Cet ouvrage, reproduction fidèle de l'édition de 1969, est structuré en deux parties principales : "La Théologie Trinitaire et la Procession de l'Esprit Saint" et "La Pneumatologie des Pères dans l'Économie du Salut".
L'introduction souligne l'insuffisance des termes "Tradition orientale" et "Tradition occidentale", transcendant les notions purement géographiques, tout en reconnaissant des "dominantes" théologiques. L'auteur cite Péguy, affirmant que les vrais philosophes ne sont pas "contre les autres, mais à côté des autres et face à la vérité", appelant à une "dédogmatisation" ou "trans-dogmatisation" des points litigieux.
Le pluralisme théologique est légitime, mais les dogmes sont des vérités divinement révélées, vécues dans le culte et intégrées liturgiquement, ce qui les rend "épiphaniques". L'Orthodoxie, se refusant à une dogmatisation excessive, conserve un nombre minimal de dogmes, laissant une grande liberté aux théologiens.
La rupture de l'unité autour de l'an Mil est survenue sur le mystère trinitaire, notamment la procession de l'Esprit per Filium (Filioque). L'Orient met l'accent sur le Mystère, étant moins sensible à l'aspect juridique et rationnel, et est profondément structuré par la liturgie. Evdokimov note l'inquiétude face à l'effritement du contenu évangélique dans la "théologie nouvelle" qui manque souvent de théologie trinitaire et de référence patristique.
L'ouverture naturelle de la jeunesse à la manifestation du Transcendant est soulignée, ainsi que la vision russe selon laquelle la vraie science conduit à l'interrogation religieuse. La spiritualité orthodoxe est essentiellement eschatologique, cherchant à purifier l'idée de Dieu de tout contexte périmé.
La première partie, consacrée à la théologie trinitaire et la procession de l'Esprit Saint, débute par les prémisses orientales de la théologie patristique. Pour l'Orient, la création et l'Incarnation sont co-impliquées, l'Incarnation étant une expression de l'amour divin même sans la Chute. L'homme porte en lui "une certaine mesure de connaissance de Dieu" et le désir de Dieu. L'Orient distingue la raison discursive de l'intelligence intuitive (nous), qui réside dans le cœur et vise l'unité. La connaissance de Dieu est charismatique, "vivante", et la vraie connaissance est toujours caritative et intellective, culminant dans un acte indivisible. Le péché originel a séparé la raison du cœur. La foi en Orient est existentielle et expérimentale, un "revirement du tout de l'être humain". La théologie est la traduction d'une communion avec Dieu, un ministère charismatique qui exige purification et oraison.
La théologie des Pères se manifeste en dimensions apophatique et cataphatique. L'apophase est la négation de toute définition humaine, car Dieu est illimité et indicible. La cataphase est "symbolique", s'appliquant aux attributs révélés de Dieu dans le monde. L'apophase mène à une "inconnaissance" qui transcende l'intelligence sans être agnostique, soulignant la transcendance radicale de l'essence divine. Elle enseigne que l'homme, en cherchant Dieu, est en fait trouvé par Lui, et se transforme.
Concernant la terminologie trinitaire, les Pères ont "baptisé" des concepts hellénistiques pour formuler le dogme de l'unité de nature et la différenciation des trois Personnes divines, sans être de simples disciples des philosophes. Face aux hérésies (arianisme, sabellianisme, etc.), la conscience dogmatique a évolué. Pour les Pères, Dieu est Trois lorsqu'il est vu et pensé, et Un lorsqu'il voit et pense. Origène ouvre la perspective de la génération éternelle du Fils. Saint Basile a clarifié la distinction entre l'ousia (substance commune) et l'hypostase (être individuel, personne concrète), évitant la confusion avec le sens latin de substance. Les Hypostases divines sont uniques, incomparables, irréductibles, et "sont unies non pour se confondre, mais pour se contenir l’une l’autre" par la circumincession.
La théologie trinitaire s'appuie sur trois principes : la liberté de la volonté divine, la révélation par le Verbe incarné, et la Monarchie du Père, qui assure l'unité des Trois Personnes. L'Ancien Testament, bien que monothéiste, contient des allusions déchiffrées par les Pères à la lumière des Évangiles. Le Nouveau Testament apporte la pleine révélation de la Trinité. Les Conciles de Nicée et Constantinople ont proclamé la consubstantialité du Fils et de l'Esprit Saint au Père. L'action divine est unique, jaillissant du Père, progressant par le Fils et s'achevant dans l'Esprit. Les propriétés distinctives des Hypostases sont le Père comme inengendré, le Fils comme engendré, et l'Esprit comme spiré. La génération (gennêsis) et la procession (ekporeusis) désignent une provenance intime et inséparable du Père, principe unique.
Les particularités de la théologie orientale résident dans la vision des relations trinitaires non comme opposition, mais comme diversité, réciprocité et communion dans le Père. Ces relations sont toujours ternaires et tri-uniques, supprimant toute réduction à la dualité ou à l'opposition causale. Le mode de génération et de procession est ineffable et incompréhensible. La Trinité est une donnée primordiale, non un processus, mais une éternelle réciprocité d'Amour. L'Orient rejette le système d'opposition de relations et le Filioque qui en découle. Alors que l'Occident tend à partir de la nature unique pour déduire les Personnes, l'Orient part des Trois Personnes pour ensuite considérer la nature une. Le principe d'unité n'est pas la nature, mais le Père comme "l'unique source des Hypostases". Le Père les distingue dans un "mouvement éternel d'amour".
Le chapitre sur la procession de l'Esprit Saint aborde la controverse du Filioque. L'Orient reproche l'addition unilatérale au Credo, allant à l'encontre des interdictions conciliaires. Le Filioque apparaît en Espagne au VIe siècle pour combattre l'arianisme et affirmer la divinité du Christ. Cependant, l'Écriture ne l'enseigne pas. Des Pères comme Cyrille d'Alexandrie parlent de la dépendance de l'Esprit au Fils dans l'économie du salut, mais non de la procession substantielle. Les Cappadociens distinguent la nature commune et les éléments propres à chaque Personne, appliquant la causalité uniquement au Père. Le dia Hyioû (per Filium) oriental signifie que l'Esprit vit par le Fils et pour le Fils, le manifestant. Saint Maxime le Confesseur et Saint Jean Damascène insistent sur le Père comme "cause unique" (monos aitios), l'Esprit procédant par le Fils du Père, mais non du Fils comme d'une cause. La théologie augustinienne, partant de l'unité de nature et de l'opposition de relations, voit le Père et le Fils comme "un seul principe" de spiration, ce qui est étranger à l'Orient. Photius, au IXe siècle, dénonce le Filioque comme une confusion des propriétés hypostatiques et des caractères naturels. Plus tard, Grégoire de Chypre et Saint Grégoire Palamas proposent une distinction fondamentale entre la procession hypostatique de l'Esprit du Père seul et sa manifestation (ekphansis) éternelle par le Fils.
Le palamisme, avec sa distinction entre essence incréée et énergies déifiantes participables, offre une solution : l'Esprit comme Hypostase procède du Père seul, mais comme énergie divine, il s'épanche du Père par le Fils. L'Orient rejette les analogies anthropomorphiques de la procession latine. Pour l'Orient, le Filioque rompt l'équilibre trinitaire et déplace le principe d'unité de l'Hypostase du Père vers la nature. Le débat est souvent stérile à cause de l'interprétation causale. La Monarchie du Père signifie qu'il est la Source et le Principe de la vie divine, et le Fils et l'Esprit le révèlent. Bolotov, historien impartial, a jugé le Filioque non pas comme un impedimentum dirimens mais comme un theologoumenon, niant son caractère causal. Les Hypostases ne sont pas "produites" mais existent d'emblée, sans commencement. Le Filioque n'est pas une hérésie s'il est "dédogmatisé" et si les formules apparaissent comme complémentaires.
La deuxième partie aborde la pneumatologie des Pères dans l'économie du salut. La théologie patristique est "triadocentrique", contemplant le Mystère trinitaire, et voit l'homme comme une icône vivante de la Trinité, appelé à la déification. Le salut est une guérison ontologique, non une réparation juridique, faisant de Jésus un "Guérisseur divin". Le Christ récapitule l'humanité dans l'unité de son corps, tandis que l'Esprit Saint œuvre la diversité pneumatologique des personnes, les faisant s'épanouir dans la plénitude charismatique. L'Esprit, mystérieux par essence, est le second Paraclet, ni subordonné au Fils ni une simple conséquence de l'Incarnation. La Pentecôte est l'accomplissement ultime de l'économie trinitaire, l'Ascension étant son épiclèse par excellence. L'Esprit rend la présence du Christ intériorisée après l'Ascension. L'Esprit est la Sainteté hypostasiée, le Donateur d'amour, actualisant la circulation de l'amour trinitaire. La prière de l'Église pour l'Esprit est toujours exaucée. Le but de la vie chrétienne est l'acquisition de l'Esprit Saint.
Dans la liturgie, l'Esprit Saint opère dans les sacrements comme principe sanctificateur. La confirmation est le sacrement par excellence des dons de l'Esprit. Tous les sacrements ont leur épiclèse, c'est-à-dire l'invocation de l'Esprit Saint pour l'accomplissement du rite. L'Eucharistie est la "Coupe de la synthèse" où l'Esprit est communiqué avec le corps et le sang du Christ, comme le symbolise le rite du Zéon. L'épiclèse eucharistique est une tradition ferme et unanime en Orient, attribuant la puissance opérative de la conversion des dons à l'intervention hypostatique de l'Esprit Saint. Le prêtre agit in persona Ecclesiae et in nomine Christi, et l'Esprit opère la métabolè. L'Esprit déifie les communiants, les "christifie", les rend "dieux".
L'Orthodoxie, par sa spiritualité pneumatophore et le palamisme, apporte une contribution essentielle à la théologie de l'Esprit Saint dans la recherche œcuménique. L'épiclèse est au cœur de la vie liturgique et sacramentelle, et son importance est cruciale pour le dialogue œcuménique sur le Filioque.