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dimanche 24 août 2025

La déification en Christ.



Panayiotis Nellas (1936–1986) était un théologien grec orthodoxe reconnu pour ses travaux en patrologie et en anthropologie chrétienne. Son œuvre majeure, La déification en Christ : perspectives orthodoxes sur la nature de la personne humaine (1987), est une étude approfondie de l’anthropologie patristique, qui met en lumière la doctrine de la déification (ou théosis) dans la tradition orthodoxe.
Nellas a étudié la théologie à Paris. Il a été formé sous la direction de figures telles que le cardinal Jean Daniélou et le théologien orthodoxe Paul Evdokimov. En 1968, il a été nommé professeur au lycée Arsakeio et a fondé la série d’édition patristique Epi tas pigas (Vers les sources). En 1975, il a obtenu son doctorat de l’Université d’Athènes avec une thèse sur la doctrine de la justification selon Nicolas Cabasilas.
À noter que jeune théologien, Nellas a été formé sous la direction du saint moine Paisios de Mont Athos.
Outre son ouvrage principal, il a fondé en 1982 la revue Synaxis, dédiée à l’étude de l’orthodoxie.
Voici un aperçu détaillé de son livre majeur.

1) La déification en Christ : une anthropologie orthodoxe

Le livre de Panayiotis Nellas offre une exploration profonde de l'anthropologie chrétienne orthodoxe, centrée sur le concept de la déification (théosis). Préfacé par l'évêque Kallistos Ware, l'ouvrage est salué pour avoir ouvert de nombreuses pistes de recherche et pour sa capacité à apprécier l'approche patristique, en dépit des difficultés modernes à exprimer la nature mystérieuse et indéfinissable de la personne humaine.
Le thème central est la vocation de l'homme à devenir « un dieu », réalisant sa véritable existence par l'élévation vers Dieu et l'union avec Lui.
L'auteur insiste sur le fait que l'être humain, étant créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, possède un caractère insaisissable, exigeant une « anthropologie négative » en miroir de la théologie apophatique. Le titre original grec, Zoon theoumenon, signifie « un être vivant en voie de déification », soulignant que l'homme est fondamentalement appelé à partager consciemment la vie et la gloire de Dieu.


2) L'image de Dieu et les « vêtements de peau »
Cette section, considérée par Nellas comme la plus originale et complexe, explore l'image de Dieu dans l'homme et la symbolique des « vêtements de peau » (Genèse 3:21) dans l'interprétation patristique de la chute.
L'image de Dieu est présentée comme la structure christologique de l'homme, son origine et sa destinée en Christ. La ressemblance divine rend l'homme inintelligible, reflétant l'incompréhensibilité de Dieu. L'anthropologie paulinienne met en lumière cette dimension christologique, la croissance de l'homme vers sa pleine stature coïncidant avec sa christification. L'homme est un créateur à l'image du Logos, le Créateur suprême. Le but de l'image était de mener la nature humaine à l'union hypostatique avec le Logos divin en Christ, un objectif qui est resté immuable même après la Chute.
Les « vêtements de peau » sont pour leur part un symbole fondamental de la Chute. Ils représentent une dégénérescence, un bouleversement de la nature humaine. Cependant, Dieu utilise cette nouvelle condition comme un chemin pour l'humanité vers le Christ, offrant ces vêtements comme une « seconde bénédiction » pour survivre et réaliser son objectif originel en Christ. La loi mosaïque est également comprise comme un « vêtement de peau ». Cette théologie a des implications profondes pour la relation entre l'Église et le monde, appelant à une position à la fois radicalement critique et positive.

2) La vie spirituelle en Christ

Cette section se concentre sur l'anthropologie christocentrique de Nicolas Cabasilas, théologien byzantin du XIVe siècle, que Nellas a étudié en profondeur.
La vie spirituelle est définie comme la vie en Christ, dont le contenu anthropologique réel est la christification. Cabasilas explore comment cette union et communion avec le Christ se réalise à travers l'être, le mouvement, la vie, la connaissance et la volonté de l'homme. Ce n'est pas une imitation externe mais une transformation ontologique.
Cabasilas offre une description physiologique de cette transformation, appelée metaskevi, notamment en ce qui concerne l'Eucharistie. Il explique que le Christ, le pain eucharistique, ne se transforme pas en l'homme, mais transforme l'homme en Lui-même, faisant de lui un membre réel du Corps du Christ.
Les fruits de la vie spirituelle incluent la transformation de la création en communion ecclésiale et un humanisme théocentrique. Toutes les dimensions de la vie humaine – professionnelle, artistique, intellectuelle – peuvent être greffées sur la vie sacramentelle et devenir des « sens spirituels et des fonctions » qui intègrent le monde dans l'Église. La vie monastique, bien que noble, n'est pas une condition essentielle ; la plénitude de la vie sacramentelle peut être vécue au sein de la société.

3) Le Grand Canon de saint André de Crète

Nellas analyse la théologie de la personne humaine à travers sa dimension liturgique et existentielle, en utilisant le Grand Canon de saint André de Crète (VIIe siècle).
Le Grand Canon est présenté comme un acte liturgique qui situe le croyant dans le contexte du salut, et non comme un simple texte littéraire ou un traité théologique. Il vise à renforcer la conscience qu'a l'homme de sa condition tragique et le préparer à la repentance.
La repentance et la transformation progressive de l'homme sont un retour (anadromi) à son intégrité et une progression (prosagogi) de tout son être vers Dieu, exigeant la coopération humaine.
La « syn-chorisis » (pardon) est comprise comme le greffage sur le Christ, qui renouvelle les lois de la nature et spiritualise la nature humaine. Dans ce cadre, les dimensions de la nature, de l'espace et du temps sont reconstituées et renouvelées au sein de l'Église, le Corps du Christ.

4) Textes patristiques

Pour laisser la Tradition parler directement, Nellas inclut une anthologie de textes de Pères de l'Église, allant de saint Irénée au IIe siècle à saint Nicodème de la Sainte Montagne au XVIIIe siècle. Ces textes illustrent des enseignements sur Adam comme « enfant », le progrès vers la perfection, la récapitulation en Christ, la nature de la personne humaine, l'image et les vêtements de peau, les cinq divisions et l'union en Christ, la naissance biologique et spirituelle, et le Christ comme Archétype. Saint Nicodème de la Sainte Montagne est particulièrement mis en avant pour sa défense de la doctrine de la Mère de Dieu, démontrant comment Nellas s'inspire des figures patristiques pour ses propres thèses.

Conclusion

Le travail de Nellas souligne que la déification ne doit pas rester une catégorie spirituelle générale, mais doit acquérir un contenu anthropologique et christologique spécifique, c'est-à-dire être comprise comme la christification, qui offre le salut en révélant une activité et un développement véritablement humains. Pour l'homme, Dieu n'est pas un principe externe, mais son origine ontologique et sa consommation. Vivre de manière théocentrique est la voie vers l'accomplissement de soi et l'extension vers l'éternité.
On peut lire en français Le vivant divinisé (Cerf, 1989).

PEB