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mardi 19 septembre 2023

Pierre Dupont de Nemours : "Le hasard, c’est un mot imaginé pour voiler l’ignorance."


« Qu’il y ait des êtres intelligents qui éprouvent des sensations, font des raisonnements, ont des volontés ; et qu’il y ait aussi des choses inintelligentes, uniquement soumises aux lois de la physique, de la chimie et de la mécanique, cela est évident pour nous comme notre propre existence.

« Que des êtres intelligents aient pu être produits par une cause inintelligente, cela est absurde ; par hasard, c’est un mot imaginé pour voiler l’ignorance.

« Que tous les êtres intelligents aient le pouvoir plus ou moins étendu, non pas de dénaturer mais d’arranger, de combiner, de modifier les choses inintelligentes ; c’est ce que prouvent tous nos travaux et ceux des animaux nos frères.

« Les êtres intelligents sont doués d’une volonté qui nous est manifeste ; et d’une force que nous ne pouvons nier, pour agir sur les corps, même en apparence contre les lois de la statique, de la gravitation et de la mécanique. C’est contre toutes ces lois connues que ma volonté, qui n’est point un corps et qui n’a aucun poids, gonfle et raccourcit mes muscles, au point de lever mon bras qui pèse dix livres et avec mon bras un fardeau d’un quintal. Nous renouvelons à tous moments cette expérience incompréhensible, et nous ne pouvons dire autre chose là-dessus, sinon : Mens agitat molem.

« Mais il est impossible de nous dissimuler que notre intelligence et nos forces, très éminentes en comparaison de celles d’une cigale, sont néanmoins extrêmement bornées. Et l’arrangement de l’univers, ses lois astronomiques, physiques, chimiques, anatomiques ; le développement, l’emploi tant de notre propre intelligence que de celle des autres animaux, nous montrent clairement qu’il y a quelque intelligence supérieure qui a pris plaisir à disposer le tout et les détails avec beaucoup de science et de sagesse ; qui est au moins à la collection des mondes ce que je suis à l’assemblage de ressorts, de roues, de pignons, que j’ai fabriqués de cuivre et d’acier, dans les proportions qui m’ont paru convenables, pour faire marquer à une aiguille l’heure qu’elle me dit avec une grande exactitude.

« Si je suis horloger, moi, avec le peu que j’ai d’esprit, l’immense horloge de l’univers a aussi un horloger.

« Qu’est-il ? Je n’en sais rien. Mais je connais de prime abord deux de ses propriétés : Il est intelligent et moteur.

« Et de quoi l’est-il ? De ce qui est mu et dénué d’intelligence.

« Il ne serait pas moteur s’il n’y avait pas quelque chose de mobile et de mu.

« Nous sommes donc conduits par des pas assez sûrs à une grande pensée, qui doit être l’expression d’une grande et fondamentale vérité : c’est que la masse entière de l’univers est composée de deux êtres : la matière insensible, involontaire et qui ne peut se mettre en mouvement par elle-même, mais qui peut y être mise ; l’intelligence qui a des volontés et des desseins, un pouvoir actif, celui de combiner, de modifier, d’arranger, de régir les éléments indestructibles de la matière. 

« Homme ! Oses-tu comparer la distance effrayante que tu reconnais entre toi et Dieu avec celle si petite qui m’a fait hésiter entre toi et la fourmi ? Cet espace immense est-il vide ?

« Il ne l’est pas, car il ne peut pas l’être ; l’univers est sans lacune.

« S’il est rempli, par qui l’est-il ? Nous ne pouvons le savoir. Mais puisque la place existe, il s’y trouve quelqu’un et quelque chose.

« Pourquoi n’avons-nous aucune connaissance évidente de ces êtres dont la convenance, l’analogie, la nécessité dans l’univers frappent la réflexion, qui peut seule nous les indiquer ? De ces êtres qui doivent nous surpasser en perfection, en facultés, en puissance, autant que nous surpassons les animaux de la dernière classe et les plantes ? Qui doivent avoir entre eux une hiérarchie aussi variée, aussi graduée que celle que nous admirons entre les autres êtres vivants et intelligents, que nous primons et qui nous sont subordonnés ? dont plusieurs ordres peuvent être nos compagnons sur la terre comme nous sommes ceux des animaux qui, privés de vue, d’ouïe, d’odorat, de pieds, de mains, ne savent qui nous sommes ni si nous sommes, au moment même où nous en faisons le bonheur ou le malheur ? dont quelques autres peut-être voyagent de globe en globe, ou, plus relevés encore, d’un système solaire à l’autre, plus aisément que nous n’allons de Brest à Madagascar ?

« C’est que nous n’avons pas les organes et les sens qu’il nous faudrait pour que notre intelligence communiquât avec eux ; quoiqu’ils puissent très bien avoir et que nous devons songer qu’ils ont des sens et des organes propres à nous discerner et à influer sur nous, de même que nous discernons et que nous régissons des races entières d’animaux qui nous ignorent et qui ne sont nos inférieurs que d’un très petit nombre de sens.

« Quelle pauvreté de n’en avoir que cinq ou six et de n’être que des hommes ? On peut en avoir dix, on peut en avoir cent, on peut en avoir mille, on peut en avoir un million...

« Quand le limaçon fut créé pour lui-même, le sylphe et l’archange ne l’ont pas été pour les humains. Toute espèce, tout individu vit pour soi.

« Ces intelligences ne sont au-dessus de nous et hors de la portée de nos sens que parce qu’elles sont dotées d’un plus grand nombre de sens et d’une vie plus développée et plus active. Ce sont des êtres qui valent mieux que nous et qui ont beaucoup plus d’organes et de facultés. Ils doivent donc, en déployant leurs facultés disponibles suivant leur volonté, de même que selon notre volonté, nous employons les nôtres, pouvoir disposer, travailler, manœuvrer la matière inanimée et agir aussi, tant entre eux que sur les êtres intelligents qui leur sont inférieurs, avec beaucoup plus d’énergie, de rapidité, de lumières et de sagesse que nous ne le faisons, nous qui cependant le faisons pour les bêtes qui nous sont subordonnées. Il est donc conforme à la marche et aux lois de la nature que les intelligences supérieures puissent ainsi, quand il leur plaît, nous rendre les services à la fois les plus importants et les plus ignorés.

« Vous ne pourriez m’affirmer que cela n’est pas qu’en prétendant que tout ce que vous ne pouvez voir physiquement n’existe point et soutenant que vous êtes les premiers des êtres après Dieu. Et je peux vous affirmer que cela est, appuyé sur toutes les lois d’analogie qu’il nous est donné de reconnaître dans l’univers.

« Si cela n’était pas, l’univers serait incomplet. Sa partie inférieure serait régulièrement ordonnée avec les gradations les mieux nuancées et les plus parfaites ; sa partie supérieure ne serait qu’un vaste désert.»

 Pierre Dupont de Nemours.