BLOG DES AMIS DE PAUL-ÉRIC BLANRUE --- ARCHIVES, ACTUALITÉS, PROSPECTIVES --- DÉMYSTIFICATION ET CONTRE-HISTOIRE

dimanche 7 novembre 2021

"Chroniques de l'en-bas" : préface de Paul-Éric Blanrue au premier livre (exceptionnel et enivrant samizdat !) de Louis-Egoïne de Large.




Ce livre que Nietzsche eût qualifié d’intempestif ne plaira pas à tout le monde, et c’est tant mieux, car rien ne pourrait davantage déplaire à son auteur ! Louis-Egoïne de Large pratique le « plaisir aristocratique de déplaire », comme l’un de ses maîtres et complices, Charles Baudelaire, qui se faisait fort d’être l’un des grands incompris de ce « stupide XIXe siècle » que vitupérait Léon Daudet, afin de faire enrager les moralistes à la petite semaine, tous ceux d’alors qui avaient payé par la perte de leur honneur la qualité de membre de toutes les ligues de vertu de l’époque où consternation et dénonciation étaient considérées comme la plus haute forme de noblesse qui se puisse imaginer dans les salons. Aussi retrouvera-t-on dans cet ouvrage la plupart des sujets ayant le don d’irriter ignares satisfaits et aigris haineux – et Dieu sait s’ils sont légion par les petits matins blêmes de notre apocalypse qui courent ! 

Par-dessus le marché, Louis-Egoïne de Large traite ses thèmes de prédilection avec brio et décontraction, sans s’excuser ni demander son reste, dans un style tantôt gothique, direct, alerte, punchy, euphorique, glacial, qui se situe dans un univers parallèle, quelque part entre les naturalistes et les auteurs du romantisme noir passés sous le signe de la Croix, dans un coin de galaxie situé entre Joris-Karl Huysmans, les frères Goncourt, Barbey d’Aurevilly et Léon Bloy.  

Rassurons-nous tout de suite, il n’est pas seulement question, dans les lignes qui suivent, de provoquer l’indignation gratuite des sottes gens ou l’ire des belles âmes. D’abord ce serait trop facile, elles sont si fragiles aujourd’hui qu’une aile de papillon voletant hors des sentiers battus suffit à les faire fondre en larmes. Non, Louis-Egoïne est un être authentique, pas un poseur. Malgré ses airs de dandy, il ne frime pas. Il n’est pas un insoumis pour rire. Il tient davantage de Ted Bundy que de George Brummell. Ou mieux : de Francis Heaulme, le serial killer fameux, son fantôme préféré de la place Saint-Jacques de Metz : Sherlock Heaulme, pour brouiller les pistes ! Tout ceci littérairement, s’entend (je ne voudrais pas qu’il soit dérangé en rentrant chez lui au petit matin, au retour d’une soirée arrosée, par une descente de police inopportune, l’empêchant de profiter d’un somme bien mérité).  

Louis-Egoïne a en revanche parfaitement compris d’instinct une chose qui devrait être tatouée sur le front de tout écrivain désirant être libre avant tout : il faut toujours et en tout lieu, à commencer par la page blanche qui nous tient éveillé chaque nuit, oser parler avec franchise, se mesurer à son destin, savoir être « un garçon sans importance collective, tout juste un individu », comme disait Céline, autrement dit écrire comme un être différencié selon la formule géniale de Julius Evola.  

Voilà le plus difficile ! Être un homme singulier et persister dans sa différence avec constance et vigueur. Outre que l’on déplaît à la masse grégaire des conformistes « qui clignent de l’œil » – ce qui n’est jamais grave comme nous l’avons dit – on se montre à découvert, le cœur écorché, à vif, les viscères à l’air, pas toujours sous son meilleur jour, volontiers blafard, se promenant avec une âme de travers soumise aux yeux de la multitude, ne disposant guère de base de repli pour battre en retraite et se défendre contre la Bêtise au front de taureau qui attaque à tout bout de champ ceux qui ne cherchent pas à être habiles mais seulement véridiques. Écrire librement, sans désir de faire carrière dans les salons parisiens ou de montrer sa fraise dans les cocktails, c’est se lancer dans une opération de guérilla, c’est faire de l’action directe et du base jump. C’est prendre de gros risques. Dans ce domaine, il n’y a pas d’assurance. On est seul pour le saut périlleux, sans filet. Pour résister et avancer sur ce terrain miné, il faut être muni d’un solide arsenal intérieur, cultiver un royaume spirituel où son drapeau est profondément planté. 

Ce que le lecteur trouvera réunis dans ce livre ce sont des écrits de jeunesse avec leur part d’innocence cruelle et la naïveté des conquérants. Il ne faut pas s’y tromper cependant : c’est dans ces années de formation que le cœur prend ses couleurs. Le ton adopté s’apaisera peut-être avec le temps, mais il y a fort à parier que la peinture de la vie, des humains et de la société que l’on y trouve brossée ne s’affadira pas au fil des années. On sent à plein nez derrière chaque mot la marque d’un authentique caractère et derrière chaque question posée sous la forme d’affirmations péremptoires la soif inextinguible d’une vérité à trouver, d’une énigme existentielle à résoudre. 

Je sais d’avance les critiques qui seront adressées à l’auteur de cet ouvrage. Ce seront bien entendu ses contradictions, le grand écart qu’il fait entre le Ciel et la Terre (voire les enfers), son admiration partagée pour Simone Weil et Vladimir Nabokov. Comment ? Voici un garçon qui se passionne pour Dieu et qui dévore des yeux, en même temps, sans se gêner, en pleine folie transgenre, woke et #MeToo, la première nymphette qui lui passe sous le nez ! Qu’est-ce que ce schizophrène ? Un fou dangereux à mettre d’urgence sous morphine ? J’aurais pu répondre, comme on disait jadis, pour pardonner leurs dérives aux auteurs sulfureux : mais c’est un poète, voyons. Mais non, mais non, Louis-Egoïne est mieux encore : c’est un être humain, un être vivant ! Avec ses turbulences et ses chamboulements. Sa conscience compliquée, ses repentirs, ses évolutions. Comme tout un chacun ! À la différence près qu’il en assume toute la consistance, qu’il décrit ses tensions, qu’il ne censure pas ses conflits intérieurs ni ses antagonismes métaphysiques. Il les note scrupuleusement. Pour lui. Pour nous, pour notre plaisir. On doit lui en savoir gré. 

Les esprits ayant quelque fond religieux lui trouveront un goût de perversité démoniaque et les athées se gausseront de ses obsessions mystiques, vraiment pas à la mode pour un radis. 

Mais primo, la mode, on s’en fiche totalement. Laissons les athées dans le purgatoire où ils croupissent, en espérant pour eux qu’ils n’éprouvent pas de haut-le-cœur en visitant la Salute de Venise ou la basilique Saint-Pierre de Rome, et intéressons-nous deux minutes aux esprits imbus de religion, qui, sans doute, y verront le plus à redire. 

Louis-Egoïne de Large est un chrétien, et un chrétien spécial en ce sens qu’il n’élude pas ses péchés en public. C’est rare, car quand on écoute nos semblables, en particulier sur les réseaux sociaux, on a l’impression d’avoir affaire à une armée de franciscains en route pour la conversion de l’univers. Louis-Egoïne affronte-t-il ses faiblesses ? Pas tout à fait, à la vérité, il a même parfois tendance à les prendre en affection, à les « romantiser », ou, à tout le moins, à les observer non sans tendresse. Mais il ne se dérobe pas à leurs descriptions. Pas d’escamotage : la liberté va de pair avec la vérité ! « La vérité vous rendra libres », lit-on dans l’Évangile selon saint Jean. Nous y sommes. Avouer son péché, le magnifier même, c'est souhaiter son remède, et c'est donc, à sa façon, désirer la grâce de Dieu. Luther, je crois, a dit cela quelque part. 

Faut-il esquiver ses travers et passer son existence dans la peau d’un autre, comme l’ont fait tant de chrétiens masqués, à l’instar de Julien Gracq, Claudel ou François Mauriac ? Louis-Egoïne ne le pense pas, et je suis d’avis qu’il a mille fois raison.  

La chair est faible ? Quelle découverte ! Relisons les Confessions de saint Augustin et la vie de Charles de Foucauld ! Tout y est. Nous sommes tels des anges déchus, tombés dans la matière, des produits de chair, d’os et de sang. La belle affaire ! 

À ce propos, écoutons C. S. Lewis, qui s’est converti au christianisme sous l’influence de J. R. R. Tolkien et de G. K. Chesterton, ce qui n’est pas de la gnognotte, jusqu’à devenir l’un des principaux apologistes chrétiens de la première moitié du XXe siècle : « Quiconque estime que les chrétiens considèrent l’impudicité comme le vice suprême a complètement tort. Les péchés de la chair sont les moindres de tous. Les pires jouissances sont toutes purement spirituelles et se caractérisent par le plaisir de mettre autrui dans son tort, de régenter, de patronner, de jouer les trouble-fête, de médire, de se complaire dans les plaisirs du pouvoir et de la haine. ». Notre bon C. S. Lewis poursuit : « Le christianisme est presque la seule religion qui exalte le corps, qui croit que la matière est bonne et que Dieu lui-même revêtit une fois le corps humain ».  

De fait, si la matière est intrinsèquement mauvaise, s’il faut la rejeter dans les ténèbres extérieures, pourquoi diable (si je puis dire) Dieu s’est-il fait homme, et pourquoi est-il ressuscité après être passé par la mort où il se trouvait si bien puisque redevenu être pur ? Excellente question que peu de catholiques, obsédés à l’envers par le sexe, se posent ! Si Dieu nous a donné un corps et nous en promet la résurrection, c’est en partie pour notre bonheur. Si Dieu est passé par Marie, par l’intermédiaire bien connu du Saint-Esprit, pour offrir son Fils aux hommes au lieu de le faire descendre tout frais d’une soucoupe volante, c’est sans doute qu’il existe une solide raison à cela ! N’oublions pas que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu », comme le disent saint Irénée, saint Athanase, saint Grégoire de Naziance et saint Grégoire de Nysse, et que cette idée fantastique hélas peu développée dans nos églises d’Occident représente la véritable essence du christianisme : la transfiguration finale de la matière et la glorification de la chair. 

Les cathos puritains seraient-ils devenus gnostiques ? Parlons-en ! Les gnostiques qui se sont de tout temps opposés à la doctrine voyant le salut par la matière, que disent-ils ? Pour eux, seule compte l’étincelle d’esprit qui se trouve dans tout homme. C’est merveilleux. Tout le reste est à bannir. C’est déjà moins fun. Depuis la Chute, la matière est donc à jeter aux ordures. Mais attention, le Prince de ce monde a plus d’un tour dans son sac, et c’est au nom de la malédiction de la matière dans laquelle le premier couple est tombé à cause du péché originel que les gnostiques les plus radicaux, considérant que tout est vicié, que l’aliénation est universelle et qu’il faut être un insoumis total dans cet univers enténébré, ont joué le tout pour le tout et mené une révolte cosmique. C’est ainsi que le plus ancien d’entre eux, Simon le Mage, qui affirmait être le Soleil et son épouse Hélène, ancienne prostituée, la Lune, énonçait que c’est de leur nouveau couple sacré, faisant l’amour dans l’union libre des étoiles contre les commandements d’un démiurge qu’ils exécraient, qu’allait être rétabli l’ordre premier : il annonçait le retour du paradis sur terre par la débauche extatique et l’orgie sacrée ! Le grand déconditionnement par la négation de la négation ! Basilide, Valentin, Ptolémée, Carpocrate reprendront sa pensée contestataire et militeront pour l’amoralisme et l’assouvissement des pulsions, manière mystique de s’affranchir des entraves matérielles et de tuer la mort humaine, trop humaine, pour s’en délivrer afin de s’envoler vers un ciel d’absolu néant, sous la forme d’un libre esprit délesté de toute particule terrestre. « Qui veut faire l’ange fait la bête… » 

Bref, prenez-la comme vous voulez, la chair est là, il faut faire avec. Même aux yeux de Luther, ce grand obsédé sexuel devant l’Éternel, « la chasteté a aussi son impiété », qui réside dans l'importance qui lui est attribuée. En somme, si vous n’êtes pas des saints, contentez-vous de ne pas juger, vous gâcheriez votre plaisir. Appréciez ce livre pour ce qu’il est : le dévoilement de la vie intérieure d’un homme de style en voie de libération. 

Comme le disait encore C.S. Lewis : « Personne, d’après l’expérience des sens, ne peut nier qu’être amoureux est bien meilleur que la sensualité commune ou l’égocentrisme glacé ». Soyons donc amoureux ! Ce qu’on accomplit par amour se situe toujours « par-delà le Bien et le Mal », comme l’a diagnostiqué avec justesse le docteur Nietzsche. Pauvres vertueux vantards qui se placent sous le signe de l’orgueil en jugeant maladivement tout et tout le monde, vice essentiel, mal suprême, début de la ruine spirituelle, et qui voient tout avec leur œil de cyclope embué par la moraline !

Paul-Éric Blanrue

  

COMMANDEZ : https://www.aucommencementetaitleverbe.fr/product/achat/