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samedi 11 octobre 2025

Les libertariens devraient-ils être monarchistes ?



Alors que la plupart des démocraties « libérales » du monde s’enfoncent dans la censure, la guerre, l’inflation paralysante, la dette écrasante et la montée de la criminalité, nombreux sont ceux qui aspirent à un autre ordre politique et se tournent naturellement vers des régimes différents de l’État démocratique moderne. Parmi les alternatives évoquées, la monarchie revient souvent sur le devant de la scène.

Cette idée séduit des milieux variés : intégristes catholiques, traditionalistes moraux ou conservateurs classiques à la manière de Burke ou de Maistre. Chacun trouve dans la monarchie des raisons propres d’y voir un régime préférable.

Certains libertariens, eux aussi, figurent parmi les défenseurs de la monarchie. Ils avancent que le pouvoir de l’État serait plus limité sous un monarque que sous d’autres formes de gouvernement.

Est-ce exact ? Cela dépend. Tout dépend du type de monarchie dont on parle, car certaines furent synonymes de pouvoir centralisé et absolu, tandis que d’autres reposaient sur un État faible et un pouvoir largement décentralisé.

Prenons les monarques absolutistes — le plus célèbre étant Louis XIV — qui cherchèrent à consolider la puissance de l’État et à affirmer la souveraineté totale du roi. Les monarchies européennes, à partir du XVe siècle, furent marquées par une centralisation rapide et un renforcement du pouvoir étatique.

Rien de très séduisant pour les libertariens. Le seul avantage relatif de ces monarchies, comparées à nos États modernes, est qu’elles extorquaient moins d’argent aux contribuables — mais cela tenait surtout à leurs moyens administratifs limités. Si elles avaient disposé d’une bureaucratie aussi efficace que celle d’aujourd’hui, elles auraient sans doute imposé davantage.

Et comme ces monarchies n’ont pas su empêcher l’émergence ultérieure des régimes socialistes, elles ne peuvent guère être considérées comme des gardiennes fiables de la liberté. En vérité, elles ont souvent préparé le terrain aux États forts et centralisés qui ont suivi.

Mais toutes les monarchies n’ont pas été ainsi. Certaines, notamment au Moyen Âge, se distinguaient par un pouvoir royal très limité et une organisation politique profondément décentralisée. Le roi y régnait au milieu de multiples autorités concurrentes — nobles, seigneurs, Église — qui limitaient ses prérogatives.

Si l’on estime qu’un État faible est souhaitable, alors la monarchie médiévale a des arguments à faire valoir. Pourtant, elle souffre d’une mauvaise réputation : on la confond souvent avec le féodalisme « répressif » dépeint dans les manuels. En réalité, ce système reposait sur un équilibre complexe et mouvant entre pouvoirs locaux, et non sur une pyramide d’obéissance au sommet de laquelle trônait un roi tout-puissant.

Les monarques médiévaux n’avaient pas de véritable administration centrale. Pas de bureaucratie permanente ni d’appareil d’État cohérent. Leur pouvoir dépendait de leur réseau personnel d’alliés et de vassaux. Le roi médiéval était avant tout un primus inter pares, un « premier parmi les égaux », et non un souverain absolu.

Son autorité devait être négociée en permanence avec les seigneurs, les nobles et l’Église. Là où l’obéissance faisait défaut, la coercition coûtait cher : les rois préféraient souvent acheter la loyauté en concédant des terres et des privilèges.

Ainsi, le pouvoir royal était éclaté. Le roi exerçait une domination réelle uniquement sur ses propres domaines — ses terres personnelles — mais ne disposait pas d’un monopole de la force sur l’ensemble du royaume. En dehors de ses possessions directes, son autorité restait limitée et contestée.

Ce système féodal reposait sur la propriété privée : le roi, en tant que propriétaire, devait entretenir et défendre ses terres, rendre la justice et assurer la prospérité de ses sujets. Il avait donc un intérêt personnel à bien gouverner. Une guerre inutile ou une fiscalité excessive pouvait appauvrir ses domaines — et donc le roi lui-même.

De plus, les autres seigneurs, eux aussi propriétaires et souverains sur leurs terres, n’hésitaient pas à résister à toute tentative d’usurpation royale. L’équilibre des forces limitait naturellement le pouvoir de chacun.

Dans ce cadre, la liberté politique prenait racine : les nobles, l’Église et parfois même les villes affirmaient leur autonomie contre le roi. Les chartes médiévales parlent souvent de « libertés », non pas au sens moderne des droits individuels, mais comme d’indépendances politiques réelles.

Cette monarchie médiévale, polycentrique et fondée sur la propriété privée, contrastait profondément avec la monarchie absolue apparue plus tard.

À partir du XVIe siècle, en France notamment, les rois réussirent à concentrer le pouvoir. Henri IV et ses successeurs mirent peu à peu toutes les terres sous le contrôle de la Couronne. Le monarque cessa d’être un simple arbitre pour devenir législateur et chef d’un État centralisé.

C’est l’époque de la bureaucratie, des armées permanentes et de la fiscalité généralisée. L’administration du roi s’étendit sur tout le royaume, transformant la monarchie en un appareil public impersonnel : l’État moderne.

L’idéologie de l’absolutisme, justifiée par le « droit divin des rois », donna au monarque un pouvoir prétendument illimité. Jean Bodin, au XVIe siècle, formula cette nouvelle conception de la souveraineté : toutes les autorités — y compris religieuses — devaient être subordonnées au pouvoir du roi.

Ce fut la fin du monde féodal et du pluralisme politique. Les rois absolus, loin d’incarner la liberté, devinrent les précurseurs des États centralisés contemporains.

D’un point de vue libertarien, il est donc essentiel de distinguer les monarchies décentralisées médiévales, où le pouvoir était limité et fondé sur la propriété privée, des monarchies absolutistes qui annoncent les bureaucraties modernes.

Toutes les monarchies ne se valent pas : certaines ont pu préserver la liberté par la dispersion du pouvoir, d’autres l’ont étouffée par la centralisation.

Ryan McMaken.