Dans cet ouvrage, Jean Staune propose une critique approfondie du darwinisme et du néodarwinisme, tout en ouvrant la voie à une nouvelle conception de l'évolution.
La thèse centrale de Staune est que la structure des êtres vivants est inscrite dans les lois mêmes de la nature, et non pas principalement le résultat d'adaptations successives ou de la sélection naturelle induite par les changements environnementaux. Cette vision remet en question l'idée que les organismes sont des "machines assemblées au hasard de l’évolution" et affirme qu'ils possèdent une "logique interne" qui commande leur évolution à long terme.
Jean Staune souligne que, depuis la publication de L'Origine des espèces il y a cent cinquante ans, une "véritable hagiographie" du darwinisme a eu lieu, occultant les critiques et les théories alternatives. Pour lui, l'erreur fondamentale des tenants du darwinisme est de considérer les formes vivantes comme des résultats arbitraires.
1. Les recherches récentes en paléontologie, génétique et biochimie montrent que les mécanismes postulés par le darwinisme et le néodarwinisme ont une portée "bien plus limitée que prévue".
2. L'auteur dénonce un "mur de silence" autour des critiques du darwinisme, souvent justifié par la crainte de renforcer le créationnisme. Il cite des propos extrémistes, comme celui de Richard Dawkins affirmant que la théorie de la sélection naturelle serait la meilleure même si elle était "démentie par les faits". Daniel Dennett partage cette position. Richard Lewontin, coauteur de Stephen Jay Gould, va plus loin en affirmant un "engagement supérieur" envers le matérialisme, "car nous ne pouvons permettre à un dieu de passer un pied dans la porte".
3. Staune reprend la critique de Tom Bethell, soutenant que le darwinisme est une tautologie car l'aptitude est souvent définie a posteriori par la survie, ce qui rend la "sélection naturelle" équivalente à "la survie de ceux qui survivent". Jerry Fodor, un philosophe athée, renforce cette critique, arguant que l'analogie de Darwin avec la sélection artificielle des éleveurs est fallacieuse, car la nature n'a pas d'intentionnalité.
4. Le darwinisme expliquerait l'origine d'organes complexes par des "jolies histoires", souvent peu crédibles, où un "avantage sélectif" minime est postulé pour expliquer des transformations majeures. L'exemple du phacochère naissant avec des callosités préformées sur les genoux est présenté comme improbable, car l'avantage initial serait trop faible pour assurer un succès reproductif significatif par rapport à ceux qui développent ces callosités par frottement. De même, l'exemple de l'allongement de la trompe de l'éléphant est donné comme un conte de fées.
5. La théorie darwinienne repose sur des "variations légères successives et favorables". Cependant, Stephen Jay Gould et Niles Eldredge ont mis en évidence la "rareté des formes fossiles transitoires" et l'apparition "soudaine et complètement formée" des espèces dans les archives paléontologiques, stables ensuite pendant des millions d'années. C'est la théorie des "équilibres ponctués". Bien que Dawkins et Ken Miller aient tenté de réconcilier cette théorie avec le gradualisme en la présentant comme un gradualisme à l'échelle géologique, Staune note que cela réduit considérablement le temps disponible pour l'évolution darwinienne (environ 5% du temps total), ce qui suggère que "d'autres mécanismes doivent avoir également pris place".
6. Dawkins défend une vision "pansélectionniste", où la sélection naturelle optimise presque tout. Gould et Richard Lewontin s'y opposent avec la métaphore des "pendentifs de Saint-Marc", ces espaces triangulaires nécessaires pour soutenir une coupole mais qui n'existent pas pour eux-mêmes. Ils soutiennent que de nombreuses caractéristiques des organismes, comme le langage humain, pourraient être des "sous-produits" d'autres adaptations (e.g., un cerveau plus gros), et non des adaptations directes. Cette idée est renforcée par l'observation que des caractères apparemment non adaptatifs (oreilles tombantes, queue courte) sont "embarqués" ensemble lors de la domestication de diverses espèces, suggérant des corrélations internes aux plans d'organisation.
Staune met ensuite en lumière une série de découvertes et de théories qui convergent vers l'idée que l'évolution est un phénomène en partie prédictible, guidé par des lois internes et des structures archétypales.
1. Structuralisme réhabilité : des penseurs "structuralistes" (Goethe, Geoffroy Saint-Hilaire, Richard Owen, D'Arcy Thompson, Richard Goldschmidt, Saint George Mivart) avaient mis l'accent sur l'importance des formes et des lois internes, une approche méprisée par le darwinisme. De récentes découvertes les réhabilitent :
◦ La fleur est une feuille modifiée : en 1994, les travaux de Weigel et Meyerowitz ont montré qu'en inhibant trois gènes, une fleur normale d'Arabidopsis se transforme entièrement en feuilles, confirmant l'intuition de Goethe selon laquelle les composants floraux sont des modifications d'un archétype fondamental, la feuille.
◦ Gènes Hox et plans d'organisation : la découverte des gènes homéotiques (Hox) par Walter Gehring et Edward Lewis a montré qu'ils contrôlent la spécialisation des segments corporels et qu'ils sont homologues chez des êtres très éloignés phylogénétiquement comme les insectes et les vertébrés, étant situés dans le même ordre sur les chromosomes. Le gène pax-6 de la souris peut induire la formation d'un œil de mouche dans une mouche, suggérant une "conservation des plans d'organisation fondamentaux". Eric Davidson et Douglas Erwin ont découvert des "kernels" (noyaux de réseaux de régulation génétique) dont la moindre modification est létale, suggérant une rigidité des plans d'organisation et des limites aux mécanismes darwiniens pour expliquer leur apparition rapide lors de l'explosion cambrienne. Douglas Erwin va jusqu'à dire que le "néodarwinisme est mort".
2. Convergence universelle : Simon Conway Morris, paléontologiste de Cambridge, a documenté des centaines de cas de "convergence évolutionniste", où des organes ou caractères analogues sont apparus indépendamment dans des lignées différentes, sans que l'ancêtre commun ne les possède.
◦ L'œil caméra - L'exemple le plus frappant est l'"œil caméra" des vertébrés, qui est apparu indépendamment chez les céphalopodes (comme le calamar) et d'autres lignées, et qui se manifeste même chez des espèces apparemment primitives n'en ayant pas un besoin "nécessaire", comme des escargots ou méduses.
◦ Mammalité - La viviparité et le sang chaud (endothermie) sont apparus des centaines de fois indépendamment chez différentes espèces de poissons, serpents, amphibiens, scorpions, coléoptères, pucerons et même certains insectes, des requins et des oiseaux.
◦ Taupes - Des formes similaires à la taupe (mammifères placentaires, marsupiaux) sont apparues sur tous les continents, adaptées à la vie souterraine, illustrant des "destinations limitées" de l'évolution.
◦ Intelligence et langage - La "poussée" vers un gros cerveau est observée chez les primates, cétacés, pieuvres et certains poissons et oiseaux. L'intelligence, la capacité d'apprentissage (pieuvres), l'intelligence collective (fourmis Atta, abeilles), et même des formes de langage complexe (perroquet Alex) sont des convergences fortes, suggérant que l'émergence d'êtres intelligents est une "propriété biologique inhérente de la nature".
◦ Ces convergences "amènent Conway Morris à penser qu’une nouvelle biologie est nécessaire" et que les "formes fonctionnelles possibles sont prédéterminées depuis le Big Bang".
3. Canalisation et hasard dirigé
Christian de Duve propose l'idée que l'évolution est "canalisée", c'est-à-dire que, même si les mutations sont aléatoires, les "contraintes naturelles" limitent les directions possibles, rendant l'évolution vers une "complexité croissante" presque obligatoire. Il utilise l'analogie du dé ou de la pièce de monnaie pour illustrer comment l'inévitabilité peut émerger du hasard si le nombre d'occasions est suffisant.
4. Formes platoniciennes des protéines
Michael Denton, avec Craig Marshall et Michael Legge, a montré que les protéines, malgré le nombre immense de repliements possibles, n'adoptent qu'environ "un millier de formes" stables. Ces formes agissent comme des "attracteurs" vers des solutions stables et sont indépendantes de la séquence d'acides aminés, suggérant que des "lois de la physique" les dictent. Cela est un argument fort pour le structuralisme et explique la "convergence moléculaire", comme dans le cas des enzymes thimidilate synthetase et triptophane, qui existent sous deux formes différentes, inexplicablement mélangées dans le vivant, rendant une explication darwinienne des mutations successives "complètement impossible".
5. Lois mathématiques et discontinuités
D'Arcy Thompson a démontré que les formes biologiques, notamment les coquilles de mollusques ou les coraux, peuvent être décrites par des formules mathématiques et que la transition entre certaines de ces formes est intrinsèquement non graduelle, impliquant des "discontinuités" ou des "sauts". Il soulignait déjà l'importance des "lois physiques et mécaniques" sur la forme.
6. Logiques internes de l'évolution :
◦ "Inside story" de l'hominisation - Anne Dambricourt-Mallassé a mis en évidence une "logique interne" dans l'évolution des hominidés, liée à la "rotation du tube neural" durant l'embryogenèse, qui entraîne une contraction cranio-faciale et la bipédie. Cette évolution s'est déroulée en "six grandes étapes" discontinues sur 60 millions d'années, "indépendamment du milieu". Elle a prédit l'existence de bipèdes anciens dans des environnements forestiers (comme Ardipithecus ramidus) et la découverte d'hominidés à l'ouest du Rift (Abel au Tchad), ainsi que la non-appartenance de Néandertal à l'espèce sapiens, toutes confirmées par des découvertes indépendantes.
◦ Structuralisme dynamique - Vincent Fleury propose que les formes des êtres vivants sont déterminées par des lois physiques et la dynamique des fluides, le rôle de l'ADN étant "relativement mineur". Il prédit, comme Owen, que le "plan d'organisation des vertébrés tétrapodes" est inévitable et le sapiens "attendu" par l'évolution, extrapolant des mouvements embryonnaires.
◦ Structure fractale de l'évolution - Le paléontologue Jean Chaline, en collaboration avec l'astrophysicien Laurent Nottale, suggère que l'évolution de la vie suit des "lois universelles" similaires à celles qui régissent l'Univers, se manifestant par une structure fractale, avec des "zones de probabilité d'apparition" pour les innovations.
7. Au-delà du réductionnisme
Carl Woese, découvreur des archéobactéries (troisième lignée fondamentale du vivant), plaide pour une "nouvelle biologie" non réductionniste. Il critique le "réductionnisme fondamental" du XXe siècle, qui a assimilé les organismes à des machines, et appelle à une vision holistique pour "entendre la musique" de la vie.
8. Retour de Lamarck et "Junk DNA"
John Cairns et Barry Hall ont montré que des mutations peuvent être "dirigées" chez les bactéries soumises à stress, remettant en cause le caractère purement aléatoire des mutations. Bien que le mécanisme d'hypermutabilité en période de stress ait été découvert, il n'explique qu'une partie du phénomène, laissant un "espace potentiel" pour le néolamarckisme. Le rôle du "junk DNA" (ADN non codant) est également réévalué comme une "force évolutive" potentielle, contribuant à l'épigénétique et à la diversité génétique, suggérant que les mutations ne sont pas toutes de simples erreurs de copie mais peuvent être orchestrées par des "gènes créateurs de diversité" (Werner Arber).
Implications et conclusion
Cette nouvelle vision, en reconnaissant la "primauté des lois sur la sélection", a des implications profondes. Elle suggère que "les caractéristiques essentielles des êtres vivants, leur structure intime, ne proviennent pas de processus d’adaptation ou de sélection" mais sont "inscrites dans des lois de la nature".
Si une partie du déterminisme génétique est illusoire, cela implique une "vraie liberté" pour l'homme, car ses caractéristiques ne sont pas toutes le fruit d'une sélection naturelle.
Les organismes ne sont pas des "Lego". Comprendre leur "cohérence interne" et les logiques évolutives (comme celles d'Anne Dambricourt) incite à la prudence face aux manipulations génétiques, surtout sur l'homme, qui possède une "potentialité à évoluer" que d'autres espèces n'ont plus.
La biologie, aux côtés de la physique et de l'astrophysique, peut contribuer à un "réenchantement du monde" en montrant que la vie, et la vie intelligente, ne sont pas de "glorieux accidents" mais des manifestations inévitables de la matière et des lois de l'Univers.
Staune appelle à une évolution des mentalités dans la communauté scientifique, à "réhabiliter" les penseurs structuralistes oubliés et à développer le "contrarian thinking" pour explorer les "anomalies" qui ne s'expliquent pas dans le cadre darwinien. Il insiste sur la nécessité de réformer l'enseignement de la biologie pour présenter la pluralité des approches évolutives, plutôt qu'une "pensée unique".