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jeudi 27 juin 2024

Conclusion de "Jean-Marie, Marine et les juifs" (2014). Sur l'avenir, le vote, les choses à faire, le possible, l'impossible, l'espoir envisageable. Pas un mot à changer aujourd'hui !




"Je ne cacherai pas mon peu d’optimisme pour la France quant à ce que les analystes nomment le « court terme ». Le poids de l’histoire sur les habitudes des gens est énorme ; la capacité qu’ont les lobbies et officines de prendre le contrôle des cerveaux pour instiller le doute, la peur, le désespoir, bref d’entretenir une disposition cafardeuse à la collaboration est proprement sidérante ; la capacité de résistance des êtres humains sur ce plan est faible, et celle des politiciens quasi-nulle quand il est question de choisir entre la défense d’un idéal et la sauvegarde d’un siège et de prébendes.

« Pour qui voter ? », me demande-t-on parfois. Je ne vote pas. Bien qu’ayant été l’un des premiers à dénoncer la vassalité de Nicolas Sarkozy à l’égard d’Israël et de ses groupes de pression, j’ai la conscience suffisamment en éveil pour ne pas m’être jeté dans les bras de François Hollande en 2012. La politique telle qu’elle nous est imposée par les vieilles barbes et les tyranneaux impotents qui nous gouvernent ne débouche sur rien qui puisse dans l’immédiat sortir notre société du coma dans lequel elle a sombré depuis beau temps. Les Diafoirus qui se penchent sur son cas ont chacun leur idée géniale pour l’extraire de cet état végétatif chronique qu’on appelle depuis les années soixante-dix « la Crise » (un mot qui vient du grec krisis, jugement), mais nul n’a pour l’instant trouvé même le début d’une thérapie appropriée.

Nous vivons au temps de l’esbroufe. La démocratie qu’on nous vend est le royaume du faux-semblant, un jeu de dupes destiné à détourner les hommes et les femmes de leurs véritables priorités. Dans une interview donnée au Spiegel et parue peu après sa mort en 1976, Martin Heidegger disait : « C’est pour moi aujourd’hui une question décisive de savoir comment on peut faire correspondre en général un système politique à l’âge de la technique et quel système ce pourrait être. Je ne sais pas de réponse à cette question. Je ne suis pas persuadé que ce soit la démocratie. » Comment ne pas partager son observation lucide ?

Alors, que faire ? Pour ma part, je m’applique à réaliser dans la vie quotidienne des actes de résistance à ma façon plutôt que d’attendre, les doigts de pieds en éventail, que l’État m’attribue le droit de penser et d’agir à ma guise. « La liberté ne se donne pas, elle se prend ! », s’écriait Henri Lacordaire (en 1830). Ce n’est pas un programme politique, mais c’est ainsi que je conçois une existence qui peut être noble durant la fin de ce cycle historique, tant est loin la possibilité d’un nouveau Regnum. Je n’accorde aucun crédit aux partis, mouvements ou associations militantes, car ils tiennent tous en bride les initiatives originales et fécondes. C’est seulement au sein de structures fraternelles, de sociétés d’amis dénuées de « ligne de parti », que la personnalité des réfractaires a des chances de se développer et qu’un authentique souffle de rébellion peut persister et s’affirmer. Il faut « être autant que possible nos propres rois et fonder de petits États expérimentaux », écrivait Nietzsche, qui ajoutait, sachant de quoi il parlait : « Nous sommes des expériences : soyons-le de bon gré ».

Quand, dans Fable de Venise, un membre de la Grande Loge d’Italie demande à Corto Maltese s’il est franc-maçon, le héros de Pratt lui répond : « Non, je suis simplement franc marin ». Franc, c’est-à-dire libre de toute inféodation. C’est ce qu’il faut tendre à devenir : un franc marin, un franc historien, un franc citoyen, un franc scientifique, un franc artiste !

Depuis mon adolescence j’ai vécu des expériences baroques dans les milieux les plus divers. À 14 ans, désireux de m’engager pour la res publica, je suis entré dans le parti de Jacques Chirac, le RPR ; cela ne me rajeunit pas. Au milieu des années quatre-vingt, j’ai adhéré ensuite au Front national, au temps des « alliances » et de ses premiers tourments médiatico-politiques. Je voulais voir de quoi il retournait. J’ai vu. C’était gratiné. Dès l’âge de 20 ans, j’avais pour l’essentiel compris comment la machine à décerveler fonctionnait et ce que la démocratie telle qu’elle est conçue nous interdisait.

Alors, ouvrant mon champ d’action, j’ai participé à des « opérations spéciales », parfois clandestines, en compagnie d’anarchistes, de gaullistes, de communistes, de nationalistes, de royalistes. Avec certains camarades, j’ai fondé en 1993 le Cercle zététique, destiné à contribuer à la formation d’une appropriation critique du savoir humain tandis que le pays était enclin à tomber dans les rets de fausses spiritualités (les fruits pourris de l’« âge parodique » dénoncé par René Guénon) et se trouvait en proie à la dérive conceptuelle post-moderniste. Au bout de dix ans, l’aventure m’a paru suffire bien qu’elle fût riche d’enseignements. Surtout, elle m’a convaincu d’agir autrement.

Mon « équation personnelle » m’a toujours porté à promouvoir le principe de souveraineté, dans tous les domaines : artistique, historique, politique, religieux. Ce principe d’affirmation de l’homme différencié, singulier, allergique aux étiquettes, s’oppose à la morale grégaire des culs-bénis et à l’effrayante uniformisation du monde.
Anarchiste ? Peut-être, mais pas tant qu’il y paraît. Il s’agit d’abord, comme nous y engageait Pindare, de se donner les moyens de devenir ce que l’on est, quel que soit le prix à payer. Ce que je préconise pour réaliser ce « saut qualitatif » volontiers romanesque se rapproche de la devise de Gabriele d’Annunzio : Memento audere semper, « Souviens-toi de toujours oser ! » L’abandon est interdit. On doit vivre en professionnel de l’existence, en commençant par étudier de près la logique de la guerre chère à Guy Debord ; et le jeu fait partie du métier.

Quand bien même je ne crois pas aux institutions, en voie de putréfaction avancée, je crois néanmoins aux ruses de l’histoire comme Hegel croyait à celle de la raison et me plais à envisager que, dans la mesure où « les pensées qui mènent le monde arrivent sur des ailes de colombes » (Nietzsche), il existe un courant caché, souterrain, qui, un jour lointain, par une faveur spéciale de la Providence, jaillira en surface pour aboutir à quelque glorieux résultat.

Pour le moment, nul n’est en état de situer sous quelle portion de terre bénie coule ce petit ruisseau qui fera de grandes rivières. N’importe. De moins en moins de gens croient que le film de propagande qu’on leur projette au journal de 20 heures représente la réalité ; beaucoup déjà ont compris l’énormité du mensonge officiel prédominant et savent que le pouvoir réel de décision se dissimule au-delà des images et des apparences, dans un grand théâtre d’ombres. Pour repartir sur des bases saines, il faudrait que les Français fussent capables de dynamiter au moins deux cents ans d’histoire afin de cerner les origines du mal.

Faire table rase : après tout, pourquoi pas ? « Ce qui doit tomber, il ne faut pas le retenir. Il faut encore le pousser » (Nietzsche, toujours). Partant, n’oublions pas l’ultime avertissement de Heidegger : « Seulement un Dieu peut encore nous sauver. » On a beaucoup répété cette formule du plus grand philosophe du siècle dernier sans en prendre suffisamment la mesure ni en saisir le sens. Face à l’abîme et à la bêtise au front de taureau (« Il n’y a pas d’autre ennemi », disait Gustave Flaubert), c’est de l’esprit, du Verbe, que peut provenir la solution espérée ; non des urnes ni d’une vaine agitation virtuelle (ô inepte Facebook, tombeau des paroles en l’air !) ou du militantisme politique à œillères. C’est soi-même qu’il faut commencer par transformer en apprenant à devenir, comme tout bon Vénitien qui se respecte, sérénissime et sauvage !
À l’ombre de Venise, le 15 août 2014."

Paul-Éric Blanrue.