheur londonien, G.A. Wells, fut longtemps l'un des plus éminents partisans de la thèse mythiste, faisant de Jésus un être inventé de toutes pièces pour des motifs théologiques, comme Guillaume Tell l'a été plus tard en Suisse pour des raisons politiques. Néanmoins, en approfondissant ses recherches, ce professeur a été contraint, par honnêteté intellectuelle, de réviser son jugement et de concéder qu'un certain Jésus avait existé dans la Palestine du Ier siècle (...) Il est certain que malgré les contradictions qui y fourmillent, les Évangiles professent une morale reconnaissable entre toutes ; le caractère d'un homme singulier peut s'y faire sentir ; son mode d'expression, ses paraboles, ont parfois le goût de l'authenticité".
En privé, certains de mes lecteurs m’ont demandé les raisons pour lesquelles j’avais évolué sur ce sujet, et je leur ai bien volontiers répondu. Comme je m’aperçois que mon nom est encore parfois associé, dans des livres comme ceux de Guillaud ou sur le Net, à la thèse mythiste marginale à laquelle j’ai depuis longtemps renoncé, je n’estime pas malvenu de m’en expliquer en public, profitant de cette mise au point sur le Suaire.
Je pourrais naturellement rédiger un gros livre sur la critique du Nouveau Testament, défaisant patiemment le pull tricotté par l’école rationaliste (en réalité matérialiste), accumulant page après page des éléments tendant à montrer qu’elle s’est fourvoyée, montrant encore qu’il existe une quantité impressionnante de données sérieuses prouvant sans conteste l’existence terrestre du Christ. Cependant, j’ai vu ce qu’il en était pour le Suaire : on peut accumuler tous les éléments que l’on veut, pour convaincre il faut constamment à revenir à l’essentiel (qu’en l’occurrence, pour le Suaire, je résume habituellement en trois caractéristiques majeures : 1. l’accord des évêques du lieu et des papes pour affirmer qu’il s’agit d’un faux dont a prouvé la fausseté par les aveux du peintre concepteur ; 2. les particules de peinture retrouvées sur les zones à image du Suaire, et non sur les zones sans image ; 3. l’ordalie du C14 par trois laboratoires désignés par le Vatican, qui ont situé la relique au XIVe siècle). Bref, plus on use de salive et d’encre pour justifier sa thèse, moins on est écouté et plus se diffuse l’idée que si l’on multiplie les arguments c’est parce qu’en réalité on manque cruellement de preuves définitives. C’est faux, mais la nature humaine est ainsi faite.
Ainsi, pour l’existence de Jésus, je vais aller droit à l’essentiel. Je ne brandirai pas des reliques (la plupart fort douteuses), ni des pièces archéologiques (comme le tombeau de Caïphe, grand-prêtre du Temple de Jérusalem à l’époque de Jésus, retrouvé et bien authentique, lui), ni les Évangiles (dont la valeur est constamment réévaluée comme étant des biographies de style antique, voyez les convaincants travaux de Richard Bauckham), ni les écrits romains et juifs des premiers siècles (pour ceux qui remettent encore en cause les passages de Josèphe sur Jésus, je recommande vivement la lecture de Serge Bardet, Le Testimonium flavianum, Examen historique, considérations historiographiques, Cerf 2002). Non, je ne parlerai de rien de tout cela. Il y a plus simple et plus percutant aussi. J’emploierai pour l’occasion la « méthode des faits minimaux » qui a fait la réputation du Pr Gary Habermas (moins doué en ce qui concerne le Suaire, auquel il semble croire un jour sur deux, mais passons, sa démarche néo-testamentaire est la bonne car fondamentalement ancrée dans les principes essentiels de la méthode historique).
Gary Habermas |
De quoi s’agit-il ? Aller à l’essentiel, au cœur du cœur de la centrale atomique. Se diriger vers une pièce imprenable, en acier trempé - en somme, se fonder sur une donnée dont la validité n’est remise en cause par personne. Le « fait minimal », quel est-il ? Une épître de Paul. (Quoi de neuf ? Saint Paul !)
L’apôtre Paul de Tarse, connu auparavant sous le nom de Saül, est un ancien pharisien, élève du rabbin Gamaliel, devenu persécuteur de chrétiens. Il s’est subitement converti au christianisme dans les années trente de notre ère. Quelle qu’en soit la cause réelle, il parle d’une apparition du Christ sur le chemin de Damas, en Syrie. Rêve, illusion, hallucination ou apparition réelle, en tout cas d’un jour à l’autre il se repend d’avoir persécuté les fidèles du Christ et choisit de rejoindre leurs rangs, à ses risques et périls. Il accomplit une activité missionnaire importante en effectuant de longs voyages d’évangélisation dans le bassin méditerranéen pour convertir les populations et écrit des épîtres à diverses communautés. Il y raconte aussi la façon dont il s’est rendu à Jérusalem pour y rencontrer notamment l’apôtre Simon, dit Pierre, et Jacques « le frère de Jésus » (car oui, Jésus avait des frères et des sœurs, sans doute issus du premier mariage de son beau-père Joseph, qui devint veuf avant son remariage avec Marie).
On sait néanmoins, pour diverses raisons que je ne vais pas développer ici, que les treize épîtres signées Paul ne sont pas toutes de sa main. Seules sept d’entre elles le sont, si l’on en croit les experts de la critique testamentaire ; les autres seraient issues de sa communauté, de proches ayant poursuivi son œuvre après sa mort en martyr à Rome, s’inscrivant dans son lignage. Alors, comment s’y retrouver ? Un texte non suspect de retouche pourra-t-il émerger parmi les autres ? Est-on aujourd’hui capable de tenir pour véridique un seul d’entre eux ?
La réponse est oui : l’épître en question est la première que saint Paul adresse aux habitants de Corinthe, une ville grecque au nord du Péloponnèse (1Corinthiens 15, 3-8).
Je reproduis ici le passage intéressant (https://bible.catholique.org/1ere-epitre-de-saint-paul-apotre-aux/3375-chapitre-15) :
03 Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures,
04 et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures,
05 il est apparu à Pierre, puis aux Douze ;
06 ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –,
07 ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres.
08 Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis.
Saint Paul |
Qui la tient pour authentique ? Mythistes à part (moins de dix chercheurs dans le monde), absolument tout le monde. Y compris les érudits les plus ardemment anti-chrétiens comme le célèbre Bart Ehrmann (qui se déclare « agnostique penchant vers l’athéisme » et soutient dans ses conférences et best-sellers que les Évangiles contiennent tellement d’erreurs qu’on ne peut leur accorder le moindre crédit) ou d’autres chercheurs fort mal disposés envers la véracité du Nouveau Testament, tels les membres du Jesus Seminar de John Dominic Crossan (qui tiennent que 90% des paroles de Jésus qu’on y rapporte sont fausses). Nous ne sommes pas là en présence d’enfants de chœur disposés à gober tout cru ce que le curé de leur église paroissiale va leur enseigner dans son sermon du dimanche. On ne la leur fait pas. L’esprit critique, ils en ont à revendre. Eh bien, eux aussi conviennent unanimement que ce texte date des tout premiers temps du christianisme. Il s’agit d’un ensemble de phrases organisées de manière à être récitées (la façon dont le texte est tourné, sa brièveté, sa simplicité théologique, la structure de la phrase, les mots se répondant, la scansion, le style, etc.), sans doute sous la forme d’un premier credo existant avant que Paul ne se mette en marche vers Damas.
Ce credo pré-paulinien, ce passage spécifique, cette péricope primitive, est daté sans hésitation par les experts en critique textuelle du début des années trente. Citons parmi ceux-ci John Kloppenborg, Jerome Murphy-O'Connor, John Meier, Pinchas Lapide, Reginald Fuller. Pour sa datation plus précise, Gerd Ludemann soutient que « les éléments de la tradition doivent être datés des deux premières années après la crucifixion de Jésus, au plus tard trois ans… La formation des traditions d'apparence mentionnées dans 1Cor.15.3-8 tombe dans le temps entre 30 et 33 de notre ère » ; Thomas Sheehan estime que cette tradition « remonte à au moins 32-34, c'est-à-dire dans les deux à quatre ans suivant la crucifixion ». Certains chercheurs penchent, à l’instar de James Dunn, spécialiste de Paul, pour les six mois ayant suivi la crucifixion. Au vrai, peu importe, quelle que soit la date pour laquelle on opte, il n’existe aucun document historique, chrétien ou autre, plus proche de l’an 30 ou 33, où Jésus est traditionnellement réputé avoir subi une crucifixion. Ulrich Wilckens affirme que ce credo « remonte indubitablement à la phase la plus ancienne de l'histoire du christianisme primitif ». De l’avis général des spécialistes actuels, ce credo traditionnel, qui existait sous forme orale bien avant les Évangiles écrits des années ou des décennies plus tard, est le premier relief de ce qu’a produit la toute première communauté chrétienne située à Jérusalem.
Sur ce point, nul ne pourra prétendre que tout ce que Paul annonce est légendaire : pour l’historien de l’antiquité, ce genre de document est rarissime et irremplaçable. Il fait partie du peu de fragments anciens dont on est assuré qu’ils rapportent des faits ; il est, parmi tout ce que l’on connait, l’un des textes de cette époque les plus proches de l’événement qu’il narre. Et il est fascinant en ceci que, non seulement il atteste de l’existence d’un homme nommé Jésus (reporté comme mort, ce qui signifie bien qu’il était vivant peu de temps auparavant, logique imparable digne de Monsieur de La Palice)(sans compter que pour avoir un frère comme Jacques, il faut d’abord exister, c’est un prérequis nécessaire), mais il est aussi, en tant que document historique majeur, le reflet le plus exact possible du noyau des croyances animant les plus antiques communautés chrétiennes : on y adore un Jésus mis au tombeau, ressuscité puis réapparu vivant au bout de trois jours à ses disciples. C’est la première christologie connue. On notera par parenthèses, sans plus en dire car cela nous mènerait trop loin, que le Christ est réapparu en particulier à des personnes l’ayant trahi comme Pierre, ou ayant eu des doutes à son sujet durant sa vie terrestre comme son demi-frère, le sceptique Jacques, dit le Juste, ou encore à un persécuteur officiel devenu apôtre, Paul. Lesquels personnages, devenus les autorités principales de l’Église primitive (Jacques est nommé après la mort de Jésus chef de l’Église de Jérusalem), ont tous trois péri en martyrs quelques années plus tard pour attester de ce qu’ils avaient vu. On peut difficilement nier que la véracité de leur témoignage leur tenait à cœur.
Saint Jacques |
Paul-Éric Blanrue |
Une bonne fois pour toutes, il faut comprendre que, comme le disaient Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, pères de l’école méthodique en Histoire, «l’hypercritique est à la critique ce que la finasserie est à la finesse ». Le doute est sain tant qu’il demeure raisonnable, et il faut toujours suivre les faits là où ils nous conduisent, que cela nous fasse plaisir ou non. La meilleure façon de faire de la bonne et vraie zététique n’est pas de sombrer dans un matérialisme forcené et débilitant, comme le font hélas nombre de ceux qui m’ont succédé dans cette région depuis deux décennies, mais de rester au plus près des faits, des documents, sans préjugé ni dogme, guidé par la seule raison.
Résumons : pour le Suaire, les premiers textes nous parlent de la découverte d’un faux par les autorités catholiques ; pour le christianisme, les premiers documents nous parlent d’un personnage historique. Au terme de cet article, le Suaire de Turin est toujours aussi faux, mais l’existence historique de Jésus est désormais démontrée grâce à un seul et unique document.
Paul-Éric Blanrue.