Lettre ouverte à Yann Moix,
en souvenir de Sacha
Guitry, Charles Péguy et Robert Faurisson
Paris, le 28 août 2015.
Mon cher Yann,
Te souviens-tu du début des années 2000 ? Tu
étais prix Goncourt du premier roman pour un livre que seuls de vieux cons
avaient aimé, et moi je finissais mon cycle de dix ans de yoga zététique avec Henri
le Niçois, qui avait fait son temps. Courant d’une émission l’autre, on se
croisait parfois dans les couloirs de la maison de la Radio sans jamais s’adresser
la parole. Ton crâne préhistorique ne prédispose pas au bisou baveux et la
morgue que j’affiche envers les bons élèves du système nous offrait peu de
chance de nous asseoir l’un à côté de l’autre pour discuter de l’air du temps et
de la révolution qui vient.
Mais il y eut la nuit. Et à Paris, la nuit
est un autre jour ! Tentant de rattraper des années perdues à tournoyer avec les
feuilles mortes dans les brumes automnales des marches de l’Est, je m’étais
transformé en rapace nocturne. Ce soir de 2001, j’avais été convié à un raout
privé, une sauterie parisianiste “littérature et pique-assiette” dans une boîte
chic située à deux pas du Palais-Royal. Comme je n’aime pas perdre mon temps,
j’avais aussitôt entrepris d’accoster deux apothéotiques Noires qui se
déhanchaient sur la piste de danse telles des panthères narguant un safari, face
à un Arno Klarsfeld ébouriffé et quelques noceurs en sueur, quand je vis accoudé
au bar une espèce de Néandertalien semblant se raser sec en compagnie de
lui-même : ce n’était autre que toi, mon Yannou !
Sur divers forums du Net, j’avais eu
l’occasion d’écrire sans me brider ce que ton personnage m’inspirait. Après une
courte expertise de ton cas, il en résultait que je ne te savourais guère ; en
outre, l’un de tes passages dans l’émission “Tout le monde en parle” de Thierry
Ardisson au cours de laquelle tu avais répondu de but en blanc à des questions
dont tu connaissais manifestement la teneur à l’avance ne m’avait franchement pas
plu. C’était une manière facile et vulgaire de briller ; je méprise les artistes
qui trichent tandis que j’apprécie la spontanéité en toute circonstance. L’occasion
était en or : je délaissai provisoirement mes trémoussantes beautés africaines
pour venir t’exposer en face mon appréciation de ta vie et de ton oeuvre :
- Salut ! Je n’aime pas du tout ce que vous
faites !
Tu posas ton verre sur le comptoir et me
dévisageas d’un air intrigué. Prenant garde de ne pas créer un scandale inutile
qui m’aurait valu une fâcherie avec les demoiselles court-vêtues dont je venais
de vanter l’érudition, j’avais pris soin d’afficher mon plus large sourire ; provocateur,
oui, mais magnanime ! Interpellé, tu pris ma remarque tranchante pour ce
qu’elle était au fond : une manière originale d’engager la conversation autour
de minuit. Tu t’enquis de mon nom. Ton visage rayonna soudain. Blanrue ! Ah, sacré
Blanrue ! C’était donc lui, ce fichu troublemaker !
Je n’étais pas un inconnu dans la maison. Marc-Édouard
Nabe alors en exil à Patmos, en Grèce, pour écrire un espéré chef d’oeuvre, Nabe
notre vieil ami commun que nous fréquentions à tour de rôle rue de la
Convention, Nabe, l’amant de la Déesse aux yeux pers t’avait confié peu de
jours auparavant par téléphone tout le bien qu’il pensait de ma modeste personne
(c’était une autre époque !). Pour toi, l’auteur du Régal des vermines était un
demi-dieu, un classique vivant de la littérature française, dont la moindre phrase
jetée à l’écrit comme à l’oral valait à elle seule plus que toute l’oeuvre intégrale
reliée en cuir pleine-peau de BHL, même si ce dernier t’avait pris sous son
aile protectrice depuis tes vingt ans après la singulière comédie que tu lui avais
jouée sans honte en bon Rastignac orléanais que tu es.
Tu me concédas sans peine qu’à ce jour tes
rédactions imprimées ne valaient pas tripette à tes propres yeux et tu t’en
trouvais fort marri. Être apprécié par des ploucs pour des numéros de
claquettes médiatiques ne te satisfaisait pas, tu voulais à tout prix que l’on
te louangeât pour ton génie auquel tu commençais à croire depuis que ton
éditeur Jean-Paul Enthoven t’avait assuré que tu en possédais un grain. Tu proclamas
fièrement que tu travaillais d’arrache-pied à un projet d’ampleur, agrémenté d’un
style nouveau, inspiré non plus, comme tu en avais coutume, de celui de Marcel Proust
mais de celui de Frédéric Dard. Tu désirais te lancer dans le feuilleton populaire.
San Yannantomoix ! Si tout se passait comme prévu, tu étais bien décidé, et à
raison, de réaliser un blokcbuster grâce
à ce filon, avec Benoît Poelvoorde dans le rôle-titre. Quel défi !
Il ne faut pas que j’oublie de signaler
qu’au cours de cette première discussion, j’avais sorti de la poche intérieure
de ma veste aussi noire que ma chemise un objet kitch que je venais de chiner
dans un tabac de la place San Stefano à Venise : un briquet portant l’effigie
du Duce. Dire que tu t’en effarouchas serait très exagérément ternir la vérité
! Ce truc rigolo fut au contraire l’une des attractions de la soirée, l’autre
étant le décolleté pigeonnant de nos fraîches amies que nous reluquions sous
les volutes de fumée tels des lions affamés (chose assez logique au demeurant
car la devise collée sur le briquet n’était autre que : “Meglio vivere un
giorno da leone, che cento anni da pecora”[1]).
Je te présentai l’une de mes neuves et
provisoires conquêtes - car avant d’être un “prédateur sexuel”, comme je l’ai
lu récemment dans Closer, tu étais en
ce temps-là incapable d’adresser la parole à une inconnue, et longtemps je fis
la navette entre toi et la grisette -, et quelques jours plus tard tu me fis
lire une version tapuscrite de ton roman Podium,
m’assurant que j’étais le premier lecteur dont tu réclamais la vigilante
critique. Je fus aussitôt saisi d’admiration et te félicitai chaudement ! Ce
n’était pas du Céline, bien sûr ; toutefois il y avait dans les lignes que
j’avais lues de la verve, du rythme, des intonations berurières, un bon paquet
de joyeuses trouvailles et de tournures innovatrices. Bien mieux, il y avait
une patte ! Tu avais réussi ton pari : se faire tordre de rire ton lecteur en
le tenant en haleine moyennant une histoire construite autour d’un thème sociétal
qui passionnait le populo du début du millénaire, les sosies de vedettes. Je me
moquais pas mal de Claude François et de ses tubes tartes, mais la manière dont
tu traitais le sujet changeait délicieusement de l’atmosphère cucul de tes poussives
Jubiliations vers le ciel ! Les
compliments non feints provenant d’un lecteur aussi difficile à contenter que
moi te touchèrent au coeur.
Nous devînmes proches, puis, notre passion
commune pour Charles Péguy aidant, amis et intimes, passant, durant des années,
la plupart de nos après-midis ensemble ainsi que les fêtes de fin d’année. Rationaliste
mais superstitieux, il te prit même de me considérer comme un porte-bonheur :
un Nouvel An en ma compagnie était, disais-tu, gage de réussite professionnelle
pour les douze mois suivants ! Te souviens-tu de celui qui eut lieu dans mon
appartement du 18e arrondissement où, avec Laurence Remila, nous passâmes le
réveillon à traquer sur le Net d’anciennes couvertures de Blek le Roc ? On m'a informé que Laurence est depuis devenu rédacteur en chef de Technikart et que tu t’es laissé aller dernièrement, lors d’une interview, à
répandre des méchancetés sur mon compte.
Ce n’est pas joli.
Nos discussions tournaient principalement
autour des filles (draguées, manquées, aimées, épuisées!), de Sacha Guitry (que
je te fis connaître malgré tes réticences avant l’un de tes départs pour le
Brésil), de Marcel Baudouin, Céline, Carl Barks, Georges Cziffra (à la science pianistique
duquel je t’initiai), Cosmo Kramer et George Costanza, Martin Heidegger, Larry David, Ricky Gervais, Hitler, Maximin Giraud
dit Mémin, Kennedy, Christian Godard, Gérard Majax et Sylvain Gary, Benny Lévy,
Fernandel, Lucien Rebatet, Alphonse Daudet et Paul Arène, Chesterton et Hilaire
Belloc, et puis de nos villes d’élection São Paulo et Venise, de
l’intégralité des émissions d’ “Apostophes” et des “Archives du XXe siècle”
disponibles sur l’INA, et encore de tout le petit monde étriqué de l’édition
que tu exécrais tout comme moi.
Il faut être sincère : j’ai rarement vu
quelqu’un ayant la tête aussi peu politique que toi. De toute évidence, tu
n’étais pas un vitupérant gauchiste, puisque Le Pen ne te déplaisait pas, mais tu
étais dénué d’idéologie et de parti pris dogmatique. À tel point que certains des
sujets délicats que j’abordais en exerçant ma liberté sans complexe faisaient
briller tes yeux comme des De Beers. En t’observant, on pouvait parier que ce n’est pas dans les locaux
de La Règle du jeu que tu en entendais
de pareilles ! Je mentirais si je disais que le souvenir du fameux briquet de
la République sociale italienne était absent de nos conversations. Je crois
bien qu’il finit par atterrir dans ta poche. Qu’en penses-tu ? Comptes-tu me le
rendre un jour ?
Je m’amusais souvent à t’expérimenter, te conduisant sur un terrain glissant, t’encourageant
par mes remarques enthousiastes à suivre le cours de tes réflexions devenues sulfureuses
malgré toi ou te lançant des perches afin de t’inciter à sauter plus haut que
tu ne l’eusses fait sans ma pernicieuse présence - un saut périlleux que tu parvenais
souvent à réaliser à ma grande joie (et à la tienne) !
En quelque sorte, j’étais devenu ta bonne
conscience : tout ce qui t’était interdit de dire en public du fait de ton
statut d’israélophile encarté et de tes relations bobos castratrices, tu me le
lâchais en privé ou me le faisais assumer en riant à gorge déployée à mes tirades
transgressives. Docteur Yann et Mister Moix ! Je t’offrais la possibilité de
vivre quelques heures par jour la vie que tu aurais voulue mener si la Shoah
n’était pas devenue une religion et d’exprimer en cachette les propos que tu
aurais aimé tenir si tu n’avais pas choisi la voie du succès contre le monde du
silence.
Par surcroît, j’étais un témoin insigne de
ton être intérieur, te permettant de t’endormir chaque mauvaise nuit en pensant
qu’il existait au moins un type sur terre comprenant qui tu étais vraiment, sachant
ce que tu pensais au fond de toi quand tu cessais d’être un schizophrène de
profession et que tu ne t’abîmais pas dans des capucinades échevelées inventées
pour satisfaire tes mentors et tes mécènes ou impressionner un fade public, les
branchés sans électricité et autres demi-soldes de la culture. Beaucoup de nos
relations communes te prenaient pour un mou salaud, un opportuniste ayant vendu
son âme au diable pour réussir dans le métier, mais ce bon vieux Blanrue savait
que ton âme n’était pas si noire qu’elle paraissait et n’ignorait pas, en vrai
zététicien, que certaines apparences sont trompeuses ! Je contribuais ainsi à
te sauver à tes propres yeux, et, un
jour, peut-être l’espérais-tu, devant l’histoire (c’est ce que je suis en train
de faire en ce moment-même).
Ai-je dit que je t’avais également chuchoté dès
l’origine que j’étais un ami personnel de Robert Faurisson ? Non ? Alors c’est
le moment de rappeler cette histoire à ton bon souvenir, ne crois-tu pas ? Rencontrant
régulièrement le professeur à Vichy ou lors de ses venues dans la capitale, correspondant
avec lui au quotidien par e-mail, je n’ai jamais été, tu l’admettras, du genre
à me cacher devant toi de la proximité que j’entretenais avec cette sulfureuse personnalité
qui avait, d’ailleurs, peu de secrets pour toi (nous en reparlerons un jour,
dans mes mémoires, si Dieu me prête vie). Je ne suis pas cachotier et m’épanche
sans souci sur cette affaire du moment qu’on me le demande gentiment. Or non
seulement tu me le demandais, mais tu en redemandais, mon Yannou, et combien goulûment
! Qui en était ? Qui n’en était pas ? Ça te passionnait ! C’était amusant, n’est-ce
pas, de deviser de la Chose interdite entre toutes, confortablement assis à
l’ombre des platanes des Hortensias en fumant un D4, entre une blague sur les “chtrols”
et un panégyrique de Mylène ou d’Elsa ? Yann Moix, bras droit de BHL, s’exposant
chaque jour en terrasse avec un proche de celui que ses employeurs sionistes et
toute la France officielle tenaient pour le parfait salaud, l’homme à abattre,
l’assassin toutes catégories confondues de la Mémoire, l’immonde raclure dont
le nom ne devait jamais être prononcé sous peine de mort sociale, ça avait de
la gueule ! On les emmerdait bien, pas vrai ?
Je dois admettre que jamais il ne te prit l’idée
de me recommander la discrétion à ce propos. Peut-être pensais-tu que j’étais
aussi apeuré que toi à l’évocation publique du révisionnisme et considérais-tu que
tu étais le seul de mes amis à obtenir de moi des confidences d’une si étrange
nature. Je me rendais bien compte que tu changeais brutalement de sujet lorsque
l’une de tes relations professionnelles, oeil torve, bouche lippue et
bas-du-cul, déboulait à notre table ; j’avais déjà noté chez toi une propension
certaine à la lâcheté. Ce nonobstant, je me souviens qu’un jour, tu m’assuras
que si par malheur l’on me lynchait en raison de ce voisinage scandaleux, je
pouvais compter sur toi, craché, juré. Tu répétas à plusieurs reprises, pour te
convaincre toi-même sans doute, que tu demeurerais fidèle à notre amitié même
si le ciel d’Israël venait à se fracasser sur ma pauvre tête de goy vénitien
privé de ghetto.
Je ne te crus pas ; la préface que tu consentis
à écrire pour Le Monde contre soi –
Anthologie des propos contre les juifs, le judaïsme et le sionisme paru aux
éditions Blanche en 2007 me fit penser, un moment, que je t’avais soupçonné à
tort d’être le porteur d’une paire de couilles en verre de Murano. Hélas, l’avenir
donna raison à mon instinct.
Il y eut pour commencer l’affaire de la
pétition contre la loi Gayssot en 2010. Nous avions longuement parlé de cette
dégueulasserie liberticide et tu partageais mon sentiment, mon exaspération. Le
Parlement n’a pas à écrire l’histoire, punto
finale ! Dans aucun pays totalitaire, jamais, une telle loi n’avait été
osée ; les dictateurs les plus sanguinaires eux-mêmes, de droite comme de
gauche, n’y avaient point songé. Mais depuis le 13 juillet 1990, dans le pays
de Voltaire et de Céline, à cause d’un député stalinien et d’un Fabius aux mains
sanglantes, tout opposant à cette foutue législation était tenu pour un
partisan du génocide ! L’histoire n’était plus libre mais cadenassée, la pensée
était verrouillée sans que personne ne réagisse. Pour fissurer le mur du
silence et de la peur, je m’étais juré de monter un jour au créneau, au risque
de me prendre une flèche dans les côtes et de briser dans l’oeuf ma carrière
historique, littéraire et cinématographique. Connaissant le fond de l’affaire,
tu m’avais approuvé sans réserve.
L’emprisonnement de Vincent Reynouard au
mois de juillet 2010 me décida de franchir le pas. Le 10 août, je lançai la
pétition sur Internet, une première dans l’histoire. Pour ne pas mettre les
signataires dans l’embarras et rester neutre, j’avais tenu à spécifier qu’il ne s’agissait pas “de soutenir les idées de Vincent
Reynouard mais de défendre son droit à les exprimer”.
Je me consacrai seul à cette mission durant des mois. Je fis le tour de mes
relations : Jean Bricmont fut le premier à m’apporter son amical soutien. Noam
Chomsky nous appuya ; le cofondateur d’Apple Steve Wozniak, des libertaires, des gauchistes, des journalistes comme ton vieux
pote Dominique Jamet, et bien sûr des révisionnistes, tous m’adressèrent leur paraphe
sans barguigner. Jour après jour, je te tins informé de l’évolution de
l’affaire. Ah, ça t’aguichait !
Devant cette vague montante de protestations,
je te sentais de plus en plus détendu et enhardi. Il était patent que BHL et sa
cour de laquais te sortaient par les narines et qu’à quarante piges tu ressentais
la marque du collier comme une injure faite à ta qualité d’être humain. C’était
pour toi l’occasion rêvée de leur faire la nique et de t’évader de la prison
dorée dans laquelle tu croupissais, avec vue imprenable sur la mer Morte.
Je n’osais y croire, mais je jouais le jeu et
te fis faire de bonne grâce le tour de quelques-uns de mes soutiens. Tu tins à
rencontrer Dieudonné à qui j’avais naguère présenté Faurisson. Je fis les
présentations lors d’un dîner qui se déroula au théâtre de la Main d’Or, le 31
juillet 2010. Tu avais ri aux éclats en assistant à son spectacle “Mahmoud”,
dans lequel un sketch hilarant porte sur un faurissonien pleutre éprouvant une
telle trouille d’être placé sur écoute qu’il suspecte un chat de l’espionner.
Pas une seconde je ne t’ai senti gêné, réticent, sur tes gardes. Après le show,
entre toi et Dieudo le courant passa immédiatement au point que tu insistas, levant
ta coupe de champagne, pour lui décerner un brevet d’anti-antisémitsme et le
féliciter chaleureusement de son talent dépourvu du moindre soupçon de haine.
Je te mis également en rapport avec mon avocat,
Maître John Bastardi Daumont, de Nice, qui
avait rassemblé, depuis qu’il avait fait relaxer Faurisson pour l’affaire du
Zénith, une abondante documentation critique sur la loi Gayssot, perforant et
creusant chacune de ses failles. Tu étais tellement emballé que tu voulus l’inviter
lors d’un congrès de l’UEJF afin qu’il y expliquât les précieuses raisons devant
inciter tout homme doué d’intelligence à rejeter la turpide loi communiste. Ce
dessein ne vit pas le jour. Pourquoi ?
Parce que, mon Yannou, lorsque je publiai à
l’automne la liste des noms des premiers signataires de ma pétition, liste sur
laquelle figurait le tien, tu te déballonnas dans un bruit de coussin péteur. Dans
les moments de peur panique, on devient vite couard, et tu ne fis pas exception
à la règle. Félonie pour félonie, autant aller au bout et dénier à son cerveau
la possibilité d’avoir eu de coupables pensées ! Tu ne pris pas même soin de
m’appeler personnellement, comme un grand garçon, pour m’exposer les raisons d’une
dérobade que j’eusse pu comprendre ; non, tu fis les choses à distance, par
l’intermédiaire de la petite Maria, ta fiancée canal historique que tu avais propulsée
secrétaire de BHL. Cette jeune et pimpante Brésilienne, que j’avais aidée jadis
à obtenir la nationalité française, me récita avec maladresse la leçon d’épouvante
que tu lui avais apprise, laquelle fit à mes oreilles le bruit d’une vesse de
truie :
- Paul-Éric, Yann n’a pas pu signer ta
pétition, toute sa vie est consacrée à la lutte contre l’antisémitisme !
La forme que prit ta méprisable fuite me
sidéra. Se tapir dans le plus blanc des silences, engager un fusible féminin
pour m’attendrir, tout ce mauvais cinoche de planqué pour ne pas oser affronter
mon regard : quel écroulement moral ! Quel effondrement ! Tout fut bon pour
assurer ta défection en rase campagne. Plutôt passer pour le roi des poltrons que
d’avoir à m’expliquer que tu avais fait sous toi.
Comme tu avais touché le fond, tu ne t’arrêtas
pas à ce niveau d’indécence. Tu n’avais plus rien à perdre. Tu devais tout brouiller
et transformer l’histoire en la retournant comme une chaussette. Devenir en
quelque sorte négationniste ! Tu entrepris d’inverser les rôles. Puisque tu
n’étais pas l’imposteur, il fallait bien qu’il y en eût un, et il était tout désigné
: moi !
Le 2 novembre tu
rédigeas "une mise au point" sur le site de La Règle du jeu dans laquelle tu racontas - espèce de ladre - que je
t’avais piégé. Piégé ! “J’ai été contacté il y a quelques jours au
sujet d’une pétition contre la loi Gayssot dont Robert Badinter devait être le
signataire vedette. On m’a promis un Robert (Badinter) mais, hélas, j’ai
découvert un tout autre Robert, in fine, sur la liste : Faurisson !” écrivis-tu.
Sous la
pression de ton entourage israélien, le trouillomètre était remonté de
plusieurs degrés. La maison BHL tremblait sur ses fondations.
Tu
poursuivais ton articulet en ces termes :
”Je n’admettrai d’aucune manière
(…) que mon nom figure sur une pétition signée par M. Faurisson ou par quelques
autres sires de moindre notoriété mais de même acabit. Je n’accepterai jamais
(…) que mon nom soit associé à quelque démarche visant, de quelque manière que
ce soit, à réhabiliter ou banaliser le révisionnisme.”
Tout le
monde ne tomba pas dans le panneau. Surpris de ta réponse qui avait une odeur
de couche-culottes pleines, les journalistes Abel
Mestre et Caroline Monnot, du blog Droite(s) extrême(s) du Monde, menèrent une enquête dont voici la conclusion : “Le problème est que la vérité semble
différente. En effet, vérification faite avec Google-cache (la mémoire du
moteur de recherche), une phrase figurait initialement dans le papier de Moix
expliquant son opposition à la loi Gayssot. Or, cette phrase primordiale a été
retirée depuis. La voici: "J’ai
signé une pétition en ce sens, sur laquelle figurent évidemment, figurent
logiquement, mes pires ennemis et les ordures les plus avérées". Cette phrase tendrait donc à montrer
que contrairement à ses assertions, M. Moix connaissait l'identité de certains
signataires de cette pétition.” Et parmi ses signataires : Robert Faurisson,
dont il disait n’avoir jamais vu le nom au côté des autres !”
Durant un an, nous ne nous adressâmes plus
la parole. À quoi bon reprendre une discussion qui n’avait pas commencé ? De
mon côté, je me doutais que tout essai d’éclaircissement de ta part ne me
convaincrait oncques. J’avais reniflé derrière tes phrases auto-justificatrices
un goût de mort. Et puis il y avait trop de mauvaise foi dans tout cela.
Vint septembre 2011, mois où sortit officiellement
sur le Net le documentaire que j’avais réalisé sur Faurisson un an auparavant. Tu
en étais bien informé, à nouveau, puisque c’est toi qui m’avais donné l’idée du
titre avant notre querelle. Nous avions d’abord espéré en faire un livre. À cet
effet, tu m’avais présenté à Philippe Sollers au bar du Montalembert, à côté de
Gallimard, dans l’espoir qu’il tentât avec moi un coup à la Jonathan Littell
sur lequel j’avais publié une étude chez Scali. Les temps étaient mûrs, pensions-nous.
Mais le jour dit tu n’osas pas franchir le Rubicon et j’en restai à conseiller
au directeur de L’Infini qui fixait
le fond de son verre de J&B en comprenant mal ce que je foutais là, la
lecture d’une excellente interview de Mahmoud Ahmadinejad dans Newsweek.
Ce film unique en son genre était la suite
logique de ma pétition. Je t’avais envoyé des photos du tournage à Vichy en
temps réel, en particulier les lieux d’habitation et de travail de ton héros François
Mitterrand, le Florentin champion du monde de retournements de veste. La
chemise rose que portait le professeur lorsque je l’interrogeai dans les rues
de l’ancienne ville de l’État français t’avait beaucoup plu.
Le temps avait passé : ce documentaire aurait
dû sortir en DVD, mais le sort en décida autrement et il figurait désormais,
sous-titré en plusieurs langues, dont l’arabe et le croate, sur un site dédié.
Le 5 octobre 2011 je t’en fis parvenir
l’adresse URL. Tu me répondis comme si nous nous étions quittés la veille. La
tension était retombée. L’anecdote portant sur le surnom dont le jeune
Faurisson était affublé (“Menon”) te fit bien rire. Je te proposai d’en causer en
terrasse de notre café habituel, en compagnie d’un havane. Tu acceptas derechef.
- On parlera de ton documentaire qui est
vraiment très bon. Enterrons la hache de guerre, lanças-tu.
Nous nous revîmes sans évoquer notre
mésentente. La faute était oubliée, loin derrière nous. Le ressentiment n’est
pas mon genre (mais la justice, si).
- Il reste 5 heures de rushes, j’attends
qu’un producteur israélien me donne 10 millions pour lancer le DVD complet, te
dis-je.
Nous rîmes de bon coeur, nous moquant, moi
de l’Iran, toi d’Israël. C’était reparti comme au bon vieux temps !
Jusqu’au printemps 2013, où tu m’annonças au
même endroit et d’une voix terne que tu ferais “tout, absolument tout” pour
obtenir le prix Renaudot. Je compris aussitôt ce qu’il allait advenir. Six mois
plus tard tu l’obtenais pour ton roman Naissance
(Grasset), à la genèse duquel j’avais assisté, étape par étape. Contrairement à
la coutume, je ne figurais pas dans les remerciements. Dieu sait pourtant que
j’étais drôlement présent, et sous diverses espèces, dans ce gros livre à
moitié raté qui malgré le tapage n’a pas dépassé les 40 000 ventes. Nous y
reviendrons tôt ou tard…
J’apprends que tu prétends désormais à qui
veut l’entendre que nous ne nous sommes pas revus depuis notre brouille
pétitionnaire de 2010. Il paraît aussi
que tu fais courir le bruit que j’aurais passé un an en Iran. Pour devenir
mollah sans doute ?
V’là-t’y pas qu’avec l’ambition la panique
te reprend !
Je possède tellement de preuves du contraire
de ce que tu affirmes que tu as perdu d’avance la bataille du mensonge, si bon
joueur d’échecs sois-tu.
Te comparant à Nabe, parangon d’égotisme, tu
m’as dit une fois en sortant du 25 ter route des Gardes à Meudon, après m’avoir
présenté à Lucette Destouches, veuve Céline:
- On peut me blâmer tant qu’on voudra, il n’empêche
que moi je suis un bon camarade !
C’est vrai, tu fus un bon camarade. C’est
pourquoi je ne te laisserai pas tomber entre de vilaines mains.
Arrivederci, amico mio !
Le citoyen Blanrue.