Le livre Introducing Eastern Orthodox Theology d'Andrew Louth, professeur émérite d'études patristiques et byzantines à l'Université de Durham et prêtre du diocèse orthodoxe russe de Sourozh, offre une exploration essentielle des fondements et des particularités de la théologie orthodoxe orientale.
Publié pour la première fois en 2013 par la Society for Promoting Christian Knowledge, cet ouvrage se distingue par son approche qui enracine la doctrine dans l'expérience vécue de la prière et du culte.
I. Qui sont les orthodoxes orientaux ? Définition et contexte historique
Le terme « orthodoxe oriental » lui-même est sujet à des nuances, l'émigration ayant conduit à une présence occidentale significative. Louth identifie l'identité orthodoxe de trois manières : par une liste des Églises nationales (grecque, russe, roumaine, bulgare, serbe, géorgienne, etc.), par leur histoire commune, et par leurs caractéristiques distinctives.
Ces Églises sont en communion, partagent la même foi (définie par les sept Conciles Œcuméniques, de Nicée I en 325 à Nicée II en 787), sont régies par les mêmes Canons Sacrés et utilisent la liturgie byzantine.
L'orthodoxie orientale se distingue des Églises orthodoxes orientales (coptes, syriennes, arméniennes, éthiopiennes, érythréennes), qui n'acceptent pas tous les Conciles Œcuméniques (la plupart s'arrêtant à Éphèse en 431) et pratiquent des rites liturgiques et canoniques différents.
Bien que ces dernières soient parfois appelées « monophysites » pour leur conception de la nature du Christ, des conférences théologiques modernes ont suggéré que les différences doctrinales sont largement le résultat de malentendus.
Historiquement, l'orthodoxie orientale est la continuation de l'Église missionnaire mondiale des premiers siècles, utilisant le grec comme langue commune. La conversion de Constantin et la fondation de Constantinople (Nouvelle Rome) en ont fait un centre ecclésial majeur. L'expansion du christianisme vers l'Est, notamment avec la conversion du Khan Boris de Bulgarie au IXe siècle et du Prince Vladimir de Kiev au Xe siècle, a cimenté une « communauté byzantine » où le vernaculaire était utilisé dans le culte. La chute de Constantinople en 1453 aux mains des Turcs a ensuite vu Moscou assumer un rôle de leadership pour l'orthodoxie. Au XIXe et XXe siècles, la libération des peuples de l'Empire ottoman et les diasporas ont conduit à une nouvelle confrontation et compréhension de l'Occident.
II. Ce qui distingue l'orthodoxie orientale
L'orthodoxie ne se définit pas par un théologien fondateur mais par son engagement envers la vérité dogmatique, définie par les Sept Conciles Œcuméniques. Cette vérité n'est pas une simple opinion mais une rencontre authentique avec la Personne du Christ, attestée dans les Écritures, sauvegardée par les Conciles et vécue dans les sacrements et l'Église. La popularité d'œuvres comme Mere Christianity de C. S. Lewis dans les pays orthodoxes suggère une « distinction inclusive » : l'orthodoxie se perçoit comme une adhésion à la vérité unificatrice du christianisme traditionnel.
Ce qui rend l'orthodoxie distinctive, c'est la manière dont la foi traditionnelle est maintenue, étant exprimée et éprouvée dans la prière et le culte. Contrairement à certaines traditions occidentales qui ont réduit la foi à une philosophie ou à une doctrine singulière, l'orthodoxie place la prière et le culte au centre de sa définition et de son raffinement. La persécution et le martyre à travers les siècles ont renforcé cette fidélité au culte et à la prière comme « pierre de touche » de la foi orthodoxe.
III. Aborder la théologie : mystère, expérience et sources
La théologie orthodoxe ne commence pas par une connaissance intellectuelle de Dieu, mais par la reconnaissance de son insondable mystère. Le culte liturgique, en particulier, est une réponse à ce mystère. La théologie est une « introduction à un mode de vie », impliquant un engagement personnel, une lutte et une transformation intérieure.
Les sources de l'intelligence théologique sont multiples :
• Les Écritures : elles ne sont pas de simples sources d'informations, mais un témoignage du Christ. Les lire, c'est être ouvert à une rencontre avec Lui. L'orthodoxie ne s'en tient pas à une interprétation littérale stricte et utilise la Septante pour l'Ancien Testament, reconnaissant une richesse de sens au-delà du texte original. La lecture liturgique des Écritures, organisée autour de cycles annuels et pascals, est jugée prioritaire.
• Les Pères de l'Église : leur « chœur » exprime une riche harmonie plutôt qu'un consensus strict.
• Les Conciles et Canons : leurs décisions sont spécifiques à des contextes, laissant place à une « liberté créative » pour vivre l'Évangile.
• La prière liturgique : les hymnes et les prières de l'Église, comme le kontakion de la Dormition, transmettent le sens des mystères de manière plus assurée que les définitions dogmatiques.
• La vie des saints : leur expérience spirituelle offre une autorité informelle mais fondamentale.
Comme le souligne le penseur russe Pavel Florensky, l'ecclésialité est une « nouvelle vie, vie dans l'Esprit », dont le critère est la Beauté (filocalie). L'orthodoxie se montre plus qu'elle ne se prouve, s'appréhendant par l'« expérience orthodoxe directe ».
IV. Concepts théologiques clés
1. Dieu Trinité : le concept de la Trinité est une « réalisation » progressive à travers la prière et le culte. Le Baptême du Christ, la Transfiguration et l'Agonie à Gethsémani sont des moments clés où la Trinité est manifestée et adorée. Le Fils prie le Père à la fois comme Fils de Dieu et comme Fils incarné. Le Saint-Esprit effectue la déification, est invoqué dans la prière, et fait partie de la Trinité. Le terme homoousios (consubstantiel) est la pierre angulaire de cette doctrine, affirmant une seule ousia (essence divine) et trois hypostases (personnes).
2. Apophatisme et essence-énergies : la théologie orthodoxe est fondamentalement apophatique, affirmant l'incompréhensibilité de Dieu. On ne peut savoir ce que Dieu est, mais plutôt ce qu'il n'est pas. La distinction entre l'essence (ousia) incommunicable de Dieu et ses énergies (energeia) incréées par lesquelles il se manifeste dans la création est cruciale. La perichoresis décrit l'interpénétration des personnes de la Trinité, un mode de relation qui n'est pas un modèle pour les relations humaines.
3. La Création : le monde est créé ex nihilo (à partir de rien). Il existe une différence absolue entre Dieu et la création, mais la créature doit tout à son Créateur. Dieu est à la fois infiniment exalté et infiniment proche de sa création. Cette conviction s'exprime par les notions d'énergies divines (la présence agissante et incréée de Dieu dans la création), les logoi de la création (les principes divins inhérents à toute chose créée et unifiés dans le Logos Christ) et la Sophiologie (la Sagesse divine comme metaxu, lien entre Dieu et la création).
4. Qui est le Christ (christologie) : la question centrale n'est pas « Qui était le Christ ? » mais « Qui est le Christ ? », soulignant la centralité de la Résurrection. Le Christ n'a pas succombé à la mort mais l'a vaincue, démontrant un amour plus puissant que toute la création. Les Conciles Œcuméniques ont clarifié la doctrine du Christ comme une seule personne en deux natures parfaites, divine et humaine, sans confusion, changement, division ou séparation. La défense de deux volontés distinctes en Christ (divine et humaine) par saint Maxime le Confesseur fut décisive contre le Monothélisme.
5. Le péché, la mort et la repentance : le péché d'Adam a introduit la mort et la corruption dans le cosmos, et non pas seulement la culpabilité morale. Les Pères grecs parlent de « péché ancestral » (propaterikon amartema), qui est hérité et affecte l'humanité, sans pour autant rendre chaque individu responsable du péché originel d'Adam à la manière augustinienne. Adam est vu comme l'archétype du pénitent, dont le chemin vers la repentance est celui que chacun est appelé à suivre.
6. Être humain – image de Dieu : l'homme est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Être à l'« image » signifie avoir une affinité avec Dieu et une capacité à la prière, tandis que la « ressemblance » est un processus d'assimilation à Dieu (homoiosis). L'humanité est façonnée selon l'image du Christ incarné, et ce n'est qu'en Lui que l'on comprend la vraie nature humaine. L'homme est également le lien du cosmos (syndesmos tou kosmou), ayant un rôle pivot dans la perception du sens universel.
7. Personne et communauté / sobornostʹ : l'humanité est une unité qui embrasse la multiplicité, reflétée dans la distinction des sexes et la formation de la famille. La doctrine de l'image de Dieu implique une affinité mutuelle entre les êtres humains. La sobornostʹ, concept théologique russe, décrit la nature de l'Église comme catholique et conciliaire, unifiant les personnes dans la liberté et l'amour, sans que l'un ou le multiple ne soit ultime, à l'image de la Trinité.
8. Sacrements et icônes : l'orthodoxie embrasse un « matérialisme chrétien » qui valorise la matière comme création de Dieu. Les mystères (sacrements) sont les voies par lesquelles le mystère du Christ (son dessein d'unir toute la création à lui-même) se manifeste dans le monde. La liste des sept sacrements est considérée comme une influence occidentale, l'orthodoxie privilégiant une compréhension plus large de la sacramentalité de la réalité. Le baptême et l'Eucharistie sont fondamentaux. Les onctions, le mariage, l'ordination et la consécration monastique sont aussi des mystères. Les sacrements ne sont pas de simples symboles, mais opèrent une transformation réelle des éléments et des participants, les unissant au Christ. Les icônes, images du Christ, de la Mère de Dieu et des saints, sont des objets de dévotion qui révèlent la « minceur » de la frontière entre le Ciel et la Terre. Elles sont justifiées par l'Incarnation et la nature double de l'être humain, et facilitent une rencontre « face à face » avec le sacré.
9. Temps et liturgie (eschatologie) : la théologie est une participation active à l'œuvre de Dieu, principalement à travers la liturgie divine. Le culte orthodoxe conçoit le temps à la fois de manière cyclique (le jour, la semaine, l'année liturgique) et linéaire (de la création à la consommation). La Pâques (le « Festin des Festins ») est le centre de l'année liturgique, préparée par le Grand Carême. Les « dernières choses » (ta eschata) ne sont pas de futurs événements lointains, mais sont rendues présentes dans le Christ Ressuscité, le culte eucharistique étant une anticipation du Royaume. L'eschatologie orthodoxe souligne l'unité des vivants et des défunts dans le Christ ressuscité. L'espoir du salut universel (apokatastasis pantôn), bien que non formellement défini, est une conviction constante chez de nombreux théologiens orthodoxes, fondée sur l'amour illimité de Dieu.
Ce livre présente une théologie ancrée dans le mystère, l'expérience liturgique et la sainteté, et offre une vision cohérente et holistique de la foi chrétienne qui invite à une transformation profonde de l'être humain et du cosmos entier en Christ.
PEB