"La société ouverte se caractérise par le fait qu’elle reconnaît chaque être humain comme une personne : la personne a une dignité inaliénable. Elle a la liberté de façonner sa vie selon ses choix, ainsi que la responsabilité de rendre compte de ses actes sur demande. La liberté est la condition humaine (...) Selon Popper, les ennemis intellectuels de la société ouverte sont ceux qui prétendent posséder la connaissance d’un bien commun. Sur la base de ces connaissances, ils prétendent être en mesure de contrôler la société de manière technocratique afin de réaliser ce bien. (...) Cette connaissance se situe au-dessus de la liberté des individus, c’est-à-dire au-dessus de leur propre jugement sur la façon dont ils veulent façonner leur vie. (...) les nouveaux ennemis de la société ouverte n’opèrent pas avec le mirage d’un bien absolu, mais avec la peur délibérément alimentée de menaces qui mettraient prétendument notre existence en danger. Ces menaces sont sous-tendues par des faits, tels que la propagation du coronavirus ou le changement climatique. Ces menaces sont prises comme une opportunité de rendre certaines valeurs absolues, comme la protection de la santé ou la protection du climat. Une alliance de scientifiques, de politiciens et de dirigeants de l’économie prétendent savoir comment gérer la vie sociale, familiale et individuelle afin de préserver ces valeurs. Là encore, il s’agit d’un bien social supérieur – protection de la santé, conditions de vie des générations futures – derrière lequel la dignité humaine individuelle et les droits fondamentaux doivent passer au second plan. (...) Les nouveaux ennemis de la société ouverte alimentent la crainte de la propagation d’un soit-disant fléau du siècle ; pourtant, il est évident que toute forme de contact physique peut contribuer à la propagation du coronavirus (ainsi qu’à d’autres virus et bactéries). Ils suscitent la peur d’une catastrophe climatique imminente ; pourtant, il est évident que toute action a un impact sur l’environnement non humain et peut ainsi contribuer au changement climatique. Par conséquent, chacun est censé prouver que ses actions ne font pas avancer involontairement la propagation d’un virus, la dégradation du climat, etc. – on peut prolonger cette liste à son gré. De cette manière, tous les individus sont placés sous la suspicion générale de nuire aux autres par tout ce qu’ils font. (...) Cela abolit la liberté et installe un nouveau totalitarisme, car l’exercice de la liberté et la garantie des droits fondamentaux dépendront alors d’un permis accordé – ou refusé – par une élite d’experts."
Michael Esfeld