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mercredi 22 octobre 2025

Exploration de la métaphysique postmoderne de Christos Yannaras.




Christos Yannaras (1935-2024) est l'un des écrivains orthodoxes contemporains les plus prolifiques, originaux et significatifs en Grèce et peut-être l'un des philosophes chrétiens les plus importants d'Europe. Yannaras était Professeur émérite de philosophie à l'Université Panteion des sciences sociales et politiques d'Athènes. Né à Athènes en 1935, il a étudié dans les universités d'Athènes, Thessalonique, Bonn et Paris. Il était titulaire de doctorats en philosophie de la Sorbonne et de Thessalonique. Auteur de plus de vingt livres, ses travaux ont été traduits en plusieurs langues.

L'ouvrage de Yannaras est une contribution importante au débat théologie/science. Il offre une alternative respectable à la résistance créationniste à l'évolutionnisme matérialiste. Il soutient que la réalité spirituelle transcende les catégories de la nécessité et du hasard que les matérialistes croient pouvoir expliquer. Yannaras argumente pour la priorité de la relationalité et de la réciprocité. La dimension spirituelle est celle par laquelle nous pouvons découvrir la causalité de Dieu et entrer en relation personnelle avec lui.

I. Le Paradigme Moderne (Prolégomènes 1)

L'historiographie européenne situe le début de la période moderne avec la chute de Constantinople (1453). C'est à ce moment que l'axe de développement s'est déplacé de l'Est grec vers l'Ouest européen. La Renaissance et la Réforme protestante sont vues comme encore enfermées dans une perspective médiévale. Le terme "moderne" signale une antithèse au passé. L'ère moderne est définie par l'affirmation de chaque présent successif et un point de départ pour le progrès.

Le fonctionnalisme remplace l'approche ontologique. La modernité entend l'être comme une approche délibérée de l'abandon du postulat ontologique au profit de la nature de la réalité. La réalité est traitée comme un phénomène et un constituant fonctionnel, non existentiel. La question ontologique (cause, fin, origine de l'existence, etc.) devient marginale. Le rejet de l'ontologie est associé à l'arrogance intellectuelle et à l'inflexibilité dogmatique du Moyen Âge.

Le rationalisme utilitaire caractérise la modernité. La vérité et la moralité sont détachées de toute revendication métaphysique. Le concept de «l'individu naturel» inspire la «justice naturelle» et les principes régulateurs des éthiques deviennent «autonomes». La rationalité utilitaire inverse les termes de la vérification: la pensée correcte dérive de l'efficacité mesurable. La connaissance est évaluée par sa fonctionnalité.

L'eudaémonisme régulateur est la philosophie sous-jacente de la société moderne. La société moderne est «pluraliste», caractérisée par une tolérance qui légitime des priorités différentes. Les valeurs sont un «pluralisme des points de vue» et dépendent de la vérification utilitaire de la rationalité. Dans la hiérarchie des besoins, le «salut de l'âme» est remplacé par l'affirmation de la vie terrestre et le renforcement de l'individu.

Les idéologies sont la transposition des perspectives sociales en plans idéologiques et téléologies. L'idéologie trouve son origine dans la théorie de la «physiognomie» de l'âge moderne de Destutt de Tracy (1796). Elles dominent en fixant des objectifs d'évolution sociale et d'organisation qui remplissent des objectifs collectifs.

II. L'Effondrement de la vision moderne (Prolégomènes 2)

La faillite du positivisme logique repose sur la conviction que la rationalité utilitaire fonctionne efficacement. Cette rationalité méprise la métaphysique et refuse de considérer l'humanité comme créée «à l'image de Dieu». La rationalité du sens commun garantit des principes régulateurs universels. L'effondrement se manifeste dans la non-coïncidence de la communication et du langage. L'orthodoxie mine radicalement la validité des présuppositions du droit naturel et de la rationalité régulatrice. Les travaux de Wittgenstein ont montré que la clarté de la pensée était limitée à la logique picturale des faits.

La faillite des idéologies s'est accompagnée de l'effondrement des régimes sociopolitiques tels que le fascisme et le national-socialisme. Le totalitarisme moderne est inhérent au processus de développement systématique.

III. Le manque de signification existentielle (Prolégomènes 3)

L'existence du sujet humain est exclue de la question de la cause, de la raison ou du sens dans la modernité. Si le sens du monde existe, il doit se trouver «en dehors» du monde.

Le nihilisme a fortement démontré l'absurdité de l'existence. Pour l'existentialisme français, l'être humain est la seule chose qui existe et qui a la capacité d'annihiler son nihilisme. Le nihilisme ontologique a deux soutiens puissants dans la modernité: la théorie de l'évolution et l'inconscient.

La théorie de l'évolution est vue comme une proposition qui interprète les faits naturels sous des présuppositions purement endocosmiques. Elle considère que l'esprit humain est une fonction du cerveau. L'indéterminisme est une proposition opposée à la chance, postulant l'imprédictibilité comme une propriété fonctionnelle.

IV. Le défi postmoderne (Thèse 1): extension métaphysique de la physique

Yannaras utilise la méthodologie «apophatique». La physique utilise des signifiants qui se réfèrent à des faits vérifiables empiriquement. La métaphysique, en revanche, utilise des signifiants sans relation picturale-représentationnelle, tels que l'infini, l'intemporel, l'immatériel, l'Incréé, la Cause sans cause, Dieu, l'âme.

La physique quantique a radicalement transformé la compréhension de la réalité physique par son principe d'indétermination. La théorie de la relativité a déjà relativisé le lien entre l'observation et la méthode. La mécanique quantique démontre l'indétermination dynamique des relations. Le concept de l'observateur jouant un rôle actif dans la formation de l'objet observé est essentiel.

La physique quantique défie l'ontologie mécaniste déterministe. Les relations en mécanique quantique créent des coordonnées mutuelles stables et non des relations prédictibles. La relation est fondamentale: elle n'est ni extrinsèque ni séquentielle.

Le principe anthropique (version faible) suggère que l'univers tend vers des conditions de formation de soi-même. Le principe anthropique est présenté non comme une proposition de preuve scientifique, mais comme une présupposition herméneutique d'une unicité régulatrice de la création. La vie est un «fait expérientiel» avec une valeur formative illimitée.

La réalité est récapitulée dans la relation de l'humanité avec un logos actif comme une invitation-à-la-relation. Sans l'acceptation de l'invitation, le monde semble dénué de sens.

V. Le sens modal de l'infini (Thèse 2)

L'infini est considéré non seulement comme une quantité, mais comme une catégorie qualitative ou un mode. Le sens modal de l'infini transcende la phénoménologie de la nature en passant par l'expérience existentielle de la finitude. L'expérience de l'infini modale n'est pas limitée à la cognition intellectuelle de toutes les possibilités existentielles.

L'expérience personnelle de la liberté de l'individu est la condition fondamentale d'une expérience de l'infini. L'expérience du Principe Causal Personnel (qui est libre des facteurs limitatifs de la nature) confirme la réalité d'une causalité qui est un fait personnel (réciprocité).

Le terme «stance» (posture) est utilisé pour unifier la relation de l'homme au monde, aux autres et à l'expérience de l'infini. La transition vers un nouveau «paradigme» culturel postmoderne est d'abord métaphysique.

L'humanité est la seule existence dans la nature qui peut dépasser ses limites naturelles. La réalité existentielle de l'altérité est l'expérience du tout de la plénitude universelle. Le désir de vie immortelle est le désir d'une relation épanouissante.

VI. Essai postmoderne en ontologie métaphysique (Thèse 3)

Yannaras définit la nature comme l'uniformité existentielle du cosmos, créée comme la forme commune d'existence. L'hypostase est la réalisation existentielle spécifique de la nature commune, chaque individu tirant ensemble toutes les caractéristiques de l'espèce.

La liberté est le pouvoir de l'altérité existentielle-créatrice. La relation à l'Incréé est une invitation-à-la-relation. La réponse du créé à l'invitation est l'affirmation, qui est la seule possibilité d'atteindre le but de l'énergie invitatoire de l'Incréé (la grâce).

Le rejet de l'invitation de l'Incréé est un refus volontaire, un tourment de l'existence, qui annule la possibilité de nullifier sa propre hypostase. Le sens premier du mot grec pour "enfer", kolasis, est «punition corrective» ou «tourment».

Les présuppositions d'une proposition ontologique (que le sujet, même s'il est créé, ne doit pas son existence à la nature) sont incluses dans l'étude. L'expérience de l'Incréé est déductible du rapport du sujet à sa propre existence en tant que fait existentiel.