Qui vient d'obtenir la première licence pour établir la
liaison maritime entre Miami et La Havane ? La société "Baja Ferries" de
Daniel Berrebi. Cocorico ! Un vrai Français de souche, conforme au modèle
déposé par les identitaires, s'exporte et fait régner la liberté sur les mers
du globe. Finkielkraut peut ranger ses pilules, l'homme n'est point un
Sarrasin excavé du 9-3 mais un Gaulois pur beurre ; la preuve, Berrebi le dit
lui-même : "Je suis né dans une famille juive à Tunis où j’ai grandi. Je
suis né français de parents et grands-parents français". Auguste
lignée de Berrebi devant laquelle, cerné de tous côtés par mes indomptables
gènes italiens, je ne puis que m'incliner, tirant mon tricorne vénitien à cet
aristocrate de la Soucherie qui initie le grand retour du commerce dans une île
qui en était à peu près préservée depuis une cinquantaine d'années. Comme
disait Mao, "le chemin est tortueux, mais l'avenir est radieux !"
Après l'aventure Berrebi, l'affaire Agnès Saal. Il était
écrit que les juifs tunisiens seraient à l'honneur ces
jours-ci. Évincée de l'INA pour frais astronomiques de taxis, la dame
trouve aussitôt un siège au ministère de la Culture. Et alors ? N'est-ce
pas justice, et mieux que cela : justice mémorielle ? Ses aïeux ont travaillé
dur dans le négoce et la banque tandis que nous nous la coulions douce dans nos
fabriques, nos usines et nos vertes campagnes. Il ferait beau voir que le mérite des
agioteurs ne fût point récompensé, et que de mérites coûteux en mérites
dispendieux, ces gens-là ne parvinssent pas à accéder à une certaine forme
d'impunité.
Je plaisante. Pour tout reprendre à zéro sur ce
sujet, je vous suggère la lecture d'un indispensable livre, best-seller dans
la communauté, que m'a jadis offert un singulier antiquaire parisien, membre d'icelle : Le
Siècle juif de Yuri Slezkine, professeur
d'histoire et directeur de l'Institut d'études slaves, est-européennes et
eurasiennes à l'université de Californie à Berkeley. Je raconterai un jour
comment j'en suis venu à sympathiser avec ce marchand d'art qui m’a fait cadeau du précieux ouvrage sous la statue de l'illustre Voltaire, lors d'un repas
organisé au restaurant du même nom, sur les quais de Seine, dans l’immeuble où
mourut Jacques Vergès.
À propos de l'auteur de Candide, je viens, avant
de rédiger cette chronique, de regarder sur le Net la conférence du 1er avril 2015 donnée par Jean Bricmont sur le thème de la
liberté d'expression "de Voltaire à Chomsky". Organisée à l’université de Grenoble dans le cadre du cycle présenté par le
CORTECS ("Connaissances censurées ? Sciences et liberté
d’expression"), son intervention a suscité une vague d'indignations
chez les belles âmes qui ont proféré des menaces de
sabotage, lancé des tentatives d’intimidation, adressé
une requête pour annulation auprès des instances universitaires.
Ce qui dit Bricmont est intéressant et plein de bonne
volonté. Avec la ferveur du missionnaire, il plaide pour le droit à la liberté
d'expression totale et pour tous ; à l’Américaine, version Premier Amendement. Hélas, Bricmont en est réduit à implorer les autorités de donner la
parole à ceux que la propagande officielle désigne sous le nom d' « assassins
de la mémoire » et de terroristes. Sa démarche revient purement et simplement à
ajourner la liberté. S'il fallait attendre qu'on nous autorise à penser, nous pourrions languir durant des siècles avant qu'un mot non-conformiste daigne s'extraire
de notre petite tête.
Dans les circonstances actuelles (pression du lobby sans nom, forme du régime politique qui
doit s’y soumettre ou mourir), militer
pour l’abrogation de lois que l’on juge à bon droit attentatoires à la plus élémentaire
des libertés revient à faire du pédalo sur le Niagara. On ne peut lutter contre
un tel courant. En conséquence, l'affaire
ne doit pas être à considérer sous l'angle théorique (aspect collectif et juridique) mais sous celui de la pratique (aspect de
la valeur individuelle et de l'éthique). Un penseur ne peut
suspendre sa parole jusqu'à ce que le demos et ceux qui lui tiennent la bride
courte aient décidé d’approuver son droit à faire connaître le bilan de ses
réflexions ; et un historien n’a pas à dissimuler les fruits de son travail parce
que cela déplaît à un pays étranger.
Nous ne devons pas demander à être libres, nous devons
tenter de le devenir, ou bien alors restons dans les rangs de la grande masse
muette qui n'a cure de proclamer la vérité.
Si tout un tas de lois
liberticides sautaient par miracle, la plupart de nos contemporains, si bavards
sous anonymat sur les réseaux sociaux, où ils se travestissent en héros et en
saints alors qu'ils ne sont que des braillards maximalistes, ne parleraient pas davantage qu'aujourd'hui, tenons-nous le pour dit ; et quand bien
même quelques personnes sorties du lot s'exprimeraient avec plus de
décontraction, le système ferait en sorte de les ramener bien vite dans le
droit chemin par le biais de pressions multiples (la mise à l'écart sociale étant
l’option privilégiée).
La loi Gayssot a aggravé la répression contre les révisionnistes, mais cette
répression existait auparavant de mille façons, souvent insidieuses, et l'on n'a
pas vu de manifestations de rue pour soutenir la liberté de la recherche
historique bafouée. La peur, la peur panique, est
paralysante, car tout le monde sait de quoi il retourne.
Il y a des natures qui osent, et puis d'autres qui
n'osent pas et seront toujours tétanisées. Comparable est le parachutisme : face au vide, on
saute ou on ne saute pas.
Pendant ce temps, les islamo-nihilistes, pansés
et soignés en Israël, prennent d’assaut la fabuleuse cité de Palmyre. Il paraît
qu'ils ont une devise : « Moins
je me rase la barbe, plus je rase les villes ». Prions pour que ce joyau
antique fasse exception. Prions aussi pour tout le reste, pendant que nous y sommes.
Mais en ce qui concerne notre liberté : agissons ! Discuter de la liberté sans en user
revient à parler d'amour sans le faire.
Paul-Éric Blanrue