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lundi 4 septembre 2023

Le Dieu des mathématiques.

" (...) S’il est difficile de prouver l’existence de Dieu en s’appuyant sur tel ou tel résultat particulier de la science, on peut en revanche soutenir que l’efficacité générale de la science constitue à elle seule un bon argument ! Cela tient à un fait tout à fait mystérieux : l’applicabilité des mathématiques à la réalité physique. Comme chacun sait, ce qui se passe dans l’univers matériel, contingent et temporel, apparaît comme piloté, encadré par ce qui existe, atemporellement, dans le monde immatériel et nécessaire des structures mathématiques. Il arrive en effet que des théories mathématiques, élaborées sans aucun lien avec la science de la matière, s’avèrent constituer –des décennies plus tard- les outils idéaux pour décrire, expliquer et prédire les phénomènes physiques. Dans un article célèbre, le prix Nobel Eugen Wigner s’étonnait de cette « déraisonnable efficacité des mathématiques dans les sciences de la nature ». Car enfin, d’où pourrait bien venir cette correspondance entre les deux domaines ? Comment expliquer que les nombres complexes, inventés à la Renaissance pour résoudre les équations polynomiales, se soient révélés indispensables à la compréhension de l’électricité, puis à la physique des particules ? Plus difficile encore : comment expliquer que Paul Dirac, par exemple, ait pu déduire a priori l’existence d’une nouvelle sorte de particules (les anti-particules), par pure exigence de symétrie et de beauté mathématique ? Une chose est claire : la correspondance entre les mathématiques et le monde physique ne peut pas venir de l’expérience, puisque les théories mathématiques sont élaborées indépendamment d’elle. Et, dans l’autre sens, on ne voit pas comment le monde platonicien des mathématiques –purement abstrait et immatériel- pourrait de lui-même agir sur le monde physique… Quant à invoquer une « heureuse coïncidence », cela paraît peu satisfaisant. En désespoir de cause, Eugen Wigner allait jusqu’à parler de « miracle ». On pourrait tenter une solution radicale, en affirmant qu’il n’existe en réalité qu’un seul monde, le monde mathématique, dont le monde physique ne serait qu’une petite province. Dès lors, plus de problème de correspondance ! Mais cette « solution » n’explique pas comment le monde mathématique –réservoir infini de mondes possibles- aurait le pouvoir de se concrétiser, de se cristalliser en un monde fini particulier. Il manque une médiation. Il ne reste, rationnellement, qu’une solution, et elle tombe sous le sens ; elle tient en deux points. Premier point : le monde platonicien des mathématiques n’existe pas tout seul, il ne flotte pas dans le vide (des idées ne peuvent pas exister sans une pensée) ; il suppose un entendement nécessaire, éternel, infini dans lequel les structures mathématiques sont « logées ». C’était la grande idée de saint Augustin. Second point : si le monde physique, contingent, temporel, est tissé de mathématiques, c’est parce qu’il a été créé par cette intelligence infinie –que nous appelons Dieu- qui a choisi un monde réel parmi l’infinité des mondes mathématiquement possibles. « Aei o Théos géomètrei disait Platon, Dieu toujours géométrise »."
Frédéric Guillaud.