Ce livre est issu d'une table ronde sur "les reliques de la Passion" qui s'est tenue en août 2001, lors du XXe Congrès international des études byzantines à Paris, et a été publié avec le concours du Comité d'organisation de ce congrès.
L'ouvrage a pour objectif d'explorer les liens particuliers entre Byzance et la France, notamment en ce qui concerne le transfert de grandes reliques du Christ depuis Constantinople vers Paris après le sac de la ville par les croisés en 1204.
Le terme de "reliques du Christ" a été préféré à "reliques de la Passion" car il est jugé plus approprié, englobant des objets comme le Mandylion d'Édesse et les reliques des amis du Christ, qui ne sont pas exclusivement liés à la souffrance du Christ. Bien que principalement consacré à Byzance, le volume étend son analyse à la France sous Saint Louis et Louis XIV, ainsi qu'à la Géorgie au XVIIe siècle, démontrant la richesse du sujet.
L'histoire des reliques du Christ est intrinsèquement liée à celle de la Vraie Croix. Holger Klein a retracé son parcours, de son "invention" par Sainte Hélène jusqu'à Constantinople, puis à Paris, où elle se trouve aujourd'hui à Notre-Dame après avoir été à la Sainte-Chapelle.
Le culte public de la Croix s'est lentement établi à Constantinople, avec le règne d'Héraclius au VIIe siècle marquant une étape décisive. Au Moyen Âge, la Vraie Croix, après un déplacement mal déterminé de Sainte-Sophie au palais, est retrouvée dans l'église palatine de la Vierge du Phare.
L'église de la Vierge Théotokos du Phare est un édifice central dans l'histoire des reliques du Christ à Constantinople. Elle est devenue le principal dépôt des reliques du Christ au sein du Grand Palais, un modèle constantinopolitain qui a inspiré la construction de la Sainte-Chapelle de Saint Louis à Paris. L'église du Phare se distingue des autres églises comme Sainte-Sophie ou les Saints-Apôtres, car elle abritait une collection cohérente et délibérée de reliques dominicales, contrairement à la collection plus disparate de Sainte-Sophie.
Les reliques les plus précieuses, telles que la Vraie Croix, le Titulus, la Couronne d'épines, l'Éponge, le Roseau, les Clous, les Sandales, le Mandylion d'Édesse et la Sainte Tuile, étaient concentrées à la chapelle du Phare. La grande époque de cette concentration est le Xe siècle, suite à la reconquête d'une partie de la Syrie. Le transfert de ces reliques au palais, sous la dynastie macédonienne, est une innovation. Cyril Mango note que le patriarche Photius, en 864, ne fait aucune allusion au rôle de gardienne des reliques dominicales de la chapelle, suggérant que ce rôle s'est développé plus tard.
Le manuscrit Dresdensis A 104, datant de la seconde moitié du XIe siècle, offre une description précieuse, partiellement inédite, des cérémonies d'exaltation et de vénération de la Croix à Sainte-Sophie. La Vraie Croix, également appelée les "Précieux Bois", était conservée au skeuophylakion du palais impérial. Elle sortait régulièrement du palais pour être vénérée en trois occasions principales : pendant la quatrième semaine de Carême à Sainte-Sophie, au début du mois d'août promenée dans les rues de Constantinople par le papias du palais, et du 10 au 13 septembre à la Grande Église avant la cérémonie d'Exaltation le 14 septembre.
Jannic Durand explique que le 13 septembre, les "Précieux Bois", apportés du Palais, étaient lavés par les théores et les chartulaires du skeuophylakion, à l'aide d'une éponge et d'une aiguière, dans un bassin d'argent. Ils étaient ensuite liés pour former une croix à double traverse, composée de trois morceaux (un élément principal, un plus petit en haut, et un plus grand au milieu), ce qui suggère qu'ils n'étaient pas ordinairement solidaires. Cette particularité permettait de les laver et de les manipuler plus facilement, surtout si la croix était de grandes dimensions. Après les cérémonies du 14 septembre, la relique était démontée et relavée avant d'être replacée dans son coffret pour retourner au Palais. Ce coffret, ou pinakidion, était une staurothèque du type le plus habituel, où la relique, liée ou non, adoptait en permanence la forme d'une croix.
Les empereurs utilisaient les reliques non seulement pour des raisons dévotionnelles, mais aussi politiques. Sandrine Lerou souligne que la Vraie Croix était souvent placée au cœur de staurothèques contenant d'autres reliques du Christ (Clou, Lance, Couronne d'épines), et rarement accompagnée de reliques de la Théotokos ou de martyrs aux XIe et XIIe siècles. Ces staurothèques servaient le pouvoir impérial, faisant de l'empereur le maître des serments, un nouveau Constantin. La relique du Bois était un palladium protecteur pour la dynastie et le royaume. Les poèmes et chroniques byzantines attestent du rôle de la Croix pour les victoires militaires, rappelant le chrisme de Constantin et l'usage de la Croix comme bannière. La perte d'une relique était associée à la perte du pouvoir, et sa récupération à la restauration de celui-ci. Les reliques servaient aussi à la diplomatie, offertes comme cadeaux à de hauts dignitaires, symbolisant des alliances ou des messages œcuméniques. Elles étaient également centrales dans la prestation de serments, des actes graves qui requéraient la présence des reliques les plus sacrées.
Le Mandylion, un portrait supposé miraculeux du Sauveur, fut transféré d'Édesse à Constantinople au Xe siècle, un événement organisé avec éclat en 944. Sysse Engberg montre qu'il fut initialement déposé par Romain Ier Lécapène dans la chapelle du Christ de la Chalkè, une chapelle palatine concurrente de celle du Phare. Cependant, il fut transféré au Phare quelques mois plus tard, après le renversement des Lécapènes par Constantin VII Porphyrogénète, qui cherchait à s'approprier la gloire de cette translation.
La Sainte Tuile, un autre portrait miraculeux, fut également destinée à l'église du Phare. Après le sac de Constantinople en 1204, le Mandylion fut transféré en Occident, aboutissant à la Sainte-Chapelle à Paris. Cependant, sa valeur y est devenue secondaire par rapport à la Véronique de Rome, qui a pris le dessus comme seul portrait authentique du Christ.
Byzance, en particulier aux XIe-XIIe siècles, est devenue une ville "touristique" où des étrangers, pèlerins et marchands, manifestaient un grand intérêt pour les reliques, conscientes de leur rareté en Occident. Les Grecs ont profité de ce marché, et des guides professionnels ainsi que des manuels pour pèlerins facilitaient cette circulation des reliques. Cependant, Cyril Mango souligne une disproportion entre Orient et Occident quant à la valorisation des reliques. À Byzance, des monuments prodigieux comme la Sainte-Chapelle n'ont jamais été érigés spécifiquement pour abriter des reliques. Après l'époque paléochrétienne, on se contentait de déposer les reliques dans des lieux appropriés sans les célébrations grandioses ni les revenus générés en Occident. La vérification d'authenticité, très réglementée en Occident, était pratiquement inconnue à Byzance.
Cette différence d'approche a pu justifier, selon la propagande occidentale, le comportement des croisés en 1204, qui ont jugé les Byzantins indignes de posséder ces reliques. Malgré cela, l'église du Phare était montrée aux visiteurs, soulignant la prétention de Byzance à être la Nouvelle Jérusalem. Le prêtre Nicolas Mésaritès, en 1200, décrivait l'église du Phare comme une "Arche" et une "autre Terre Sainte", actualisant les événements de la vie du Christ à travers ses dix reliques principales. Il présentait l'église et sa collection comme une image officielle que Constantinople voulait diffuser dans le monde chrétien.
Michele Bacci explore comment les archétypes byzantins des cultes christologiques ont influencé le Moyen Âge occidental. Constantinople était perçue comme un écrin de précieux vestiges chrétiens, et ses collections, en particulier celle du Phare, ont servi de modèle pour les institutions et villes majeures d'Europe. La relique du Bois de la Vraie Croix de Constantinople, dont Robert de Clari avait admiré la taille impressionnante, a inspiré la vénération et l'élaboration de reliquaires en Occident. La lettre d'Anseau, chantre du Saint-Sépulcre à Jérusalem, datée d'environ 1118, atteste de la perception occidentale de Constantinople comme un centre majeur de reliques de la Vraie Croix.
Après 1204, la capture et le transfert de nombreuses reliques à l'Ouest ont affaibli les collections byzantines, bien que la ville ait conservé sa réputation de trésor sacré. Sous les Paléologues, les reliques subsistantes, héritage appauvri du trésor du Phare, étaient conservées dans des lieux comme le monastère de Saint-Georges des Mangani, puis Saint-Jean in Petra. George P. Majeska observe qu'avant 1204, les reliques de la Passion étaient souvent exposées individuellement, tandis qu'après, elles étaient généralement mentionnées comme une unité, conservées ensemble dans un seul coffre scellé.
Le reliquaire est essentiel pour la relique, l'écrin donnant sens au simple fragment de bois ou d'os. Les inscriptions sur les reliquaires impériaux associent le nom de l'empereur à la prière, perpétuant ainsi leur dévotion. Ces objets "parlants" ou corporels, souvent des statues entières, ont évolué différemment en Orient et en Occident. Aux XIe et XIIe siècles, les empereurs comnènes ont montré une dévotion particulière pour les "Saintes Pierres" associées à la mort du Christ, telles que la Pierre du Sépulcre et la Pierre de la Déposition (dite d'Éphèse). Cette dernière, apocryphe aux yeux des évangiles canoniques, était privilégiée car elle liait la Mère de Dieu à son Fils mourant, ayant été baignée des larmes de la Théotokos. Ce culte des pierres, commun à Byzance et l'Occident, témoigne d'un intérêt accru pour la Jérusalem terrestre et le Christ dans sa mort et sa Résurrection.
Claudine Billot analyse l'intégration et l'exploitation des reliques de la Passion en France, inspirées des pratiques byzantines. L'exemple de la Sainte Tunique d'Argenteuil, sans témoignages écrits avant le XIIe siècle, montre comment la "réapparition" et la valorisation de reliques étaient souvent liées à des intérêts ecclésiastiques et politiques.
Le XIIIe siècle marque un regain de dévotion pour les reliques de la Passion en Occident, alimenté par le christocentrisme des ordres mendiants et les événements historiques, notamment la prise de Constantinople en 1204 et le transfert de reliques vers Paris. Saint Louis a acquis des reliques majeures de Constantinople, dont la Couronne d'épines et un fragment de la Vraie Croix, qu'il a déposées à la Sainte-Chapelle. Cette église extraordinaire est devenue un modèle constantinopolitain et un haut lieu de dévotion.
Les Capétiens ont utilisé ces reliques pour leur propagande monarchique, affirmant un lien symbolique entre la possession de la Vraie Croix et la légitimité de leur pouvoir, faisant de Paris une "nouvelle Jérusalem". Cette tradition s'est poursuivie avec Louis XIV, qui a mis en scène Saint Louis portant la Couronne d'épines dans les décors des Invalides et du château de Versailles. Les dons de reliques à des souverains étrangers, comme le roi Haakon IV de Norvège, illustrent également cette diplomatie des reliques visant à promouvoir la France.