"Déclassés, incompris, avocats sans cause, écrivains sans
lecteurs, pharmaciens et médecins sans clients, professeurs mal payés,
diplômés sans fonctions, employés que leur insuffisance fait
dédaigner de leurs patrons, etc., sont les adeptes naturels du
socialisme.
En réalité, ils se soucient fort peu des doctrines.
Ce qu'ils rêvent, c'est de créer par des moyens violents une société
où ils seraient les maîtres. Leurs récriminations égalitaires ne
les empêchent nullement d'avoir un
mépris intense pour la canaille qui n'a pas, comme eux, appris dans les
livres. Ils se croient très supérieurs à l'ouvrier et lui sont fort
inférieurs en réalité par le défaut de sens pratique et par
l'exagération de leur égoïsme.
S'ils devenaient les maitres,
leur autoritarisme ne serait pas moindre que celui de Marat, Saint-Just
ou Robespierre, ces types excellents du demi-savant incompris. L'espoir
de tyranniser à son tour alors qu'on a toujours été ignoré, humilié
et refoulé dans l'ombre, a dû créer bien des adeptes au socialisme.
C'est à cette catégorie des demi-savants qu'appartiennent le plus
souvent les doctrinaires qui formulent, dans de virulentes publications,
les théories que de naïfs apôtres se chargent ensuite de propager.
Ce sont des chefs qui semblent guider des soldats, mais qui se bornent
en réalité à les suivre.
Leur influence est beaucoup plus
apparente que réelle. Ils ne font guère, en effet, que transformer en
invectives bruyantes des aspirations qu'ils n'ont pas créées, et à
leur donner cette forme dogmatique qui permet aux meneurs de se
documenter. Leurs livres deviennent parfois des sortes d'évangiles, que
personne ne lit jamais, mais dont on peut citer comme argument le titre
ou des lambeaux de phrases reproduites par les journaux spéciaux.
L'obscurité de leurs oeuvres est d'ailleurs une condition fondamentale
de leur succès."