"On parle de la "profonde injustice" du contrat social : comme si le fait que l'un soit né dans des circonstances favorables, l'autre dans des circonstances défavorables était d'emblée une injustice; ou même le fait que l'un soit né avec telles dispositions, l'autre avec telles autres. Les plus sincères parmi ces adversaires de la société décrètent : "nous-mêmes, avec toutes nos mauvaises qualités maladives et criminelles, que nous avouons, nous ne sommes que les conséquences inévitables d'une oppression séculaire des faibles par les forts" : ils reprochent leur caractère à la mauvaise conscience des classes dominantes. Et de menacer, d'enrager et de maudire ; on devient vertueux par indignation -, on ne veut pas être devenu un méchant, une canaille pour rien... On prétend juger l'Histoire, la dépouiller de sa fatalité, trouver derrière elle une responsabilité, en elle des coupables. Car c'est de cela qu'il s'agit : on a besoin de coupables. Les mal partagés, les décadents de tout genre se révoltent contre eux-mêmes et ont besoin de victoire pour ne pas assouvir sur eux-mêmes leur soif de destruction (ce qui, en soi, serait peut-être conforme à la raison). Pour cela, ils ont besoin d'une apparence de droit, c'est-à-dire d'une théorie qui leur permette de se décharger sur n'importe quel bouc émissaire du fait qu'ils existent, de leur "être-ainsi-et-pas-autrement". Ce bouc émissaire peut être Dieu - il ne manque pas en Russie de tels athées par ressentiment, ou bien l'ordre social, ou l'éducation et l'enseignement ou les Juifs, ou les nobles, ou, en général les mieux partagés de n'importe quel ordre. "C'est un crime que d'être né dans des circonstances favorables : car ainsi on a déshérité les autres, les a mis à l'écart, les a condamnés pour crime et même au travail"... "Qu'y puis-je, moi, si je suis misérable ! Mais il faut bien que quelqu'un y soit pour quelque chose, autrement ce ne serait pas supportable !""