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mercredi 22 octobre 2025

Réfutation du relativisme moral.



Cet excellent livre, œuvre de Peter Kreeft, est divisé en onze entretiens couvrant un large éventail de sujets liés au débat philosophique central du livre.

La question discutée est la suivante : existe-t-il des absolus moraux ? Kreeft considère que ce sujet pourrait être le "problème le plus crucial de notre temps". Il distingue radicalement la culture moderne occidentale des autres cultures dans l'histoire humaine, qu'il s'agisse de l'Occident pré-moderne ou des cultures non occidentales contemporaines (islamiques, communistes ou "primitives").

Le relativisme moral est si grave qu'il va "damner nos âmes et mettre fin à notre espèce". Le relativisme est dangereux car il élimine la loi morale, et donc le péché, la repentance et le salut.

Le relativisme est la philosophie qui nie les absolus. On distingue au moins quatre types de relativisme :
1. Relativisme métaphysique : il n'y a d'absolu nulle part dans la réalité, ce qui équivaut à l'athéisme si Dieu est l'"Être Absolu".
2. Relativisme épistémologique : l'Absolu, s'il existe, ne peut être connu ; il n'y a pas d'absolu dans la connaissance humaine (c'est le scepticisme ou l'agnosticisme par rapport à l'Absolu).
3. Relativisme moral : il peut y avoir des absolus dans la connaissance non morale (comme 'deux plus deux font quatre'), mais pas dans la connaissance morale.
4. Relativisme religieux : il peut y avoir des absolus moraux (comme la Règle d'or), mais pas de religion absolument meilleure ou plus vraie.

L'absolutisme, quant à lui, affirme qu'il existe "quelques absolus". Un absolu est défini comme n'étant pas relatif, non contingent, nécessaire et inconditionné. Les trois caractéristiques distinctives d'un absolu sont qu'il est inchangéable (non relatif au temps), universel (non relatif au lieu, à la culture, au genre ou à tout groupe), et objectif (non relatif à l'opinion, à la croyance, au désir ou au sentiment subjectif).

L'absolutisme est qualifié de pérenne, naturel et éternel, ayant commencé au ciel. Il est fondé sur la nature humaine, notamment la conscience. La tradition est une manière publique et externe de transmettre les découvertes de la conscience morale individuelle.

Le relativisme, lui, a commencé sur Terre. Le diable est le premier relativiste, dès le Jardin d'Éden. Chez les philosophes, les sophistes sont les premiers relativistes connus. Protagoras, le plus célèbre d'entre eux, enseignait que "l'homme est la mesure de toutes choses : de la bonté des choses bonnes et de la méchanceté des choses mauvaises". Cette idée est considérée comme une manifestation d'arrogance.

Socrate, au contraire, était un absolutiste, luttant contre le relativisme moral des sophistes et défendant l'humilité en se considérant comme un "amoureux de la sagesse" (philosophe), impliquant que Dieu est la mesure de toutes choses.

Dans l'histoire médiévale, le nominalisme de Guillaume d'Ockham est une fondation majeure du relativisme moderne. Le nominalisme rejette les universaux réels, et par conséquent les universaux moraux réels (comme "l'honnêteté est toujours bonne"). Le principe du "rasoir d'Ockham" ("ne jamais multiplier les entités au-delà du nécessaire") a encouragé une explication réductionniste. Cela a conduit à la "théorie du commandement divin" chez les religieux, éliminant la loi naturelle plus complexe, et à l'élimination de la loi divine chez les sécularistes.

L'empirisme issu du siècle des Lumières a mené à la "théorie émotiviste de la valeur", notamment chez David Hume. Puisque la bonté ou la méchanceté morale ne peuvent être perçues par les cinq sens physiques, elles ne sont pas objectives, mais subjectives (les sentiments).

Emmanuel Kant, bien qu'il ne soit pas un relativiste, est tenu en partie responsable du relativisme car sa "révolution copernicienne" plaçait l'esprit humain comme créateur de la vérité (autonomie de la volonté) au lieu de la découvrir. Bien que Kant ait défendu une morale universelle et nécessaire (Impératif catégorique), il l'a rendue non objective, ouvrant la voie au relativisme.

Plus tard, des philosophies comme le positivisme, le pragmatisme et, plus récemment, le déconstructionnisme, ont continué d'attaquer les absolus. Le positivisme moral est même devenu la philosophie officielle des États-Unis (répudiation de la loi morale naturelle dans Planned Parenthood c. Casey).

La philosophie a des données, qui sont l'expérience ordinaire. L'expérience morale est immédiate, comme la perception sensorielle. Le relativisme nie ces données, à la manière du bouddhisme qui nie la réalité de la matière.

On peut identifier quatre niveaux de données morales :
1. Expérience morale individuelle - Les mots "bon", "droit" et "devoir" proviennent de l'expérience universelle du désirable, de la justesse (droits) et de l'obligation (conscience).
2. Comportement moral interpersonnel - Données observables et publiques, comme les querelles, le blâme, la louange, le commandement et la punition basés sur la justice, et non seulement le conditionnement animal.
3. Langage moral public - Les mots moraux eux-mêmes sont des "fossiles d'expérience" qui possèdent un sens compris par tous.
4. Histoire et tradition humaine - La "mémoire morale collective". Les sociétés les plus réussies (mosaïque, confucianisme, Islam) étaient fondées sur des traditions morales fortes.

L'argument le plus simple pour l'absolutisme est que notre première et fondamentale expérience morale est toujours absolutiste. Les enfants sont "noir et blanc" et se heurtent à la loi morale comme à un mur.

Le livre démonte huit arguments typiques du relativisme, en soulignant souvent qu'ils "mordent la question" (begging the question) ou contiennent des sophismes :
1. Argument de l'estime de soi : l'absolutisme rend malheureux et coupable. Réponse : la culpabilité est un signal d'avertissement nécessaire, comme la douleur physique, pour éviter un mal plus grand. Affirmer que la bonne moralité doit produire de bons sentiments est une pétition de principe, car cela suppose déjà que les sentiments sont la norme morale.
2. Argument de la relativité culturelle : les cultures ont des valeurs très différentes. Réponse : cela confond les opinions sur la valeur avec la vérité objective de la valeur. De plus, affirmer que "la moralité est une question d'obéissance aux valeurs de la culture" est une pétition de principe. Seul l'absolutiste, qui possède une loi supérieure, peut critiquer toute une culture et être un véritable progressiste.
3. Argument du conditionnement social : les valeurs proviennent du conditionnement social, donc elles sont subjectives. Réponse : le fait d'apprendre quelque chose de la société (comme les règles de la physique) ne prouve pas que ce soit subjectif. L'existence de non-conformistes (comme Socrate ou Jésus) prouve qu'il existe une source de valeurs qui transcende la société.
4. Argument de la liberté : créer ses propres valeurs est un acte libre (relativisme), tandis que les découvrir restreint la liberté (absolutisme). Réponse : la liberté présuppose des valeurs (comme la justice et la valeur de la liberté elle-même). Une liberté illimitée pour créer des valeurs mène à la force ou à la mégalomanie.
5. Argument de la tolérance : le relativisme est tolérant, l'absolutisme est intolérant. Réponse : les idées ne sont pas tolérantes, seulement claires ou confuses. La tolérance elle-même présuppose une morale objective, car on ne tolère que des maux (pour éviter des maux pires). Demander la tolérance universelle est un absolu moral, ce qui réfute le relativisme. L'idée de progrès moral présuppose également l'absolutisme.
6. Argument des situations et des intentions : la moralité est relative aux situations et aux motifs subjectifs. Réponse : un acte humain est jugé par trois facteurs (l'acte lui-même, la situation et le motif). Un bon motif ne peut pas rendre un mauvais acte intrinsèquement bon (tuer les riches pour nourrir les pauvres). Les situations changent la manière d'appliquer les principes, mais ne changent pas les principes eux-mêmes, dont la validité est présupposée.
7. Argument de la projection (Hume/Émotivisme) : les valeurs sont des sentiments subjectifs projetés sur des faits objectifs, car les valeurs ne sont pas perçues par les cinq sens. Réponse : l'empirisme (qui se limite aux cinq sens) est faux et autoréfutant. Nous avons connaissance de réalités objectives et invisibles (comme l'esprit des autres, ou notre propre conscience).
8. Argument de l'évolution : la moralité est un dispositif de survie biologique. Réponse : cela viole la loi de la causalité en dérivant le moral (l'effet) du non-moral (la cause), et commet le sophisme de faire dériver une conclusion morale ("devoir") à partir de prémisses factuelles ("être"). De plus, le martyre et l'héroïsme contredisent l'idée que la moralité est uniquement un instinct de survie.

La racine philosophique du relativisme est le réductionnisme. C'est la tendance à n'accepter que les explications les plus simples. Le réductionnisme commet l'erreur de confondre une méthode scientifique utile (qui isole les variables) avec la métaphysique (la nature de la réalité).

Le réductionnisme n'accepte que les causes matérielles et efficientes, ignorant les causes formelles et finales (le but ou la raison d'être). La moralité réside dans le domaine de la causalité finale, du but et du bien. L'Univers est alors vu comme une scène dont le décor matériel (matière) expliquerait le sens du jeu, alors qu'en réalité, l'esprit de l'Auteur explique le décor (l'esprit est premier).

Le réductionnisme est logiquement auto-contradictoire : affirmer qu'une chose est "seulement P" nécessite une connaissance complète de la chose, ce qui est une affirmation non scientifique.

Sur le plan pratique, le réductionnisme est destructeur de la survie humaine, car la société qui ne croit en rien qui vaille la peine d'être vécu au-delà de la simple survie ne survivra pas (principe des "choses premières et secondes"). En voici les arguments principaux, allant du plus empirique au plus logique :
- Conséquences : le relativisme entraîne la suppression de la dissuasion morale et mène à "faire tout ce qui fait du bien".
- Consensus : la quasi-totalité de l'humanité (sages, saints, prophètes) a été absolutiste ; les relativistes sont une minorité élitiste et arrogante.
- Argument moral/langage : l'existence même de l'argumentation morale (querelles pour la justice/l'équité) prouve que nous croyons en un principe universel, objectif et inchangé. Si le relativisme était vrai, l'argumentation morale serait impossible.
- Auto-contradiction logique : l'absolutisme est inhérent à l'essence de la moralité ; la "moralité relativiste" est un oxymore logique (comme un "triangle non-à-trois-côtés").
- Auto-contradiction pratique : les relativistes contredisent leur théorie par leur pratique. Ils exigent la justice ("Ce n'est pas juste !") lorsqu'ils sont victimes d'une injustice. De plus, en enseignant le relativisme, ils prêchent que leur message est vraiment bon et juste, ce qui est une contradiction.

La morale repose sur la métaphysique, et l'anthropologie (ce que nous sommes) repose également sur la métaphysique (ce qui est).
1. Épistémologie : nécessite la réfutation du scepticisme (qui est auto-contradictoire). Elle exige l'épistémologie réaliste (la réalité est connaissable) par opposition à l'idéalisme (qui réduit la morale à des idées subjectives, menant au scepticisme).
2. Métaphysique : l'absolutisme doit rejeter plusieurs "méchants" métaphysiques : le nominalisme (qui nie les universaux moraux), le matérialisme (qui nie l'âme, seul lieu intelligible de la moralité), le déterminisme (qui nie le libre arbitre et la responsabilité), le panthéisme (qui nie la créature et donc le péché), et le dualisme cartésien (qui sépare trop strictement la matière et l'esprit, éliminant la place pour une loi naturelle objective).
3. Anthropologie : l'absolutisme repose sur l'idée que la nature humaine universelle existe. La perte du concept de ce qui est "naturel" conduit à la réduction de la norme morale à ce qui est statistiquement commun.

La cause du relativisme est la perte des quatre vertus cardinales : sagesse (connaissance de la vérité morale), courage (volonté de faire le bien même si cela fait mal), maîtrise de soi (contrôler les désirs) et justice (les trois aspects réunis). La perte de la maîtrise de soi est particulièrement destructrice, car la passion gouverne alors la raison, qui devient de la rationalisation.

La force motrice du relativisme dans la société moderne est presque exclusivement sexuelle. L'invention de la pilule contraceptive a séparé le sexe de son essence (l'origine de la vie) pour le réduire à son accident (le plaisir). Cette révolution a conduit à des actes universellement condamnés dans d'autres contextes, comme l'avortement (comparé au meurtre) et le divorce (comparé au suicide de l'union). L'hypocrisie réside dans le fait que la trahison est universellement condamnée, sauf lorsqu'elle interfère avec le sexe.

L'addiction sexuelle est causée par la perte de Dieu. En tant que séculariste, on cherche le frisson mystique (l'extase, le fait de se tenir hors de soi) que Dieu a conçu toutes les âmes pour désirer, dans des substituts comme le sexe ou la mort. L'addict cherche la transcendance de la responsabilité morale.

Le remède au relativisme ne peut être une simple bonne philosophie, mais nécessite une "médecine plus forte". Le remède est la restauration des vertus et, en fin de compte, la sainteté : Seuls les saints peuvent sauver le monde. La moralité est la voie nécessaire, quoique non ultime, vers le mysticisme et l'extase.