BLOG DES AMIS DE PAUL-ÉRIC BLANRUE --- ARCHIVES, ACTUALITÉS, PROSPECTIVES --- DÉMYSTIFICATION ET CONTRE-HISTOIRE

mardi 9 septembre 2025

Face à l'État, à l'imposture démocratique et au déclin général, vivez la sécession avec Hans-Hermann Hoppe !



Connu pour ses travaux en théorie économique et en philosophie politique, Hans-Hermann Hoppe est LE penseur d'aujourd'hui. Il est le SEUL à proposer une véritable alternative au système actuel et au séisme qui vient. Fer de lance du courant libertarien, il a eu le courage de dénoncer l'imposture de Milei et le rôle catastrophique des États-Unis dans les crises mondiales (ainsi que celui d'Israël).

Une brève histoire de l'Homme est une œuvre provocatrice qui offre une explication radicalement différente de l'évolution des sociétés humaines, soulignant le rôle crucial de l'intelligence, de la "préférence temporelle" et des institutions (propriété privée, famille, État) dans le progrès et le déclin de l'humanité. Ce n'est pas à l'école qu'on va vous parler de son enseignement.

Hoppe s'appuie sur la praxéologie de Ludwig von Mises et adhère au principe selon lequel l'histoire, étant faite d'actions humaines, ne peut être analysée avec rigueur qu'à travers le prisme de la praxéologie, la "science de l'action humaine". Cela implique que l'analyse historique doit s'appuyer sur les théorèmes tirés de l'axiome de l'action humaine, notamment ceux de la théorie économique autrichienne. Hoppe rejette ainsi la philosophie empiriste-positiviste dominante au XXe siècle, la considérant comme erronée et désastreuse pour les sciences sociales, car elle nie l'existence de lois non hypothétiques et non falsifiables de l'action humaine et de principes universels de justice. Il insiste sur le fait que l'économie autrichienne, culminant avec Mises, fournit un vaste système de lois non hypothétiquement vraies de l'action humaine.

Hoppe établit un lien crucial entre la praxéologie et la civilisation via le concept économique de "préférence temporelle", qui conditionne l'évolution des sociétés vers plus de prospérité, de liberté, de justice et de paix. Il intègre l'éthique anarcho-lockéenne des droits, qu'il déduit d'axiomes d'une évidence telle qu'ils ne peuvent être niés sans auto-contradiction, une approche affinée par Murray N. Rothbard. C'est cette combinaison de praxéologie et d'éthique libertarienne qui guide sa « reconstruction austro-libertarienne » de l'histoire humaine, reconnaissant le caractère non hypothétique des lois de la praxéologie et de l'éthique. Cette perspective se veut « révisionniste », s'opposant aux thèses gauchistes et aux idées politiquement correctes, notamment concernant les inégalités humaines et les capacités cognitives.

Le livre de Hoppe vise à déconstruire les mythes communistes et collectivistes qu'il a observés, à travers l'étude de trois événements marquants de l'histoire humaine :

1. L'origine de la propriété privée et de la famille
Hoppe conteste le mythe d'une humanité primitive sans propriété privée. Il soutient que l'avènement de la propriété privée a été le fondement d'une organisation sociale permettant à l'humanité de s'élever au-dessus de son animalité originelle. L'histoire humaine, qui débute raisonnablement avec l'« homme comportementalement moderne » il y a 50 000 ans, se caractérise initialement par des chasseurs-cueilleurs nomades, dotés d'outils avancés et du langage. Leur vie était relativement confortable, avec une bonne alimentation et du temps libre. Cependant, ce mode de vie était fondamentalement parasitaire, épuisant les ressources naturelles sans les reconstituer, ce qui posait un problème insurmontable de croissance démographique. Face à la surpopulation, les options étaient la lutte (l'homme primitif était plus belliqueux que le moderne, avec 30% des hommes mourant de causes violentes) ou la migration. La migration a conduit à la conquête du monde, entraînant une différenciation génétique et linguistique des populations. La solution est venue de la révolution néolithique (il y a environ 11 000 ans), un changement révolutionnaire vers un mode de production véritablement productif (agriculture et élevage). Cette innovation institutionnelle se manifesta par :
• L'appropriation et l'utilisation de la terre comme propriété privée : la terre, auparavant une simple "condition de l'action", devint un "facteur de production" par l'intervention délibérée de l'homme (culture, élevage). Cette transformation a permis de subvenir aux besoins d'une population dix à cent fois plus nombreuse sur la même superficie.
• L'établissement de la famille et du foyer familial : pour maîtriser la prolifération de la descendance, l'institution de la famille (monogame ou polygame) privatisa les coûts et les bénéfices de la procréation, qui étaient auparavant socialisés dans des relations sexuelles "non réglementées". Chaque homme devait subvenir aux besoins de ses propres enfants. Cette nouvelle organisation sociale, avec des ménages familiaux distincts, entraîna une division du travail entre les ménages et un lien direct entre le revenu et la production, rendant impossible de vivre aux dépens d'autrui sans contribution productive. Ces communautés agricoles sédentaires, par leur nombre et leur organisation, surpassèrent militairement les tribus nomades. La population mondiale augmenta considérablement pendant l'ère agraire, passant de 4 millions au début du Néolithique à 720 millions en 1800.

2. Du piège malthusien à la révolution industrielle
Hoppe s'attaque au mythe de l'égalitarisme ancestral. Il explique que la croissance de la richesse dépend de l'accumulation de capital (faible préférence temporelle), de la division du travail et du contrôle de la population (maintien de sa taille optimale). Pendant des milliers d'années, l'humanité a été prise dans le piège malthusien, où la croissance démographique annulait les gains de productivité, maintenant les revenus réels au niveau de subsistance pour la majorité. La loi d'airain des salaires prévalait. Contrairement à l'explication habituelle des économistes (obstacles institutionnels), Hoppe avance une explication "révisionniste". Il soutient que la principale raison de la lenteur de la sortie du piège malthusien est que l'humanité n'était tout simplement pas assez développée pour concevoir les innovations nécessaires. Il a fallu des dizaines de milliers d'années de sélection naturelle pour développer une intelligence humaine suffisante (et une basse préférence temporelle corrélée). L'intelligence supérieure se traduisait par le succès économique, et le succès économique par un succès reproductif accru. Les environnements "rudes" et saisonniers des régions septentrionales ont favorisé cette sélection de l'intelligence et de la prévoyance, contrastant avec les régions tropicales plus stables qui limitaient l'évolution cognitive. Cela explique pourquoi les avancées technologiques majeures et la révolution industrielle sont apparues dans ces régions septentrionales. La révolution néolithique elle-même a exigé un niveau d'intelligence suffisant et des conditions naturelles favorables, expliquant son apparition dans les régions tempérées (Moyen-Orient, Chine) avant de se répandre au nord où les populations l'ont améliorée. Hoppe en déduit une critique fondamentale de l'égalitarisme : les différences humaines, y compris biologiques, sont le produit d'une longue sélection naturelle en faveur de traits favorisant le succès économique et reproductif. Après la révolution industrielle, l'État, devenu un frein permanent à l'économie, peut croître indéfiniment. De plus, les conditions post-malthusiennes et l'État-providence génèrent des effets dysgéniques, où les personnes économiquement prospères produisent moins d'enfants, et le succès dépend de plus en plus du talent politique plutôt que de la productivité.

3. De l'aristocratie à la monarchie à la démocratie
Hoppe s'attaque au mythe d'un État ayant toujours existé sous sa forme moderne. Il retrace l'évolution de l'ordre social comme une histoire de déclin progressif.
L'ordre aristocratique naturel - En l'absence de parfaite harmonie entre les hommes et face à la rareté des biens, des conflits surgissent inévitablement. Une solution rationnelle serait de reconnaître les droits de propriété existants (premier possesseur, contrats) et de s'en remettre à des juges ou arbitres pour appliquer le droit existant, non pour le créer. Les hommes se tourneraient vers les « autorités naturelles » : des individus ou des chefs de familles nobles respectés pour leur richesse, sagesse, bravoure, agissant souvent gratuitement. Dans cet ordre, le roi, même s'il est le plus noble, est soumis à la même loi que tout le monde et n'a pas de monopole légal sur sa fonction de juge. L'Europe féodale du début du Moyen Âge, malgré ses imperfections (comme le servage), s'approchait de cet ordre naturel, caractérisé par la suprématie de la loi, l'absence de pouvoir législatif et l'absence de monopole légal de la magistrature.
La monarchie absolue et constitutionnelle - Le basculement vers la monarchie fut un « putsch », un « folie morale et économique fondamentale ». Le roi monopolisa la fonction de juge suprême et acquit le pouvoir de taxer et de légiférer, abolissant ainsi la propriété privée au profit de la « propriété par décret ». Cela augmenta le coût de la justice et en diminua la qualité, et permit l'externalisation des coûts de l'agression, entraînant une hausse de l'impérialisme. Ce changement fut facilité par l'appel du roi à l'envie du « peuple » contre les seigneurs, et par le soutien idéologique des intellectuels de cour, qui créèrent le mythe d'un État contractuel justifiant le pouvoir absolu du roi. La monarchie constitutionnelle, loin d'être un progrès, formalisa et codifia le pouvoir du roi de taxer et de légiférer, étendant son autorité.
La démocratie - Hoppe considère la transition vers la démocratie comme une « folie plus grande encore ». Sous la monarchie, l'exploitation était limitée au roi et à sa cour ; en démocratie, l'accès aux postes étatiques est ouvert à tous, et la compétition se fait pour l'exploitation (fiscalité et législation). Les privilèges personnels disparaissent, mais les privilèges fonctionnels des agents de l'État demeurent, leur permettant de vivre de ce qui serait considéré comme du vol dans le secteur privé. Les dirigeants démocratiques, souvent des démagogues sans scrupules moraux, ont une "préférence temporelle" plus élevée, ce qui conduit à une exploitation à court terme et à une consommation de capital. La distinction entre dirigeants et gouvernés s'estompe, affaiblissant la résistance publique à l'État. La démocratie instaure une redistribution incessante des richesses et des revenus, où la majorité des non-possédants cherche à s'enrichir aux dépens des minorités de possédants, conduisant à une réduction des incitations à produire de la valeur. Une nouvelle élite, les ploutocrates (des super-riches qui utilisent l'État pour leur enrichissement), émerge comme les véritables contrôleurs du pouvoir. La démocratie transforme également les guerres limitées des rois en guerres totales, motivées par des idéologies nationalistes et mondiales (démocratie, liberté, humanité) et impliquant la mobilisation de toutes les ressources, y compris le public et les civils. Les ploutocrates tirent d'énormes profits de ce complexe militaro-industriel et promeuvent l'ingérence étrangère pour leurs intérêts. Enfin, la démocratie accélère l'impérialisme et la centralisation politique, avec l'établissement d'une monnaie hégémonique (le dollar américain) permettant aux États-Unis de financer un « déficit sans larmes » aux dépens des populations étrangères.

Hoppe conclut que le monde actuel est le résultat prévisible d'une accumulation d'erreurs morales et économiques. Le prix de la justice est exorbitant, la charge fiscale insoutenable, et la dette publique atteint des sommets. La qualité du droit s'est détériorée, remplacée par une législation arbitraire, et l'État, censé protéger la vie et les biens, les érode en réalité. La démocratie est présentée non pas comme l'aboutissement de la civilisation, mais comme la culmination de son déclin. Hoppe suggère que face à l'effondrement économique imminent des systèmes démocratiques (comme illustré par la crise de 2007 et les difficultés de l'UE et des États-Unis), il est impératif d'apporter un soutien idéologique aux mouvements décentralisateurs, séparatistes et sécessionnistes. Des États territorialement plus petits et une concurrence politique accrue tendent à modérer l'exploitation étatique, permettant aux élites naturelles de retrouver leur rôle d'arbitres des conflits et aux communautés de se libérer.

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lundi 8 septembre 2025

L'esprit de Dostoïevski selon Berdiaeff.




Dostoïevski a joué un rôle décisif dans dans la vie spirituelle des Berdiaeff, modelant sa conscience d'homme et de philosophe, en particulier à travers la Légende du Grand Inquisiteur. Il a écrit ce livre en 1921, y déposant une grande partie de sa propre conception du monde.

Berdiaeff présente Dostoïevski non seulement comme un grand artiste, mais aussi comme un grand penseur, un visionnaire, un dialecticien de génie et le plus grand métaphysicien de la Russie. Les idées jouent un rôle prépondérant dans son œuvre, vivant d'une vie organique et dynamique, soulevant des "tourbillons de feu". Ces idées sont ontologiques, liant le destin de l'homme, du monde et de Dieu, et possèdent une énergie "destructrice de la dynamite" mais aussi "capable de rendre la vie". Le monde des idées de Dostoïevski est original, différent de celui de Platon, car il conçoit les idées comme la destinée de l'être vivant, l'énergie de feu qui le mène, plutôt que comme des prototypes de l'Être. Son œuvre est un "Banquet de la Pensée" et une "connaissance, une science de l'esprit". Berdiaeff souligne que Dostoïevski est un gnostique dans un sens particulier, offrant un "savoir nouveau".

Une différence frappante est établie entre Dostoïevski et Léon Tolstoï. Alors que Tolstoï est un peintre de la matière statique et du milieu social, tourné vers le passé, Dostoïevski est le "héraut de l'esprit révolutionnaire", prodigieusement dynamique et tourné vers le Devenir. Tolstoï est un artiste plus parfait dans le roman statique, mais Dostoïevski est un plus grand penseur, initié à plus de choses, explorant les contradictions humaines. L'art de Tolstoï est apollinien, tandis que celui de Dostoïevski est dionysiaque, plongeant l'homme dans sa mobilité tumultueuse et exaltée, au-delà de l'ordre établi et de la rationalité, vers l'inconscient, la folie et le crime. Dostoïevski est plus préoccupé par l'homme et son destin que par Dieu, faisant de l'anthropologie son obsession. Il est un réaliste mystique, dont l'art est symbolique, exprimant une réalité profonde et spirituelle plutôt que le monde empirique.

L'œuvre de Dostoïevski est divisée en deux périodes par "L'Esprit souterrain", marquant son passage de psychologue humanitaire à métaphysicien tragique de l'esprit humain. Il cesse de croire en l'homme à la manière humanitaire pour y croire en chrétien, sa foi ayant été forgée dans le "creuset de ses doutes". Son christianisme est une lumière qui brille dans les ténèbres, même s'il conduit l'homme à travers les abîmes du dédoublement. Dostoïevski s'est entièrement livré dans son œuvre, le destin de ses héros étant le sien. Il a révélé un "déchirement perpétuel" entre l'idéal du Mal (Sodome) et l'idéal du Bien (la Madone). Il incarne le destin du nomade et du révolté, et son intelligence dialectique est "grisée par les idées" mais ne s'émousse jamais. Il est un vrai philosophe, ayant apporté un tribut considérable à l'anthropologie philosophique, la philosophie de l'histoire, de la religion et de la morale. Il a restitué à l'homme sa profondeur spirituelle, qu'on lui avait ravie, en démontrant que c'est "en l'homme et par l'homme qu'on atteint Dieu".

Le thème central de Dostoïevski est la liberté. Pour lui, la liberté est une anthropodicée et une théodicée, justifiant l'homme et Dieu. Il existe deux sortes de libertés : la liberté initiale (de choisir le bien ou le mal) et la liberté finale (en Dieu, au sein du bien). Dostoïevski insiste sur la liberté du mal comme condition du bien véritable ; un bien obligatoire n'est plus le bien et plonge dans le mal. Cette dialectique tragique mène à la destruction de la liberté elle-même si elle dégénère en nécessité mauvaise, ou en nécessité bonne si elle nie la liberté du mal. La liberté est irrationnelle, et le Christ est la "Vérité sur la liberté", celle qui doit être accueillie librement, sans contrainte. Dostoïevski dénonce toute tentative de transformer la grâce en contrainte, y voyant une inclinaison vers l'antichristianisme. La liberté, par son principe irrationnel, suppose l'infini, contrairement à la conscience hellénique qui redoutait ce chaos. Les héros de Dostoïevski explorent les limites extrêmes de la liberté, qui, dégénérant en arbitraire et auto-affirmation rebelle, conduit à l'esclavage et à la destruction de la personnalité (Raskolnikov, Stavroguine, Kirilov, Ivan Karamazov). La liberté dionysiaque chez Dostoïevski n'abolit pas l'individu, au contraire, elle affirme la personne humaine avec d'autant plus de force. Pour Dostoïevski, la liberté véritable et l'égalité véritable ne sont possibles que dans le Christ. Le problème de la liberté est également lié à l'existence du mal et de la souffrance : "Dieu existe justement parce que le mal et la souffrance existent dans le monde, l'existence du mal est une preuve de l'existence de Dieu".

Le problème du mal est indissociable de la liberté. Le mal n'est pas explicable sans la liberté et est la conséquence ontologique de son abus. Dostoïevski rejette les théories humanitaro-positivistes qui attribuent le mal au milieu social, car elles nient la profondeur, la liberté et la responsabilité de l'homme. La souffrance est la conséquence du mal, mais aussi la force rédemptrice qui le consume et rachète. L'expérience tragique du mal enrichit l'homme, mais seulement s'il en souffre terriblement et le dénonce en soi. La question "Tout est-il permis ?" est centrale, et Dostoïevski montre que l'homme qui ignore les limites de la liberté perd cette liberté et devient l'esclave d'idées fixes. Raskolnikov en est l'exemple : son crime, basé sur la prétention à être un "surhomme", prouve que "tout n'est pas permis" car chaque homme a une valeur absolue, étant créé à l'image de Dieu. Le collectivisme inhumain de Marx est jugé tout aussi meurtrier que l'individualisme extrême du Surhomme, car tous deux déshumanisent l'individu en le transformant en moyen. Dostoïevski révèle la "volonté du crime" dans les pensées secrètes de l'homme et les angoisses de la conscience (comme Ivan Karamazov qui, sans tuer physiquement son père, est son auteur spirituel et en subit le châtiment de la folie). Le problème du mal est lié à l'immortalité de l'âme : si l'immortalité n'existe pas, "tout est permis".

L'amour chez Dostoïevski est dionysiaque, passionnel, dédoublé et souvent destructeur. Il déchire l'individu et sert de "réactif à la liberté humaine" plutôt que d'être une fin en soi. Il est caractérisé par deux pôles : la sensualité exaltée et la pitié exaltée, qui ne mènent jamais à l'unité ou à la fusion, mais au contraire fragmentent la personnalité. L'homme reste "tragiquement séparé" de la femme, qui n'est qu'un "moment dans la destinée de l'homme", une tentation, et l'incarnation de son propre dédoublement. La débauche est une autodestruction résultant de l'affirmation de soi et de l'incapacité à choisir un objet unique d'amour, menant à l'isolement et au "froid mortel" (Svidrigaïlov, Stavroguine). L'amour athée, sans Dieu ni immortalité, tel que décrit par Versilov, mène à une férocité et à l'égorgement, car l'amour véritable, chrétien, est lié à l'affirmation de l'immortalité et à la filiation divine de chaque individu.

Concernant la révolution et le socialisme, Dostoïevski est un prophète de la "révolution souterraine" de l'esprit, en saisissant sa dialectique intérieure et son caractère. Son hostilité à la révolution est fondée sur son amour de la liberté, car il voit comment elle conduit à l'esclavage de l'homme et à la négation de l'esprit. Le socialisme est une question religieuse, une réincarnation de l'athéisme, visant à construire une "tour de Babel" sur terre sans Dieu. Le socialisme russe, en particulier, est apocalyptique et nihiliste. Il prétend remplacer le christianisme en offrant le "pain terrestre" et le bonheur matériel au prix de la liberté spirituelle, acceptant les trois tentations rejetées par le Christ. Dostoïevski voit une analogie frappante entre le socialisme et le catholicisme (spécifiquement la théocratie papale), tous deux étant des systèmes d'organisation obligatoire du royaume terrestre qui nient la liberté de conscience. Le système de Chigaliev est une illustration de ce socialisme révolutionnaire, où la liberté illimitée conduit au "despotisme illimité", un nivellement obligatoire qui détruit la personnalité et le génie. L'idée que l'on peut "aimer et plaindre l'homme plus que ne le plaint et ne l'aime Dieu" mène au royaume de Chigaliev, où l'on inonde le monde de sang pour corriger l'œuvre divine. Le "smerdiakovisme", l'incarnation de l'idée que "tout est permis", conduit au parricide spirituel et physique, à la négation des liens filiaux et du passé. Dostoïevski rejette une harmonie universelle future achetée au prix des souffrances des générations passées, en particulier des enfants innocents, et refuse une harmonie basée sur la contrainte. Il propose la troisième solution : l'harmonie, le paradis, par la liberté et la souffrance, dans le royaume de Dieu, se réalisant dans l'Église, et qu'il oppose aux utopies socialistes et catholiques.

Concernant la Russie, Dostoïevski incarne l'énigme de l'âme russe et ses contradictions. Il est le héraut d'un messianisme russe, un "peuple porteur de Dieu" appelé à sauver le monde, mais ce messianisme contient des contradictions et un "orgueil des Russes". L'âme russe est vaste, illimitée, apocalyptique, prompte aux extrêmes (nihilisme, autodestruction), et manque de discipline culturelle à la manière occidentale. Son populisme religieux idéalise le peuple simple (les moujiks) comme détenteur de la vérité et de la foi véritable, se plaçant en opposition à l'intelligentsia. Dostoïevski a une attitude complexe envers l'Europe, la considérant comme une patrie spirituelle et pleine de "merveilles saintes" tout en dénonçant sa civilisation "bourgeoise" et matérielle. Il a prédit la vérification des aspects négatifs de ses prophéties sur la Russie, notamment la révolution qui a révélé l'illusion de son populisme religieux, le peuple abandonnant le christianisme tandis que l'intelligentsia commençait à y revenir. Il a montré la maladie de l'âme russe et son inclination apocalyptique malsaine, qui peut mener à l'Antichrist.

Le Grand Inquisiteur est le couronnement de la dialectique de Dostoïevski et la résolution du problème de la liberté humaine. Il y oppose le Christ silencieux, incarnation de la liberté inexpressible, à la logique puissante de la contrainte. Le Grand Inquisiteur, un ascète "tourmenté d'un noble chagrin et amoureux de l'humanité", nie Dieu et l'homme, car il croit que l'humanité est trop faible pour supporter le fardeau de la liberté du Christ. Il propose un bonheur obligatoire en acceptant les trois tentations du diable (le pain, le miracle, le royaume terrestre) pour apaiser les "millions d'êtres faibles". Son secret est qu'il est "avec l'autre", c'est-à-dire l'Antéchrist, le principe du mal sous le masque du bien. La liberté de l'esprit humain est incompatible avec le bonheur forcé qu'il offre. Le système du Grand Inquisiteur, comme celui de Chigaliev, conduit au despotisme illimité et à la destruction de la liberté au nom de l'eudémonisme social. Dostoïevski révèle dans Kirilov la déification de l'homme (l'homme-Dieu ou Surhomme) comme l'antipode du Dieu-Homme (Christ), un chemin qui mène à la destruction de la forme humaine et à la mort.

Dostoïevski marque une révolution de l'esprit. Il est un grand penseur et le plus grand métaphysicien de la Russie, dont les idées ont rendu les "questions maudites" vitales. Il est un réformateur religieux qui, sans inventer une nouvelle religion, a insufflé un esprit nouveau et créateur au christianisme, un christianisme lumineux et apocalyptique, de saint Jean, tourné vers l'avenir. Cependant, Berdiaeff note que Dostoïevski n'est pas un "maître de discipline spirituelle" au sens strict ; son œuvre, bien qu'extraordinairement féconde, est marquée par le dédoublement de l'esprit russe et ses dangers. Il a révélé d'immenses possibilités spirituelles, mais aussi la maladie de l'esprit russe, l'exaltation de la tragédie et des ténèbres.

samedi 6 septembre 2025

La conscience au-delà de la vie : la science de l'expérience de mort imminente, selon Pim von Lommel.



Le livre de Pim van Lommel explore en profondeur les expériences de mort imminente (EMI) et leurs implications pour notre compréhension de la conscience et de la relation entre la conscience et le cerveau.

En tant que cardiologue confronté quotidiennement à la mort, l'auteur a été poussé à réfléchir aux aspects émotionnels, philosophiques et physiologiques de la vie et de la mort, une réflexion qui a pris une urgence personnelle après la perte de sa mère et de son frère. Inspiré par des récits tels que celui de George Ritchie dans Return from Tomorrow et le travail pionnier de Raymond Moody qui a inventé le terme "EMI", van Lommel a commencé en 1986 à interroger systématiquement les patients réanimés sur leurs souvenirs de la période d'arrêt cardiaque, découvrant avec surprise des récits d'EMI qui remettaient en question les connaissances médicales de l'époque.

Qu'est-ce qu'une expérience de mort imminente (EMI) ? Une EMI est définie comme un événement psychologique profond avec des éléments transcendantaux et mystiques, survenant généralement chez des individus proches de la mort ou dans des situations de danger physique ou émotionnel intense. Ce sont des souvenirs rapportés d'expériences psychologiques extrêmes avec des éléments "paranormaux", transcendantaux et mystiques fréquents, qui se produisent pendant un état de conscience particulier survenant lors d'une période de mort réelle ou imminente. Les EMI sont uniques, mais partagent des éléments communs, bien que la plupart des gens n'en rapportent que quelques-uns.

Parmi les éléments clés d'une EMI, on trouve :
• La sortie du corps (out-of-body experience - OBE) : Les individus se voient depuis un point extérieur et au-dessus de leur corps sans vie, percevant souvent des détails vérifiables de leur réanimation ou de l'environnement. Cela n'est pas une hallucination, car les perceptions peuvent être corroborées par des tiers, ce qui soulève des questions sur la perception extrasensorielle. Par exemple, une femme a pu décrire ses prothèses dentaires retirées pendant sa réanimation, un détail qu'elle n'aurait pas pu connaître autrement. Des personnes aveugles de naissance ont même rapporté avoir vu pendant leur EMI, défiant toute explication physiologique.
• Le passage dans un espace sombre ou un tunnel : souvent décrit comme un espace clos, un vide ou un puits, parfois vécu comme effrayant, mais généralement suivi d'une sensation de paix.
• La perception d'une lumière brillante ou d'un être de lumière : une lumière non éblouissante, incroyablement brillante, qui peut être ressentie comme un être (identifié parfois comme Jésus ou un ange selon le contexte religieux) et qui communique par télépathie, offrant une acceptation totale, un amour inconditionnel et un accès à une profonde connaissance et sagesse.
• La révision de vie panoramique (life review) : une expérience intense où toute la vie est revécue, non seulement les actions et les mots, mais aussi les pensées et leurs effets sur soi et les autres. Cette expérience, bien que confrontante, est vécue sans jugement et met en évidence l'importance de l'amour et de la compassion. Le temps et la distance semblent inexistants, tout étant accessible dans un "présent éternel".
• L'accès à des connaissances universelles : les personnes en EMI peuvent accéder à une richesse de connaissances sur l'origine du cosmos, le fonctionnement de l'univers, la connexion de toute chose et le sens de la vie. Ces connaissances sont souvent perçues comme ineffables et impossibles à exprimer avec des mots humains.
• La perception d'une frontière : un point de non-retour, au-delà duquel il ne serait plus possible de revenir au corps. À ce stade, une communication peut avoir lieu avec des "êtres de lumière" ou des proches décédés, expliquant que le moment n'est pas encore venu de rester.
• L'amour inconditionnel et l'unité cosmique : un sentiment intense de paix, de joie, d'unité cosmique et d'amour inconditionnel, souvent ressenti en présence de la lumière.

Certaines EMI peuvent être effrayantes (1 à 2% des cas), caractérisées par un séjour dans un espace sombre, sans issue, parfois appelé "expérience infernale", et pouvant entraîner un traumatisme émotionnel durable. Cependant, même ces expériences peuvent, après acceptation et compréhension, conduire à des changements positifs. L'histoire de George Ritchie, qui a visité un "bas-monde" rempli d'êtres frustrés et malheureux, illustre ces aspects.

Les EMI chez les enfants sont particulièrement significatives, car il est peu probable que des enfants, surtout très jeunes, aient des connaissances préalables pour fabriquer des récits aussi cohérents avec ceux des adultes. Les enfants racontent spontanément ce qui leur est arrivé, ce qui renforce la crédibilité des EMI.

Les EMI ne sont pas un phénomène nouveau lié aux techniques de réanimation modernes, mais une redécouverte d'un savoir ancien et transculturel. Des récits similaires se retrouvent dans l'Égypte ancienne (Livre des Morts), l'Inde antique (Upanishads), la philosophie grecque (Platon et la vision d'Er), le mysticisme juif (Midrash, Zohar, Kabbale), le christianisme (références bibliques, mystiques comme Dante) et l'Islam (Coran, révision de vie). Ces textes anciens, malgré leur isolement géographique et temporel, décrivent des expériences et des conséquences frappantes similaires aux EMI modernes.

La recherche sur les EMI est confrontée à une sous-déclaration importante dans les hôpitaux, car le phénomène défie les connaissances médicales actuelles. Les médecins sont souvent sceptiques et les patients craignent d'être ridiculisés ou incompris. Pour remédier à cela, des études prospectives (qui suivent les patients dès le début de leur crise) sont nécessaires, car elles ont une plus grande valeur scientifique que les études rétrospectives (basées sur des souvenirs passés).

L'étude néerlandaise menée par Pim van Lommel et ses collègues, publiée dans The Lancet en 2001, est une étude prospective et longitudinale majeure. Sur 344 patients ayant subi un arrêt cardiaque (déclarés cliniquement morts), 18% ont rapporté une EMI. Les résultats ont montré que les facteurs médicaux (manque d'oxygène au cerveau, médicaments) ou psychologiques (peur de la mort) ne pouvaient pas expliquer l'occurrence d'une EMI. La conscience améliorée, les pensées lucides, les émotions et les souvenirs ont été vécus pendant la période d'arrêt cardiaque, c'est-à-dire quand le cerveau ne montrait aucune activité mesurable. Cette conclusion a été confirmée par d'autres études prospectives (américaine de Greyson, britannique de Parnia et Fenwick). L'étude néerlandaise a reçu une attention mondiale et des récompenses, mais aussi de vives critiques de la part de scientifiques matérialistes qui l'ont qualifiée de "pseudoscience".

Le phénomène des EMI remet en question la vision dominante selon laquelle la conscience est exclusivement un produit du cerveau. En effet, l'expérience d'une conscience lucide et améliorée en l'absence de toute fonction cérébrale mesurable (EEG plat en 10 à 20 secondes après l'arrêt cardiaque) est un paradoxe qui défie les explications matérialistes.

Le livre argumente contre l'approche matérialiste et réductionniste qui considère la conscience comme une illusion ou le simple résultat de processus cérébraux. Plusieurs contre-arguments sont présentés :
• Les scans cérébraux (fMRI) montrent des corrélations, mais ne prouvent pas que le cerveau produit la conscience, ni n'expliquent le contenu des pensées ou des sentiments.
• La capacité de stockage d'informations du cerveau est insuffisante pour contenir tous les souvenirs d'une vie entière.
• La composition moléculaire du cerveau est en flux constant (renouvellement des cellules et synapses), ce qui rend difficile d'expliquer la persistance des souvenirs à long terme si la mémoire était purement localisée dans le cerveau.
• Des cas exceptionnels, comme celui d'un homme avec seulement 100 grammes de tissu cérébral (au lieu de 1500g) et un QI élevé, remettent en question l'idée que la conscience et la mémoire sont stockées dans le cerveau.
• La neuroplasticité prouve que l'esprit peut influencer la structure et la fonction du cerveau (pensées, méditation, thérapie).

Une nouvelle perspective est proposée : la conscience n'est pas produite par le cerveau, mais facilitée par lui. La conscience sans fin ou non-locale aurait ses origines dans un espace non-local, sous forme de fonctions d'onde indestructibles, toujours présentes en nous et autour de nous. Le cerveau agirait comme une station relais ou une interface, recevant une partie de cette conscience totale, comparable à un téléviseur qui reçoit des ondes électromagnétiques et les décode en images et sons, sans les produire.

Cette vision s'aligne avec des concepts de la physique quantique, tels que la non-localité, l'intrication (entanglement) et l'échange instantané d'informations dans une dimension intemporelle et sans lieu. L'espace non-local, parfois appelé "vide absolu" ou "espace de phase", pourrait être la base de la conscience. La conscience est considérée comme ayant une présence primaire dans l'univers, influençant la réalité physique.

Le rôle de l'ADN est également exploré comme une interface cruciale pour l'échange constant d'informations entre le corps et la conscience non-locale. L'ADN pourrait agir comme un "processeur haute vitesse" transmettant des informations encodées, avec des preuves d'échange d'informations non-locales via l'ADN (comme la résistance aux antibiotiques chez des bactéries isolées). Les biophotons, des photons émis par les organismes vivants, pourraient jouer un rôle dans ce mécanisme. La DMT (diméthyltryptamine), une substance psychoactive produite par la glande pinéale, est mentionnée comme pouvant jouer un rôle dans la perturbation de cette interface entre le cerveau et la conscience non-locale.

Les EMI sont des expériences transformatrices qui entraînent des changements profonds et durables chez les personnes qui les vivent.
• Perte de la peur de la mort : la plupart des individus qui ont eu une EMI perdent toute peur de la mort, remplaçant cette anxiété par une conviction intérieure que la conscience survit à la mort physique.
• Changement des valeurs et des attitudes : une appréciation accrue des choses simples de la vie, un moindre intérêt pour les biens matériels et les normes sociales, une augmentation de l'amour, de la compassion, de l'empathie et du désir d'aider les autres sont fréquemment rapportés.
• Croissance spirituelle : souvent, il y a une diminution de l'affiliation religieuse, mais une augmentation de la spiritualité, de l'intérêt pour la méditation et la prière.
• Sensibilité intuitive accrue : de nombreux "EMIers" ressentent une augmentation de la clairvoyance, de la télépathie, de la précognition (rêves prémonitoires) et d'autres phénomènes psychiques, recevant des informations vérifiables par des moyens non-sensoriels. Des études scientifiques ont même montré des preuves d'intrication non-locale de la conscience.
• Problèmes psychologiques : en raison de l'incompréhension et du tabou social, les EMIers peuvent rencontrer des difficultés à intégrer leur expérience, entraînant des problèmes psychologiques. Le rejet par les proches et les professionnels de la santé est un obstacle majeur à l'acceptation et à l'intégration de l'expérience.

La connaissance des EMI est d'une grande importance pratique pour les professionnels de la santé, les patients et leurs familles.
• Prise en charge des patients comateux : des preuves suggèrent que les patients dans le coma peuvent être conscients de leur environnement. La communication, la musique et une approche positive peuvent favoriser leur rétablissement.
• Visions de lit de mort et communications après la mort : ces expériences, bien que taboues, sont courantes (25% des Européens, 30% des Américains ont rapporté un contact avec un défunt). Les professionnels devraient être conscients de ces possibilités pour mieux accompagner les mourants et les familles en deuil.
• Questions éthiques sur la mort cérébrale et le don d'organes : le concept de mort cérébrale est remis en question par la possibilité de conscience lors d'une EMI. Le livre soulève des préoccupations concernant l'information fournie aux familles et le processus de don d'organes, insistant sur le besoin d'une compréhension plus profonde de ce qui se passe après la mort clinique.

Pim van Lommel nous invite à remettre en question le paradigme matérialiste et à ouvrir nos esprits à l'idée d'une conscience non-locale et sans fin. Les découvertes sur les EMI, soutenues par des études scientifiques rigoureuses, suggèrent que la conscience pourrait précéder la naissance et survivre à la mort physique, fonctionnant indépendamment du corps dans un espace où le temps et l'espace n'existent pas. Cette nouvelle perspective sur la conscience a des implications profondes pour la science, les soins de santé et notre vision de l'humanité.

Transfigurer le temps.




Ce livre passionnant d'Olivier Clément propose une réflexion profonde sur la nature du temps et sa signification à travers le prisme de la théologie orthodoxe. L'auteur y aborde la valeur accordée à l'histoire et à l'historicité personnelle, qu'il lie intimement à la révélation biblique d'un absolu personnel appelant à la déification. Clément explore comment les conceptions occidentales du temps, comme le mythe du progrès ou la dialectique hégélienne, ont laïcisé ou dégradé des racines théologiques judéo-chrétiennes.

L'ouvrage s'articule autour de la confrontation des diverses visions du temps avec la perspective chrétienne, en particulier orthodoxe.

I. Le temps cyclique et ses limites
Olivier Clément commence par examiner les conceptions non-bibliques du temps, qu'il désigne, suivant le P. Daniélou, comme les religions "cosmiques". Celles-ci perçoivent l'histoire comme une déchéance, une altération progressive de l'état originel paradisiaque. La temporalité y est ambivalente : la répétition cyclique est vue comme un retour au Paradis pour les communautés archaïques, et comme un signe d'enfer pour les hautes cultures ascétiques et rationalistes. Pour l'homme "primitif", le temps authentique est le "soudain" de la cosmogénèse où temps et éternité s'unissent. La Chute a brisé cette béatitude première, et l'effort archaïque vise à abolir la condition déchue pour retrouver la condition paradisiaque, souvent par des rites cycliques (nouvel an, orgies) qui miment la destruction et la recréation. La danse est un symbole majeur où le temps se résorbe dans la simultanéité de l'espace.
Clément identifie un caractère "nocturne et tragique" à cette vision, conduisant à la "terreur du temps" hindoue. L'évasion se cherche alors dans l'impersonnalité de l'orgie ou dans la gnose intellectuelle.
La pensée grecque, dès l'époque pré-socratique et particulièrement avec le pythagorisme et le stoïcisme, a systématisé la conception cyclique et l'idée de l'"éternel retour". Pour les Grecs, la plénitude de l'être est une éternité stable et immobile, tandis que le devenir appartient aux degrés inférieurs de la réalité. Le temps y est un processus régressif, un tarissement ontologique qui nécessite une "apocatastase" pour recommencer le cycle. La gnose, contemporaine ou antérieure au christianisme, partage une analyse du temps quasi identique à celle du bouddhisme, le voyant comme une prison, une illusion, un "néant substantialisé". L'homme gnostique cherche à "sortir du temps" par la "connaissance" de sa nature éternelle.
L'Inde post-védique a développé une doctrine "majestueuse et terrifiante" des cycles cosmiques (mahâyuga, kalpa), régis par une loi implacable de manifestation-dissolution. Le kali yuga, l'âge des ténèbres, décrit une dégradation profonde où seule la propriété confère le rang et le mensonge la réussite. Cette répétition indéfinie retire toute réalité à l'existence temporelle, la réduisant à une illusion (mâyâ). La "terreur du temps" bouddhiste perçoit le présent comme une "néantisation perpétuelle". L'éternité, dans ces traditions, est statique, définie a contrario du temps.

II. Le temps dans la tradition chrétienne
L'Orthodoxie, bien que reconnaissant la "terreur du temps" hindoue dans son ascèse, s'en distingue fondamentalement. La spiritualité orthodoxe assume les intuitions positives des religions cosmiques, considérant l'Église comme le "Paradis retrouvé" et le cosmos comme une "bible divine". Cependant, elle opère un "exorcisme et dépassement" des conceptions archaïques et systématisées. Elle ne cherche pas à abolir le temps dans une éternité statique, mais à célébrer la "véritable éternité qui s'oppose si peu au temps qu'elle se révèle en son cœur-même".
Le livre met en lumière quatre propositions majeures concernant la nouvelle valorisation du temps dans le christianisme:
1. L'éternité de Dieu ne se définit pas contre le temps. L'anthropomorphisme biblique exprime l'engagement de Dieu dans le temps, un "rapport nuptial" entre temps et éternité. L'éternité divine transcende le changement du temps et l'immutabilité de l'éon. L'Incarnation révèle la plénitude de la Trinité dans le tissu temporel de l'existence du Christ. La véritable éternité est révélée par le temps, où foi, espérance et amour font mûrir les instants de la rencontre.
2. Le temps est une créature, donc il est bon et a un sens. Le monde et le temps ont été créés ensemble "in principio", un "soudain" intemporel dont l'explosion créatrice suscite le temps. La création est "distancement", une temporalité ontologique. Le temps paradisiaque était un "miracle permanent", un temps de croissance et d'élan vers Dieu. La Chute l'a corrompu, le transformant en "temps-répétition", "temps de l'absence", mais il n'est pas entièrement déchu. Dieu l'utilise comme "temps-épreuve", une "pédagogie" divine pour la prise de conscience de l'indigence humaine.
3. La valeur du temps est liée à la révélation de la personne et de l'amour. Dieu, par "libre amour", accepte de "se mettre en cause" et de susciter une autre liberté, celle de l'homme. L'histoire est un dialogue où la parole humaine a son importance. L'espace s'ordonne au temps de la rencontre entre Dieu et l'homme, remplaçant le cosmos parfait. La liberté humaine est supérieure aux astres qui exécutent "servilement" la volonté divine.
4. Dans le Royaume, le temps est appelé à se transfigurer. L'Apocalypse annonce qu'il n'y aura "plus de temps" (chronos), signifiant non pas sa disparition mais sa transfiguration. Le temps cyclique est libéré de la stérilité et devient "fécondité pure", "vie pure". L'eschatologie chrétienne est une "épectase", une dilatation éternelle et une croissance inépuisable dans le bien.

III. L'économie du Fils : temps récapitulé et libéré
L'Incarnation du Christ est le cœur de cette transfiguration. La kénose du Fils, son abaissement, révèle la "vivante intimité" de la Trinité. Le temps, pour le Christ, est une "réceptivité intégrale" à la volonté du Père, une succession où chaque instant est un don pur. Sa Résurrection change le sens du temps déchu, le transformant en "mystère d'amour" et "source de vie éternelle". La mort, assumée par le Christ, est "vaincue", devenant un passage vers la Vie.
Le Christ est le nouvel Adam, récapitulant toute la création et l'histoire. Il est la "troisième incarnation du Verbe" (après le cosmos et l'histoire sainte), donnant sens aux deux premières. La typologie biblique n'est pas un simple jeu d'images, mais une "réelle participation" au destin du Christ. Les fêtes agraires de l'Ancien Testament deviennent des "mémoriaux" historiques, qui, en Christ, trouvent leur accomplissement et leur transfiguration (Noël au solstice, Pâques au printemps, le dimanche comme "huitième jour" symbolisant l'origine et la fin). L'histoire en Christ est "terminée" car la plénitude est offerte, mais elle continue car elle est une "libre appropriation" de cette grâce par chaque personne.

IV. L'économie du Saint-Esprit et le temps déifié
La Pentecôte marque le début de "l'économie du Saint-Esprit", qui assure la sainteté objective de l'Église comme Corps du Christ et ouvre à chaque personne la voie de la déification. La "mémoire" liturgique de l'Église n'est pas psychologique mais "ontologiquement réaliste", actualisant les événements christologiques. Les sacrements (baptême, Eucharistie) sont des "théophanies" où le temps révèle l'éternité. Le temps sacramentel est un "temps déifié".
L'action de l'Esprit Saint est une kénose, un effacement pour assurer l'écoulement de la divinité. Il révèle la personne du Fils sans s'imposer. Le temps de l'Église est celui de "l'acquisition du Saint-Esprit". La tension entre le temps et l'éternité perdure dans l'histoire, qui est un "combat apocalyptique". L'Antéchrist est permis par Dieu pour rendre le choix "inéluctable". Pour les croyants, l'histoire devient une "fulguration d'éternité".
Le caractère eschatologique du temps de l'Église est fondamental. La "nouvelle naissance" (baptême) projette l'eschatologie sur le présent. La Prière de Jésus ("eucharistie intériorisée") sature le temps humain d'éternité, transformant chaque instant en rencontre divine. La sophrosynè (chasteté/intégrité) est un mystère eschatologique qui anticipe le monde à venir. Le mariage chrétien est aussi appelé à prophétiser la Fin, en tant que "petite église" reflétant l'union du Christ et de l'Église.
La construction du Royaume de Dieu n'est pas une œuvre collective terrestre, mais se situe au plan de la personne, "dans le temps, mais pour l'éternité". L'historien chrétien doit percevoir l'histoire comme un lieu d'exercice des libertés et de rencontre avec autrui. Le chrétien vit comme un "étranger" dans ce monde, relativisant les pouvoirs humains.
Clément s'oppose à la conception romaine du "développement du dogme" comme une croissance organique ou une explicitation d'une vérité inconsciente. Pour l'Orthodoxie, la Tradition est la vie même du Saint-Esprit dans l'Église, la lumière qui fait saisir la Révélation, et les dogmes sont des expressions partielles qui protègent le mystère par l'apophase et l'antinomie.
Enfin, l'Église orthodoxe confesse une "apocatastase naturelle" (transfiguration de l'univers) mais non nécessairement "personnelle". Elle ne limite ni la miséricorde de Dieu ni la liberté de l'homme de refuser l'amour divin. Elle prie pour tous les morts, espérant leur délivrance, car l'amour de Dieu, refusé, devient souffrance insupportable. Le Christ est descendu en enfer pour le détruire.
L'Église, en tant que "sacrement du monde à venir", proclame l'imminence du Royaume et œuvre à la transfiguration du temps de la mort en "amour, c'est-à-dire Unitrinité". Le chrétien est invité à trouver la paix intérieure pour que des "multitudes se sauvent à ses côtés", vivant dans le monde sans être du monde, et faisant de l'amour divin la clé de toute action.

La spiritualité orthodoxe et la Philocalie.



La spiritualité orthodoxe est profondément ancrée dans ce que Vladimir Lossky appelait « la théologie mystique de l'Église d'Orient », une théologie qui ne se sépare pas de la doctrine et se caractérise par une aspiration profonde à la transformation et à l'union avec Dieu, un processus appelé divinisation.

Le cœur de cette spiritualité est la doctrine de la divinisation du chrétien, synthétisée par l'adage « Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu ». Saint Athanase, soutenu par Antoine le Grand, a proclamé cette foi authentique définie au concile de Nicée (325), affirmant que le Verbe de Dieu s'est fait homme afin que l'homme soit divinisé, devenant fils de Dieu par adoption et membre de son Corps. Saint Cyrille d'Alexandrie a également défendu cette possibilité de salut et de divinisation, soulignant que la nature humaine devait être pleinement assumée par une personne divine pour être pénétrée par les énergies de la divinité.

Cette divinisation implique une participation réelle à la nature divine par le don du Saint-Esprit. Elle ne concerne pas seulement l'intellect mais l'homme tout entier, corps et âme, appelé à être transfiguré par la divine Lumière. Les Pères cappadociens, notamment Basile de Césarée et Grégoire de Nysse, ont enseigné que l'essence divine est inconnaissable et inaccessible, mais que ses opérations divines ou « énergies » sont éternelles et incréées et peuvent être communiquées à l'homme. Lorsque l'Esprit sanctifie une créature, il ne produit pas un effet créé, mais unit son énergie à celle de la créature, permettant une opération divino-humaine. Cette compénétration du divin et de l'humain est comparable au fer rouge et au feu, le fer étant ignifié.

Le péché des premiers parents a entraîné l'homme dans la mort et la souffrance, le privant de la grâce du Saint-Esprit. Le salut et la divinisation, donc, se réalisent comme une réparation de la chute d'Adam et une union de l'homme au Christ, formant avec lui un seul Corps. La nature humaine a été globalement renouvelée par l'Incarnation du Logos divin.

Cependant, la divinisation est un processus personnel qui s'accomplit par la foi et les sacrements. Le baptême confère la grâce du Saint-Esprit sous forme de germe, qui doit se développer grâce à la coopération de la liberté humaine et à l'effort de l'homme. Sans la grâce initiale, cet effort serait vain, mais sans l'effort, les sacrements ne porteraient pas de fruit. Cette interaction entre la grâce divine et la volonté humaine est appelée synergie.

La voie hésychaste est la doctrine spirituelle qui sous-tend la vie de nombreux moines. L'hésychia, ou « quiétude », se comprend à plusieurs niveaux : solitude et silence matériels, calme intérieur procuré par la népsis (sobriété spirituelle, vigilance à l'égard des mauvaises pensées), et la paix de l'âme rassemblée en elle-même. Elle est la dimension intérieure du christianisme.

Les préalables à la vie hésychaste sont cruciaux :
1. Solitude et silence : ils favorisent le recueillement de l'âme. Cependant, l'hésychia rigoureuse n'est pas accessible à tous ; elle requiert une maturité spirituelle suffisante et un guide. Une pratique intérieure de l'hésychia est possible même en communauté.
2. Père spirituel (starets) : la vie monastique et la voie hésychaste doivent être menées sous la conduite d'un père spirituel expérimenté pour éviter l'illusion spirituelle. L'obéissance au père spirituel est le fondement de tout progrès spirituel.
3. Repentir (componction) : une tristesse profonde et intime de l'âme pour avoir offensé Dieu. Elle est bien différente d'un complexe de culpabilité, menant à l'humilité et à l'espérance. Les larmes qui en jaillissent sont considérées comme un second baptême, purifiant des fautes commises après le premier.
4. Humilité : la seconde disposition fondamentale, le sel de toute œuvre de vie, supprimant la présomption et engendrant l'amour de Dieu.

Les étapes de la voie hésychaste s'appuient sur une psychologie héritée de la philosophie hellénistique et systématisée par Évagre le Pontique. L'âme est composée d'une partie concupiscible, irascible et raisonnable (intellect ou noûs). Les passions ne sont pas mauvaises en soi, mais leur mauvais usage est la source des vices. Pour Macaire d'Égypte et d'autres, le cœur est l'organe du corps considéré comme le siège et l'organe de l'intellect, transfiguré par la grâce divine.

La méthode spirituelle se divise en deux étapes principales :
1. La praktikè (vie active) : vise la purification de l'intellect et la rectification des passions.
◦ Ascèse corporelle : jeûne, veilles, travail manuel. Elle inscrit l'humilité dans le corps, combat les tendances désordonnées de l'epithymia et aide à faire mourir la peccabilité du corps.
◦ Miséricorde et charité envers le prochain : essentielle pour purifier le thymos (partie irascible). L'esprit de miséricorde universelle est la pureté du cœur, selon saint Isaac le Syrien.
◦ Combat invisible (népsis) : la vigilance à l'égard des pensées (logismoi) est fondamentale. Évagre en a dressé une liste classique de huit principales : gourmandise, luxure, amour de l'argent, tristesse, colère, acédie, vaine gloire, orgueil. Le discernement des esprits est vital pour ne pas tomber dans l'illusion. Les pensées mauvaises agissent par attaque, liaison (dialogue avec la pensée), consentement, captivité, et combat. Il faut « briser contre la pierre les enfants de Babylone » tant qu'ils sont petits, c'est-à-dire couper court aux pensées mauvaises dès leur apparition.
◦ La Prière de Jésus : ou « prière monologique », une invocation courte et inlassablement répétée (ex : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! »). Elle brise les pensées par la puissance du Christ invoqué. Diadoque de Photicé en est un des premiers témoins. Elle n'est pas qu'une activité mentale, mais implique le corps par la respiration et le cœur. Cette méthode psycho-physique est un adjuvant et doit être soutenue par la doctrine biblique et chrétienne.
2. La theôria (vie contemplative) : le but de la praktikè est d'atteindre l'apatheia (impassibilité), qui n'est pas une apathie, mais un apprivoisement des passions, les mettant au service de l'amour de Dieu et du prochain. L'intellect purifié accède alors à la vraie connaissance (gnôsis) de Dieu, une expérience intuitive et savoureuse. Cette contemplation se manifeste souvent par la vision de la lumière divine, à laquelle le corps lui-même est associé. Saint Isaac le Syrien la décrit comme une expérience « au-delà de la prière », où l'intellect est submergé par l'Esprit et cesse de prier.

La spiritualité philocalique a connu une vaste influence. La Philocalie grecque, publiée à Venise en 1782, et sa traduction slavonne, le Dobrotoliubie, en 1793, ont joué un rôle capital dans le renouveau spirituel en Grèce, en Roumanie et en Russie :
• En Grèce, ce renouveau fut animé par les Collyvades au XVIIIe siècle, et se prolonge jusqu'à nos jours avec des figures comme saint Nectaire d'Égine ou saint Silouane l'Athonite.
• En Russie, saint Païssy Velitchkovsky (1722-1794) fut un initiateur majeur, diffusant l'hésychasme et les textes des Pères. Le monastère d'Optino, fréquenté par des figures comme Gogol ou Dostoïevski, devint un centre rayonnant de cette spiritualité. Saint Théophane le Reclus (1815-1894) a publié une traduction russe de la Philocalie, l'adaptant pour un public plus large.
• En Roumanie, le renouveau païssien s'est également implanté et a été revivifié au XXe siècle par des figures comme le Père Dumitru Staniloae, qui a entrepris une traduction roumaine de la Philocalie, en mettant l'accent sur Maxime le Confesseur et Grégoire Palamas.

En Occident, la redécouverte de ce patrimoine orthodoxe a marqué le public. Si des convergences existent avec la spiritualité occidentale, notamment avec l'invocation du nom de Jésus chez Bernard de Clairvaux ou l'oraison de quiétude chez François de Sales, des différences notables subsistent. La « nuit obscure » de Jean de la Croix a des parallèles avec la « désolation éducative » des Pères du désert, mais la spiritualité orientale ne considère pas la sécheresse comme une étape nécessaire et normale, et met l'accent sur la joie, plutôt que sur une séparation tragique avec Dieu. L'hésychasme occidentalisé, comme la récitation du Rosaire, a parfois été vu comme une forme de « quiétude populaire ».

L'influence de la Philocalie et de l'hésychasme en Occident s'est intensifiée après les révolutions et l'émigration orthodoxe au XXe siècle, grâce à des théologiens comme Vladimir Lossky et des initiatives comme la collection « Sources chrétiennes ». Ce retour aux sources du christianisme est perçu comme un moyen de favoriser la réunification spirituelle et de répondre à la quête de sens dans un monde sécularisé.

vendredi 5 septembre 2025

Byzance la secrète.




L'introduction de l'ouvrage, « Byzance, c'est nous ! », souligne le caractère paradoxal de Byzance, souvent perçue comme fastueuse et singulière, alors qu'elle est en réalité plurielle. L'auteur argumente qu'il n'y a pas une seule Byzance, mais des Byzances : latine et grecque, fanatique et tolérante, terrestre et maritime, des villes et des champs, des empereurs et du peuple. Le Siècle des Lumières, notamment Montesquieu et Voltaire, a injustement stigmatisé Byzance, l'associant à la lâcheté, la paresse, la mollesse, l'exubérance, la décadence et les manigances. Les spécialistes s'efforcent de réparer cette injustice en rappelant ce que nous devons au génie byzantin, notamment la création des images qui structurent notre quotidien, de l'icône à l'image numérique.

La fondation de Constantinople est un événement central. Le 11 mai 330, l'empereur Constantin Ier inaugure sa nouvelle capitale, une "nouvelle Rome", à l'emplacement de l'antique Byzance. Ce comptoir grec, situé à l'embouchure du Bosphore, est choisi pour son emplacement exceptionnel, une forteresse naturelle pratiquement inexpugnable. Constantin, qui a évincé ses rivaux, règne sur la majorité du monde connu. Il dote la ville de grands édifices publics et attire de nouveaux habitants par des exemptions d'impôts et des distributions de blé. La ville est baptisée Constantinou-polis, d'où Constantinople. Constantin est également à l'origine du ralliement de Rome au christianisme. Il fait édifier d'imposantes basiliques, dont Sainte-Irène et Sainte-Sophie, et transforme Constantinople en un immense reliquaire grâce aux découvertes de sa mère, sainte Hélène, à Jérusalem. Le choix du Christ s'avère payant, contribuant au financement de la capitale et à l'assainissement de l'économie avec l'introduction du solidus. À sa mort en 337, l'œuvre de Constantin est menacée, mais Constantinople résiste et s'impose comme la cité la plus prospère et la plus peuplée du monde romain, son cœur battant désormais en Orient.

La basilique Sainte-Sophie incarne la splendeur et la symbolique de Byzance. Reconstruite par Justinien après des incendies, elle est inaugurée en 537. Justinien s'écrie alors : « Salomon, je t'ai vaincu ! », marquant l'esprit de l'époque. Cette merveille architecturale, avec sa coupole de 33 mètres de diamètre semblant flotter en apesanteur, défie l'entendement et reste la plus grande église du monde pendant dix siècles. Sa construction, coûteuse et mobilisant des milliers d'artisans, est un prodige d'ingénierie combinant les traditions architecturales occidentales et orientales. Sainte-Sophie sert de caution au pouvoir impérial, étant la chapelle personnelle des empereurs, le lieu de leur baptême et couronnement. Elle abrite aussi les services du patriarcat et est un lieu de rassemblement populaire, reflétant les croyances et les rumeurs de la ville. Les mosaïques de Sainte-Sophie évoluent, passant de décorations géométriques à des compositions figuratives représentant la Vierge, le Christ et des empereurs. Malgré les tremblements de terre et les destructions, Sainte-Sophie reste un point névralgique de la capitale, une métaphore de la situation de l'empire. Après la conquête ottomane en 1453, Mehmed II la transformera en mosquée, mais elle est épargnée et devient un musée en 1934 sous Atatürk.

L'hippodrome était le cœur populaire de Constantinople. Commencé sous Septime Sévère et achevé sous Constantin, cet édifice de 450 mètres de long et 120 mètres de large était un lieu de divertissements variés : courses de chars, épreuves d'athlétisme, lectures, mimes, acrobaties et défilés d'animaux. Les courses, peu fréquentes mais grandioses, mettaient en scène des auriges devenus de véritables idoles. L'hippodrome était aussi un instrument politique pour les empereurs, qui y soignaient leur popularité. Les factions des Bleus et des Verts, perpétuellement rivales mais symétriques, symbolisaient un dialogue entre le peuple et l'empereur. Cependant, avec l'évolution de la société vers l'aristocratie et le désintérêt impérial, l'hippodrome décline et finit en ruine, son emplacement devenant l'actuelle Atmeydani.

La dynastie héraclide et l'émergence de l'Islam marquent un tournant majeur. Héraclius Ier (610-641) fut un empereur qui lutta pour préserver l'Empire byzantin face aux Perses, réussissant à les vaincre et à rapporter la Vraie Croix à Jérusalem. Cependant, la montée de l'Islam avec Mahomet (décédé en 632) représente un défi sans précédent. L'expansion arabe, fulgurante et irrésistible, voit l'empire perdre la Syrie, la Palestine et l'Égypte. Cette crise pousse Byzance à une profonde mue, le grec supplantant le latin, et l'État réorganisé en "thèmes" militaires. Le livre souligne le paradoxe de Héraclius, "héros de l'ordre et de la tradition", qui ne put lutter contre la "soif de changement" du message islamique.

La querelle des images ou l'iconoclasme fut une crise profonde qui déchira Byzance de 726 à 843. Le conflit opposa les iconoclastes (briseurs d'images) aux iconodules (serviteurs d'images), sur la légitimité et la nature de la représentation du divin. Les empereurs iconoclastes, comme Léon III, pensaient que l'idolâtrie des icônes était la cause de l'abandon de Dieu et que renoncer à leur culte insufflerait la force de résister aux Arabes et aux Bulgares. Cette période fut marquée par des persécutions et des destructions, dont la simple croix de Sainte-Irène témoigne encore. Ce n'est qu'en 843, sous l'impératrice Théodora, que le culte des images est définitivement rétabli. La crise de l'iconoclasme a non seulement divisé l'Orient, mais a également contribué au grand schisme entre catholiques et orthodoxes, en particulier après la réplique du pape Grégoire III à l'édit de Léon III.

L'art de la guerre byzantin est également exploré. Byzance, constamment attaquée, aspirait à la paix de Dieu mais excellait dans une guerre tactique. Sa stratégie privilégiait les frappes ciblées, la démoralisation de l'ennemi et la négociation, évitant l'anéantissement total. La diplomatie byzantine était experte en traités et alliances, utilisant même le tribut comme un moyen d'assimilation culturelle. L'empire devait sa résilience à sa supériorité technique, notamment l'arc composite, l'étrier et, surtout, le feu grégeois. Cette arme navale secrète, mise au point par Callinicos d'Héliopolis, projetait des torrents de feu capables d'enflammer les navires ennemis et la surface de la mer. Elle servit à repousser les Arabes et les Russes, devenant un mythe attestant de la protection divine.

La vie quotidienne à Constantinople tournait autour de la Mésè, un boulevard de 7 kilomètres bordé de portiques, de tavernes et de boutiques. C'était un marché permanent offrant toutes sortes de denrées et de services. La ville était un centre commercial et industriel florissant, spécialisé dans le textile, la soie et l'artisanat de luxe. La Mésè offrait aussi de nombreux divertissements, des cabarets aux thermes. Constantinople était une ville bien administrée par un gouverneur, l'éparque, qui veillait à l'ordre public, la salubrité et la prospérité économique en réglementant les professions et fixant les prix. La Mésè servait également de panthéon impérial, où se déroulaient les triomphes militaires et les processions religieuses. Malgré sa prospérité, la Mésè était prompte à s'embraser, le peuple pouvant se montrer frondeur et les empereurs devaient constamment maintenir l'équilibre.

Les relations avec l'Occident sont marquées par la complexité. Le mariage d'Irène, impératrice byzantine, avec Charlemagne, le roi des Francs, fut un projet diplomatique avorté, révélateur des tensions entre les deux empires. Les Byzantins se méfiaient des "Frankos" (Occidentaux), les considérant comme des Barbares avides et incultes. La chrysobulle d'Alexis Ier Comnène de 1082, accordant d'exorbitants privilèges commerciaux à Venise, est considérée comme un "marché de dupes" qui affaiblit l'économie byzantine et renforce l'hégémonie vénitienne. Cette dépendance économique culminera avec le sac de Constantinople par les croisés en 1204, un événement traumatisant qui ruine et disperse les richesses de l'empire. Les croisés, "précurseurs de l'Antéchrist" selon Nicétas Choniatès, pillent les églises, dont Sainte-Sophie, et vendent les habitants comme esclaves. Cette "quatrième croisade" anéantit la légitimité de Byzance et transforme la rivalité en haine inexpiable.

Le déclin de Byzance est une longue agonie, intensifiée par la dynastie des Paléologues. L'empire se réduit à Constantinople et à quelques territoires, soumis à la vassalité des sultans ottomans. Les tentatives de Jean V et Manuel II de trouver de l'aide en Occident, notamment auprès du pape, sont infructueuses, entravées par les divisions religieuses (le Filioque, le purgatoire). Le concile de Florence en 1439, visant à réunir les Églises orthodoxe et catholique, est un succès diplomatique pour le pape Eugène IV, mais se heurte à l'hostilité farouche de la population de Constantinople.

La chute finale de Constantinople en 1453 est la "chronique d'une mort annoncée". Après des décennies de siège et de blocus, Mehmed II le Conquérant assiège la ville. Malgré une résistance héroïque menée par Constantin XI et des mercenaires latins, les forces byzantines, largement inférieures en nombre, sont dépassées. L'exploit de Mehmed II de faire transporter sa flotte par voie de terre dans la Corne d'Or est décisif. Le 29 mai 1453, Constantinople tombe, et le dernier empereur, Constantin XI, périt au combat. Cet événement, bien que politiquement prévisible, est vécu comme une "catastrophe irrémédiable" et la "fin d'un monde". Il est interprété comme une punition divine par l'Occident et comme l'avènement de la grandeur ottomane par les Turcs.

L'héritage de Byzance est complexe et omniprésent. Loin d'être morte, Byzance a survécu sous diverses formes. Mehmed II se voyait comme un continuateur, adoptant le titre de "César des Romains" (Kayser-i-Rom) et admirant la culture latine et grecque. Les Ottomans ont méthodiquement restauré l'empire de Justinien, devenant des "Byzantins turcs". Les Grecs ont accepté cette métamorphose, préférant souvent le joug ottoman au colonialisme latin.

L'État ce nuisible, décortiqué par Murray Rothbard.




Cet ouvrage essentiel de Murray Rothbard, publié par le Ludwig von Mises Institute, est une analyse exhaustive de l'impact de l'intervention gouvernementale sur l'économie. Rothbard y développe une critique systématique des justifications de l'État, allant au-delà de ses contemporains libéraux en affirmant qu'aucun bien ou service, y compris la défense et l'application de la loi, ne nécessite l'existence du gouvernement.

La thèse centrale de Rothbard est que l'État n'est pas une entité bienveillante, mais un appareil coercitif, imparfait et intrinsèquement nuisible à la société civile. Il soutient que les véritables solutions aux problèmes sociétaux ne résident pas dans le pouvoir étatique, mais dans le marché libre. Rothbard envisage un système où la défense serait assurée par des organisations privées, opérant dans un marché libre et concurrentiel, sans monopole coercitif ni financement par la taxation. Pour lui, l'idée d'un gouvernement strictement limité est utopique et n'a jamais fonctionné historiquement, car le monopole inhérent de l'État sur l'agression lui permet de briser facilement toute contrainte.

Rothbard classifie l'intervention étatique en trois catégories principales, toutes considérées comme des subdivisions de la relation hégémonique (commandement et obéissance) par opposition à la relation contractuelle (bénéfice mutuel volontaire).

1. L'intervention autistique. C'est lorsque l'État contraint directement un individu concernant sa personne ou sa propriété, sans qu'il y ait d'échange.

2. L'intervention binaire. Cela se produit lorsque l'État force un échange ou un "don" unilatéral entre un individu et lui-même. La taxation est l'exemple le plus courant de cette intervention. Rothbard la considère comme une coercition unilatérale, assimilable au vol. Il identifie deux groupes : les contribuables (ceux qui sont grevés) et les consommateurs d'impôts (ceux qui en bénéficient), principalement les politiciens et la bureaucratie. L'impôt déforme l'allocation des ressources et crée un problème de distribution qui n'existe pas sur le marché libre, où la richesse est acquise par des services volontairement échangés. Le niveau global de taxation est plus important que le type d'impôt. Des taxes comme l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les successions, les impôts sur le capital accumulé, sont toutes des formes d'intervention binaire qui réduisent l'épargne, l'investissement et le niveau de vie général. Les taxes sur les plus-values (capital gains) sont considérées comme un impôt sur le revenu si elles sont corrigées pour l'inflation et prélevées sur les gains accumulés plutôt que réalisés, car elles reflètent les profits entrepreneuriaux. La théorie de l'incidence fiscale, souvent étudiée par les économistes, montre que les taxes ne peuvent pas être "répercutées" sur les consommateurs, mais sont supportées par les facteurs originaux de production, principalement les propriétaires fonciers, et qu'elles déforment les préférences des consommateurs.

3. Les dépenses gouvernementales sont également analysées, divisées en paiements de transfert (subventions pures) et activités consommatrices de ressources. Elles déforment les préférences des consommateurs, pénalisent l'efficacité et créent des conflits d'intérêts. L'inefficacité des entreprises publiques est inhérente, car elles n'ont pas de mécanisme de profits et pertes, et elles obtiennent des fonds par la coercition fiscale plutôt que par le service volontaire aux consommateurs. Rothbard dénonce le mythe de la "propriété publique", arguant que la propriété gouvernementale signifie en réalité que les fonctionnaires contrôlent les ressources, sans que le "public" n'en soit véritablement propriétaire, car les citoyens ne peuvent pas vendre leur "part" de cette propriété. Le fonctionnaire gouvernemental, étant un propriétaire transitoire, a tendance à "traire" la propriété le plus rapidement possible, sans se soucier de sa valeur à long terme.

4. La démocratie elle-même est critiquée comme un système rempli de contradictions internes. Elle ne garantit pas la sagesse des décisions, et son argument de "changement pacifique" est remis en question, car il ignore les inégalités de pouvoir physique et d'intensité d'intérêt parmi les votants. De plus, le concept de "majorité" est géographiquement arbitraire, et la démocratie nationale est auto-contradictoire, poussant logiquement vers un gouvernement mondial ou aucun gouvernement du tout. Le vote est une activité marginale où l'individu a peu d'impact, ce qui explique l'apathie électorale. Rothbard note l'ironie des "progressistes" qui doutent de la capacité des consommateurs à faire des choix intelligents sur le marché, mais louent la sagesse des mêmes personnes lorsqu'elles votent pour des politiciens. Il soutient que le choix de dirigeants politiques est encore moins rationnel que le choix de produits, car les critères de succès sont absents et les compétences requises sont politiques plutôt qu'économiques. Les économistes sont plus utiles pour analyser les conséquences indirectes des actions gouvernementales que pour conseiller les entreprises.

5. L'intervention triangulaire. C'est lorsque l'État contraint ou interdit un échange entre deux autres parties.
◦ Le contrôle des prix, qu'il s'agisse de prix maximum ou minimum, conduit à des pénuries (avec des prix maximum), des excédents non vendus (avec des prix minimum) et l'émergence de marchés noirs. Des exemples historiques incluent le bimétallisme (fixation arbitraire des taux d'échange entre l'or et l'argent), le contrôle des taux de change (conduisant à des "pénuries" de devises), et les lois sur l'usure (créant une pénurie de crédit, particulièrement préjudiciable aux emprunteurs les plus risqués).
◦ Le contrôle des produits et les privilèges monopolistiques : L'État peut interdire la production ou la vente sauf pour certaines entreprises, leur accordant un monopole ou quasi-monopole. Cela inclut les cartels obligatoires (restreignant la production et favorisant les entreprises inefficaces), les licences (qui restreignent l'entrée dans les professions et les entreprises, créant des obstacles pour les petits capitaux), les normes de qualité et de sécurité (qui bloquent l'innovation et la concurrence au détriment des consommateurs, souvent sous prétexte de "protection"), les tarifs douaniers (qui protègent les industries nationales inefficaces en pénalisant les consommateurs et en réduisant la productivité globale), les restrictions à l'immigration (qui créent des monopoles de main-d'œuvre et entravent l'égalisation des salaires à l'échelle mondiale), les lois sur le travail des enfants (qui créent un chômage obligatoire et réduisent le revenu des familles avec enfants), les lois sur le salaire minimum (qui rendent les travailleurs les moins productifs inemployables), la conscription (qui retire de la main-d'œuvre des hommes adultes, augmentant les salaires des autres), les lois antitrust (qui entravent les entreprises efficaces en les soumettant à des règles arbitraires et mal définies, au lieu de réduire les monopoles créés par l'État), les brevets (qui sont des monopoles d'agression contre les découvreurs ultérieurs indépendants et qui déforment la recherche au lieu de la stimuler efficacement), les franchises exclusives (qui confèrent des privilèges monopolistiques pour l'utilisation des biens publics comme les rues), et le droit d'expropriation (qui permet la prise de propriété par la force, sapant le droit à la propriété privée et déformant la production). La corruption des fonctionnaires gouvernementaux est vue comme une forme de licence informelle, agissant soit comme un moyen de contourner l'interdiction (corruption défensive), soit comme l'acquisition d'un privilège monopolistique (corruption invasive).

Rothbard critique également diverses éthiques antimarché :
• Il soutient que l'économie ne présuppose pas une nature humaine angélique, mais que l'existence de l'État offre un canal légitimé pour l'exercice du mal.
• Il déconstruit les arguments en faveur de l'égalité (de revenu ou d'opportunité), les considérant comme logiquement insensés et incompatibles avec la diversité humaine. L'idéal d'égalité, appliqué à la nature humaine diverse, ne peut être atteint qu'en "détruisant la plupart de ce qui est humain". L'idée même d'« égalité de liberté » (le principe d'égale liberté de Spencer) est redondante et peut prêter à confusion, car la liberté absolue implique déjà l'absence d'empiétement.
• Il défend que la sécurité ne peut être fournie de manière absolue par l'État, car celui-ci produit la sécurité pour certains aux dépens d'autres, et que la seule sécurité universelle est la protection contre l'agression, que le marché libre peut fournir par des moyens volontaires comme l'assurance et la charité.
• Il rejette l'idée d'une "société de statut" médiévale "heureuse" comme un mythe, soulignant la pauvreté, la violence et le manque de mobilité de cette époque, où la croissance démographique posait des problèmes insolubles.
• Il critique la "charité" étatique comme étant inefficace, dégradante et encourageant la dépendance, alors que la charité volontaire et l'investissement capitaliste sont les véritables moteurs de la réduction de la pauvreté.
• La charge de "matérialisme égoïste" contre le marché est également réfutée, Rothbard expliquant que l'économie est un moyen au service de toutes les fins (égoïstes ou altruistes) et que l'enrichissement capitaliste permet en fait de mieux satisfaire les désirs humains, y compris non matériels.
• Il distingue clairement le pouvoir sur la nature (productif et bénéfique pour l'humanité) du pouvoir sur l'homme (parasitaire et destructeur), arguant que l'intervention étatique élève ce dernier aux dépens du premier. Il dénonce le sophisme de la "puissance économique" comme une forme de coercition, insistant sur le fait que le "pouvoir" d'un employeur de refuser un emploi n'est pas comparable à la violence physique ; refuser un échange n'est pas une agression.
• Enfin, il affirme que les droits de propriété sont indissolublement liés aux droits de l'homme, car la liberté d'expression ou de réunion, par exemple, ne peut exister sans la propriété des moyens de communication ou des lieux d'assemblée. Les conflits sur l'utilisation des biens (comme les rues) ne peuvent être résolus arbitrairement que si l'État en est propriétaire, contrairement à une société où la propriété est entièrement privée.

Ainsi, Rothbard présente une dichotomie frappante entre le principe du marché et le principe hégémonique. Le marché engendre l'harmonie, la liberté, la prospérité et l'ordre, tandis que l'hégémonie produit le conflit, la coercition, la pauvreté et le chaos. Il observe que l'intervention gouvernementale a une nature cumulative, chaque intervention créant de nouveaux problèmes qui appellent à davantage d'intervention, conduisant à une "disparition" de l'ordre naturel du marché. Le rôle de l'économiste n'est pas d'émettre des jugements éthiques ultimes, mais de critiquer les programmes éthiques inconsistants et d'analyser les conséquences des différents systèmes politiques, montrant comment le marché libre maximise l'utilité sociale.