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samedi 13 septembre 2025

La démocratie, le dieu qui a échoué.




L'ouvrage essentiel de Hans-Hermann Hoppe, Démocratie, le dieu qui a échoué, publié en 2001, est une critique radicale et controversée de la démocratie, souvent considérée comme un tabou à notre époque. Traduit en français vingt ans après sa parution, ce livre se distingue par sa rigueur logique et son approche de l'économie autrichienne, offrant des clés de compréhension des problèmes contemporains. Hoppe y met en cause la croyance en la supériorité du système démocratique, le comparant défavorablement aux régimes régaliens et expliquant pourquoi la démocratie peut entraîner des conséquences néfastes. Son travail l'a établi comme un leader de la pensée libertarienne radicale et du véritable "anarchisme de droite".


Pour Hoppe, la civilisation occidentale est sur la voie de l'autodestruction en raison de l'étatisme et de la démocratie. Seule une transformation radicale vers l'anarchisme de propriété privée, la dé-démocratisation de la société et la réaffirmation des droits de propriété et des familles comme sources de civilisation, peut empêcher une catastrophe économique et sociale.

L'un des thèmes centraux de l'ouvrage est l'étude comparative de la monarchie et de la démocratie. Hoppe propose une révision de la vision dominante des monarchies héréditaires traditionnelles, offrant une interprétation inhabituellement favorable de l'expérience monarchique. Cette structure favorise une orientation vers l'avenir et une préoccupation pour la valeur du capital. Le dirigeant peut transmettre ses possessions à son héritier, ce qui l'incite à préserver la valeur de son domaine. De plus, la distinction claire entre gouvernants (le roi et la noblesse) et gouvernés sous une monarchie permettait une conscience de classe aiguisée chez ces derniers, modérant les politiques internes et externes de l'appareil étatique. Les monarques, étant propriétaires du domaine étatique, étaient incités à une fiscalité et à des guerres modérées. Historiquement, jusqu'à la fin du XIXe siècle, la part des recettes publiques sous les monarchies est restée remarquablement stable et faible, rarement au-delà de 5% à 8% du revenu national. Les rois étaient considérés comme soumis à la loi préexistante, agissant plutôt comme juges.

À l'inverse, Hoppe présente la démocratie et l'expérience démocratique sous un jour atypique et défavorable. L'appareil démocratique est reconstruit comme un appareil de propriété publique, où le dirigeant (président) peut utiliser l'appareil étatique à son avantage personnel mais n'en est pas propriétaire. Il ne peut ni vendre les ressources étatiques pour en empocher les recettes, ni transmettre de possessions étatiques à ses héritiers. En conséquence, un président cherchera à maximiser le revenu courant, sans égard pour la valeur du capital, car ce qu'il ne consomme pas maintenant, il pourra ne jamais le consommer. L'absence de prix de marché pour les ressources étatiques rend le calcul économique impossible, ce qui conduit inévitablement à une consommation continue du capital. Cette orientation vers le présent (préférence temporelle élevée) est révélée comme un fait décivilisationnel majeur du XXe siècle.

La transition historique de la monarchie à la démocratie est interprétée comme un déclin civilisationnel. Initiée par la Révolution française et américaine, et ancrée en Europe après la Première Guerre mondiale, cette transformation a vu l'élargissement systématique du droit de vote et l'accroissement des pouvoirs des parlements élus. Depuis 1918, pratiquement tous les indicateurs de préférences temporelles élevées et d'exploitation étatique ont montré une tendance systématique à la hausse.

Les conséquences néfastes de la démocratie sont multiples :

Destruction de la propriété et redistribution : la démocratie est décrite comme une "grande machine de redistribution populaire de richesses et de revenus". Le principe "un homme-une voix" combiné au libre accès à l'État démocratique transforme la société en une "tragédie des biens communs" où les majorités de "non-possédants" cherchent à s'enrichir aux dépens des "possédants". Cela conduit à une réduction de l'incitation à être propriétaire ou producteur, et à une augmentation du nombre de "non-possédants". Cette redistribution ne se fait pas toujours des plus riches aux plus pauvres, mais souvent au sein des groupes "non-pauvres", où les plus aisés réussissent à se faire subventionner par les plus démunis (par exemple, l'enseignement universitaire "gratuit" financé par la classe ouvrière). Les dirigeants démocratiques sont incités à promettre des privilèges à des groupes pour assurer leur réélection, ce qui favorise l'égalitarisme.

Croissance de l'État et de la dette publique : le monopole de la contrainte et de la taxation de l'État démocratique conduit à une exploitation accrue. La dette publique est plus élevée et augmente plus vite sous des conditions démocratiques, car les "gardiens" démocratiques ne subissent pas la perte de valeur du capital liée à l'endettement comme les monarques. L'emploi public augmente également, attirant des personnes avec une préférence temporelle élevée.

Inflation et destruction monétaire : la démocratisation a entraîné la destruction de l'étalon-or, une inflation sans précédent de la monnaie papier, et un renforcement du protectionnisme.

Décivilisation sociale et culturelle : la préférence temporelle élevée inhérente à la démocratie est implantée au sein de la société civile, entraînant un processus auto-accéléré de décivilisation. Cela se manifeste par une augmentation continue des niveaux de préférence temporelle, une consommation de capital, des horizons de planification réduits, et une "infantilisation et brutalisation progressives de la vie sociale". Les indicateurs de désintégration familiale, tels que les taux de divorce, d'illégitimité, de monoparentalité et d'avortement, ont systématiquement augmenté. Les dépenses sociales et de "charité publique" ont pris le pas sur les dépenses militaires, déchargeant les individus de la responsabilité de leur propre santé, sécurité et vieillesse, affaiblissant ainsi les valeurs du mariage, de la famille et des enfants. L'éducation publique est également vue comme un instrument de l'État pour affaiblir les familles et assujettir l'individu au contrôle étatique.

Augmentation de la criminalité et perte de responsabilité individuelle : le flot incessant de législation rend la loi malléable et imprévisible, sapant le respect des lois et encourageant la criminalité. La démocratisation est liée à une perte croissante de responsabilité individuelle, intellectuelle et morale. Les taux de criminalité sont en augmentation, car une préférence temporelle élevée est systématiquement liée à une augmentation des comportements agressifs.

Perversion du droit et législation excessive : en démocratie, les présidents et les parlements s'élèvent au-dessus de la loi, devenant des législateurs qui créent un "nouveau" droit positif. La notion de droits de l'homme universels et immuables disparaît, remplacée par celle de la loi comme législation étatique, entraînant une insécurité juridique croissante. Le volume de textes législatifs et réglementaires adoptés annuellement se compte en dizaines de milliers, affectant tous les aspects de la vie.

Guerre totale et nationalisme : les guerres démocratiques tendent à être des guerres totales, brouillant la distinction entre gouvernants et gouvernés, et renforçant l'identification du public à un État particulier, menant au nationalisme. Le XXe siècle, l'âge de la démocratie, est classé parmi les périodes les plus meurtrières de l'histoire.
• Intégration forcée et non-discrimination : par nature, la démocratie impose des décisions démagogiques qui attirent des populations dépendantes. En supprimant le droit de propriété privée et le droit d'exclusion qui s'y rattache, elle affaiblit les autochtones et favorise l'immigration forcée. La démocratie tend à mener une politique d'immigration nettement égalitaire et non discriminatoire. Les dirigeants démocratiques pourraient même préférer les fainéants et les improductifs comme résidents, car ils créent des "problèmes sociaux" dont les dirigeants tirent profit, et soutiennent leurs politiques égalitaires. Les lois anti-discrimination ("droits civiques") sont vues comme imposant l'intégration forcée, limitant la liberté d'association et d'exclusion des propriétaires privés.

Les erreurs du libéralisme classique sont également soulignées par Hoppe. Selon lui, l'erreur fondamentale du libéralisme réside dans sa théorie de l'État. En acceptant l'État comme juste et en cherchant à le concilier avec l'idée de droits de l'homme universels par le biais de la démocratie, le libéralisme a conduit à l'égalitarisme et à la destruction de ce qu'il visait à protéger: la liberté et la propriété. Ludwig von Mises lui-même, bien que clairvoyant sur les effets destructeurs des politiques étatiques modernes, n'a jamais systématiquement lié ces phénomènes à la démocratie moderne coercitive. Sa définition de la démocratie impliquait un droit illimité à la sécession, ce qui est fondamentalement différent de la démocratie moderne à appartenance obligatoire.

Face à ces constats, Hoppe propose des solutions radicales. Il est crucial de délégitimer l'idée et l'institution de la démocratie dans l'opinion publique. L'État, qu'il soit monarchique ou démocratique, n'est pas la source de la civilisation et de la paix sociale, cette source c'est la propriété privée, la reconnaissance des droits de propriété, le contractualisme et la responsabilité individuelle. L'idée de la primauté de la majorité doit être décrédibilisée, en soulignant qu'elle permet à des majorités de "piller" des minorités, ce qui est une "outrage moral".

Un retour à l'Ancien Régime monarchique est jugé impossible, la légitimité monarchique étant irrémédiablement perdue. La stratégie doit être une révolution ascendante, partant d'un changement d'opinion. Plutôt que de rechercher des réformes étatiques, il faut promouvoir la décentralisation et la sécession. Les États territorialement plus petits et la concurrence politique accrue encouragent la modération dans l'exploitation.

L'objectif ultime est une société "anarchique" de droit privé, un ordre naturel où chaque ressource est de possession privée, où chaque entreprise est financée volontairement, et où l'accès à toutes les lignes de production, y compris la sécurité, est libre et compétitif. Dans cet ordre, des agences d'assurance privées et librement financées serviraient de fournisseurs compétitifs de l'ordre public, minimisant l'agression et favorisant la civilisation et la paix perpétuelle.

Hoppe souligne le rôle crucial des élites naturelles dans ce processus. Dans de petites régions et communautés, des individus, reconnus pour leur indépendance économique, leurs réalisations professionnelles exceptionnelles, leur vie moralement impeccable et leur jugement supérieur, peuvent se hisser au rang d'autorités naturelles volontairement reconnues. Ces élites doivent promouvoir un libertarianisme radical et intransigeant, embrassant la discrimination (le droit d'exclusion inhérent à la propriété privée) pour empêcher la dégénérescence sociale. Il ne doit y avoir aucune tolérance envers les démocrates ou les communistes au sein d'un ordre social libertarien, car leurs idées sont contraires à la propriété privée et doivent être "physiquement séparés et expulsés de la société".

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