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dimanche 17 octobre 2010

ARCHIVES (27) BLANRUE DANS HISTORIA : "Landru, un meurtrier bien séduisant" (juin-juillet 2010 - hors-série avec NOTRE TEMPS)


Avril 1919. La guerre à peine achevée, la France pleure son million et demi de morts. Au matin du 12 de ce mois, au troisième étage du 76 de la rue de Rochechouart, à Paris, MM. Belin et Braunberger, inspecteurs de police de la 1er brigade mobile, sonnent chez un certain « M. Guillet ». Après un long silence, une voix leur répond. La porte s’ouvre. L’homme qui apparaît est en pyjama, les sourcils en broussaille. Il est petit, chauve, porte une barbe noire aux reflets roux. Ses yeux sont fixes et ironiques. Une bousculade s’ensuit. D’une pièce surgit une jeune femme en chemine, apeurée. C’est une petite artiste lyrique du nom de Fernande Serget.
Les amants sont emmenés au siège des célèbres « brigades du Tigre ». L’homme est conduit dans le bureau du jeune commissaire Dautel, qui le salue comme étant Henri-Désiré Landru. Non convaincu par les dénégations de « Guillet », Dautel lui montre la fiche cartonnée dudit Landru, bien connu des services de police.
Landru est né le 12 avril 1869 à Paris, rue de Puebla. Il est le fils de Julien Landru, mécanicien, et Flore Henriquel, couturière en chambre, retirés à Agens ; après le décès de sa femme, Julien s’est suicidé an août 1913, dans le bois de Boulogne.
Durant sa jeunesse, Henri-Désiré accomplit de bonnes études chez les Frères des écoles chrétiennes. Il sert la messe comme sous-diacre à l'église Saint-Louis-en-l'Île. Après trois ans de service militaire, qu’il passe au troisième régiment d’Infanterie, il épouse Marie-Catherine Rémy, fille d’une blanchisseuse, qui lui donne quatre enfants, prénommés Marie, Maurice, Suzanne et Charles. Entre 1893 et 1900, il vivote de petits métiers, travaille chez un architecte, un plombier, puis ouvre une affaire de bicyclette à pétrole. Il organise une campagne de publicité, mentionnant que toute commande doit être accompagnée d'un mandat représentant un tiers du prix. Les commandes affluent, mais Landru disparaît avec l'argent sans jamais livrer les bicyclettes. C’est sa première escroquerie. Désormais, il est régulièrement condamné pour de tels délits : à deux ans en 1904, à treize mois en 1906Sa dernière condamnation en date est due à la revente d’un garage qu’il a effectuée sans avoir payé le propriétaire à qui il l’a acheté. En fuite, il est condamné par défaut, en 1914, à quatre nouvelles années de prison. Cette fois, le verdict est assorti de la peine de « relégation », ce qui signifie la déportation à vie au bagne de Guyane.
Alors qu’il tient le fugitif, le commissaire Dutel lui demande ce qu’il est advenu de Mmes Anne Collomb et Célestine Buisson. L’étonnement se lit sur le visage de Landru, qui assure ne pas connaître ces personnes. Dautel lui rafraîchit la mémoire en lui signalant qu’il a vécut en concubinage avec elles deux. Or, du jour au lendemain, l’une et l’autre se sont curieusement volatilisées. Landru se moque : il ne donne pas dans la traite des blanches ! Dautel le soupçonne de les avoir fait assassiner. Landru lui rétorque qu’on lui présente les cadavres. Dès ce premier entretien, il définit ce qui sera, jusqu’au bout, sa seule et unique défense.
On fouille Landru sur qui on saisit deux carnets méticuleusement tenus. Il y a d’abord un petit calepin à couverture noire, dont toutes les pages sont vierges, sauf la première, sur laquelle on peut lire onze noms, dont ceux de Mmes Colombes et Buisson, tracés de la main de Landru ; le second est une sorte d’annuaire, rempli de dates et de sommes d’argent. Les policiers se demandent à présent si Landru n’a pas, en fait, assassiné ces onze femmes !
Fernande Segret, qui a rencontré quelque temps plus tôt ce « Guillet » dans un tramway, ne sait rien de spécial sur cet homme, sauf qu’il se rend souvent en sa compagnie à l’opéra-comique, car il aime la musique, qu’il écoute en lui tenant la main, parfois en pleurant… Au moment où les deux amants sont séparés, Landru lui chantonne d’ailleurs un air de « Manon » : « Adieu, notre petite table ! ». L’inspecteur Belin, celui-là même qui a mis fin à la « bande à Bonot » en 1912, est estomaqué par le personnage.
Le Petit journal est le premier à se saisir de cette affaire prometteuse et titre : « Un nouveau Barbe-bleue ? » Le commissaire Dautel raconte l’histoire à la presse.
Tout est parti de Gambais (Seine-et-Oise, actuelles Yvelines), un petit village non loin de Montfort-l’Amaury. Fin 1918, son maire reçoit une lettre lui demandant des nouvelles de Mme Anne Collomb, qui a rencontré un « M. Dupont » et l’a suivi dans la maison qu’il loue dans la commune. Du jour au lendemain, cette dame n’a plus donné de ses nouvelles à sa famille, qui s’en inquiète. Quelques semaines plus tard, le maire de Gambais reçoit une autre lettre, cette fois d’une Mlle Lacoste, domestique dans le quartier de l’Hôtel de Ville, à propos de sa sœur, Mme Célestine Buisson, fiancée à un « M. Frémyet », lequel possède une maison à Gambais, où elle l’a accompagné. Mme Lacoste n’a plus de nouvelles de Mme Buisson et s’en alarme. Elle dépeint la maison, dissimulée derrière une haie épaisse, que le maire reconnaît tout de suite comme étant celle de M. Tric. Trouvant ces disparitions inquiétantes, il propose aux deux familles de se réunir. Elles portent plainte contre X au Parquet de la Seine pour la disparition de ses deux femmes. Une enquête est ouverte.
M. Tric, propriétaire de la villa, est interrogé. Il a en effet loué sa maison à un certain M. Dupont, qui dit résider à Rouen. Vérification faite, il s’agit d’une fausse identité. On ne tarde pas à se rendre compte que lorsque les familles Collomb et Buisson décrivent tour à tour MM. Dupont et Frémyet, elles désignent le même individu : un homme au crâne luisant portant une longue barbe sombre. Mais où le trouver ? À l’époque, la police décide d’attendre.
C’est alors que, le 11 avril 1919, Mme Bonhoure, une amie de Célestine Buisson, voit par hasard sortir du magasin « Les Lions de Faïence », rue de Rivoli, à Paris, un barbu chauve ressemblant au personnage. Il achète un service de table pour lequel il verse 100 francs d’acompte. Elle le suit, mais l’homme saute sur la plateforme d’un autobus. La police est alertée. Un inspecteur court dans la boutique, où la vendeuse lui signale que son client a laissé une carte de visite au nom de Lucien Guillet, demeurant rue de Rochecouart, à Paris. Le lendemain à l’aube, ce « Guillet » est arrêté. Il s’agit de Landru.
Ce qui va permettre à la police d’avancer, c’est le suspect lui-même. On trouve à son domicile, puis dans le garage qu’il loue rue Maurice à Clichy, des milliers de lettres, d’enveloppes, d’agendas, d’itinéraires, classés méticuleusement, qui donnent l’impression d’être les archives générales d’un criminel. 


Les policiers classent ces papiers. Il en concluent que l’idée originale de Landru est née en 1909. À cette époque, il passe en effet une petite annonce matrimoniale dans un journal, à laquelle diverses femmes répondent. L’une d’elles, Jeanne Izoret, est séduite. Landru la convainc de lui remettre ses économies, mais il disparaît aussitôt avec elles. Mme Izoret dépose plainte et Landru est condamné à trois ans de prison ferme.
Les policiers mettent en évidence que, depuis quelques années, Landru passe régulièrement des annonces de ce type : « Célibataire (ou veuf), à son aise, 400 francs de revenus, cherche mariage avec personne en rapport ». Il reçoit en retour un nombre impressionnant de lettres, qu’il classe dans un ordre impeccable. Il les divise selon le niveau social en « petits revenus », « fortune possible », «  sans fortune », « à suivre », « à répondre de suite », etc. Il envoie à toutes le même type de lettre. On trouve également dans ces papiers des emplois du temps extrêmement minutés : il a plusieurs rendez-vous galants par jour, de 8 heures du matin à 8h du soir. En tout, il a « retenu » 283 femmes, la plupart de condition modeste, avec lesquelles il entretient des rapports.
En tête de la liste retrouvée par Dautel, se trouve le nom d’une certaine Jeanne-Marie Cuchet, âgée de 39 ans, lingère et veuve d’un commerçant. Elle n’a pas connu Landru par une annonce, mais au jardin du Luxembourg, où celui-dit lui a dit s’appeler Raymond Diard. Jeanne-Marie vit avec son fils André, âgé de 17 ans. Au bout de quelques semaines, elle annonce à son entourage qu’elle a rencontré un ingénieur quincagénaire qui a quelque fortune et de belles manières. Ils se fiancent. La mère et le fils sont ravis. Mais les papiers de M. Diard n’arrivent pas pour la mariage (pour cause, la vraie famille de Landru vit à Clichy et le croit brocanteur).
Sans attendre le mariage promis, « M. Diard » propose à Mme Cuchet de venir vivre à la campagne, partager la maison qu’il a louée dans la région de Chantilly. Elle accepte. Il s’y rend avec une vieille cantine et elle avec toutes ses économies. Le 2 août 1914, alors que la guerre éclate, Landru disparaît avec l’argent de sa « fiancée ». Il place les 5 000 francs dans une banque de Chantilly, à son nom. Sa cantine est ouverte par le beau-frère de Mme Cuchet : on y trouve un livret de mariage au nom de Landru…
Désespérée, Mme Cuchet rentre à Paris et se met à sa recherche. Landru l’apprend. Un jour, il se rend à son domicile et plaide le malentendu : il a caché qu’il était marié pour ne pas lui faire de peine, il est en instance de divorce… D’ailleurs, il lui promet de lui présenter ses filles. Le lendemain, il revient en effet avec deux charmantes fillettes de 11 et 12 ans. On saura plus tard qu’il les a louées pour l’occasion !
Mme Cuchet tombe de nouveau amoureuse et se brouille avec sa famille, qui la conjure de se méfier de ce personnage suspect. Pendant ce temps, Landru loue une maison à Vernouillet , « The Lodge », et propose à Mme Cuchet de s’y rendre avec André. On y apporte les meubles de Mme Cuchet. Une voisine les voit tous les trois habiter quelque temps dans la villa.
« M. Cuchet », ainsi qu’il se fait appeler, annonce à la personne de l’agence de location que sa femme vient de recevoir une offre professionnelle très intéressante pour l’Amérique. Comme par hasard, en février 1915, les voisins de Vernouillet ne revoient plus Mme Cuchet ni son fils. Landru se présente aussitôt dans une banque pour toucher un titre qui appartient au jeune André. Il offre une montre en or à son épouse et divers babioles à son fils pour qu’il en fasse du négoce. Il vend d’autres obligations et titres. Les meubles de Vernouillet sont rangés dans son garage de Clichy.
Dans la liste du carnet, le nom suivant est celui, plus curieux, de « Brésil ». Aucune personne ne semble lui correspondre. Mais le brigadier principal Riboulet découvre, dans l’océan des archives de Landru, qu’une certaine Mme Thérèse Laborde-Line, séparée de son mari aubergiste, et que Landru a rencontrée par le biais d’une petite annonce, est née près de Buenos-Aires. Or Riboulet se dit que Landu s’est sans doute trompé en pensant que la ville argentine de Buenos-Aires était située au Brésil… De fait, Mme Laborde-Line, la nouvelle « fiancée » de Landru, s’est rendue, elle aussi, dans sa villa de Vernouillet. Trois jours plus tard, en juin 1915, elle disparaît. Ses meubles, ses actions, titres et obligations sont vendus. Landru les note comme « recettes » dans ses carnets.
Cette même année, Mme Marie-Angélique Guillin, ancienne gouvernante demeurant rue Crozatier, à Paris, annonce à son entourage qu’elle a rencontré un ingénieur riche et prévenant qui l’a séduite. Elle se rend avec lui à Vernouillet. Au début d’août 1915, elle disparaît. Ses meubles, titres, actions et obligations sont vendus par Landru. Il y en a pour 11 750 francs, ce qui est une somme importante pour l’époque. Cette dame ne figure dans sa liste sous son patronyme, mais au nom de la rue où elle habite : « Crozatier ».
Les enfants de Mme Guillin possédant l’adresse de Vernouillet, Landru, prudent, déménage. Un soir, il brûle une malle dans son jardin. Et il semble bien qu’elle ne soit pas vide, car les voisins déclarent qu’ils s’en dégage une odeur pestilentielle.
Durant l’été 1915, Landru trouve sa nouvelle villa, à Gambais, en plein champs, à 400 mètres de toute habitation. Il la loue sous le nom de M. Dupont. Le jour où il signe son contrat de location, il se rend à Houdan pour acquérir une cuisinière, qu’il se fait livrer le surlendemain avec 300 kilos de charbon.
Pour pendre la crémaillère, il invite Berthe-Anna Héont, 55 ans, femme de ménage et veuve. Dans ses comptes, on trouve une singulière mention relative aux billets de train qu’il a achetés : « Un aller-retour » (pour lui), « un aller simple » (pour elle)… À partir du mois de décembre 1915, nul n’entend plus parler de Mme Héont. Comme à son habitude, Landru vend tout ce qui appartient à cette dame.
La « fiancée » suivante est Mme Anne Collomb, 44 ans, secrétaire dans une compagnie d’assurances. Il s’agit de la dame dont la famille a déclenché l’affaire. Elle aussi s’en va un jour, avec ses 2 000 francs d’économie, pour Gambais. Au moment où il l’emmène, Landru n‘a plus un sou vaillant. Mme Collomb disparaît fin décembre 1916. Tout à coup, Landru se retrouve à flots et en fait généreusement profiter sa famille de Clichy.
La suivante est une petite bonne de 19 ans, Andrée Babelay, qu’il a croisée dans la rue, cette fois. Elle annonce un jour à sa patronne, cartomancienne, qu’elle a rencontré un monsieur charmant. Andrée se rend elle aussi à Gambais. Sur le carnet de Landru, il est à nouveau noté : « Un aller-retour » (pour lui), « un aller simple » (pour sa « fiancée »)…  À partir d’avril 1917, on ne reverra jamais Mlle Babelay.
Celle d’après se nomme Célestine Buisson, disparue en août 1917, l’une des deux femmes qui permettent d’ouvrir l’enquête par l’intermédiaire de sa famille. Avec elle, Landru suit le même processus qu’avec les autres : départ pour Gambais, puis disparition suivie de la vente de ses meubles, de ses titres et effets personnels…
C’est à cette époque que Landru rencontre Fernande Segret. Elle se rend comme les autres à Gambais pour le week-end. Mais elle aura la chance, elle, d’en revenir.
Ensuite, c’est au tour de Mme Louise-Jaume, 38 ans, en instance de divorce. Landru use une nouvelle fois du même procédé. La dame s’évapore en novembre 1917. Puis Landru se tourne vers Anne-Marie Pascal, 33 ans, couturière divorcée. D’elle, il vendra tout : tapis, manteau, meuble et même… un dentier.
La dernière victime est Marie-Thérèse Mme Marchadier, ancienne prostituée, qui se rend à Gambais avec ses chiens griffons, dont la police retrouvera les cadavres enfouis dans le jardin. Ils ont été étranglés. C’est le seul forfait que Landru avoue.
Mais le problème, pour la police, qui a fouillé de fond en comble les villas de Vernouillet et Gambais, c’est qu’elle ne retrouve aucun cadavre humain. Elle met en revanche la main sur une cuisinière, qui aurait pu servir à faire disparaître les corps par crémation. Est-ce la clé de l’énigme ? Beaucoup en doutent, car elle est de petite dimension.
Pourtant, dans le tiroir de cette cuisinière, dans un hangar et dans la cheminée, on découvre des poussières d’ossements : quatre kilos, qui se révèlent être des os d’animaux, tués avec des fils poissés, mais aussi un kilo d’ossements humains calcinés et concassés à coup de marteau. Dans ces débris, les experts retrouvent 295 fragments humains de crânes, de pieds, de mains. Il y aurait là trois cadavres, dont l’un au moins serait celui d’une femme. On y découvre des traces de scie.
Le médecin légiste conjecture que Landru a fait disparaître les éléments qui auraient pu servir à une identification. Mais alors pourquoi a-t-il conservé toutes ses archives, qui le dénoncent si ouvertement ? Et où sont les huit autres cadavres ? Un pêcheur de la région dira qu’il a vu un étrange paquet enveloppé, flottant dans un étang, mais les fouilles ne donnent rien.

La cuisinière

De son côté, Landru, inflexible, n’avoue rien. Trois experts psychiatres sont nommés, qui concluent qu’il est dépourvu de tout état psychotique. Ils sont même charmés par son intelligence ! L’accusé n’est donc pas en état de démence, mais responsable de ses actes.
 Pourtant, l’étau se resserre autour de lui. Le juge d’instruction Bonin lui désigne les factures des scies à métaux et des lames, qu’il achetait régulièrement. Qu’en faisait-il ? Aucune des réponses de Landru n’est satisfaisante.
L’instruction close, le procès s’ouvre devant la Cour d'assises de Seine-et-Oise siégeant à Versailles, le 7 novembre 1921. Il dure plus de quatre semaines. Le président Gilbert conduit les débats ; d’un côté, l’avocat général Godefroy ;  de l’autre, Maître de Moro-Giafferi, ténor du barreau, défenseur de Landru.
L’accusé a réponse à tout. Son carnet ? Juste un répertoire de commerçant, où il note le nom de ses clients. Il a essayé de vendre des meubles, voilà tout. Les femmes qu’il a choisies sont par préférence seules et sans soutien, car, explique-t-il, celles-ci sont plus tentées que les autres de se séparer de leurs meubles pour subvenir à leurs besoins en temps de guerre. C’est pour ne pas les effrayer qu’il a fait passer ses « publicités » sous la forme d’annonces matrimoniales. Les disparition de ces femmes ? Elles ont peut-être voulu s’exiler pour des motifs qui les regardent ; ou les policiers n’ont pas bien fait leur travail. Ses multiples pseudonymes ? Rien de plus normal, il était recherché pour ses escroqueries d’antan. Quant aux billets de chemin de fer, ces fameux « allers sans retour », c’est par pure galanterie qu’il les a commandés, ne voulant par contraindre ces dames à revenir à Paris si elles n’en éprouvaient pas le désir.
La monstruosité des crimes et le faisceau de présomption accablant Landru entraînent Godefroy à réclamer la mort. Maître Moro-Giafferi, très inspiré, développe la même logique que son client : nul n’ayant produit le cadavre d’une seule d’entre ces onze prétendues victimes, on ne peut en bonne logique en conclure qu’elles sont mortes.
À un moment de sa brillante plaidoirie, il prétend même que l’accusation a commis une grave erreur : l’une de ces femmes, lance-t-il, est vivante ! Grand émoi dans la salle. Il assure qu’elle est au palais de justice de Versailles, derrière la porte, s’apprêtant à entrer. Les douze jurés regardent dans cette direction comme un seul homme. Mais l’avocat leur annonce soudain que la dame attendue n’est pas là : il voulait juste prouver par ce procédé que les jurés estimaient possible que cette femme était encore en vie. Et le doute doit profiter à l’accusé. Seulement l'avocat général fait remarquer que Landru, lui, n’a pas tourné les yeux vers la porte !
Au cours des délibérations, le 30 novembre, les jurés répondent « oui » aux 48 questions. C’est la peine de mort pour Landru. Celui-ci reste impassible. En privé, fidèle à sa réputation, il confie à son avocat que « dans toutes les batailles, il y a des tués ». Dans l’une des lettres qu’il écrit dans sa cellule, il répète à l’avocat général que la cuisinière était trop petite pour brûler des corps. Ce qui, en effet, est plus que vraisemblable. D’ailleurs, à Vernouillet, où des femmes ont disparu, cette cuisinière n’existe pas. Mais rien n’indique toutefois que Landru ait brûlé l’intégralité des corps. Il est possible qu’il ait jeté les cadavres dans les étangs, remplis d’herbes et de vase, ou dans les puits de la région.
Le 24 février 1922, le président de la République Alexandre Millerand refuse la grâce à Landru. Au matin de son exécution, le 25 février, on demande au condamné s’il a des révélations à faire. Landru répète qu’il est innocent. D’un calme imperturbable, s’excusant de refuser la messe, il lance à l’aumônier : « Ces messieurs attendent ! ». Il demande cinq minutes pour faire sa toilette et se laver les pieds, ce qui ne lui est pas accordé par crainte d’un suicide. Il est guillotiné en face de la prison de Versailles, sans prononcer une dernière parole avant de monter à l’échafaud.
On ne saura donc jamais comment il a tué ses onze victimes. Peut-être est-ce avec le fusil de chasse, la carabine, le Smith & Wesson ou le 6 35 qu’il possédait. Peut-être est-ce avec les somnifères qu’on a retrouvés chez lui. Ou avec les fils qui lui ont servi à tuer les animaux…
Le lendemain de son exécution les journaux titrent que Landru est parti en emportant son secret. Toutefois, bien plus tard, dans l’émission « Les Dossiers de l’écran » du 4 mars 1970, Mme Denis, fille de Maître Auguste Navières du Treuil, l’un des avocats de Landru, brandit un dessin exécuté par celui-ci, qui représente la cuisine de Gambais, avec, sur la droite, la fameuse cuisinière. Au verso du tableau, Landru a écrit une phrase, qui permet de penser qu’il ne rejette pas entièrement l’utilisation de la cuisinière : «  Ce n’est pas le mur derrière lequel il se passe quelque chose mais bien dans la cuisinière dans laquelle on a brûlé quelque chose. » Cette phrase énigmatique, si elle est bien de lui, constitue-t-elle un aveu ? On l’a soutenu.
Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître que la preuve absolue et directe de sa culpabilité manque toujours : la mort des onze disparues. Les 273 autres femmes qu’il avait fréquentées, elles, vivaient en effet toujours au jour de son procès.
Paul-Éric Blanrue

mis en ligne par trattoria