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mercredi 22 octobre 2025

Pourquoi la science concorde mieux avec le théisme qu'avec le naturalisme, selon Alvin Plantinga.



Ce livre est issu des Gifford Lectures données parAlvin Plantinga à l'Université de St. Andrews en 2005, initialement intitulées "Science and Religion: Conflict or Concord?". Le livre est structuré en quatre parties principales : Conflit allégué, Conflit superficiel, concordance, et Conflit profond.

Partie I : Conflit allégué

La première partie examine la prétendue incompatibilité entre la théorie évolutionniste actuelle et la croyance chrétienne. Plantinga définit l'évolution par plusieurs thèses, notamment la thèse de la Terre ancienne (environ 4,5 milliards d'années), la thèse du progrès (la vie passe de formes simples à complexes), et la thèse de la descendance avec modification.

Le livre critique les affirmations d'auteurs comme Richard Dawkins, qui soutient que la diversité du monde vivant a été produite par la sélection naturelle non guidée par Dieu ou toute autre personne. Si l'affirmation de Dawkins est vraie, elle contredit la croyance chrétienne selon laquelle Dieu a créé les êtres humains à Son image. Plantinga remet en question la faiblesse de l'argument de Dawkins, notamment sa tentative de montrer que la sélection naturelle non guidée est possible. Le problème est résumé par la Grande Question, demandant s'il existe un chemin à travers l'espace organique connectant la vie unicellulaire à l'œil humain, où chaque étape est plausiblement issue d'une mutation génétique aléatoire utile et répandue par sélection naturelle non guidée.

La conclusion de Dawkins, selon laquelle l'évolution "révèle un univers sans dessein", n'est pas étayée, car même si la sélection naturelle s'est produite, elle aurait pu être guidée et dirigée par Dieu. Dennett commet une erreur similaire en affirmant que la théorie de la sélection naturelle montre comment toute caractéristique du monde peut être le produit d'un processus mécanique aveugle et sans dessein.

Le livre aborde ensuite la question de l'action divine dans le monde. Les théistes croient que Dieu agit dans le monde, non seulement par la création et la conservation, mais aussi par une action divine spéciale, incluant les miracles (tels que la résurrection de Jésus). Certains chercheurs (comme Bultmann et Gilkey) objectent à l'idée d'une action divine spéciale, la considérant comme une "interférence" incompatible avec la science moderne.

Cette objection est basée sur "l'image laplacienne", qui combine le déterminisme et la fermeture causale de l'univers physique. Dans ce tableau, si les lois de la nature sont complètes et déterministes et l'univers est causalement clos, l'état de l'univers à tout moment est une conséquence nécessaire de son état antérieur, ne laissant aucune place à l'action divine spéciale. Cependant, Plantinga souligne que l'hypothèse de la fermeture causale de l'univers n'est pas une conclusion de la science classique mais une hypothèse philosophique ou théologique largement acceptée.

En opposition à Laplace, "l'image newtonienne" n'implique pas la fermeture causale et laisse de la place à l'action libre humaine et à l'action divine spéciale. La physique moderne, en particulier la mécanique quantique (MQ), présente une "nouvelle image" qui inclut l'indéterminisme, ce qui fragilise davantage l'image laplacienne. Les lois de conservation (telles que la conservation de l'énergie) ne s'appliquent qu'aux systèmes causalement clos. Puisqu'un miracle implique que le système n'est pas causalement clos, l'action divine spéciale n'est pas incompatible avec ces lois.

Partie II : Conflit superficiel

Cette partie explore les domaines où les croyances religieuses et certaines théories scientifiques semblent entrer en conflit, mais d'une manière qui n'entraîne pas nécessairement de "defeater" (défenseur ou invalidateur) pour la croyance théiste.

La psychologie évolutionniste (PE) est examinée. La PE tente d'expliquer des traits humains, y compris la religion, en termes d'avantages adaptatifs ou de sous-produits de l'évolution. Par exemple, la musique pourrait être un "cheesecake auditif," sans utilité adaptative, mais plaisant. Des auteurs comme Pascal Boyer et Scott Atran voient la religion comme un sous-produit de notre architecture cognitive et d'un "mécanisme de détection d'agents hypersensible" qui attire l'attention sur des êtres "contre-intuitifs".

Le conflit avec la PE est superficiel car la science simonienne (simonian science, visant à expliquer l'altruisme et la religion par l'évolution) utilise une base de preuves qui est incomplète par rapport à la base de preuves d'un chrétien théiste. Le fait que le travail scientifique à partir d'une base de preuves tronquée puisse arriver à des conclusions incohérentes avec la croyance chrétienne n'est pas, en soi, un "defeater" pour ces croyances.

Le criticisme biblique historique (CBH) est un autre domaine de conflit superficiel. Le CBH (en particulier le CBH Troeltschien, qui adhère au principe de la continuité causale sans interférence surnaturelle) suppose que Dieu n'agit jamais spécialement (pas de miracles, pas d'inspiration spéciale). Cette approche est souvent en désaccord avec la croyance chrétienne traditionnelle, par exemple en rejetant la résurrection de Jésus comme un fait historique. Le CBH est considéré comme scientifique car il s'abstient d'utiliser des propositions connues ou crues uniquement par la foi, se limitant aux "délivrances de la raison".

Plantinga utilise de nouveau le concept de "defeater". Un "defeater" est une circonstance qui fait en sorte qu'une croyance perd sa justification. Le CBH pourrait fournir un "defeater" si ses conclusions étaient acceptées, mais étant donné que le CBH opère sur une base de preuves intentionnellement réduite par rapport à celle du chrétien, ce conflit est jugé superficiel.

Partie III : Concordance

La concordance se manifeste par le soutien que la science apporte à la croyance théiste.

L'argument du réglage fin (Fine-Tuning Argument - FTA). Les constantes physiques fondamentales (comme la vitesse de la lumière, les forces nucléaires) doivent tomber dans des limites extrêmement étroites pour que la vie intelligente puisse se développer. Par exemple, un écart dans le rapport entre l'expansion explosive et la contraction gravitationnelle par seulement une partie sur 10^60 aurait empêché la vie d'exister. La probabilité (basée sur le hasard) que six de ces paramètres soient réglés pour permettre la vie est inférieure à 10^100.
Le FTA soutient que ce réglage fin n'est pas surprenant sous l'hypothèse théiste (T), car Dieu voudrait créer la vie intelligente. En revanche, sous l'hypothèse athéiste (A), où ces valeurs sont dues au hasard, il est extrêmement improbable que le réglage fin se produise. Le FTA offre un soutien non négligeable à la croyance théiste.

Plantinga défend le FTA contre les objections courantes. L'objection de la normalisabilité (normalizability objection), soulevée par McGrew et al., prétend que l'argument est incohérent car les paramètres physiques peuvent prendre n'importe quelle valeur positive (intervalle infini), rendant impossible une mesure de probabilité normalisable si l'on respecte la non-discrimination. Plantinga soutient que cette objection est défectueuse car elle éliminerait même un argument de design basé sur un message cosmique visible dans le ciel nocturne ("Je suis le Seigneur Dieu").

Plantinga distingue l'argument du Dessein (Design Argument, qui utilise des prémisses pour une conclusion) du discours du Dessein (Design Discourse, qui attire l'attention sur des situations qui inclinent naturellement l'esprit à former une croyance de dessein). Michael Behe fournit plusieurs discours du dessein au niveau moléculaire en décrivant des systèmes présentant une complexité irréductible. Un système irréductiblement complexe est composé de plusieurs parties interdépendantes si bien que le retrait d'une seule partie fait cesser effectivement le fonctionnement du système. Ses exemples incluent le flagelle bactérien, la coagulation sanguine et le système immunitaire. Behe affirme qu'il est impossible, ou du moins excessivement improbable, que de telles structures aient évolué par des modifications successives et légères requises par l'explication darwinienne non guidée. Bien que l'argument de Behe ne soit pas une preuve déductive infaillible, il a produit des discours de dessein puissants pour lesquels, au niveau moléculaire, il n'existe pas de defeaters darwiniennes claires.

L'accord le plus profond entre le théisme chrétien et la science réside dans les fondements mêmes de la pratique scientifique.
◦ Image divine (Imago Dei): Selon la croyance chrétienne, Dieu nous a créés à Son image, ce qui inclut notre capacité à acquérir la connaissance de nous-mêmes et du monde. Dieu a donc créé le monde de manière à ce qu'il y ait une adéquation de l'intellect à la réalité (adaequatio intellectus ad rem).
◦ Lois et régularité: La croyance que l'univers présente une régularité et est régi par des lois accessibles à la raison humaine est essentielle à la science. Ces lois sont considérées comme contingentes (elles auraient pu être différentes) et non logiquement nécessaires, reflétant le libre arbitre de Dieu.
◦ Mathématiques: L'efficacité "déraisonnable" des mathématiques complexes (Wigner) pour décrire le monde est expliquée si l'on considère les objets abstraits (nombres, ensembles) comme des pensées divines. Le fait que l'intellect humain puisse saisir ces concepts mathématiques, souvent sans utilité adaptative au Pléistocène, s'explique par le fait que nous sommes créés à l'image de Dieu.
◦ Induction et simplicité: La pratique scientifique repose sur l'induction et la préférence pour la simplicité (vertus théoriques). La régularité du monde justifiant l'induction est plus probable sous le théisme. La simplicité est également plus attendue sous l'hypothèse d'un Créateur intelligent.

Partie IV : Conflit profond

La partie finale soutient l'affirmation principale du livre : il y a un conflit profond et sérieux entre le naturalisme et la science.

Le naturalisme (N) est considéré comme une quasi-religion parce qu'il offre un "récit principal" (master narrative) et répond à des questions humaines profondes (absence de Dieu, absence d'immortalité, liberté incertaine).

L'argument évolutionniste contre le naturalisme (EAAN) est le point central du conflit. Cet argument soutient qu'accepter le naturalisme (N) et la théorie évolutionniste actuelle (E) est auto-déféatiste (self-defeating).

L'argument se présente comme suit:

1. P(R/N\&E) est faible. (La probabilité que nos facultés cognitives soient fiables, étant donné le naturalisme et l'évolution, est faible).
◦ Justification de la Prémisse (1): Le naturalisme implique souvent le matérialisme. Selon le matérialisme, les croyances sont des structures neuronales (propriétés NP) qui ont un contenu (une proposition vraie ou fausse). La sélection naturelle (E) sélectionne les propriétés NP uniquement en fonction de leur capacité à causer un comportement adaptatif.
◦ La vérité du contenu de la croyance est sans conséquence pour la survie et reproduction.
◦ Si le contenu (la proposition) déterminé par les propriétés NP adaptatives est aussi susceptible d'être faux que vrai (probabilité de 1/2), alors la probabilité que nos facultés cognitives soient fiables (R)—c'est-à-dire qu'elles produisent une majorité de croyances vraies (par exemple, au moins trois quarts)—est très faible. Par exemple, si nous avons 1 000 croyances indépendantes, la probabilité que les trois quarts soient vraies est inférieure à 10^58.
2. Quiconque accepte N\&E et constate que P(R/N\&E) est faible, possède un "defeater" pour R : avoir un defeater pour R (la fiabilité de nos facultés cognitives) signifie qu'il devient irrationnel de continuer à croire en R.

3. Quiconque possède un "defeater" pour R possède un "defeater" pour toute autre croyance qu'il pense avoir, y compris N\&E lui-même. Puisque toutes nos croyances sont produites par nos facultés cognitives, douter de la fiabilité de celles-ci invalide toutes les croyances qu'elles produisent.

Conclusion de l'EAAN: en acceptant N&E, on acquiert un "defeater" non vaincu pour N&E. Par conséquent, N&E ne peut pas être accepté rationnellement. 

Plantinga conclut que le conflit réside réellement entre la science et le naturalisme. La science s'accorde beaucoup mieux avec le théisme, car le théisme fournit un fondement rationnel à la fiabilité de nos facultés cognitives (l'imago dei).