« Toutes les idéologies contemporaines déplacent le centre de gravité du combat intérieur de l’homme, en le transposant dans un combat extérieur au nom du bonheur de l’humanité, censé se réaliser à travers diverses structures politiques et économiques de la société. On peut dire, en simplifiant leur propos, que pour ces idéologies, l’homme n’est jamais sujet mais toujours objet du processus historique ; en d’autres termes, la vie intérieure de l’homme et son rôle déterminant dans l’histoire sont catégoriquement niés. D’une manière schématique, la collusion de ces idéologies avec le christianisme se présente de la façon suivante. Pour les chrétiens tout est subordonné à l’homme, à la décision intérieure que lui seul peut prendre et mettre en œuvre. En un sens, le destin du monde entier dépend de toi, de ta liberté, de ta pureté, de ta beauté, de ta perfection intérieures. Tout, en ce monde, est donc infiniment lié à la personne, et par-là même, c’est bien la personne humaine qui apparaît comme l’artisan du processus historique. Le Christ n’a absolument pas parlé des problèmes politiques ou sociaux de son temps. Son appel s’adressait toujours à chacun personnellement ; toutefois on ne saurait contester qu’historiquement le christianisme a accompli la révolution la plus radicale qui soit, car son enseignement sur la personne a profondément changé le visage de l’État, de la société et finalement de toute la culture.
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« Le christianisme nous dit, par la bouche de saint Séraphin de Sarov : "Sauve-toi toi-même et des millions d’êtres seront sauvés autour de toi". Tandis que l’idéologie anti-chrétienne affirme de son côté : "Tu ne pourras te sauver qu’en changeant d’abord les formes de la société". Dans le matérialisme et le communisme, ce changement est donc lié aux transformations extérieures de la société. En revanche, dans le christianisme, le changement, la transformation du monde sont subordonnés à la personne humaine. De là, découle l’appel du christianisme à la liberté individuelle ainsi qu’à la responsabilité personnelle de l’homme, alors que la collectivité matérialiste cherche à s’inféoder totalement l’homme, à le faire fusionner avec le parti, la société, l’État, etc.
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Le progrès technique, les conquêtes de la science, la nécessité de tout organiser, planifier viennent en quelque sorte corroborer l’idéologie anti-chrétienne : tout en ce monde surpasse tellement les possibilités de l’homme, tout semble désespérément le soumettre à la collectivité et le dissoudre en elle !
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Ces idéologies qui proclament la prééminence des valeurs extérieures et qui inféodent sans merci l’homme à la collectivité impersonnelle l’ont conduit à un chaos sanglant, à l’absurde, à la peur et la souffrance : il suffit pour s’en convaincre de regarder tout simplement autour de soi, sans se livrer à de quelconques abstractions.
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Toute personne qui a une connaissance du Royaume, qui vit de sa beauté, de sa lumière, de sa vérité fera, finalement, beaucoup plus pour le monde et pour les hommes que tous les propagateurs d’idéologies abstraites : ceux-ci promettent le bonheur futur de l’humanité en commençant par priver de liberté pratiquement tous les homme et en les transformant en esclaves.»
Père Alexandre Schmemann.