Extraits de Sécession, l'art de désobéir (Fiat Lux, 2018).
« Il est injuste qu'on nous dénie le droit de contester des croyances courantes, ou la culture dominante, surtout lorsque chacun sait que les livres sont écrits par les vainqueurs. Cela ne provient pas de la haine de dire "Je ne crois pas" concernant quoi que ce soit. Ces trucs anti-liberté de parole m'agacent toujours »
Steve Wozniak, e-mail à Paul-Éric Blanrue, 2010
Pour Kant, le droit naturel de l’homme se résume à la liberté : « La liberté, écrit-il, est l'unique droit originel revenant à chaque homme en vertu de son humanité ». Pour le philosophe stoïcien Épictète, « la liberté, c’est l’indépendance de la pensée ». Je ne le leur fais pas dire ! Durant toute ma carrière de chercheur (et de trouveur), la notion de liberté, en particulier de liberté de pensée et d’expression, s’est toujours trouvée propulsée au premier plan de mes préoccupations par des réacteurs invisibles.
Question de caractère peut-être. D’environnement aussi. Enfant, l’ambiance religieuse dans laquelle j’ai été éduqué m’a entraîné, par contrecoup, à prendre mes distances vis-à-vis de ce que j’entendais répéter autour de moi comme allant de soi. Les belles paroles professées, la bouche en cœur, par d’amphigouriques prédicateurs ne correspondaient pas à la réalité telle que je la voyais. Les curés qui m’approchaient n’étaient pas des saints et les « fidèles » ne l’étaient pas tant que ça, fidèles. L’incompréhensible culte de « l’étranger » auquel s’adonnait l’Église de Vatican II me brisait les oreilles :
Qui était ce Superman que l’on nommait « l’étranger » ? Je ne comprenais pas en quoi « l’étranger » était par principe plus respectable que mes amis ou ma famille. Il était déjà suffisamment difficile d’entretenir d’excellentes relations avec mes proches, alors s’il fallait par surcroît se préoccuper d’accueillir dans mon cœur toute l’humanité souffrante, je n’aurais pas assez de cent vies !
Le principe de l’étranger ne me gênait pas en soi, c’est sa sanctification qui péchait, son idéalisation. Cette préférence, chantée à tue-tête par les bourgeois endimanchés de la grand-messe, me faisait douter de la sincérité de ceux qui envisageaient une humanité cadencée par cette valeur extraordinaire, digne d’un saint François d’Assise, mais qui ne se situait pas au niveau modeste du bon peuple qui tente de gagner sa maigre pitance dans un monde de compétition. C’était trop beau pour être vrai. Ça sentait le cabotinage.
Et puis le moralisme de grand-mère qu’on m’enseignait, fleurant l’eau de Cologne Extra-vieille, me répugnait d’instinct. Quant aux dames catéchistes, qui nous préparaient à la communion puis à la confirmation, je m’aperçus sans tarder qu’elles nous racontaient des sornettes. Nous prenait-on pour des poires, sous prétexte que nous étions minots ? À certaines scènes évangéliques, je préférais la vérité morale du « Corbeau et le Renard ». Au moins La Fontaine avait du style.
Je n’ai jamais pu suivre une Messe du début à la fin. Arrivé à la seconde lecture, je tombais de sommeil. J’aimais les rares chants en latin qui résonnaient dans la nef, comme le poignant Kyrie qui demande au Seigneur de prendre pitié des hommes tourmentés. J’appréciais des aspects de la cérémonie comme l’Eucharistie. Quelle beauté précieuse que cette vénération de la Présence réelle ! Je croyais en Dieu comme à l’existence de mes parents. Je connaissais mes prières sur le bout des doigts et ne m’endormais pas, la nuit venue, sans « faire mon dizainier ». Il m’est arrivé de jouer de l’orgue à l’église Sainte-Thérèse de Metz pour des mariages et des enterrements. J’aimais lire les Béatitudes :
Enchanteresses et célestes bénédictions ! Sublime sermon d’espérance, prodigieux, saisissant, incomparable acte de foi en la divine justice !
Mon attrait pour l’au-delà s’arrêtait cependant à ce stade. Je ne grimpais pas plus haut dans l’échelle de la mystique. Je n’avais pas la « foi du charbonnier ». La découverte du Tombeau vide ne me remuait pas les tripes. J’ai toujours préféré Noël à Pâques, qui ne me disait rien, avec son lapin, ses œufs, son agneau, ses cloches fantômes et la Résurrection comme happy end que saint Marc, le plus ancien des évangélistes, torche en quelques lignes, alors que cet événement devrait être l’acmé de la « bonne nouvelle » annoncé par le Christ puisque saint Paul affirme que sans la Résurrection « notre foi est vaine ».
Ajoutez à ceci que je n’accrochais pas aux dogmes proclamés par l’Église. J’avais néanmoins une tendresse spéciale pour la Vierge Marie, une dévotion que j’entretiens toujours pour des raisons profondes que j’expliquerai peut-être un jour et qui m’ont valu, par un imam et un monseigneur, d’être qualifié de « viergiste ». Mais je constatais partout les ravages que faisaient dans les esprits de détestables superstitions encouragées par les autorités ecclésiastiques, des apparitions douteuses, des miracles de pacotille, le culte pour des reliques suspectes et le fatras de légendes invraisemblables auxquelles le curé Müller ou l’abbé Jean-Luc me pressaient de croire sans réfléchir, ce qui me rendait incapable d’y souscrire.
La lecture subversive qui me fit basculer ne fut pas celle d’Hara-Kiri, que je lisais en cachette comme tous les gamins de mon âge, mais le Dictionnaire philosophique de Voltaire qui m’était tombé sous les yeux. L’article qui fit exploser mon sens critique, en le démultipliant par le rire, était celui consacré au roi David : « David s’empare de tout le royaume ; il surprend la petite ville ou le village de Rabbath, et il fait mourir tous les habitants par des supplices assez extraordinaires ; on les scie en deux, on les déchire avec des herses de fer, on les brûle dans des fours à briques. Après ces expéditions, il y a une famine de trois ans dans le pays. En effet, à la manière dont on faisait la guerre, les terres devaient être mal ensemencées. On consulte le seigneur, et on lui demande pourquoi il y a famine ? La réponse est fort aisée ; c’était assurément parce que, dans un pays qui à peine produit du blé, quand on a fait cuire les laboureurs dans des fours à briques, et qu’on les a sciés en deux, il reste peu de gens pour cultiver la terre, etc. »
Quelle merveilleuse dérision ! Un poignardage en règle avec une lame en cristal de roche fichée en plein coeur ! À côté, le professeur Choron, c’était du pipi de chat. Je compris en un clin d’œil qu’un soupçon d’ironie suffisait à faire s’écrouler une histoire sacrée en la racontant d’une façon plus prosaïque que les textes officiels. « Redouter l’ironie c’est craindre la raison », disait Guitry. Sacha avait mis en plein dans le mille. Deux siècles après sa mort, François-Marie Arouet avait fait un émule !
Depuis cette époque, je n’ai cessé d’être voltairien, une disposition mentale consistant à remettre en cause tous les préjugés dans tous les domaines, en conservant le sourire, parce que c’est plus efficace et que nous ne sommes pas sur terre pour y passer le peu de temps que nous vivons à nous lamenter.
Le livre de Guillaume Métayer, Nietzsche et Voltaire (Flammarion, 2011), démontre la parenté de deux esprits que j’apprécie, ce dont je n’ai jamais douté, puisqu’après la découverte de Voltaire je m’étais lancé à corps perdu dans la lecture des derniers ouvrages de Nieztsche, ceux de 1888, les plus féroces, les plus injustes aussi (mais, pour une fois, quelle délicieuse injustice !), qui m’avaient littéralement électrisés. En 1878, Nietzsche avait dédicacé à Voltaire son Humain, trop humain.
L’observation minutieuse du mensonge social (les différents « moi » que l’on présente aux autres et à soi-même, au gré des circonstances) me fit prendre conscience, très jeune, de l’importance de posséder un ferme quant-à-soi et d’entretenir, comme un jardin d’Épicure, un royaume intérieur, un point fixe et impénétrable barrant la route aux envahisseurs mal intentionnés.
Mon entrée en politique, à quatorze ans, dans des partis de droite que j’avais cru honnêtes et qui s’étaient révélés n’être que des entreprises consternantes destinées à s’emparer du pouvoir local et national pour s’en mettre plein les poches, a considérablement contribué à mon éveil. Mon passage chez les outlaws royalistes me fit prendre conscience de l’immense bobard républicain soutenu par l’État moderne tentaculaire.
J’avais conscience que nous étions environnés de vessies que la propagande étatique, par le biais des médias et de l’école, nous faisait prendre pour des lanternes. Lors de mon service militaire, effectué en 1990-1991, durant la première guerre du Golfe, à l’État-major de la Force aérienne tactique (FATAC) qui contrôlait 70% de l’aviation française, j’assistai à un déploiement effrayant de propagande en faveur de la guerre qui me choqua profondément. Je me souviens de cette soirée, durant mes classes, où nous avions vu en direct PPDA au JT de 20h, affirmer, à dessein de rassurer les familles, que les forces du contingent ne se seraient pas amenées à se rendre sur le terrain. Deux heures plus tard, dans les chambrées, un sergent, tout sourire, une feuille de route en main, nous rendait visite avant le coucher pour nous livrer une version légèrement différente de celle que nous avions entendu à la télévision. Oh certes, les appelés n’iraient pas en Irak en tant qu’appelés ! Mais le sous-officier venait nous demander, avec l’air de Kaa face à Mowgly dans Le Livre de la Jungle de Walt Disney, de signer des contrats annulant notre service militaire pour nous faire entrer, pour une durée de six mois, dans le service actif. En recruteur averti, blanchi sous le harnais et rompu au double langage de la Grande Muette, il nous proposait de cesser de devenir des bidasses pour faire de nous de vérissimes soldats, des combattants professionnels. Voilà comment l’État avait subtilement contourné l’annonce officielle lue par Poivre ! Des exemples de ce genre, j’en ai des centaines entassés dans ma gibecière. Je les en extrais lorsque je sens que mon sens critique s’émousse.
Une fois libéré de l’atmosphère suffocante de la base aérienne 128 de Frescaty, j’ai senti qu’une parenthèse s’imposait. J’avais l’impression que le monde entier, ahuri, déboussolé, en état d’hypnose et de sidération, était en faveur de la guerre, malgré les preuves étincelantes de la turpide désinformation qui circulaient (couveuses koweïtienne and Co). Je sentais que nul ne pouvait rien y changer, moi le premier, nanti de mes faibles moyens. Ce n’était pas le Bulletin lorrain d’information légitimiste que je dirigeais qui allait faire basculer l’opinion française dans le camp de la paix !
Quant au militantisme électoral, je m’apercevais qu’il n’était pas la fin de toute chose, sinon de l’intelligence. La vie politique, je m’en étais rendu compte, n’était pas la vie - c’était la mort. C’était du fake, de l’illusion, de l’esbroufe, du cinéma. La démocratie créait de faux-semblants, c’était du grand spectacle, un jeu de dupes destiné à distraire le public, comme le catch américain. Il fallait que j’applique mon esprit critique à des domaines moins désolants que la politique nationale et étrangère.
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C’est en 1994, à vingt-sept ans, après avoir démystifié un escroc qui se présentait comme un médium faisant tourner les tables au Palais des Festivals de Cannes, que je fondai le Cercle zététique (CZ), dont je fus le président jusqu’en 2004.
Le terme « zététique », qui s’inspire du grec zētētikós signifiant « qui recherche », venait tout juste d’être remis à l’honneur par le professeur de physique Henri Broch, membre de l'Académie des sciences de New York. Il en enseignait les rudiments dans un module de méthodologie à l’université des sciences de Nice. C'était une époque marquée par les émissions Mystères et L’Odyssée de l’étrange sur TF1, qui kärcherisaient à grandes eaux les cerveaux ramollis des foules pétrifiées. Rappelons-nous de l'absurde mystification de l'extraterrestre de Roswell. L’actualité avait aussi braqué ses projecteurs sur des scandales mettant en cause des guérisseurs de tiroir-caisse ou des gourous libidineux qui confondaient ashram et boîte à partouze.
Broch, avec qui je devins vite ami (pas seulement parce que son épouse Nadine était la reine de la pissaladière), devint président d’honneur du CZ. Notre association avait pour but de promouvoir « l’art du doute », ce que le biologiste Jean Rostand appelait « l’hygiène préventive du jugement », comme je l’avais relevé dans le premier numéro des Cahiers zététiques. Notre devise était : « Le droit au rêve a pour pendant le devoir de vigilance », une phrase tirée d’un livre d’Henri Broch.
Amateur de René Guénon et de Julius Evola, et pas seulement de Voltaire, Platon, Kant, Schopenhauer et Nietzsche, je situais mes investigations dans la droite ligne de leurs études qui avaient pris le contrepied de la théosophie, de l’anthroposophie et du spiritualisme frelaté, cette « seconde religiosité » à la mode au début du XXe siècle, selon le mot d’Oswald Spengler. Le sens critique n’a pas de famille idéologique.
Avec notre millier de membres, bénévoles et efficaces, compétents et astucieux, nous avons passé dix ans à fouiner, enquêter, contre-enquêter, passer au crible les allégations du surnaturel, avec, in fine, une centaine d’articles parus dans Les Cahiers zététiques, Enquêtes Z, Science & pseudo-sciences (revue de l’Association française pour l’information scientifique) et Science extrême (un magazine que nous avions lancé en kiosques), quelques livres, des dizaines de conférences, une cinquantaine de débats télévisées chez le vibrion Christophe Dechavanne, le regretté Paul Wermus (fidèle parmi les fidèles), le chétif Stéphane Bern ou l’intoxiqué Thierry Ardisson, et des dossiers touffus diffusés gratuitement sur le Net.
Nos sujets de prédilection étaient l’astrologie, les ovnis, les voyants et l’homéopathie. L’une de nos têtes de Turc favorites était l’hirsute Yves Lignon, que les médias présentaient comme un professeur de faculté alors qu’il n’était qu’un modeste assistant en statistiques. Pérorant dans sa barbe, Lignon prétendait, avec une tranquille assurance, un rocailleux accent du Sud-Ouest et la pipe au bec, être le responsable d’un « laboratoire de parapsychologie » sis à l’université de Toulouse-Le-Mirail. Cette affirmation se révéla inexacte au dire de tous les présidents qui se succédèrent à la tête de ladite université. Lignon ne fait plus la une depuis que nous avons révélé ses manipulations et qu’il a été débouté lors du procès qu’il fit à Broch.
Durant ma présidence du CZ, j’eus l’occasion de visiter plus de quarante lieux réputés hantés. À chaque fois, je parvins à fournir l’explication naturelle de ces hantises, y compris sous l’œil des caméras comme celles de Thierry Hay pour l’émission D'un monde à l'autre de Paul Amar. Lors de mes investigations, j’ai vu de tout, avec une prédilection pour le cocasse et le burlesque. Je relate ces insolites expéditions avec leurs étonnants éclaircissements dans Les Dessous du surnaturel (Book-e-book.com, 2004).
Pendant deux ans, j’ai géré le Prix Défi zététique international lancé par Broch, l’illusionniste Gérard Majax et le Belge Jacques L. Theodor. Ce défi se présentait comme un appel à preuve pour les détenteurs de « pouvoirs psi » et était assorti d’une somme d’un million de francs pour celui qui remporterait les tests. Ce fut un beau voyage dans la galaxie de l’abracadabrant. Sidérant, extravagant, irréel, échevelant !
Les protocoles d’expériences étaient concertés entre l’expérimenté et l’expérimentateur. Il n’y eut aucun vainqueur. Mais nous étions fiers d’avoir amorcé un dialogue avec ceux que nous dénoncions sévèrement dans nos colonnes et sur les ondes. Contrairement aux réflexes habituels des rationalistes butés, souvent marxistes, cloîtrés dans leurs convictions et excommuniant à tout-va, nous ne voulions pas entrer dans le domaine philosophique ou ontologique, mais réaliser des expériences, en partant du principe que la réalité est concrète. Pour y parvenir, il nous fallait respecter ceux qui pensaient différemment de nous. De la sorte, nous avons appris à mieux connaître un monde qui nous était étranger. Pour une poignée de charlatans, beaucoup de gens convaincus de fantasmagoriques balivernes étaient désireux de bien faire. Il leur manquait simplement une bonne dose de méthode et des informations de qualité.
Les imposteurs inondaient néanmoins le marché médiatique. Le 11 août 1999, j’organisai à Paris, avec mes joyeux camarades, un « Apéro des survivants » rassemblant cinq cents personnes et des journalistes venus du monde entier. L’événement était destiné à se moquer des prédictions du couturier Paco Rabanne, qui avait annoncé pour cette date la chute de la station spatiale russe Mir sur la capitale française. Le bonimenteur s’est depuis fait moins présent sur les plateaux télé, tout comme sa jumelle Elizabeth Teissier, qui avait fait le même pronostic erroné.
En 2004, je dévoilai avec ce bon vieux Majax les trucs de scène utilisés par l'illusionniste canadien Gary Kurtz, dont les émissions sur la chaîne M6 laissaient accroire au public qu’il possédait des dons paranormaux. Kurtz a lui aussi disparu des écrans radars au profit de mentalistes irréprochables, tel Fabien Olicard, qui reconnaissent être des artistes de spectacle utilisant des techniques de manipulation.
En 2005, au Muséum d’histoire naturelle de Paris, sous l’égide du mensuel de vulgarisation scientifique Science&Vie, je réalisai, avec l’aide de l’agrégé de physique Patrick Berger, une réplique exacte de la tête de l’homme du Suaire de Turin, auquel j’avais consacré deux livres d’enquête (c’est l’une des grandes affaires de ma vie), avec pour seuls moyens ceux de l'époque médiévale. Je démontrai ainsi que la relique n’était pas d’origine miraculeuse. Dans Gourous, sorciers et savants (préface du Prix Nobel de physique Georges Charpak, Odile Jacob, 2006) , Broch, également spécialiste du Suaire, reconnut que j’avais « fait le tour de la question ». Auteur du best-seller L'Homme qui devint Dieu (Robert Laffont, 1988), ancien rédacteur en chef de Science&Vie, Gérald Messadié écrivit pour sa part dans Réalités et mystifications du paranormal (L'Archipel, 2015) : « L'historique des divers linges ayant prétendument enveloppé le corps de Jésus a été minutieusement établi par l'historien Paul-Éric Blanrue (...) Comme le révèle Blanrue, on ne trouve pas sur cette image les nuances ordinaires (...) La conclusion est que le paranormal est intégralement absent du Suaire de Turin : on ne le trouve que dans l'esprit de ceux qui s'obstinent à y croire (...) Le dossier technique étant considérablement plus détaillé et complexe, nous renverrons le lecteur aux deux ouvrages de Paul-Éric Blanrue, Miracle ou imposture, etc. »
Relatant mon happening sindonologique, Le Monde du 4 juin 2005 titra dans sa rubrique Sciences : « La recette du suaire de Turin livrée par les zététiciens. » Un article d’Hervé Morin y décrivait la « cérémonie iconoclaste » qui s’était déroulée trois jours plus tôt : « Une recette à la portée “d’une ménagère de moins de 50 ans”, mais aussi “d’un faussaire du Moyen Âge”. Prenez un bas-relief en plâtre, que vous recouvrez d’une étoffe de lin humide pour épouser les contours du visage. Tamponnez le tout avec un mélange d’oxyde ferrique et de gélatine, des produits connus des peintres médiévaux – et dont la trace a été retrouvée sur le suaire. Ajoutez quelques coulures vermillons pour figurer le sang. Laissez sécher. Déployez. Faites adorer. »
Un dossier de quatorze pages établi par Isabelle Bourdial reprit mes conclusions dans Science&Vie (n°1054, juillet 2005), ainsi que le magazine Historia (n°718, octobre 2006), auquel je collaborais régulièrement depuis 2003, à sa demande.
« C’est la gloire, Pierre-François ! », lançait Garance-Arletty à Lacenaire dans Les Enfants du Paradis de Marcel Carné. Le journal de 13h de France 2 du 22 juin 2005 consacra un reportage à mon expérience. Le 25 juin, le journal de 13h de TF1 m’interviewa lorsque j’étais en train de façonner de faux suaires à la pelle, distribués aux journalistes qui le désiraient. Le 11 mars 2007, j’étais invité dans l'émission La Foi prise au mot, sur la chaîne catholique KTO, pour livrer durant 52 mn le fruit de ses recherches. Je m’y suis exprimé sans animosité ni virulence, mais hélas, après sa première diffusion, cette émission disparut de l’antenne, n’étant pas jugée catholiquement correcte, et fut remplacée par un programme exposant l’exact contraire de mes conclusions ! N’importe, Paul Wermus m'invita sur France 3 pour débattre face à Daniel Raffard de Brienne, président du Centre international d'études sur le Linceul de Turin, et je fus convié par Stéphane Bern à participer à l'émission L'Arène de France sur France 2 pour évoquer mon dernier ouvrage portant sur le Suaire.
Peu de temps avant cela, en 2004, après dix ans de zététique de terrain, il m’avait semblé que nous étions sortis gagnants de notre combat contre les escrocs du paranormal. Leur mode était passée. Il fallait revenir aux sujets de société. Je quittai le CZ, dont je laissai la direction à Patrick Berger, et décidai de m’attaquer à des mythes et légendes plus en rapport avec notre époque. Je dévoilai les dessous du prix Goncourt 2006 Jonathan Littell, avec Les Malveillantes paru chez Bertil Scali. Je pointai, avec l’ancien rédacteur en chef adjoint à Paris-Match, Chris Laffaille, le brusque changement de régime politique que provoquait le mariage entre Nicolas Sarkozy et la jet-setteuse Carla Bruni (avec 25 000 exemplaires vendus, notre livre Carla et Nicolas fut durant quinze jours dans la liste de best-sellers de L'Express). Avec Laffaille, nous démontrâmes également les raisons pour lesquelles le trader Jérôme Kerviel n’était que l'un des symptômes du capitalisme de connivence, annonçant, dans l’émission On n'a pas tout dit de Laurent Ruquier, la crise des subprimes six mois avant qu’elle ne se produise.
Avec le livre Le Monde contre soi - Anthologie des propos contre les Juifs, le judaïsme et le sionisme (éditions Blanche, Paris, 2007), ma vie se mit tout doucement à trembler sur ses assises ! J’y mettais en perspective les déclarations jugées antisémites de plus de cinq cents célébrités. Je venais de mettre le doigt où il ne fallait pas. Consacrant un chapitre à mon cas déconcertant dans son Retour sur la question juive (Albin Michel, 2009), la psychanalyste lacanienne Elisabeth Roudinesco me définit à cette occasion comme « plus chomskyien que Chomsky » - une expression n’ayant strictement aucun sens.
Cet ouvrage, préfacé par Yann Moix, auteur d’Apprenti-juif (2007) et ami de BHL, eut l'étrange pouvoir de me décrocher une invitation au salon des écrivains du B'nai B'rith - la plus vieille organisation juive au monde, où je fis nombre de dédicaces en face du stand d’un prophète des temps modernes nommé Marek Halter -, et de valoir à l'un de mes éditeurs amateurs, qui en fit la réédition, la soralienne maison Kontre-Kulture (KK), un procès sur plainte de la LICRA, qui fut déboutée en appel. KK me soignait tellement aux petits oignons que son responsable, Julien Limes, n’eut pas même la courtoisie de m’envoyer un exemplaire d’auteur lors de la parution de l’ouvrage. Vous voyez le genre? Passons.
Quel était le but de cette anthologie que, sur le plateau de Laurent Ruquier, un Florian Philippot tout émoustillé se permettra un jour de juger « épouvantable » ? On m’a fait le procès de vouloir démontrer que les plus grands génies de l’humanité étaient antisémites. J’aurais eu pour dessein secret de légitimer une sombre pulsion. Si tel était le cas, d’abord, pourquoi ne pas le dire ? C’est une information comme une autre, digne d’être connue. Mais ce n’était pas mon objectif premier. J’avais pour ambition de faire comprendre à mes contemporains à quel point l’accusation d’antisémitisme, devenue courante cette époque, depuis l’affaire Dieudonné, était ridicule. À qualifier d’antisémite quiconque portait un jugement négatif sur une personnalité juive ou sur Israël, on en arrivait à faire accroire que le monde entier était composé d’antisémites génocidaires, y compris une bonne partie des juifs eux-mêmes. C’était stupide et contre-productif. Ce n’est pas parce que Marlon Brando a déclaré qu’Hollywood avait été fondé par des émigrants juifs qu’il était antisémite : c’est un banal fait historique, connu de tous. Ce n’est pas parce que la série américaine South Park met en scène un horrible gamin antisémite qui fait rire les adolescents que les scénaristes sont d’orduriers antijuifs : ils jouent avec des stéréotypes, voilà tout.
Il existait évidemment de véritables antisémites. Avaient-ils le droit de s’exprimer ? Et les révisionnistes qui leur étaient associés, quel sort leur réserver ? Cette question était en train de me rattraper, bien malgré moi. J’étais, comme toujours, d’avis que tout le monde a droit à la parole, les honnêtes gens comme les malhonnêtes. Je partageais, et partage toujours, l’avis du libertarien américain Walter Block qui avait remarqué qu’ « il est facile de plaider pour la liberté de parole de ceux avec qui l’on est d’accord. Le test crucial concerne un discours contestable, des déclarations que nous pouvons juger haineuses et malsaines, et qui peuvent effectivement l’être » (Défendre les indéfendables, Les Belles Lettres, 1993).
Cette position n’arrangea pas mon cas. Je devins superbement sulfureux. À la suite de l’affaire Faurisson, le journaliste Laurent Telo me désignera dans les colonnes du Monde du 24 août 2015 comme « censuré à perpétuité ». Bigre de bougre ! Mon compagnon Schopenhauer, affranchi parmi les affranchis, ne disait-il pas qu’« il faut qu’un écrivain soit le martyr de la cause qu’il défend » ?
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Revenons quelques années en arrière pour pénétrer dans le domaine de l’Interdit et mieux en cerner ses troubles contours.
En 1993, le professeur Robert Faurisson avait lu l’un de mes articles de promotion en faveur du Cercle zététique que j’avais fait paraître dans L’Homme libre de Marcel Renoulet, une revue anarchiste à laquelle il était abonné. En retour, alors que nous n’avions jamais été en contact, Faurisson m’envoya sa Réponse à Jean-Claude Pressac, un opuscule auto-édité et dédicacé à mon nom comme « essai de zététique ».
Je répondis aussitôt à ce professeur de Lettres de l'université de Lyon, placardé dans l'enseignement à distance parce que la Faculté ne pouvait assurer la sécurité de ses cours. Il me proposa un rendez-vous durant les vacances d’été.
À mon retour de Cannes, je craignais de tomber sur un universitaire bouché à l'émeri, inapte au dialogue et ancré dans ses certitudes d'amphithéâtre. Au fil d'un déjeuner pris sur les bords de l'Allier, ces idées se dissipèrent. Il était d’un abord sympathique. Mon hôte me fit illico part de sa volonté d'adhérer au Cercle zététique, dont il prétendait partager les idées essentielles – ce sont, en histoire, celles que l'on trouve dans le volume de la Pléiade consacré à la méthode historique. Il désirait que son nom n'apparût pas dans notre listing, afin de ne pas torpiller l'association. Le bureau du CZ accepta sa requête et on l’affubla d’un pseudonyme pour le glisser dans la liste officielle des nouveaux membres.
Je dois à la vérité de dire qu’un révisionniste discret faisait déjà partie de notre association, au plus haut niveau puisque figurant dans le comité de parrainage. Par amitié pour lui et par goût pour les bons petits plats du Sud, je ne fournirai pas le nom de cet universitaire. C’est lui qui rédigea la lettre qui accompagna, un jour, l’envoi du « rapport Rudolf » - expertise amateur d’un chimiste allemand censée nier l’existence de gazages dans les camps de la mort - à chacun des membres de l’Académie des sciences, pour leur demander leur avis éclairé sur cette analyse (las, leur réponse tardive, dans La Recherche, sous forme d’un communiqué laconique, ne répondit pas sur le fond au document et se contenta de considérations générales.)
De mon côté, je connaissais les études révisionnistes depuis mes années passées au RPR, lorsqu’un certain Pascal-Bernard L., membre du GRECE d’Alain de Benoist et proche de François Z. - patron des jeunes chiraquiens, devenu par la suite sénateur-maire, pour le parti de Nicolas Sarkozy, d’une commune de Moselle réputée pour ses fraises -, m'avait mis dans les mains une revue révisionniste qu'on achetait alors en kiosques. C'est dire le changement d'époque ! La Vieille Taupe, qui éditait cette revue, était dirigée par Pierre Guillaume, dont je fis la connaissance plus tard. Ce personnage taciturne était un ancien de Socialisme ou Barbarie, un groupuscule gauchiste non éloigné du situationniste Guy Debord, l’auteur de la Société du spectacle, que Guillaume avait bien connu.
Ledit Pascal-Bernard, en attendant, n’avait rien pour me plaire. Ce grandiloquent blond aux yeux bleus, assureur de son état, cliché grandeur nature du nazi qu’on eût juré s’être évadé d’un comics de Stan Lee, n’avait à la bouche que « l’Oncle Adolf », le « Horst Wessel Lied » et la Panzerdivision. Il avait un comportement déroutant, loufoque, lunatique, limite psychotique. Pas besoin d’être psychiatre pour s’apercevoir qu’il ne possédait pas toutes ses facultés. Quelques années plus tard, passé au FN où il obtint un poste enviable, il aurait à pâtir de ses agissements déconcertants et perdrait la garde de ses deux jeunes enfants (blonds) dont il avait pris l’habitude de plonger la tête dans la cuvette des toilettes sous prétexte qu’ils maîtrisaient mal la langue de Goebbels !
J'avais néanmoins été scandalisé par le sort que réservait aux révisionnistes, selon la formule de Georges Bernanos, « l'universelle complicité des lâches ». Si ceux qu’on appelait « négationnistes » depuis que l’historien Henry Rousso avait inventé ce néologisme pour les désigner, n’étaient que de grossiers escrocs, il suffisait qu’on les écrabouille lors d’un débat franc et ouvert, comme je l’avais fait chez Dechavanne ou Wermus face aux arnaqueurs du paranormal, et c’en était fini d’eux et de leurs racoleuses calembredaines ! « Un livre vous déplaît, réfutez-le ; vous ennuie-t-il, ne le lisez pas », disait Voltaire en 1758. Inutile pour cela de casser la figure de Faurisson.
Je comprenais les réticences des anti-révisionnistes rabiques à se lancer dans une discussion avec ceux qu’ils considéraient comme des « assassins de papier » selon les mots de Pierre Vidal-Naquet. Mon grand-père paternel, Raymond Blanrue, très officiellement « mort pour la France » en 1945, avait disparu dans un stalag durant la Second Guerre mondiale, faisant de mon père un pupille de la nation placé en famille d’accueil. Au même moment, pour ne pas devenir allemands, mes grands-parents maternels avaient dû quitter leur maison, leurs jardins, leurs champs et le village d’Hazemboug, situé aux confins de la Lorraine, pour aller passer quatre ans, démunis, dans un bled du Puy-de-Dôme nommé Paslières. De tradition familiale, je fus initié très tôt aux tragédies de cette sombre époque. N’importe, je ne pouvais me faire à l’idée que l’on refusât par principe de participer à un affrontement d’idées, puisque c’est l’essence même de la recherche. Nous avions brétaillé avec la Scientologie, pourquoi pas avec Faurisson ?
À l’image de Nietzsche, je professe depuis toujours que le critère ultime des valeurs est la dose de vérité qu’un esprit parvient à supporter. C’est ce qui différencie un homme libre d’un esclave. Comme le Cercle zététique était une organisation se déclarant sans préjugés ni dogme, je pensais que nous pourrions débattre, au moins en interne, de la question des chambres à gaz, à l'image de ce qui avait eu lieu aux États-Unis dans des associations rationalistes respectables, sous l'égide de modérateurs d'origine juive comme Michael Shermer, fondateur du magazine Skeptic (v. Denying History: Who Says the Holocaust Never Happened and Why Do They Say It ?, University of Columbia Press, 2002.)
Au CZ, nous nous refusions à entretenir une pensée monolithique. Nous avions déjà eu de nombreux débats entre nous, confrontant des opinions divergentes sur diverses questions épineuses, comme l’assassinat de Kennedy, controverse qui m’opposa à François Carlier. Ce membre fondateur de notre association était partisan de l’hypothèse d’un complot réunissant la CIA et la mafia, à l’instar du film JFK d’Oliver Stone. Notre joute se déroula durant plus d’une année, et je parvins, arguments impérieux en main, à lui faire entendre raison et changer d’avis. Il en fit un livre, Elm Street - L’assassinat de Kennedy expliqué (2012), dans lequel il reconnut ses erreurs et me rendit justice.
Toutefois, la tentative de débat sur le révisionnisme se révéla impossible de ce côté-ci de l'Atlantique. Affolés, certains de nos membres, notre meilleur spécialiste des ovnis en tête, allèrent jusqu'à soutenir que quoi qu'il se fût passé (ou non) durant la Seconde Guerre mondiale, ils ne voulaient pas en être informés, inventant ainsi une nouvelle branche de la zététique : la zététique de l'autruche. D'autres marmonnaient que si, par le plus grand des hasards, Faurisson avait raison sur quelque « point de détail », notre travail amorcerait la remontée de l'antisémitisme dans le pays, phénomène désastreux qu'il fallait à tout prix empêcher.
Les cris de pucelles hystériques poussés par certains membres du CZ devant ma proposition de débat n'avaient rien de zététique, puisque ces gens refusaient de prendre connaissance des arguments révisionnistes, ne fût-ce que pour avoir à les réfuter. On pouvait difficilement aller plus loin dans l'autocensure et la restriction mentale.
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Loin de cette chienlit que je décidai d'ignorer, j'engageai de mon propre chef, avec une poignée d’adhérents, une enquête approfondie sur le professeur Faurisson. Pour ce faire, je reçus l’aval du n°2 du CZ, grand amateur de l’œuvre de Roger Garaudy. Il soutint mon initiative en me présentant par la même occasion à son frère, membre du PCF et maire d’une petite localité.
Je voulais tester Faurisson personnellement, à la façon dont j'expertisais voyants voyous et médiums véreux. Était-il un habile imposteur comme l'Israélien Uri Geller, qui jurait tordre les petites cuillers par la seule force de sa pensée ? Possible ! Mais pas sûr. Je ne voulais présager de rien.
À la suite de ma première rencontre avec Faurisson, je pris le train de nombreuses fois pour Vichy. Pour commencer, je devais lire et étudier tous les travaux de l'école révisionniste, chose impossible en France en théorie, puisqu’ils étaient interdits de publication et de diffusion à cause de la loi Gayssot.
Mes rapports avec Faurisson - que ses fidèles, curieusement, n’appelaient pas Robert ou M. Faurisson, mais « le professeur » - se firent plus étroits. Difficile de ne pas être ému par ce vieil universitaire brimé par l’autorité publique et interdit d’expression par une loi inique. Je ne manquai aucun de ses procès devant la fameuse XVIIe Chambre. Comme à cette époque il était au creux de la vague et laissé à l’abandon par ceux qui l’avaient soutenu dans les années soixante-dix et quatre-vingt, je lui servais parfois de garde du corps sur le chemin du tribunal. Avant de s’y rendre, il se posait au café du Vieux-Châtelet (je lui avais déniché un hôtel à deux pas de là, sur les quais de Seine), il descendait un verre de vin rouge, avalait un sandwich aux rillettes, puis me serrait de toutes ses forces le bras droit pour que je le conduise sans faillir à l’audience, en passant par le pont au Change. Il ne me lâchait qu’arrivé dans la salle des pas perdus, où une dizaine d’aficionados à peine l’attendaient, dont sa fille, scientifique au CNRS, sa petite-fille Jumana et le fidèle Pierre Guillaume.
Inutile de nier qu’au début, je fus bluffé par l’apparente maîtrise des sujets dont il traitait et sa ténacité. Je n’étais pas le seul. Le « pape du surréalisme » André Breton avait rendu hommage à son décryptage du mystérieux sonnet en alexandrins d’Arthur Rimbaud, « Voyelles ». Jean d’Ormesson avait fait son éloge à la suite de la lecture de son étude sur la bouffonnerie de Lautréamont. Michel Polac l’avait invité à la télévision, avant le scandale des chambres à gaz, au temps du noir et blanc, pour venir parler dans son émission de sa thèse sur Isidore Ducasse. Un arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 avril 1983 avait même prononcé que « personne ne peut en l'état le convaincre de mensonge lorsqu'il énumère les multiples documents qu'il affirme avoir étudiés et les organismes auprès desquels il aurait enquêté pendant plus de quatorze ans ; que la valeur des conclusions défendues par M. Faurisson relève donc de la seule appréciation des experts, des historiens et du public ».
Je parlais régulièrement de lui aux personnes de mon entourage pour jauger de la qualité de leur liberté d’esprit. C’était instructif. Certains s’enfuyaient minablement, la queue entre les jambes, en particulier les « grandes gueules » incapables d’assumer leurs péroraisons ; d’autres choisissaient de rester, les esprits libres, bien moins nombreux. C’était un bon test, quasi infaillible, permettant de savoir en un instant les réelles dispositions intérieures d’un individu affectant de défendre la liberté d’expression.
C'est ainsi qu'après bien des années je fus la mystérieuse personne qui, un soir, au Théâtre de la Main d'Or, après le spectacle, présenta Robert Faurisson, accompagné de sa petite-fille, à Dieudonné, créant indirectement, par la suite, l'incident du Zénith.
Par parenthèses, c’est au cours de la soirée du Zénith que Faurisson rencontra pour la seule et unique fois de sa vie Jean-Marie Le Pen, dans les coulisses. Pour une raison que j’ignore, le Menhir le battit froid. Peut-être se souvint-il que c’est à cause du « point de détail » que sa carrière politique fut brisée net en 1987, alors qu’il venait juste d’être adoubé par Edgar Bronfman et le Congré juif mondial lors d’un voyage aux États-Unis (v. mon Jean-Marie, Marine et les juifs, Oser dire, 2014) ?
Quant à moi, je ne fus pas présent à ce show, préférant passer ma soirée dans un restaurant japonais de Levallois en compagnie d’une jolie fille. Je n’aime pas perdre mon temps dans des mondanités. Il reste que je n’étais pas peu fier d'avoir contribué à l’éclosion de ce scandale national. Ce sketch improvisé fit éclater au grand jour la mauvaise foi des prétendus défenseurs de la liberté d'expression. J’avais réussi à mettre en pratique, grandeur nature, cette aspiration nietzschéenne qui est aussi l’un des principes gouvernant ma vie : « Je veux une bonne fois tenter l’épreuve qui fera voir jusqu'à quel point nos semblables, si fiers de leur liberté de pensée, supportent de libres pensées » (Friedrich Nietzsche, lettre à Malwida von Meysenbug, 25 octobre 1874).
Grâce à l’avocat que je lui trouvai in extremis, Maître John Bastardi Daumont, de Nice, Faurisson gagna haut la main le procès qui lui fut intenté à la suite de ses intempestives déclarations sur scène ce soir-là.
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À l’occasion de l’emprisonnement (un an ferme) d’un autre révisionniste, l’ingénieur chimiste Vincent Reynouard - que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Ève -, j’enchaînai, en août 2010, en lançant une pétition contre la loi Gayssot, avec l’aide du scientifique belge Jean Bricmont.
Disons tout net que la loi du communiste Jean-Claude Gayssot est une aberration intellectuelle. Parue dans le Journal officiel du 14 juillet 1990, elle est en principe destinée à réprimer les propos racistes et antisémites. En fait, c’est un fourre-tout, dont l’un des articles les plus scélérats punit ceux qui auront contesté l’existence « d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité » tels qu’ils sont définis par le tribunal de Nuremberg. Nous sommes en présence d’une loi qui n’interdit pas seulement de nier, mais simplement de contester un jugement !
Le tribunal de Nuremberg fut, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la juridiction militaire des vainqueurs jugeant les vaincus. Soixante-cinq ans après les événements, nous voici donc obligés, sous peine de chartre ou de fortes amendes, de dire amen à tout ce que les militaires américains, anglais et les Soviétiques staliniens ont délibéré concernant leurs ennemis allemands qu’ils venaient de terrasser. Les vainqueurs, bien entendu, n’ont jamais été jugés par personne : « Hiroshima, mon amour ! » Alors que l’on sait aujourd’hui que le nombre total de morts, suite à l’atomisation d’Hiroshima, s'élève à 250 000, pour Le Monde de l’époque il ne s’agissait point d’une ignoble attaque chimique mais d’une inoffensive bombe à l'uranium 235 lâchée par un B-29 américain qui fut qualifiée par le « quotidien de référence » de « révolution scientifique ». Pour comble, l’article 19 du statut du tribunal de Nuremberg stipulait que celui-ci « ne sera pas lié par les règles techniques relatives à l'administration des preuves ». Tout aussi incroyable, son article 21 : « Le tribunal n'exigera pas que soit rapportée la preuve de faits de notoriété publique, mais les tiendra pour acquis ».
La loi Gayssot a institué une vérité d’État de type orwellien. La situation qu’elle a déclenchée est comparable à la chasse aux livres racontée dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Dans mon livre Sarkozy, Israël et les juifs (Oser dire, 2009), j’ai rappelé que cette loi liberticide a été vivement critiquée dans le passé par des personnalités aussi distinguées que le Secrétaire perpétuel de l’Académie française, Hélène Carrère d'Encausse, les historiens Henri Amouroux, Pierre Vidal-Naquet, Annie Kriegel, François Furet, la fondatrice de l’Institut de recherche Hannah Arendt, Chantal Delsol, le prix Nobel d’économie 1988 Maurice Allais, les écrivains Michel Tournier, Louis Pauwels, Michel Houellebecq, Philippe Muray, Jean Daniel, Vladimir Volkoff et Alain Robbe-Grillet, les magistrats Philippe Bilger, Alain Marsaud et Raoul Béteille, le philosophe Paul Ricœur, Gabriel Cohn-Bendit (le frère de Daniel), les journalistes Delfeil de Ton, Alain Rollat, Albert du Roy, Philippe Tesson, Jacques Julliard et Ivan Rioufol , ou encore l’ancienne présidente de la Ligue des droits de l’homme, l’historienne Madeleine Rebérioux !
La pétition que Jean Bricmont et moi rédigeâmes disait en substance que « cette loi est une aberration absolue par rapport aux principes de notre droit. Nous considérons que la loi n’a pas à intervenir dans la définition de la vérité historique ; dans un État libre, cette fonction est celle des historiens. Il importe, selon la formule de John Stuart Mill, de laisser la vérité et l’erreur s’affronter à armes égales, sans qu’une loi menace de jeter en prison l’une des parties. Les signataires de cette pétition réclament par conséquent l’abrogation la plus rapide possible de la loi Gayssot et, à titre provisoire, sa non-application, ainsi que la libération de M. Reynouard. Il ne s’agit pas, pour les signataires de cette pétition, de soutenir les idées de Vincent Reynouard mais de défendre son droit à les exprimer .»
Dans L’Esprit des lois (1748), Montesquieu écrit : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. » Dans son chef-d’œuvre, La Loi, Frédéric Bastiat fait observer que « le plus sûr, pour que les lois soient respectées, c’est qu’elles soient respectables. » C’était difficilement le cas ici !
Le 5 septembre 2010, notre pétition reçut le soutien de l’Américain Noam Chomsky. Le fondateur de la linguistique générative, mondialement réputé pour son combat en faveur de la liberté d’expression, considérait, dans le mot qu’il me fit parvenir, « la loi Gayssot comme complètement illégitime et en contradiction avec les principes d'une société libre, tels qu'ils ont été compris depuis les Lumières. Cette loi a pour effet d'accorder à l'État le droit de déterminer la vérité historique et de punir ceux qui s'écartent de ses décrets, ce qui est un principe qui nous rappelle les jours les plus sombres du stalinisme et du nazisme. »
Plus de deux milles personnes du monde entier, des États-Unis à l’Italie, signèrent notre texte. Même si le chiffre peut paraître bas, il était inespéré vu la terreur pavlovienne qui règne sur les esprits et notre manque de relais médiatiques. Comme signataires célèbres, nous eûmes « the big Woz », Steve Wozniak, cofondateur d’Apple avec Steve Jobs, un monstre sacré pour les informaticiens du monde entier, le fondateur de Reporters sans frontières Robert Ménard, ou encore le journaliste et écrivain Dominique Jamet, ancien président de la Bibliothèque de France.
Après la publication d’une première liste de signataires, nous eûmes à faire face à deux défections. Mgr Gaillot nous demanda d’ôter son nom. Le prélat gauchiste ne chercha pas à nier avoir subi des pressions de groupes opaques et s’en excusa platement auprès de nous. Moins correcte fut l’attitude de Yann Moix, qui était un ami (très) intime depuis le début des années deux mille. Après avoir signé crânement le texte en connaissance de cause, il fut pris d’une subite crise de panique et se désista sans m’en avertir, m’accusant, qui plus est, de l’avoir fait tomber dans un piège ! Misérable petit sacripant !
Sur le site de La Règle du Jeu, la revue de son mentor BHL, ce ladre déclara qu’il ignorait que le nom de Faurisson apparût sur la pétition et qu’en conséquence il ne pouvait moralement y figurer. Je réagis sur le blog du Clan des Vénitiens en prouvant qu’il mentait comme une brassière. Deux journalistes du Monde.fr, spécialisés dans la traque des extrémistes de droite, réels ou supposés, menèrent une enquête et parvinrent au même résultat que moi en utilisant Google-cache, la mémoire du moteur de recherche. Moix venait d’être pris la main dans le pot à confiture cyanurée !
Le pire c’est que Moix connaissait Faurisson depuis longtemps. Depuis son enfance orléanaise, de fait. C’est une information classée « secret défense » qu’il a soigneusement cachée à tout le monde. Son médecin de famille était en effet l’époux d’une sœur de Faurisson, qui venait régulièrement déjeuner le dimanche chez ses parents, lorsqu’il était gamin. Par la suite, lorsqu’il fit ses études supérieures, Moix crut original de rédiger à la main, avec maintes caricatures qui ne plairaient point au CRIF, une revue intitulée Ushoahïa, le magazine de l’extrême, qui s’inspirait de l’émission de Nicolas Hulot mais surtout de l’album de bandes dessinées Hitler = SS de Jean-Marie Gouriot et Philippe Vuillemin, et des thèses faurissoniennes. C’eût été catastrophique pour sa réputation et sa carrière si cette anecdote était éventée ! Il fut tellement épouvanté qu’on découvrît l’existence de sa farce estudiantine de mauvais goût qu’il courut à plat ventre l’avouer par prévention à son éditeur Jean-Paul Enthoven et à BHL. On imagine leurs bobines à cette occasion – et on se doute de l’estime qu’ils portent désormais à leur poulain en leur for intérieur. On sait aussi par la peau de quelle partie de son anatomie ils le tiennent !
C’est à cette époque que je conseillai à Moix de se faire passer pour un descendant des marranes, ces juifs espagnols convertis de force au catholicisme sous l’Inquisition et qui avaient continué à pratiquer le judaïsme en tapinois. C’est une fable très pratique pour se défausser en cas de polémique qu’il sert aujourd’hui encore à qui veut l’entendre, sans être démenti puisque nul ne mène d’enquête sérieuse sur lui.
Avant le lancement de la pétition, j’évoquai un moment l’idée d’écrire un livre sur Faurisson en le considérant comme un homme, oui, un homme, avec ses qualités et ses défauts. Je m'en étais ouvert à ce cher Yann, avec lequel je discutais très librement de tous ces sujets (il est amusant de relire aujourd’hui nos textos et nos mails dûment conservés par prudence). Il m'avait proposé de présenter l’idée à Philippe Sollers, pour lequel j’éprouve une certaine admiration. Yann m’avait assuré que l’auteur de Femmes serait intéressé par la publication d’un livre de ce genre dans la collection L'Infini qu’il dirigeait chez Gallimard. Après le succès des Bienveillantes de Littell, la voie était ouverte pour une telle expérience littéraire. Mais avec le Vénitien Sollers, rencontré au bar de l’hôtel Montalembert devant un verre de J&B, la question ne fut guère abordée, à cause de la frousse de Moix, dont la franchise a toujours été comparable à celle d’un âne qui recule. Avez-vous observé son regard ? On se comprend.
Je conçus alors l'idée de réaliser moi-même un reportage sur Faurisson. Depuis l’épisode du Zénith, beaucoup de gens, surtout des jeunes issus de la génération Internet, se demandaient qui était ce grand-père qui se sentait « Palestinien en France » et que les grands médias n'interrogeaient pas. Jamais cet individu n'avait bénéficié du plus petit débat à la télévision française. Et des débats, il y en avait eu des milliers, sur tout et sur rien - surtout sur rien.
Avec le concours d’une petite équipe menée par le caméraman Guillaume F., ami d’enfance de l’un de mes anciens avocats, je fonçai à Vichy sans plan ni ressources. Faurisson avait quatre-vingt deux ans, il fallait nous dépêcher. Je n’escomptais pas réaliser un film de grande qualité esthétique, mais un reportage dans le genre de Ceux de chez nous de Sacha Guitry. Mon ambition était de mettre en boîte la personnalité la plus haïe par l’opinion médiatique depuis quarante ans et que nul n'avait jamais pensé à laisser parler sans le couper. Ce reportage était réalisé « pour l'histoire », dans l’esprit des Archives du XXe siècle de l’INA. Ce fut Un Homme, qui sortit officiellement sur le Net en septembre 2011, à défaut d’être diffusé sous forme de DVD comme je l’avais initialement désiré.
Faurisson ayant entre-temps trouvé un mécène pour financer le reportage ainsi que le montage, la post-production, la création d’un générique original, un site internet dédié et la traduction du film dans sept langues, je ne voulus pas faire payer les internautes pour ce document. Il n’était pas question d’apparaître comme des commerçants désirant se constituer un trésor de guerre en exploitant un filon douteux. Nous étions des combattants de la liberté, tout devait être libre. On diffusa donc ce document gratuitement sur le Net, sous licence giveaway, permettant à chacun de le reproduire à sa guise. Si j’avais fait payer un euro à chaque visionnage j’eus été millionnaire en quelques mois ! La gratuité fut un tort puisque la sortie de ce document me fit perdre tous mes emplois au point que je dus, deux ans plus tard, pour subsister, vendre mon appartement de Levallois que j’avais mis seize ans à m’offrir. Le dernier article que j’écrirais pour Historia porterait, à la demande de la direction sur - la chasse aux sorcières…
« Paul-Éric Blanrue peut se vanter au moins d'une chose : il est à l'origine de la résurrection française de Robert Faurisson », écrivit Valérie Igounet dans Robert Faurisson. Portrait d'un Négationniste (Denoël, 2012). C’est exact, mais la vérité était en réalité beaucoup plus complexe que ne se l’imaginait cette brave dame, qui avait barbouillé de longs paragraphes sur moi sans daigner m’interroger.
Car si je refusais de m’incliner devant des lois injustes, que je combats aujourd’hui encore de toutes mes forces, je n’avais jamais eu non plus l’intention d’obéir inconsidérément à des gens qui en seraient victimes mais que je surprendrais en train de raconter des salades. L’art de désobéir ? Oui-da. Mais dans tous les cas de figure, sans restriction. Y compris dans celui de Faurisson.
Suivre une ligne de parti n’est pas le genre de la maison. Pas davantage la ligne qu’impose la loi Gayssot aux Français que celle que Faurisson se pique de définir lorsqu’il se prend pour un savant infaillible.
Traversons le miroir pour voir comment notre rupture s’est produite. Ce sera – en direct – un exercice de liberté souveraine.
A SUIVRE ! Retour sur le révisionnisme (2) : Pourquoi Faurisson s'est trompé.