Le livre de Paul Tyson est un essai ambitieux sur la métaphysique chrétienne et son application à l'époque contemporaine.
L'ouvrage distingue deux visions de la métaphysique: l'approche unidimensionnelle (1DM) et l'approche tridimensionnelle (3DM). L'approche 3DM (soutenue par le platonisme chrétien) intègre la dimension morale, physique et spirituelle comme faisant partie intégrante de la réalité. Elle maintient que les réalités intangibles (comme la beauté ou la dignité humaine) sont plus primaires que les quantités tangibles.
L'approche 1DM, courante aujourd'hui, réduit généralement toute la réalité à sa dimension physique, considérant les états moraux et spirituels comme de simples fonctions subjectives de notre conscience. Selon la 3DM, le sens est un don spirituel intrinsèque à toute réalité, et non un sous-produit subjectif projeté par notre cerveau sur une réalité objective sans signification.
Le livre met en évidence que le réalisme moderne ("small 'r' realism") n'est souvent qu'un "grand 'R' Réalisme" qui suppose que la réalité n'a pas de signification intrinsèque. Ce nihilisme est basé sur l'idée anthropocentrique que seule la connaissance maîtrisable par l'esprit humain (rationalité pure et empirisme) est valide.
L'auteur analyse le mythos de la modernité, l'histoire collectivement imaginée qui oriente le sens de la culture. Ce mythe maintient, de manière paradoxale, qu'il n'a pas de mythos du tout, se prétendant purement factuel et rationnel. Le récit des origines de la modernité, souvent chanté dans les milieux intellectuels, dépeint un triomphe du logos (raison scientifique et séculière) sur le mythos (imagination religieuse et superstition).
Tyson souligne que la séparation de la connaissance (scientia) et de la sagesse (sapientia) est un trait révolutionnaire de la modernité. Historiquement, la sagesse était prioritaire sur la connaissance, et le sens sur la perception. Le réalisme scientifique, décrit par Michel Henry (philosophe cité dans le texte) comme la "science galiléenne," réduit la vérité à une connaissance quantitative et mathématique, sans considération pour la valeur, la qualité ou la signification. Cette réduction aboutit à une "barbarie" qui viole les réalités humaines intrinsèques.
L'ouvrage retrace la chute du platonisme chrétien en Occident, un processus qui a pris environ 400 ans.
1. L'attaque d'Abélard contre le réalisme médiéval naïf. Abélard fut un des premiers et des plus formidables opposants nominalistes du réalisme métaphysique.
2. La scission entre foi et raison à partir de 1277. La condamnation de certaines thèses de Thomas d'Aquin par l'évêque de Paris en 1277 marqua le début de la séparation institutionnelle entre la philosophie (raison indépendante) et la théologie (foi dogmatique).
3. Les innovations de Duns Scot et Guillaume d'Ockham. Scot a introduit l'univocité de l'être, suggérant que Dieu est un être parmi d'autres (quoique infini) et non l'Être même, rejetant ainsi la participation ontologique augustinienne. Scot a également postulé le volontarisme (la volonté de Dieu est entièrement arbitraire pour nous) et la connaissance comme représentation. Ockham, via le nominalisme, a soutenu que seuls les objets individuels existent et que les universaux ne sont que des noms. Ockham a également plaidé pour la séparation de l'autorité ecclésiastique et du pouvoir temporel.
4. L'invention de la "nature pure" au XVIe siècle, où la nature est désenchantée et séparée du domaine du "surnaturel".
5. La révolution scientifique du XVIIe siècle. La démonstration factuelle de l'erreur du cosmos aristotélicien-chrétien par la science moderne (soutenue par Galilée, Bacon et Descartes) a déplacé la priorité de la sagesse supérieure vers la connaissance immédiate, achevant ainsi la chute du platonisme chrétien.
L'auteur consacre plusieurs chapitres à défendre la compatibilité du platonisme avec la foi chrétienne. L'idée que les réalités invisibles et éternelles sont plus réelles que les choses visibles et transitoires est commune au Nouveau Testament et à la pensée platonicienne.
L'apôtre Paul, dans 1 Corinthiens 13:12, parle de voir la vérité "dans un miroir, obscurément". Cette image fait écho à la vision platonicienne selon laquelle les vérités éternelles ne sont vues que "faiblement à travers un verre" dans leurs copies terrestres.
Le platonisme chrétien affirme que les vérités morales ont une source divine. Il rejette fermement le dualisme grec qui considère la matière comme mauvaise, grâce aux doctrines chrétiennes de la création (qui affirme la bonté de la matière) et de l'incarnation (qui élève la chair du Christ).
L'une des caractéristiques fondamentales du platonisme chrétien est son adhésion à la notion de participation ontologique. Reposant sur la citation de Paul : "car en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être" (Actes 17:28), cela signifie que l'existence et l'intelligibilité des êtres créés dépendent de Dieu, la Source ontologique, et que nous participons à son Être.
Le livre se termine par un appel passionné à un "changement profond dans l'esprit chrétien contemporain". Étant donné que le réalisme moderne est incompatible avec la vision de la réalité du Nouveau Testament, Tyson propose que la voie à suivre pour la guérison culturelle et spirituelle passe par trois concepts du Nouveau Testament: metanoia, pisteuo et koinonia.
1. Metanoia (changement d'esprit) - Ce terme, souvent traduit par "repentir," signifie un changement fondamental de conscience ou d'esprit (noia étant la plus haute faculté de l'esprit). La metanoia implique une transformation de notre compréhension de la réalité, transformée par la vérité divine (Romains 12:2).
2. Pisteuo (action de croire) - Ce verbe signifie la confiance active et publique dans la réalité proclamée par l'Évangile. La confession de l'Église primitive, Kurios Iesous ("Jésus est Seigneur"), était un acte de non-conformisme radical défiant le réalisme politique de leur époque (César est seigneur). L'adhésion active à la seigneurie du Christ doit se faire en défiant les autorités et les fausses réalités qui structurent le monde.
3. Koinonia (communion/fraternité) - La foi n'est pas une marche privée. La koinonia est le contexte de la vie partagée où la vision transformée est mise en pratique. L'Église, en tant qu'assemblée publique (ekklesia) et réalité ontologique (le Corps du Christ), doit résister à l'atomisation de la modernité liquide.
Tyson conclut que si l'Église ne remet pas en question la "cécité métaphysique" de notre époque et ne prend pas au sérieux les implications de la Seigneurie du Christ, elle risque de devenir inefficace et de s'éteindre. Le retour à la réalité par le platonisme chrétien est essentiel pour réintégrer la sagesse, la valeur et le sens dans un monde qui, sans vision spirituelle, court à la destruction.