Extraits de Paul-Eric Blanrue, Sécession, l'art de désobéir (Fiat Lux, 2018).
« Le but de la loi est non pas d'abolir ni de restreindre, mais de préserver et d'accroître la liberté des gens. »
John Locke
Blâmable en bien des points, la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 n’était pas totalement faisandée puisqu’elle reconnaissait le droit individuel de propriété comme étant « absolu» et « inviolable ». La France l’a totalement oublié. On ne jure plus que par l’État et la prépotence de la collectivité, avec la pharamineuse idée de redistribution sociale, principal vecteur de l’agression étatique contre l’individu, notion d’autant plus dangereuse qu’elle facilite l’écrasement des libertés en se parant des plumes d’une infrangible générosité.
Ce livre sécessionniste bataille pour une société contractuelle de propriétaires et de copropriétaires délivrée de l’intervention oppressante de l’État. La liberté d’expression, dont il a beaucoup été question dans les chapitres précédents, est devenue une valeur flottante, que des gauchistes, par sentimentalisme et erreur de logique, ont tendance à séparer du droit de propriété, autre droit naturel tout aussi élémentaire. « Il est interdit d’interdire !», hurlait-on en mai 68. Rien n’est plus insensé que ce slogan crâneur pour enfants gâtés élevés durant les Trente Glorieuses (caractérisées par une explosion du nombre de fonctionnaires) par une bourgeoisie parisienne assotée, décervelée par les confusions mentales du torve Jean-Paul Sartre (« Tout anticommuniste est un chien ») et les trémulations de Dany Cohn-Bendit et de ses complimenteurs. Nul n’est besoin de cogiter longtemps pour se rendre compte que ces deux droits, la liberté et la propriété, sont étroitement liés.
La liberté d’expression implique une première propriété, celle de son esprit et de son corps, qui se situe au fondement de toute pensée rigoureuse lorsque l’on entend défendre avec sérieux l’individualisme méthodologique. Même si l’on est influençable au point de se transformer en poule caquetant sur scène, devant sa petite amie, lors d’une séance d’hypnose de théâtre, le voudrait-on que nous ne pourrions pas complètement aliéner notre volonté à un tiers durant toute notre vie, à moins d’être un robot sans conscience ou un légume. Ceux qui veulent être libres ne peuvent pas échapper à l’acceptation de cette nécessaire forme de propriété, sans quoi la liberté désirée ne s’applique qu’à un ectoplasme.
La liberté en question doit également pouvoir s’exercer quelque part. Où ? Peu suspect de vouloir délimiter arbitrairement la liberté, l’anarcho-capitaliste Murray Rothbard, magistral réintroducteur du principe de propriété dans les années soixante, répond : « Certainement pas sur une propriété où un homme s’est introduit sans autorisation. Autrement dit, il n’a ce droit que sur sa propre propriété ou sur la propriété de qui a consenti à l’accueillir, soit gracieusement, soit en vertu d’un droit de location. En fait, il n’existe aucun Droit particulier ‘à la libre expression’ ; il n’y a que le Droit général de propriété qui est le Droit d’un homme de faire ce qu’il veut de sa propriété et de signer des contrats volontaires avec d’autres propriétaires » (Power and Market, cité dans L’Éthique).
Énoncée de manière aussi catégorique une telle vérité peut surprendre celui qui a l’habitude de militer pour la liberté de parole en lantiponnant une rhétorique à l’eau de rose, mais c’est une banalité que chacun peut aisément comprendre. Sauf à la première niguedouille venue, il ne viendrait à l’idée de personne de trouver naturel d’aller insulter son voisin dans son appartement sans avoir été convié ni invité à faire le zigoto. Un économiste libéral ne clabaudera pas si L’Humanité lui refuse une chronique vantant le libre échange, sauf s’il a été payé pour écrire son papier dans ce torchon et que le contrat est rompu sans explication ni réparation. Je n’ai pas plus « le droit » d’écrire un article dans l’immonde Monde qu’un journaliste du Monde n’a celui de venir bafouiller ses lieux communs à l’une de mes conférences si je lui en refuse l’entrée. Bannir de son compte Facebook un hater ou un troll est une réaction saine et légitime (dont je ne me prive jamais, il n’y a pas de petits plaisirs). Les Femen n’ont pas davantage le « droit » de montrer leurs flasques mamelles et d’hurler des slogans dignes d’hystériques échappées de l’asile lors de manifestations se tenant dans des lieux privés.
Dans mon Livre noir, j’ai raconté mes pérégrinations chez des éditeurs de sensibilités politiques différentes pour tenter de faire paraître des livres ayant apparemment des lignes idéologiques différentes - alors qu’en réalité je ne faisais qu’y rapporter le fruit de mes recherches, qui, par essence, n’ont pas de ligne idéologique. En nul temps, je ne me suis offusqué d’un refus. J’ai spécifié au contraire, dans l’avant-propos de l’ouvrage cité, qu’ « il n’est pas dans l’obligation d’un journal ni d'une maison d'édition d’accepter des lignes qui peuvent mettre sa direction en péril, ses lecteurs ou ses chers actionnaires dans l’embarras ». Un éditeur catholique a répugné à m’établir un contrat pour un ouvrage niant l’authenticité du Suaire de Turin. C’était son droit le plus strict. Plus grave a été la censure de l’émission télévisée que j’avais enregistrée sur ce thème sur la chaîne KTO et qui a été déprogrammée en tapinois après mon premier passage. Je n’en avais pas été averti et il pouvait sembler aux téléspectateurs que j’avais été un invité extravagant, coupé au montage pour des raisons suspectes. Mais la chaîne de télévision ne m’appartenait pas, je n’en étais pas actionnaire, et nul contrat ne nous liait.
La véritable censure que j’eus à subir, ce fut lorsque mon Sarkozy, Israël et les juifs, que j’avais dû aller faire éditer en Belgique en 2009 à cause de la tremblote des éditeurs français auxquels j’avais soumis mon manuscrit (leur couardise n’est plus à démontrer), fut brusquement stoppé net à la frontière par le distributeur, qui en interdit la diffusion en France alors que l’ouvrage était correctement écrit, légal, ni condamné ni poursuivi. Ce douanier improvisé, inquisiteur dans l’âme, ne s’épancha pas en explications. En dépit du contrat passé avec Marco Pietteur, propriétaire de la maison Oser dire qui m’éditait, il s’obstina dans son refus comme s’il craignait d’être jeté pour l’éternité dans les flammes de l’enfer de Dante. Afin que ce livre innocent, apologie de la paix et de l’indépendance, puisse être disponible dans les librairies et les FNAC de France, Pietteur dut changer de distributeur et passer un contrat avec une nouvelle entreprise, dont le patron avait le sens de l’honneur. Nous perdîmes six mois en tracasseries inutiles, mais nous gagnâmes la partie grâce à la formidable mobilisation sur Facebook de centaines de lecteurs qui, pour protester contre ce que mon avocat, Maître John Bastardi Daumont, avait nommé la « censure par le vide », publièrent à foison des photographies sur leur profil où ils figuraient à découvert avec mon livre, commandé par correspondance, entre les mains. On appela cette opération « l’Album de la liberté ». Je m’en souviens avec émotion.
Chez soi, dans son journal, dans une salle louée à cet effet, dans un domaine réservé, ou lorsqu’un livre est publié par un éditeur bienveillant et distribué par un diffuseur respectant sa parole, on est libre de dire ce que l’on veut. Personne n’a le droit moral de nous en empêcher - l’État, cet agresseur permanent, moins que quiconque, lui qui définit à sa guise la liberté civile dont nous disposons en vertu du droit positif et non du droit naturel qui lui est antérieur.
La propriété est un droit naturel fondamental, un périmètre de sécurité destiné faire respecter la liberté contre les empiétements des aliens et de l’État. Comme disait Lord Acton : « Une société qui ne connaîtrait pas les institutions de la propriété privée se condamnerait à ne jamais savoir ce qu'être libre veut dire ».
*
Il en va de même dans le domaine économique. En France, la propriété privée a mauvaise presse. Pas celle qui nous permet d’être pourvus de voitures, encore heureux, même si Mme Anne Hidalgo et les socialistes parisiens, par diverses vexations, entraînent la population laborieuse à utiliser les transports en commun pour ne pas altérer les promenades postprandiales de Jean-Guy et Jules-Édouard, en compagnie de leur bichon blanc, sur les quais de Seine. Pas la propriété du logement non plus, puisque, selon le chiffres d’Eurostat, les Français sont environ 60% à être propriétaires de leur appartement, même si les chiffres sont inférieurs à ceux de la moyenne européenne (dix points de moins), en grande partie à cause des frais de notaire (constitués principalement de droits dus au Trésor public), de la taxe d’habitation, de la taxe foncière, de l’ISF, de l’impôt sur les plus-values immobilières, etc.
En revanche, la propriété conçue comme le fondement de l’organisation économico-sociale pose davantage de difficultés dans un pays saccagé par le mode de pensée socialiste régurgitée par les énarques et les polytechniciens formatés depuis des générations au dogme étatique. Ces élites inamovibles établissent notes, fiches techniques et dossiers clé en main pour un personnel politique inculte, incapable d’écrire sans commettre de fautes de syntaxe un discours pour l’inauguration du marché aux fleurs de Melun (en tant qu’ex-ghoswritter de politiciens, je sais de quoi je parle).
On se souvient de la formule de Pierre-Joseph Proudhon : « La propriété c’est le vol ! » On se souvient moins qu’à la fin de sa vie, il disait « l’impôt c’est le vol ! » La propriété désigne les droits exclusifs d'une personne (ou d’un groupe) sur un ensemble de choses, pas nécessairement des objets matériels, mais qui incluent évidemment la possession d’une entreprise. Lorsqu’il est question d’entreprise, le Français a souvent en tête les cartels bancaires, les grandes assurances ou L’Oréal, Danone, Auchan, Michelin ou Renault, dont il se gaussera des privilèges – souvent réels en raison du capitalisme de connivence, c’est-à-dire lorsque, contrairement à la règle de libre concurrence, la sphère entre l’État et les grandes entreprises devient perméable et que l’État leur accorde son soutien par copinage, entrant ainsi dans un système de corruption. Ce faisant, la population, indignée à juste titre, perd de vue que ce ne sont pas les grandes entreprises qu’il faut effacer de la carte, mais l’interventionnisme étatique qu’il convient d’annihiler !
Par ailleurs, ces grandes entreprises embauchent peu et sont loin d’être la majorité du genre. Selon les chiffres de 2014, la France comptait quatre millions de PME, soit 99 % des entreprises et 48,5 % de l’emploi salarié (en équivalent temps plein). Elles réalisaient 43,4 % de la valeur ajoutée. Ce sont ces PME qui assurent l’essentiel des créations d’emplois. Entre 2009 et 2015, leur nombre d'emplois a bondi de 330 000 dans un contexte de faible croissance tandis que celui des grandes entreprises baissait de 80 000. Elles sont les garantes de la santé du pays. C’est la France qui travaille, celle des petits entrepreneurs. Selon une enquête d’OpinionWay menée à l’occasion du vingt-troisième salon des entrepreneurs, 37% des Français ambitionnaient de créer ou de reprendre une entreprise. Comment les traite l’État ? Mal. Très mal. Pourquoi ? Parce que, sauf rarissime exception, les entrepreneurs ne sont pas des révolutionnaires surexcités et vociférant, déversant leur fiel contre une autre catégorie sociale. Ils ne descendent pas dans les rues avec des masses pour casser les cabines téléphoniques et protester contre un taux de TVA aberrant en brûlant des voitures. Les PME, pourtant, veulent embaucher. Mais elles ont du mal à le faire. Trop de taxes. De fait, 50% des entreprises créées disparaissent avant d’atteindre leur sixième année d’existence.
Comme toujours, pour apprécier une situation, il faut revenir aux principes. Dans Pourquoi la propriété (Pluriel, Hachette, 1985), Henri Lepage remarque que contrairement au collectivisme marxiste, « la propriété privée est une institution qui n'a jamais été inventée par personne. Le régime de la propriété privée est le produit d'un long processus d'évolution séculaire au cours duquel les hommes - en luttant contre la rareté - ont progressivement appris à découvrir les instruments culturels, économiques et juridiques les mieux à même de résoudre leurs problèmes de vie et de survie. »
C’est tout le contraire du « constructivisme » dénoncé par Friedrich Hayek, ce courant de pensée traversant la droite comme la gauche qui se faisait fort de transformer l’homme quel que soit le prix à payer, et qui a conduit aux totalitarismes du XXe siècle, au Goulag et aux camps d’extermination. Hayek a montré avec pertinacité comment les nationalisateurs et autres planificateurs en carton-pâte ne connaissent rien à la science économique, ne faisant point de l'économie mais de l'idéologie méphitique. Le capitalisme n'est pas né dans la cervelle d'un hégélien de Trèves ou dans celle d'un fat inspiré, il a été un développement naturel de l'histoire. Dans sa version marchande, il s'est développé depuis les pays libres du Nord ou les cités-État italiennes comme Venise, qui, pour autant que je le sache, n'est pas synonyme d'horreur économique. Les planificateurs croient à la toute-puissance de la raison raisonnante, mais ils ignorent les leçons de l'école de Salamanque (Espagne, XVIe siècle) qu’Hayek a réhabilitée, laquelle posait, avec une prudence toute aristotélicienne, la théorie de l'inconnaissance : on ne peut pas prédire l'avenir, incertain par nature, on ne sait pas quoi produire, ni comment, ni pour qui, ni le juste prix, ni le juste salaire. Il n'y a pas d'objectivité en ces matières. Le prix se fait sur le marché, tout comme on ne connaît les besoins que dans une économie ouverte et concurrentielle. Pour cela, il faut une société de propriétaires privées, et un État poussé dans ses derniers retranchements, absent du marché.
Bien que la propriété privée existât sous diverses formes, depuis le néolithique en passant par la société romaine, John Locke fut l’un des premiers à la justifier longuement d’une façon adaptée au droit naturel. Pour le philosophe, les hommes n’ont que l’usufruit commun de toutes les choses de ce monde, qui, selon lui, leur a été confié par Dieu. D’un autre côté, Locke met en évidence la propriété concrète que chaque individu a de son « domaine propre » : son corps, son esprit, ses croyances, ses actes. De là découle l’idée que l’individu est, par droit naturel, propriétaire non seulement de son travail, des fruits de son travail mais aussi de tout ce à quoi il a mêlé son travail. Il n’est pas question d’un pacte mythique établissant la propriété en remontant à des temps légendaires. La légitimité morale de la propriété est établie en conclusion d’un raisonnement déductif dont les arguments s’enchaînent avec une imperturbable logique qu’Hercule Poirot eût applaudie des deux mains. Quoi que les ressources constituent le fonds commun auquel chacun a priori a libre accès, celles-ci peuvent toutefois devenir légitimement une propriété privée, interdisant, par définition, l’accès à d’autres hommes. Voici pourquoi.
Le texte de Locke est long mais essentiel à connaître : « Bien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à tous les hommes, chacun garde la propriété de sa propre personne. Sur celle-ci, nul n'a droit que lui-même. Le travail de son corps, et l'ouvrage de ses mains, pouvons-nous dire, sont vraiment à lui. Toutes les fois qu'il fait sortir un objet de l'état où la Nature l'a mis et laissé, il y mêle son travail, il y joint quelque chose qui lui appartient, et de ce fait se l'approprie. Cet objet, soustrait par lui à l'état commun dans lequel la nature l'avait placé, se voit adjoindre par ce travail quelque chose qui exclut le droit commun des autres hommes (…) Quiconque s'est nourri des glands ramassés sous un chêne, ou des fruits cueillis sur les arbres d'un bois se les est certainement appropriés. Nul ne saurait nier que les aliments ne soient à lui. Je pose donc la question, quand ont-ils commencé à lui appartenir ? Quand il les a digérés ? quand il les a mangés ? quand il les a fait bouillir ? quand il les a rapportés chez lui ? ou quand il les a ramassés ? À l'évidence, si la première cueillette ne l'en a pas rendu propriétaire, rien d'autre ne le pouvait. Ce travail les a mis à part des biens communs. Il leur a adjoint quelque chose qui s'ajoutait à ce qu'avait fait la nature, la mère de tous les hommes, et par là ils sont devenus son bien propre. Quelqu'un viendra-t-il prétendre qu'il n'avait aucun droit sur les glands ou sur les fruits qu'il s'est appropriés de la sorte, faute de consentement de l'humanité entière pour les rendre siens ? Était-ce voler que prendre ainsi pour lui ce qui appartenait en commun à tous ? S'il avait fallu obtenir un consentement de ce genre, les hommes seraient morts de faim malgré l'abondance que Dieu leur a donnée. Sur les terres communes qui restent telles par convention, nous voyons que le fait générateur du droit de propriété sans lequel ces terres ne servent à rien, c'est l'acte de prendre une partie quelconque des biens communs à tous et de la retirer à l'état où la nature la laisse. Cependant le fait qu'on se saisisse de ceci ou de cela ne dépend pas du consentement exprès de tous. Ainsi l'herbe qu'a mangée mon cheval, la tourbe qu'a fendue mon serviteur et le minerai que j'ai extrait, partout où j'y avais droit en commun avec d'autres, deviennent ma propriété sans la cession ni l'accord de quiconque. Le travail qui m'appartenait a fixé mon droit de propriété en retirant ces objets de l'état commun où ils se trouvaient. (...) À présent que la propriété ne porte plus au premier chef sur les fruits de la terre et sur les bêtes qui y vivent, mais sur la terre elle-même en tant que celle-ci inclut et comporte tout le reste, il me parait clair que cette propriété, elle aussi, s'acquiert comme la précédente. La superficie de terre qu'un homme travaille, plante, améliore, cultive, et dont il peut utiliser les produits, voilà sa propriété » (Deuxième traité du gouvernement civil).
Dans la vision lockéenne, la liberté comprise comme le « droit de faire ce qu‘on veut » n’existe pas. Ce n’est pas la liberté du renard dans le poulailler que les socialistes ont en bouche dès qu’il s’agit de légiférer contre la liberté entrepreneuriale. Il faut au contraire respecter la propriété des autres et ne pas violer leur liberté. On dispose de la liberté de faire avec ce à quoi on a droit « par nature ».
Dans Les Harmonies économiques, Frédéric Bastiat donne une semblable définition, plus concise mais tout aussi excellente, de la propriété privée : « C’est le droit de s’appliquer à soi-même ses propres efforts, ou de ne les céder que moyennant la cession en retour d’efforts équivalents ». Il précise : « Il y a les dons naturels, les matériaux gratuits, les forces gratuites ; c’est le domaine de la Communauté. Il y a de plus les efforts humains consacrés à recueillir ces matériaux, à diriger ces forces ; efforts qui s’échangent, s’évaluent et se composent ; c’est le domaine de la Propriété. En d’autres termes, à l’égard les uns des autres, nous ne sommes pas propriétaires de l’Utilité des choses, mais de leur valeur, et la valeur n’est que l’appréciation des valeurs réciproques (…) À l’égard des uns et des autres, les hommes ne sont propriétaires que de valeurs et les valeurs ne représentent que des services comparés, librement reçus et rendus. »
Dans son Manifeste libertarien, Murray Rothbard trace les grandes lignes de la société de marché, c’est-à-dire un monde où règnent la liberté et la propriété : « Un homme, X, est propriétaire de son corps et de son travail, ainsi que de la ferme qu’il a défrichée et sur laquelle il cultive du blé. Un autre homme, Y, est propriétaire du poisson qu’il pêche ; un troisième, Z, est propriétaire des choux qu’il cultive et du sous-sol sur lequel ils poussent. Mais, à partir du moment où un homme possède quelque chose, il a le droit de faire don ou d’échanger ces titres de propriété avec un autre, transaction à la suite de laquelle cette autre personne acquiert un titre de propriété absolu. De ce corollaire, le droit de propriété privée fournit la justification élémentaire de la liberté contractuelle et de l’économie de marché. Ainsi, si X cultive du blé, il pourrait et il donnera probablement son accord pour échanger une partie de sa récolte de blé contre une partie du poisson pêché par Y ou contre un ou plusieurs choux cultivés par Z. X et Y s’accordant volontairement pour échanger leurs droits de propriété (ou X et Z, ou Y et Z), la propriété devient en toute légitimité la propriété de l’autre personne. Si X échange du blé contre le poisson d’Y, dès lors le poisson devient la propriété de X, dont il peut disposer librement, et le blé devient la propriété d’Y exactement de la même manière. En outre, un homme peut échanger non seulement les objets tangibles qu’il possède mais également sa force de travail, dont il est naturellement le propriétaire. Ainsi, Z peut offrir d’enseigner aux enfants du fermier X contre une partie des produits de la ferme. »
Lorsqu’un individu achète une voiture pour X euros, il transmet la propriété de ses X euros au concessionnaire qui lui transmet la propriété de la voiture. Le concessionnaire préfère gagner X euros que de conserver la voiture et l’acheteur préfère acquérir la voiture que de garder ses X euros sur son compte courant. Chacun est gagnant. Dans le cas contraire, l’échange ne se conclut pas.
Résumons. La propriété est à la base de toute société d’hommes libres. Nous vivons dans un monde de rareté où les obstacles s’accumulent. Si l’air que nous respirons est gratuit pour tous, il n’en va pas de même pour la plupart des choses dont nous avons besoin pour vivre et que nous avons du mal à obtenir. Nous ne savons pas tous pêcher, nous n’entretenons pas tous de jardins pour planter des arbres fruitiers et des parterres de roses, n’avons pas tous vocation à être des tondeurs de moutons ou des éleveurs d’escargots, nous ignorons comment se fabrique un four à micro-ondes, une chaîne hi-fi ou un parachute, nous sommes pour la plupart incapables de bâtir une maison, même en kit, voire de cuire une pizza dans un four au feu de bois, nous ne pouvons pas rédiger les journaux que nous lisons. Animaux sociaux, nous avons besoin les uns des autres et la division du travail permet des échanges d’individu à individu se déroulant dans un ordre spontané, sans que l’État ait à régler le nombre de pizzas Marguerita qui devront sortir du four sur le coup de midi, sans qu’il ait à déterminer à quelle sauce (beurre, persil et ail ou roquefort) la cassolette d’escargots devra être dégustée, sans nous dire quel journal nous devrons conserver ou celui qui nous servira à emballer les épluchures de pommes de terre.
C’est pour qu’il puisse vivre et survivre en toute circonstance que chaque individu a le droit naturel à la propriété. Puisque l'homme doit assurer son existence par son propre effort, celui qui serait démuni de droit sur le produit de son labeur n'aurait aucun moyen d'assurer son existence. L’homme doit travailler pour vivre et par conséquent doit pouvoir librement jouir du fruit de son labeur. Un individu, propriétaire de sa peine et de son habilité, est ainsi, nous disent les économistes et philosophes du droit naturel, propriétaire de ce qu’il obtient en fonction de ses efforts. L’homme a un droit naturel sur son propre travail, sans quoi il serait un esclave pétrifié qui perdrait sa dignité d’homme et serait à la merci d’un tiers. Les ressources naturelles inutilisées que l’homme transforme par son travail lui reviennent de droit. Il rend aussi des services à celui qui ne peut pas, pour de multiples raisons, s’occuper de tel ou tel travail. On assiste ainsi en permanence à des échanges de services réciproques, « gagnant-gagnant », dans tous les domaines, sans que l’État ait besoin d’intervenir pour y mettre son grain de sel, puisque le patron d’un snack sait mieux qu’un énarque rogue au crâne luisant à quelle température ses fidèles clients préfèrent savourer leur hot-dog.
*
« Une objection courante formulée à l’encontre de la propriété privée, écrit David Friedman dans Vers une société sans État (Les Belles Lettres, 1973), c’est qu’il s’agirait d’un système immoral parce qu’il repose sur l’égoïsme. Or, ceci est faux. La plupart des gens définissent l’égoïsme comme une attitude qui consiste à ne s’occuper que de soi et à considérer le bien-être des autres comme quantité négligeable. L’argument en faveur de la propriété privée est indépendant de ce choix éthique ; il repose simplement sur le fait que des personnes différentes poursuivent des objectifs différents. Chacun est égoïste uniquement dans ce sens qu’il accepte et suit sa propre perception de la réalité, sa propre vision du bien. (…) Une seconde objection souvent formulée à l’encontre d’un système de propriété privée, c’est que les ressources peuvent être mal réparties. Un homme peut mourir de faim, alors qu’un autre a plus à manger qu’il ne le peut. C’est vrai, mais c’est vrai de tout système de répartition des ressources. Quiconque prend une décision peut en prendre une que je réprouve. Naturellement, nous pouvons mettre sur pied une bureaucratie d’État chargée de nourrir les affamés et de vêtir ceux qui sont nus. Mais cela ne veut pas dire qu’ils seront nourris et vêtus. Il arrive un moment où une ou plusieurs personnes doit décider qui aura quoi. Les mécanismes politiques, les bureaux et les bureaucrates poursuivent leurs objectifs propres, tout aussi sûrement que les entrepreneurs privés poursuivent les leurs. »
C’est exactement ce qu’il s’est passé en URSS et dans ses pays satellites. Le séjour de plusieurs semaines que je fis en Pologne durant l’hiver 1986, à Varsovie, Cracovie puis Zakopane, sous le règne sans partage du tyran communiste Wojciech Jaruzelski, le général aux lunettes au beurre noir, m’a profondément marqué. La ville de Zakopane est devenue désormais, grâce à l’économie de marché, une station mondialement réputée de sports d’hiver, mais c’était en ces temps-là un parc sauvage, non entretenu, où les gens se déplaçaient, faute de mieux, en voitures à cheval. C’était romantique mais lent. Nous étions parvenus non sans mal à traverser le pays grâce à un train à vapeur et des billets achetés au marché noir, puisque nos billets officiels ne correspondaient à aucun horaire affiché. Il était difficile d’utiliser une voiture puisque les stations d’essence étaient éloignées d’environ cent kilomètres les unes des autres. Nous nous étions rendu dans les magasins de fournitures d’État pour nous équiper avant de dévaler les pistes où l’on ne pouvait accéder que par la grâce d’un unique téléphérique hors d’âge. S’il fut assez facile de dénicher un ski, je dis bien un ski, il fut par contre beaucoup plus délicat de trouver son double pour faire la paire. Semblable méchef avec les chaussures de ski : s’il était aisé d’en trouver deux, cette fois les tailles n’étaient pas assorties, sauf miracle. Passons sur le reste de l’équipement : la plupart du temps, les clients quittaient le magasin avec un seul bâton en main, et advienne que pourra ! Aucun Polonais ne sortait de ses gonds, c’était l’habitude. Quant aux rares remonte-pentes, ils étaient originaux puisque bloqués de 12h à 17h, horaires de la pause syndicale. Quoi de plus insolite que de skier la nuit, à la belle étoile, sur la chaîne montagneuse des Tatras dont les pistes n’étaient pas délimitées ni damées ?
Quand nous revînmes en France, après plusieurs semaines de dénutrition, ma petite amie Wanda et moi fûmes bloqués à la gare frontalière française par une grève des cheminots cégétistes qui réclamaient je ne sais plus quel nouveau privilège. Admirable symbole ! Dans les wagons, les Polonais riaient à gorge déployée : « Vous avez les mêmes sympathiques enragés que chez nous ! » N’était-ce point magnifique ? Pourquoi ces guignols bilieux n’émigraient-ils pas derrière le rideau de fer ?
Vers cette époque, une blague circulait parmi la population d’Union soviétique, qui prenait avec humour et un certain cynisme la tragique situation dans laquelle il fallait tenter bon gré mal gré de survivre. En URSS, il y avait alors un délai d’environ dix années pour commander une voiture, les fameuses Lada (« Combien de personnes peut-on mettre dans une Lada ? Tout dépend de la puissance de la dépanneuse »). Au « paradis des travailleurs », seule une famille sur sept possédait une automobile. Pour parvenir à acheter ce bien tant convoité il fallait remplir des formalités et des paperasses à n’en plus finir. Il était aussi indispensable de payer à l’avance. L’histoire raconte qu’un acheteur déposa la somme de roubles requise auprès du fonctionnaire faisant état de concessionnaire, qui lui annonça : « Parfait ! Venez prendre livraison de votre véhicule dans dix ans ! » L’acquéreur répliqua : « Le matin ou l’après-midi ? » Surpris, derrière son comptoir , le fonctionnaire lui rétorqua : « Mais voyons, qu’est-ce que ça change ? Vous ne serez livré que dans dix ans ! » Réponse de l’acheteur : « Oui, mais le plombier passe dans la matinée ! »
Certes, la France actuelle est différente de l’URSS des années quatre-vingt. Il n’y pas de goulag et les élections y sont libres. Mais l’esprit reste le même. En 1991, Kirill Privalov écrivait : « Il me semble qu'à la suite d'une rotation des cadres à tous les échelons du pouvoir, sensiblement plus rapide qu'en Russie ou en URSS, il existe aujourd'hui sur les rives de la Seine une société bureaucratique qui emploie presque un Français sur quatre. Comme Soviétique, je m'étonne en permanence de voir à quel point toute la société française est contaminée de haut en bas par l'esprit bureaucratique. » (Un soviet au pays de Tonton [et si l'URSS nous avait transmis son mal bureaucratique?], Robert Laffont, 1991). Même bilan en 2016 établi par l’économiste Charles Gave : « La France est une nation qui a été capturée par un État et l'État met en coupe réglée la France depuis bien longtemps. Les gens qui sont à l'intérieur de l'État sont, sans s'en rendre compte, des criminels exploiteurs. » La même années, sur BFMTV, l’historien et économiste Philippe Chalmin tirait une conclusion identique : « En France, nous sommes dans le dernier grand État soviétique de la planète. »
Dans un article bien sourcé de la revue Contrepoints datant du 10 avril 2018, Olivier Maurice établit une comparaison entre les économies de l’URSS des années cinquante et de la France contemporaine prétendument ultra-libérale, comme dirait l’ubuesque fonctionnaire Thomas Piketty. Conclusion : « La place occupée par les politiques publiques de la France de 2017 est bien identique à celle de l’URSS de 1953 : même proportion du PIB consacrée aux mesures sociales et culturelles, même taille de l’administration centrale et mêmes dépenses satellites distribuées par les collectivités locales. Les partisans de l’État-providence peuvent se féliciter, la France suit bien à la lettre le schéma de son illustre modèle : il n’y a aucune différence dans les moyens alloués à la politique sociale de l’URSS et celle de la France (…) La taille de l’État français (hors économie) est bien identiquement disproportionnée, tout comme elle l’était en URSS. En y regardant de plus près, l’État français semble même plus opulent que son homologue soviétique, ayant rogné jusqu’à l’os sur la fonction régalienne de défense, afin de compenser le poids astronomique de la dette contractée par sa politique économique et sociale.»
Maurice ajoute qu’il « devient plus rentable de vivre des prestations sociales et des largesses de l’État-providence plutôt que de travailler un peu pour soi et beaucoup pour les autres. » N’oublions pas qu’en France, un tiers des salaires (33,5% en 2014) sont ceux de fonctionnaires ou d’agents de la fonction publique payés avec l’argent des autres contribuables !
Passons promptement en revue divers chiffres évocateurs en gardant en mémoire cette réflexion de Benjamin Constant : « Le peuple n’est pas misérable seulement parce qu’il paie au-delà de ses moyens, mais il est misérable encore par l’usage que l’on fait de ce qu’il paie ». En 2013, l'index de liberté économique de la fondation Heritage a placé la France en 70e position sur 178 pays recensés avec un score de 64,1 %, derrière la Turquie, le Rwanda, la Roumanie, l'Albanie. En 2016, la situation avait empiré : la France était 73e avec un score de 62,5 % ! Notre pays subit l’une des pressions fiscales les plus élevées au monde : en 2016, selon l'Office européen de statistiques Eurostat, le pourcentage d'impôts et de cotisations sociales que paient les salariés et les entreprises atteignait chez nous 47,6%, autrement dit plus qu'au Danemark, jusqu'alors champion du monde, contre 23,8% en Irlande, 26% en Roumanie, 29% en Bulgarie. L’État-providence dont nous sommes si fiers est financé par la dette, qui a atteint 2000 milliards d'euros en 2014. La dépense publique représente 56 % du PIB (au début du XXe siècle, elle était de 10% ), c'est-à-dire 10 % de plus que dans la plupart des pays européens. Dans le même temps, le poids de la France a décliné dans le monde de 4,4% du PIB mondial en 1980 à 2,2% en 2017 ; en 1980, le PIB de la France représentait 20% du PIB des États-Unis contre 14,6% en 2017. En 2016, selon le Misery index de Bloomberg, calculé en fonction de deux indicateurs, le taux d’inflation et le taux de chômage, la France se trouve à la 21e place du classement sur 63 pays.
Qui dit pire ?
*
Le problème théorique, chez les socialistes, et aussi chez « la droite la plus bête du monde » qui les talonne, c’est qu’au lieu de faire la promotion de la propriété et de permettre au plus grand nombre d’individus d’y accéder - puisque l’on constate que la propriété permet partout dans le monde d’élever le niveau de vie et la qualité de la liberté de chacun, en préservant la dignité de l’homme -, ils ont tiré la conclusion aberrante que si le fait d’être libre implique d’être propriétaire, alors, puisque celui qui ne l’est pas est moins libre, il devient nécessaire de lui octroyer d'autres droits que la liberté de propriété, aux dépens de celle-ci : des droits sur la collectivité. Sont ainsi apparus la propagande pour les « services publics », en réalité étatiques (en a-t-on assez entendu parler des routes, des hôpitaux, des écoles que les impôts permettent de construire !), la lutte « contre les inégalités » et « l’exclusion », la « justice sociale », « l’égalité des chances », l’apparition des « droits sociaux» (minimum salarial, éducation « gratuite » pour tous, âge de la retraite, congés payés, remboursement de l'avortement, etc.) .
On a alors assisté à un phénomène de redistribution forcé, à la politique des transferts sociaux obligatoires. En lieu et place de l’opposition marxiste entre propriétaires et prolétaires s’est établie une discrimination entre ceux qui sont contraints de payer l’impôt par la force pure, sans qu’on leur demande leur avis, et ceux qui en vivent. Plus de la moitié des Français ne s’acquittent pas de l’impôt sur le revenu et vivent dans l’idée que, comme disait François Hollande « ce n’est pas cher, c’est l’État qui paye ». D’un autre côté, plus de 50% des Français sont entretenus par l’argent dit public. C’est un pillage généralisé au profit des drogués de l’assistanat. Au gré des impôts et des cotisations sociales, le Français moyen travaille environ six mois de l’année pour l’État. Le véritable salaire, le salaire complet, n’est ni le salaire dit net, ni le salaire dit brut (les charges salariales), mais ce dernier plus les charges patronales : qui le sait, qui le prend en compte ? Chaque mois, c’est bien la moitié du fruit de notre travail qui disparaît dans les caisses de l’État.
« Que devons-nous penser d’un peuple où l’on ne paraît pas se douter que le pillage réciproque n’en est pas moins pillage parce qu‘il est réciproque ; qu’il n‘en est pas moins criminel parce qu’il s’exécute légalement et avec ordre ; qu’il n‘ajoute rien au bien-être public ; qu’il le diminue au contraire de tout ce que coûte cet intermédiaire dispendieux que nous nommons l’État ? », se demandait déjà Frédéric Bastiat en 1848.
Le principe naturel de propriété a été de plus en plus battu en brèche, parce qu’il est devenu banal d'ajouter à la liste des droits naturels, une série d'autres droits de nature collective ou catégorielle, qui entrent de facto en conflit avec les droits de propriété car ils impliquent de s'approprier par la force ce qui appartient à d'autres, en se contentant d’exister et de revendiquer « toujours plus !», titre d’un excellent livre de François de Closets paru chez Grasset en 1982.
Prendre à Pierre pour donner à Paul cela s’appelle du vol. Prendre à Pierre en disant à Pierre que c’est pour son bien, car qu’il s’agit de défendre ses intérêts ou de lui rendre service, cela s’appelle du racket et c’est une méthode mafieuse. Il faut dire et répéter inlassablement qu’un don étatique n’existe pas, sous quelque forme que ce soit, qu’une somme d’argent distribuée par l’État n’est rien d’autre qu’un transfert forcé et immoral puisque portant gravement atteinte aux droits de propriété des individus. Extrait du discours de Margaret Thatcher donné le 14 octobre 1983 : « L’État n’a aucune autre source d’argent que l’argent que les gens gagnent eux-mêmes. Si l’État souhaite dépenser plus, il ne peut le faire qu’en empruntant votre épargne ou en vous taxant davantage. Il n’y a rien de bon à ce que quelqu’un d’autre paie ; cette autre personne, ce sera vous. L’argent public n’existe pas, il n’y a que l’argent des contribuables. »
Il faut se faire à l’idée que l’État ne produit pas de richesses : ce sont les individus qui les produisent. Les hommes d’État se contentent de découper le gâteau à leur convenance. Ils ne donnent pas plus que ce qu’ils récoltent, mais moins, puisqu’ils se servent largement au passage. L’État ne spolie pas que les riches, mais aussi les pauvres, bien plus nombreux. C’est dans sa nature.
La charité privée, comme le mécénat privé, sont des activités honorables devant être encouragées, mais les redistributions exigées auxquelles procède l’État ne sont rien d’autre qu’un cambriolage pur et simple. Je rappelle que l’impôt n’est pas consenti mais…imposé ! Si l’impôt était volontaire, il n’y aurait pas besoin d’utiliser la coercition pour que les gens le payent. Celui qui en doute n’a qu’à tenter l’expérience de ne pas y consentir et de refuser le prélèvement fiscal, il verra tout de suite les conséquences de son acte. Or sans liberté, pas de consentement possible. Sans consentement, pas de morale. Et sans morale, c’est le règne de l’arbitraire et de l’injustice.
Le socialisme c’est l’arbitraire, l’immoralité et l’injustice. Et la droite, quand elle copie-colle son programme alors qu’elle s’est fait élire sur un programme défendant des valeurs de liberté et de propriété, est pis encore que le socialisme, car, par surcroît, elle a trompé ses électeurs pour s’emparer du pouvoir.
La différence entre la droite des libertés et la gauche étatiste, toutefois, c’est que la socialisme, et toute la gauche par extension, sont fondées sur la jalousie, l’envie, l’aigreur, l’amertume, la frustration, la haine envers tout ce qui est fort et en bonne santé (d’où l’égalitarisme), et le ressentiment. C’est un courant idéologique animé par un désir de vengeance : « Si la jalousie, l’envie et la haine pouvaient être éliminées de l’univers, le socialisme disparaîtrait le même jour » faisait observer le perspicace sociologue français Gustave Le Bon. À l’opposé, l’homme de droite, le « Fils de la Liberté », préfère à ces sentiments rageux ceux du courage, de la responsabilité personnelle, de la valeur individuelle, de la beauté, de l’aventure. Il est animé par un désir irrépressible d’équité. L’homme de la droite libre peut reprendre à son compte cet idéal de Nietzsche : « Ma formule pour ce qu'il y a de grand dans l'homme est amor fati : ne rien vouloir d'autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles. Ne pas se contenter de supporter l'inéluctable, et encore moins se le dissimuler - tout idéalisme est une manière de se mentir devant l'inéluctable - mais l'aimer »
(Ecce homo, 1888).
Henri Lepage, dans Pourquoi la propriété, explique ce processus fatal : « On entre dans un autre univers, où la véritable liberté, dit-on, c'est la démocratie, le pouvoir du suffrage universel, alors que la liberté individuelle est au contraire associée au ‘pouvoir de l'argent’, à la liberté de mourir de faim, à la liberté du renard dans le poulailler (…) Les droits de propriété cessent alors d'apparaître comme des attributs individuels ancrés dans l'essence de la personne humaine, pour devenir de simples prérogatives de la puissance publique ; prérogatives dont l'usage et la jouissance sont seulement concédés aux individus pour autant qu'une majorité d'entre eux ne s'y oppose pas. D'une vision du monde où la propriété privée était vécue comme un instrument d'émancipation et de libération, on passe à une conception où la propriété cesse d'être un ‘droit’ pour devenir une simple ‘fonction’ - terne significatif qui, derrière l'idée de ‘devoirs’ (les devoirs du propriétaire de faire un usage de sa propriété conforme au ‘bien commun’), implique l'idée de révocabilité, de dépendance, et donc tout le contraire de l'autonomie ».
De la notion, gorgée de sapience, de propriété libératrice définie par Locke, on en est arrivé au stade délusoire où des prédicateurs malfaisants enseignent qu’elle opprime le peuple. Détenant le monopole de la définition des droits de propriété, l’État s’est octroyé le droit de fixer des limites au droit naturel des uns et des autres. Nous vivons dans le ténébreux Léviathan de Hobbes dont la tyrannie est supposée, par un retournement dialectique aussi illusoire que délirant, être libératrice, en usant de violence.
Les spécialistes de l'École dite de la Théorie des Choix publics, tels James Buchanan, Prix Nobel d’économie 1986, Gordon Tullock, Anthony Downs, William Niskanen, Mancur Olson, ont étudié cette escroquerie intellectuelle. L’économiste français Bertrand Lemennicier explique leur méthode et leurs sujets d’étude : « La théorie des choix publics offre une analyse qui se veut d'abord ‘positive’ au sens philosophique du terme : elle décrit et explique des phénomènes de choix humains en se concentrant sur les causes et effets comportementaux, sans les juger moralement. L'économiste décrit l'État tel qu'il est et non pas tel qu'il devrait être (…) Elle traite de sujets tels que l’origine des États avec les notions de biens publics et d’externalités, la démocratie directe et représentative, les régimes politiques dictatoriaux, le choix des procédures de votes, l’échange des votes, l‘analyse de la compétition entre partis politiques, le fédéralisme, les constitutions, la recherche de rente et le lobbying avec leurs groupes de pression, la capture des réglementations, la bureaucratie nationale et internationale, la taille du gouvernement ou des nations, le pouvoir de taxation, l‘illusion fiscale, la guerre et les conflits intra ou inter-étatiques, les révolutions, etc. » (« Théorie des Choix Publics », Libres ! 100 idées, 100 auteurs, coll. La Main invisible, s.d.).
Buchanan et ses collègues ont démontré les raisons profondes pour lesquelles l’État moderne devenait aussi tentaculaire et dépensait autant. Les interventions publiques ne sont pas dues à la volonté charitable d’établir une quelconque justice sociale (conte à dormir debout qu’on débite aux futurs socialistes dès leur premier biberon), ni par la recherche d’un artificiel « intérêt général » transcendant, qui, s’il n’est pas simplement le respect des droits naturels de chacun, s’oppose concrètement aux intérêts des individus et les tient en état de sujétion. En réalité, l’extravagant développement de l’intervention étatique s’explique par le profit qu'en retirent certains groupes sociaux à qui est reversé le fruit des impôts en raison des services et des programmes qu’ils exigent (principe du clientélisme, notamment au bénéfice des minorités visibles actives et de grands patrons, au détriment de la majorité amorphe et des petits entrepreneurs honnêtes), ainsi que l’élite des élus et des fonctionnaires, qui ne forment rien d’autre que la nouvelle classe des privilégiés. Ceux-ci se comportent comme des consommateurs et des producteurs. Leur motivation première est de maximiser leur propre intérêt et non de rechercher un indéfinissable intérêt collectif, formule électorale et démagogique, qui, comme les promesses dont parlait Charles Pasqua, « n’engagent que ceux qui y croient ».
Comme le disait l’économiste Thomas Sowell, de l’école de Chicago de Milton Friedman, « le politicien n’a que deux priorités : être élu et être réélu. Et quelle que soit la troisième, elle est loin derrière les deux premières. » Le souci, c’est que l’argent qu’utilisent avec prodigalité les bureaucrates et les hommes politiques n’est pas le leur, mais celui des contribuables. L’expérience a prouvé que les nouveaux privilégiés, agissant collectivement et dans un état d’irresponsabilité totale, dépensent davantage qu'ils ne le feraient individuellement, en tant que chefs d’entreprise. « Le capitalisme d’État se compose d’un ou plusieurs groupes faisant usage de l’appareil coercitif du gouvernement - l’État - afin d’accumuler du capital pour eux-mêmes en expropriant la production des autres par la force et la violence », écrit Murray Rothbard. Dès lors, il est dans la nature des choses que le gaspillage politique ait tendance à s'accroître démesurément.
L’homme politique a cherché à satisfaire ses fins en comptant sur l'usage du monopole public de la contrainte pour satisfaire ses intérêts particuliers et ceux de ses électeurs et de ses soutiens. Les procédures contractuelles du marché ont été marginalisées au bénéfice de la coercition étatique. Voilà pourquoi l’État moderne a évolué au détriment des droits naturels des individus et au profit des intérêts catégoriels et des agents de l'État.
Selon la vision équilibrée de Locke, l’État avait pour mission de faire respecter les règles du jeu afin que les droits naturels de l’homme fussent respectés et que la liberté des uns fût dûment bornée par le respect des droits des autres. La croyance en la toute-puissance de la démocratie a entraîné la diffusion d'une conception égalitariste et redistributive. On a rendu l’homme dépendant et irresponsable. On l’a abalourdi.
On entend beaucoup contester les monopoles privés, mais oncques les monopoles publics : on a l’impression que la SNCF est composée de moines trappistes ou de bénévoles se saignant aux quatre veines pour le Bien commun, des enfants de chœur qui mériteraient leur régime spécial sans que l’on ait le droit de s’interroger sur les lignes TGV déficitaires, la dette colossale de l’entreprise (55 milliards d’euros) et l’énormité des subventions publiques qui lui sont accordées (11 milliards d’euros par an) !
La dictature démocratique a fait perdre aux hommes le sens de leurs droits authentiques et l’envie de les défendre avec impétuosité contre la moraline gauchiste dominante. Pour la grande majorité de nos semblables il est devenu normal que les impôts soient prélevés au taux où ils le sont aujourd’hui, avec progressivité. Il est normal que des lois définissent l’histoire ; il est normal qu’on ose légiférer contre de vraies ou supposées fake news. Il est normal qu’on empêche les gens de parler de ce qu’ils veulent en usant des termes de leur choix. Il est normal que la culture soit subventionnée ; qu’il existe des chaînes de télévision et de radio publiques. Il est normal que les cotisations sociales soient devenues l’équivalent d’un impôt sur le revenu ; que l’exercice de la médecine ne soit pas libre. Il est normal que tous ceux qui se présentent à la porte des hôpitaux publics soient « gratuitement » pris en charge ; qu’une personne célibataire et sans enfant doive payer pour des familles nombreuses percevant d’immenses privilèges ; il est normal que les dépenses de protection sociale soient passées de 14% du PIB en 1959 à 33% aujourd’hui (environ 715,5 milliards d’euros, chiffre de 2013). Il est normal pour tous ces gens que l’on ne puisse pas embaucher qui l’on veut en vertu de critères qui nous sont chers ; que la vitesse automobile soit de plus en plus abaissée comme si les conducteurs étaient des incapables majeurs placés sous curatelle ; que les carburants soient surtaxés, des taxes comptant pour 60% des prix de l'essence et du gazole à la pompe ; que l’État fixe le prix du tabac. Il est normal que le flicage généralisé n’ait pas été capable d’empêcher des attentats aussi prévisibles que celui contre Charlie Hebdo. Il est normal qu’on ne puisse pas fumer ce qu’on a envie de fumer. Il est normal qu’il soit interdit de sortir de l’euro ; qu’il existe des banques centrales ; que l’État, au XXe siècle, ait soudain décidé de supprimer la garantie de convertibilité à prix fixe contre de l’or ou de l’argent et se soit permis de monopoliser la création monétaire. Il est normal qu’il soit impossible de ne pas financer une guerre à laquelle on est opposé ; que l’on soit contraint de payer pour l’ art contemporain que l’État subventionne avec l’argent de la spoliation légale ; que l’épargne soit surtaxée ; que la laïcité soit devenue la nouvelle religion de l’État ; que l’on ne puisse pas se défendre à armes égales face à un meurtrier éventuel. Ils considèrent qu’il est normal que l’État s’occupe de l’éducation de nos chères têtes blondes depuis l’âge de trois ans avec pour résultat 140 000 analphabètes qui sortent chaque année de l’école publique. Il est aussi devenu normal qu’on leur inflige onze vaccins dès le plus jeune âge !
D’exceptionnelle dans l’ancienne France, la contrainte étatique est devenue la norme dans la société moderne, détruisant tous les contre-pouvoirs et les équilibres traditionnels. L’humanisme en vogue n’est plus qu’un vulgaire procédé rhétorique, une façade conservée comme décor tandis que les bâtiments intérieurs ont été détruits. On vit à l’ère du « citoyennisme », une lourdaude construction de l’esprit élaborée dans les cafardeux bureaux des ministères et qui définit l’homme non pas en raison de ce qu’il est mais en fonction des valeurs que l’État a décidé de lui accorder. « Tu seras un citoyen, mon fils ! Suis à la lettre ce que t’ordonne l’État-papa-maman, et tu seras libre ! » Les hommes d’État agissent aujourd’hui comme s’ils étaient les propriétaires de la France et des individus qui y vivent. Ils ne le sont pas. Il convient de le leur rappeler à chaque instant. Ce sont nos commis, nous pouvons les renvoyer dans leurs pénates quand bon nous chante !
Face à de tels blocages, devenus structurels et a priori incoercibles, il est nécessaire, pour que nos droits naturels soient respectés, de trouver des alternatives concrètes. Je vais présenter dans le prochain chapitre des solutions qui iront bien au-delà de ce que les habituels programmes de partis dits de droite, qui se limitent à jaspiner de privatisation (mieux vaudrait parler de déréglementation c’est-à-dire d’ouverture du marché) et à appâter le chaland en lui faisant espérer des baisses d’impôts. De telles mesures sont nécessaires, mais, au point de déliquescence où nous en sommes, largement insuffisantes.
L’État est l’ennemi absolu. L’État n’est qu’une abstraction, ce sont des hommes qui le font, ni plus doués ni plus dévoués au Bien commun que la moyenne des individus. Vu la manière dont ils sont arrivés au sommet de notre Idiocratie, c’est même tout le contraire. D’ailleurs, « comment pourrait-il y avoir un ‘Bien commun’ ? Le mot enferme une contradiction. Ce qui peut être mis en commun n'a jamais que peu de valeur », disait le philosophe au marteau dans Par-delà le bien et le mal (1886). Ce ne sont que des rapports de force qui maintiennent l’État en place. Il faut prendre au sérieux la formule de Nietzsche dans Zarathoustra, qui enseignait apertement que « l’État est le plus froid des monstres froids ».
Il est temps d’être radical, d’aller au-delà de la pensée consensuelle, sans quoi rien ne se jamais transfiguré. Il faut reconsidérer la France sous un autre angle et se séparer des vieux schémas sans quoi nous devrons nous conter de barboter dans une mare en attendant la mort. Il importe de changer de paradigme. Il faut sortir de l’État, qui repose sur le monopole de la contrainte illégitime. Les lions ailés doivent rugir ! Qui m’aime me suive !
Paul-Eric Blanrue