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mardi 19 septembre 2023

Gustave de Molinari et Dieu.

"On s’explique parfaitement l’antagonisme de la religion et de la science, car il n’est pas une seule des découvertes de la science qui n’ait contredit une tradition de la religion. Mais en ruinant les conceptions enfantines que l’humanité se faisait de la Divinité et d’elle-même, en remettant la terre et l’homme à leur place et à leur rang dans l’univers, en restituant aux lois naturelles les phénomènes physiques qui nécessitaient l’intervention divine et formaient le domaine du surnaturel, la science a-t-elle agi pour détruire la religion et finalement la remplacer ?
C’est là, on ne l’ignore pas, une opinion assez généralement répandue dans le monde de la science aussi bien que dans le monde religieux. Est-elle fondée ? Ne peut-on pas soutenir, au contraire, que les progrès de la science servent la religion, en la contraignant à remplacer ses anciennes preuves de l’existence de la Divinité par des preuves nouvelles, plus décisives, que lui fournit la science elle-même ; en agrandissant et en élevant la conception de l’idéal divin ?
C’est ainsi qu’en s’appuyant sur les données de la science on peut déduire l’existence d’une puissance supérieure, à laquelle l’homme se trouve subordonné, de l’existence du sentiment religieux même.
Ce sentiment a un caractère d’universalité. Il existe et il a existé de tous temps, quoique à des degrés divers, dans la multitude des créatures humaines. Il est distinct de tous les autres sentiments, de l’amour paternel, filial ou conjugal, de la sympathie pour les autres hommes ou les autres espèces. Or la science démontre qu’aucune des facultés de l’homme, aucune des forces physiques, intellectuelles et morales qui constituent son être, n’est inutile, que toutes remplissent une fonction nécessaire et répondent à un objet ou à un être existant. De même que l’existence du sentiment de la paternité prouve celle de la famille, l’existence du sentiment religieux prouve celle de Dieu.
Ce Dieu qu’atteste le sentiment religieux et qu’il suffirait seul à attester, la science a rétréci par quelques côtés le domaine de son activité, mais ne l’a-t-elle pas infiniment agrandi par d’autres ? Si Apollon ne conduit plus le char du soleil, si Jupiter ne lance plus la foudre, est-ce à dire que la Divinité n’ait plus aucun rôle actif à jouer dans l’univers, et, pour rappeler un mot célèbre, que la science puisse se passer de cette hypothèse ? Est-ce à dire que la matière se meuve d’elle-même sous l’impulsion des lois qui lui sont propres, qu’elle produise par l’opération mécanique et automatique de ces lois, le phénomène de la vie, qu’elle crée les organismes vitaux des espèces végétales et animales aussi bien que les mondes qui leur servent d’habitat ? Est-ce à dire que les forces morales, investies en quantités diverses et inégales dans l’homme et la plupart des espèces inférieures, sinon dans toutes, l’intelligence, la volonté, l’amour n’existent pas en dehors de l’humanité et de l’animalité terrestres ? Le spectacle de l’univers ne révèle-t-il pas leur présence et leur action incessante ? Certes, quand on observe le capital énorme de connaissances que l’humanité a accumulées, les inventions qu’elle a multipliées pour constituer l’outillage de sa civilisation, on demeure frappé de la somme d’énergie morale et d’intelligence qu’elle a dépensée, mais que sont nos outils les plus ingénieux et nos machines les plus perfectionnées en comparaison des organismes merveilleux des espèces animales et végétales ? Peut-on admettre que ces organismes si parfaits et si prodigieusement variés aient été produits par le jeu des forces brutes de la nature ? Quoique nous ne connaissions encore qu’incomplètement le mécanisme de la création des mondes et de la conservation de l’ordre dans l’univers, le peu que nous en savons n’atteste-t-il pas l’existence d’une énergie et d’une intelligence infinies, imprimant le mouvement à la matière et la transformant sans cesse ? — Soit ! dit-on, l’intelligence agit, elle intervient dans les combinaisons et les transformations de la matière, mais c’est une intelligence inconsciente. Seul, l’homme possède une intelligence consciente. Il n’existe point, par conséquent, dans l’univers, un être qui lui soit supérieur. Qu’en savons-nous ? Et cette prétention orgueilleuse peut-elle se justifier au regard de la raison ? Ne suffit-il pas pour en faire justice d’observer les êtres qui peuplent le milieu où nous vivons et de nous observer nous-mêmes ? Ne pouvons-nous pas constater que l’intelligence est d’autant plus consciente de son existence et de ses actes qu’elle se déploie avec plus de puissance ? Ne l’est-elle pas plus dans l’espèce humaine et en particulier dans les individualités d’élite que dans les espèces inférieures ? Comment supposer qu’une intelligence dont les œuvres sont infiniment supérieures à celles de l’homme, soit privée de la conscience d’elle-même ?
On voit que si la science a ruiné les conceptions primitives et grossières du Divin, c’est pour les remplacer par un concept religieux bien autrement vaste et élevé. Dieu, com- me elle nous le fait concevoir, c’est une puissance, une intelligence et un amour infinis. Ce n’est pas le Dieu d’un seul peuple et d’un seul monde borné, c’est le Dieu d’un univers sans bornes."

Gustave de Molinari.