Dans notre monde tumultueux qui s'accroche à la grosse aiguille d'une montre qui ne donne plus l'heure mais aboie des ordres, qui se souvient encore du passage sur terre de Taisen Deshimaru (1914-1982), l'introducteur en Occident du bouddhisme zen ?
Fût un temps, à Paris, ce digne Japonais de l'école Sōtō était une véritable icône. Maître vivant dépositaire d'une doctrine ancestrale, il s'était fait son trou et fut suivi d'un aréopage mêlant ardents zélateurs, honnêtes chercheurs de vérité, saints en herbe, moines en devenir, mais aussi bobos barjots, pisseuses en mal d'orgasme spirituel et dépressives chroniques. L'époque était au dépaysement. Les valeurs nationales étaient dévaluées. On cherchait l'enracinement ailleurs, au Pays du Soleil Levant que Little Boy avait scarifié mais pas tué, pour oublier le passé récent, repartir à zéro, arracher de la mémoire la plus longue des informations pouvant servir au temps présent, saturé de matérialisme et avide de spiritualité authentique, sans les dogmes échevelés qui ne convainquaient plus personne.
Durant quelques années où les optimistes crurent tout possible, même la "zenification" de la nouvelle Europe, les disciples de Deshimaru s'en allèrent fréquenter avec assiduité ses dojos sis dans la capitale et de nombreuses grandes villes de France et à l'étranger, où l'on faisait zazen avec un rare sérieux, comme si l'on enjambait les siècles pour aller se baigner dans les larmes de sang des soldats de l'Empereur et respirer à pleins poumons la sueur des samouraïs ; certains, pour faire plus chic, choisissaient de ne plus se nourrir qu'en suivant les lois de la macrobiotique, afin d'avoir le total look et d'être plus royaliste que le roi.
Comme toutes les traditions venues d'ailleurs, mal comprises, récupérés par de vils exploiteurs au détriment du message original, l'enseignement de Deshimaru fut en partie phagocyté par la société consumériste songeant au tristement célèbre "développement personnel" lequel n'est que le moyen le plus sordide d'utiliser des techniques traditionnelles ayant démontré leur efficacité afin d'obtenir une meilleure productivité au sein de l'entreprise (c'est ce que les Évangiles nomment : "donner des perles aux pourceaux"). Alors que le mot d'ordre de Taisen était le "lâcher prise", on chercha à l'intégrer dans une société dont il ne tentait que de sauver les hommes ("ceux qui ne clignent pas de l'oeil"); lui, au contraire, faisait l'apologie d'un modèle austère, mais non ascétique, de société se tenant à égale distance du socialisme et du capitalisme lesquels avaient tous deux démontré leur inaptitude à prendre en charge les besoins de l'homme total. Et puis Deshimaru disparut, et les groupes qui avaient essaimé jusqu'à Venise éclatèrent et s'éteignirent peu à peu. Il en reste heureusement aujourd'hui, comme le très beau temple de La Gendronnière dans le Loir-et-Cher. Et les livres du Maître en Poche. C'est à peu près tout.
Votre humble serviteur a toujours considéré Deshimaru, parmi bien d'autres, comme l'un des grands maîtres du renouveau de la pensée orientale en Occident - ou plutôt : de la pratique que cette pensée doit entraîner chez celui s'en inspire. Son arrivée sur notre sol fut une révolution, quoique, en réalité, l'Europe fût depuis longtemps ouverte à son apport. La pensée de Schopenhauer, influençant celle de Richard Wagner et de ses oeuvres, se résorbait déjà en une forme de bouddhisme teintée de christianisme purifié ; Nietzsche avait dit, en ses belles années de calme psychique, tout le bien qu'il pensait du Bouddha, et dans ses livres, Deshimaru le cite fort à propos ; la pratique de la doctrine de l'Éveil avait sauvé du suicide Julius Evola lorsqu'il avait perdu ses deux jambes durant le bombardement de Vienne où il s'était réfugié à la fin de la Seconde guerre mondiale ; découvrant le Japonais Suzuki et ses trois magnifiques essais portant sur la bouddhisme zen, Martin Heidegger tint lui aussi à faire savoir que la pensée qu'il voyait s'y déployer était identique à celle qu'il tentait de mettre en mots, depuis la fin des années vingt, en utilisant la vieille langue allemande qui lui rendait difficile de s'élever à ces simplicités sèches, incisives, dénuées de tout pathos germanique. Ces idées philosophiques avaient été de formidables propédeutiques permettant d'accueillir Taisen Deshimaru, le non sectaire, le non mystico-dingo comme le sont tant d'autres gourous d'hier et d'aujourd'hui, mais un sage discipliné, travaillant sur lui avant d'enseigner aux autres, forcené de "l'auto-fascisme", qui sema en Europe les graines d'une technique mentale forte, raffinée, efficace et noble permettant la maîtrise des pulsions négatives, démontrant ce qu'est la tenue et le courage face à l'adversité, une technique inconnue alors en Europe, sauf en de rares cercles d'initiés. Puissions-nous nous en inspirer pour chevaucher un Tigre qui, sous nos yeux, se transforme chaque jour un peu plus en terrifiant Dragon !
Votre humble serviteur a toujours considéré Deshimaru, parmi bien d'autres, comme l'un des grands maîtres du renouveau de la pensée orientale en Occident - ou plutôt : de la pratique que cette pensée doit entraîner chez celui s'en inspire. Son arrivée sur notre sol fut une révolution, quoique, en réalité, l'Europe fût depuis longtemps ouverte à son apport. La pensée de Schopenhauer, influençant celle de Richard Wagner et de ses oeuvres, se résorbait déjà en une forme de bouddhisme teintée de christianisme purifié ; Nietzsche avait dit, en ses belles années de calme psychique, tout le bien qu'il pensait du Bouddha, et dans ses livres, Deshimaru le cite fort à propos ; la pratique de la doctrine de l'Éveil avait sauvé du suicide Julius Evola lorsqu'il avait perdu ses deux jambes durant le bombardement de Vienne où il s'était réfugié à la fin de la Seconde guerre mondiale ; découvrant le Japonais Suzuki et ses trois magnifiques essais portant sur la bouddhisme zen, Martin Heidegger tint lui aussi à faire savoir que la pensée qu'il voyait s'y déployer était identique à celle qu'il tentait de mettre en mots, depuis la fin des années vingt, en utilisant la vieille langue allemande qui lui rendait difficile de s'élever à ces simplicités sèches, incisives, dénuées de tout pathos germanique. Ces idées philosophiques avaient été de formidables propédeutiques permettant d'accueillir Taisen Deshimaru, le non sectaire, le non mystico-dingo comme le sont tant d'autres gourous d'hier et d'aujourd'hui, mais un sage discipliné, travaillant sur lui avant d'enseigner aux autres, forcené de "l'auto-fascisme", qui sema en Europe les graines d'une technique mentale forte, raffinée, efficace et noble permettant la maîtrise des pulsions négatives, démontrant ce qu'est la tenue et le courage face à l'adversité, une technique inconnue alors en Europe, sauf en de rares cercles d'initiés. Puissions-nous nous en inspirer pour chevaucher un Tigre qui, sous nos yeux, se transforme chaque jour un peu plus en terrifiant Dragon !
Paul-Éric Blanrue