"Je connais bien des hommes, j’en rencontre heureusement tous les jours. Mais l’Homme, avec un grand H, l’homme en tant que tel, je ne l’ai jamais vu, et nul ne l’a jamais vu. Je ne nie pas qu’on ne puisse en parler, car, comme l’enseigne Montaigne « tout homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition ». Toutefois prenons garde que je ne puis le découvrir que dans chaque homme, en particulier, dans chaque personne singulière et concrète. Or cet homme-là, cet homme irremplaçable dans sa personne libre unique, ne peut que déranger l’ordre géométrique des planifications économiques, sociales. Étant par définition, imprévisible, il ne peut que démentir les prédictions de la raison politique et déjouer ses stratégies. Aussi doit-on, si l’on veut réussir, l’effacer progressivement de la machine sociale et lui substituer l’homme interchangeable, l’homme universel parce qu’uniforme, l’homme-parpaing, oserai-je dire, avec lequel la construction du monde nouveau ne connaîtra ni surprise ni retard, parce qu’il sera exactement calibré."